(extrait du procès-verbal de la séance du 24 septembre 2003)

Présidence de M. Jean-Louis DEBRÉ, Président

M. le Président : Mesdames, messieurs, notre interrogation porte sur la nécessité ou non de légiférer aujourd’hui pour tenter de régler la question du port des signes religieux à l’école. Je propose à chacun d’entre vous de se présenter et de présenter brièvement sa position. Ensuite, nous ouvrirons un dialogue.

Mme Véronique GASS : Je suis la vice-présidente de l’Union nationale des parents de l’enseignement libre (UNAPEL). Notre position de principe est contenue dans un communiqué de presse publié en juillet. Nous ne souhaitons pas de loi sur le port de signes religieux à l’école d’une façon générale.

M. le Président : Pourquoi ?

M. Philippe de VAUJUAS : Je suis membre du bureau de l’UNAPEL. Il nous semble difficile de dissocier le port d’insignes religieux au sein des établissements scolaires du port des signes religieux dans les espaces publics. La crainte d’un débordement nous laisse à penser que la loi est dangereuse, car elle toucherait à la liberté d’expression religieuse qui, elle-même, représente une dimension essentielle de la liberté de conscience.

M. le Président : Estimez-vous la législation actuelle suffisante ?

M. Philippe de VAUJAS : La législation actuelle est sans doute suffisante, ce qui ne l’est pas, ce sont les outils donnés aux enseignants et aux chefs d’établissement pour gérer les tensions existantes entre les convictions personnelles et religieuses d’un certain nombre d’élèves et la nécessité de faire appliquer la loi commune. De telles tensions sont parfois difficiles à gérer. Il faut donc doter les chefs d’établissement d’outils dont ils sont dépourvus. Force est de reconnaître qu’ils ne sont pas préparés.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Je suis président de la Fédération des conseils de parents d’élèves (FCPE). Je rejoindrai les propos tenus : nous considérons qu’une loi nouvelle n’est pas utile pour deux raisons : d’abord, le principe de laïcité concerne l’Etat et pas les individus. L’élève n’est pas laïque, aucun d’entre-nous n’est laïque, c’est l’institution qui est laïque. Nous sommes tous pétris de nos convictions religieuses, philosophiques ou politiques.

L’école est laïque en tant qu’institution. Cela concerne les bâtiments, les programmes, les serviteurs que sont les personnels de l’Education nationale qui, eux, sont soumis à la règle de la laïcité. L’usager qu’est l’élève, le parent, n’est pas un laïque par essence ; il est accueilli à l’école publique dans sa diversité. Se pose donc, dans l’école publique, le problème du respect par les usagers de la neutralité imposée. Nous arrivons avec nos croyances ; dans le même temps, nous devons respect à l’autre, puisque tel est le fondement de la laïcité. Dès lors, la vraie question est celle du prosélytisme, de toutes formes de sélection dans les programmes ou d’atteinte à l’obligation scolaire, ce qui n’est pas tolérable. Partant de là, les données juridiques permettent d’interdire le prosélytisme ou la sélection de tel ou tel enseignement, quelle que soit d’ailleurs la religion. Nous pensons que se polariser sur le foulard dit islamique...

M. le Président : Nous n’avons pas parlé du foulard.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Pour l’instant !

Ce qui provoque l’émoi, c’est bien le foulard. La législation actuelle, rappelée par l’avis du Conseil d’Etat, permet aujourd’hui de lutter contre le prosélytisme et de garantir le respect des obligations scolaires - assiduité à tous les cours, respect des programmes dans leur intégralité. Nous avons les moyens, alors que toute tentative d’interdiction peut aboutir à des abus. Je ne prendrai qu’un exemple, celui d’un chef d’établissement qui crée un conflit à cause d’un élève arborant une coupe de cheveux en forme de crête. Sur quelle base interdira-t-il l’accès de son établissement à cet élève ? Au prétexte que la coiffure ne lui convient pas ? Par extension et au-delà des insignes, se pose le problème du respect des obligations fondamentales posées par la loi en termes de contenu de l’enseignement. Est-ce que la question d’une coiffure a plus de conséquences que le port d’un fichu ?

M. le Président : Le port d’un fichu ne serait-il que l’expression d’une manifestation religieuse ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Aboutir à une vision simple, c’est tomber dans le risque d’une simplification d’un phénomène complexe. On ne peut pas définir quel type de tenue vestimentaire est obligatoirement la marque d’une volonté de prosélytisme ou un signe religieux. Nous avons souvent vu que des jeunes, en réaction à l’interdiction de la présence d’élèves portant un voile, avaient décidé d’en porter un. Là se pose un difficile équilibre qui nous conduit à dire que la loi est suffisante et que toute interdiction porte en elle le risque d’un engrenage.

M. Faride HAMANA : Je suis secrétaire général de la FCPE. Vous comprendrez aisément que les propos que je vais tenir sont à peu près identiques à ceux de mon président.

M. le Président : C’est rassurant, mais très différent de ce qui se passe à l’Assemblée nationale !

M. Faride HAMANA : Je souhaite ajouter que, si depuis 20 ans, on parle de signes religieux, ce n’est ni au sujet des croix ni des mains de Fatima, mais du voile. Une certaine hypocrisie essaie de se cacher dans un terme générique, alors que le débat ne porte que sur la question du voile.

Il ne faudrait pas oublier dans le débat les droits de l’enfant, notamment le droit absolu de l’enfant à la liberté de conscience et d’expression religieuse. C’est là un travail qui dépasse un peu la France ...

M. le Président : C’est un peu contradictoire avec les propos tenus.

M. Faride HAMANA : Pas du tout. Les enfants ont le droit d’exprimer leurs convictions religieuses.

M. le Président : Ils ont le droit de ne pas être choqués par d’autres qui manifesteraient les leurs.

M. Faride HAMANA : Certes, mais il faut poser comme postulat le droit absolu de l’enfant à jouir de sa liberté de conscience et le droit d’être accepté en tant que tel. A partir de là, se pose la question de la laïcité et du rapport de l’enfant aux autres adultes. Ce qui me paraît choquant c’est l’oubli, notamment dans les médias, d’un fait important : le problème se pose à partir de la réaction d’un adulte enseignant face à une jeune fille qui porte un foulard. Il y a là matière à rappeler le principe de la neutralité de l’agent public, du fonctionnaire par rapport à un certain nombre de principes. En quoi un adulte fonctionnaire de l’Etat a-t-il à exprimer un avis sur la religion ou la liberté de conscience d’un usager ? La question se pose ainsi.

Se pose également la question de la formation des enseignants aux principes fondamentaux des lois de la République et de leur esprit. C’est en effet souvent une lacune. Il ne s’agit pas de reproduire des « hussards de la République », mais tout simplement des fonctionnaires avec des convictions et des valeurs bien intégrées, en particulier le concept de neutralité.

Aujourd’hui, face à la religion et à son expression, il n’y a pas égalité des cultes. Un statut archaïque demeure, celui de l’Alsace et de la Moselle. Peut-être faudra-t-il le remettre à plat d’une façon réelle et sérieuse. Nous sommes quand même au XXIème siècle. Dans le même temps, il faudra revoir la question des aumôneries. Si nous acceptons et tolérons l’existence de ce type « d’église » dans l’établissement, il faudra accepter d’autres cultes. Si l’on souhaite garantir la laïcité de l’école, toute manifestation de quelque culte que ce soit doit être bannie des établissements scolaires.

M. le Président : Si je comprends bien, Mme Gass, M. Hamana, M. de Vaujuas et M. Dupon-Lahitte, le port de la kippa ou le port d’un foulard par un élève ne constitue pas un signe ostentatoire d’appartenance religieuse ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Comme le rappelle l’avis du Conseil d’Etat, le port du voile comme celui de la kippa ne constitue pas en soi un acte de prosélytisme.

M. le Président : Cela ne vous gêne-t-il pas que l’on enseigne à un jeune qui porte un foulard ou une kippa ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Le port de la croix gêne-t-il beaucoup d’enseignants ?

M. le Président : Selon vous, il en va de même des croix ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : On s’émeut de certains signes et l’on considère par héritage culturel qu’il est naturel de porter des croix !

M. le Président : Je m’émeus de tous les signes.

Le fait que des élèves de l’enseignement public portent une kippa, un foulard ou une croix ne vous choque-t-il pas ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Non.

M. le Président : Et vous pensez que cela ne choque pas les autres élèves ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Pourquoi voulez-vous que cela choque ?

Est-il plus choquant de porter un piercing ou des tenues vestimentaires qui marquent la volonté de se distinguer ? La question est plutôt liée à la façon dont l’élève suit l’enseignement, l’accepte dans sa globalité et intègre cet enseignement comme élément lui permettant, par la suite, d’opérer des choix raisonnés.

M. Faride HAMANA : On mesure mal aujourd’hui la diversité des styles culturels et des modes d’identification et donc des identités collectives auxquelles peuvent se référer les jeunes. Seule une infime minorité de jeunes choisit la religion comme référence identitaire. L’immense majorité des jeunes lycéens se fonde sur d’autres gammes identitaires beaucoup plus complexes. En d’autres termes, quand on fait référence au voile, il faut souligner le détournement de sens lié au port du bandana, foulard court porté indistinctement par les garçons et les filles et qui fait référence aux codes vestimentaires des gangs de jeunes américains. Quand il est porté par une jeune fille blonde aux yeux bleus, c’est un joli accessoire de mode ; quand il est porté par une jeune fille maghrébine qui revendique, à partir de là, sa religion musulmane, cela devient un bandana islamique. Soyons extrêmement vigilants à ce que l’on place sous les signes. Un foulard court cela n’existe pas. Au lycée La Martinière l’an dernier, c’est ce type de vêtements qui était porté. Par extension, nous pouvons imaginer tout et n’importe quoi sur n’importe quel attribut vestimentaire qui peut être porté comme le signe de sa religion. Les jeunes sont dotés d’une capacité extraordinaire d’invention en matière de signes.

Mme Lucile RABILLER : Je suis secrétaire générale de l’association des Parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP).

Pour nous, la laïcité serait le respect et l’acceptation des différences dans le cadre des valeurs communes de la République.

L’école ne doit pas différencier les élèves en fonction d’appartenances religieuses, politiques ou idéologiques, elle ne doit pas les enfermer dans des catégories. L’identité ne se limite pas à un seul critère, qu’il soit d’ordre ethnique, religieux ou culturel.

A l’intérieur des établissements scolaires, l’obligation de neutralité doit s’appliquer à tous : personnels du service public bien sûr, mais aussi élèves ; elle doit concerner la laïcité dans tous ses aspects religieux et politiques. Pour la PEEP, le port de signes visibles politiques ou religieux ne doit plus être admis. A notre sens, cela n’entrave pas la liberté de conscience.

Faut-il une loi ou une circulaire ? La question est posée. Les équipes éducatives doivent pouvoir s’appuyer sur des dispositions précises et très claires pour faire appliquer les règles connues de tous.

M. le Président : Jugez-vous claires les règles actuelles ? Doivent-elles être amendées ou corrigées ?

Mme Lucile RABILLER : Nous pensons que les règles de la laïcité ont besoin d’être réaffirmées et ré-expliquées. Les fondements de la laïcité ne sont plus très clairs.

M. le Président : Les professeurs disposent-ils à l’heure actuelle des outils juridiques pour faire respecter les principes que vous avez énoncés ?

Mme Lucile RABILLER : Il semblerait que non, ils disent que non.

Le foulard islamique nous apparaît comme une double discrimination. La jeune fille est classée dans sa religion, mais surtout elle est distinguée par rapport aux garçons par un signe inégalitaire. Pour ces deux raisons, nous pensons qu’il ne faut pas accepter le foulard à l’école.

M. Bernard TEPER : Je suis président de l’Union des familles laïques (UFAL).

Notre position est claire et a été publiée dans la presse. Nous sommes favorables à une loi contre les signes religieux à l’école publique. Notre position n’est pas fondée contre une quelconque religion, pour une raison simple : vis-à-vis de l’islam, nous avons publié un texte paru dans le journal de la Ligue de l’enseignement. Il était intitulé : « Non au voile islamique dans l’école publique, oui à la construction de mosquées dans la société civile ». De ce point de vue, nous pensons que l’école n’est pas de même nature que la rue ou que la sphère privée.

La définition historique de la laïcité, même si certains ne sont plus d’accord avec cette définition, réside dans la séparation de la sphère publique et de la sphère privée. Rien de moins, rien de plus. L’école fait partie de la sphère publique. Je voudrais marquer mon désaccord avec l’un des propos entendus. L’élève n’est pas un usager, car l’école n’est pas un service public. L’école n’a pas le même statut que la poste. L’école est une institution de la République, la poste n’est qu’un service public. Ce n’est pas la même chose. L’école est une institution de la République, elle n’a pas à subir les mêmes règles que les services publics de l’Etat et elle n’a pas, a fortiori, à suivre les mêmes règles que la sphère privée.

Que se passe-t-il aujourd’hui ? Une multiplication d’incidents dans les écoles. Certains chiffres donnés ne sont pas justes. Des incidents émaillent la vie d’une série d’écoles et les cours ne peuvent pas toujours se tenir. L’UFAL a lancé une action visant à rassembler tous les appels et toutes les initiatives en faveur d’une loi contre les signes religieux à l’école.

Qui signe ? Nous allons bientôt être capables de montrer aux pouvoirs publics que les enseignants, et surtout les personnes d’origine maghrébine vivant sur le territoire national, signent massivement. J’avance la conviction que nous serons en mesure de prouver, dans les mois à venir, que la majorité des personnes d’origine maghrébine habitant sur le territoire national est favorable à une loi contre les signes religieux à l’école, à la condition, bien sûr, que la loi concerne tous les signes et que l’on évite toute mansuétude pour la croix ou la kippa face au voile. Il s’agit dans nos propos d’être aussi durs sur la croix, la kippa ou le voile islamique.

A l’heure actuelle, notre position s’appuie sur les éléments suivants : l’appel des enseignants de La Martinière a fusionné avec le nôtre. Nous avons gagné à La Martinière grâce à la fermeté de l’équipe enseignante et du chef d’établissement, malgré une position plus nuancée du recteur. Le fait que plus personne ne porte le voile dans ce lycée est consécutif à l’expression d’une fermeté. Il n’y a plus de signes religieux. A partir du moment où l’on autorise un ou plusieurs signes religieux, l’on incite, sous pression des intégristes des différentes religions, davantage encore de signes. Un tel phénomène se remarque aujourd’hui à Aubervilliers, Montreuil et dans d’autres villes encore.

Qu’en est-il des élèves qui arrivent avec un voile ? Je fais une différence entre l’école jusqu’à 18 ans et l’université. Je suis un citoyen républicain et, à mes yeux, la majorité signifie quelque chose. A l’école, les élèves ne sont pas des citoyens ; ils sont des citoyens en devenir, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. A l’université, les étudiants sont des citoyens. Il faut différencier ce qui se passe à l’université de ce qui se passe au collège et au lycée.

La République française doit protéger l’ensemble des ressortissants sur le territoire national contre l’ensemble des intégristes. Pourquoi avons-nous tranché pour prendre position pour une loi contre les signes religieux à l’école ? Parce que nous demandons à la République française de protéger les milliers de jeunes filles qui ne veulent pas porter le voile et qui subissent des pressions intolérables. Le problème fondamental est le suivant : la République doit être capable de protéger les jeunes filles qui ne veulent pas porter le voile. Si j’ai à choisir entre une fille qui veut porter le voile et 10 000 qui ne le veulent pas, je souhaite que la loi protège les 10 000 qui ne le souhaitent pas. Si l’on cède, elles seront contraintes de le porter.

Nous faisons partie de la France d’en bas... Nous allons débattre avec toutes les catégories présentes sur le territoire national. La majorité des personnes d’origine maghrébine qui signe notre pétition souhaite la publication de la liste des signataires, mais les jeunes femmes nous ont demandé de ne pas la publier. Pour rencontrer ces jeunes filles, nous sommes obligés de tenir des réunions fermées pour qu’elles osent venir. Nous avons tenu, avant-hier soir, une réunion des signataires de notre appel. Les jeunes filles et jeunes femmes qui ont signé ont précisé qu’elles ne viendraient pas, car elles ne voulaient pas participer à une réunion où elles pouvaient être vues, dénoncées et conduites ensuite à subir des pressions dans les quartiers.

Je suis attaché autant que vous tous à la liberté sur le territoire national - je suis un « beur » des pays de l’Est -, et donc je souhaite que les « beurs » d’Afrique du Nord aient le même droit que moi de faire des études. Alors que mes parents ne parlaient pas le français, j’ai pu faire ce que j’ai fait grâce à une école qui a tenu son rôle pour maintenir l’égalité des chances.

Quand je vois des milliers de jeunes filles et femmes qui n’osent pas dire publiquement qu’elles sont hostiles au port du voile, qui n’osent pas venir à nos réunions et que nous sommes obligés de tenir des réunions fermées, comme celle que nous allons tenir dans quelques mois avec ces jeunes filles et des journalistes... A l’occasion de ces réunions, les jeunes filles nous disent : « Tenez bon, car si vous ne tenez pas bon, nous subirons des pressions qui nous obligeront à porter le voile ». Il paraît trivial et étrange de tenir de tels propos dans la République française, attachée aux droits de l’homme et à la laïcité. Mais je ne suis pas seul à les tenir. Soheib Bencheikh, le grand mufti de la mosquée de Marseille, les tient aussi, mais il est moins écouté que certains imams salafistes, comme ceux de La Duchère à Lyon.

Face à une telle situation, et au regard des traditions de la République française depuis la Révolution, nous n’avons pas d’autres choix que de faire une loi contre tous les signes religieux et de traiter avec autant de détermination la croix, la kippa et le voile islamique, afin que nul ne se sente lésé. A ce titre, je veux rappeler les paroles d’une jeune fille de 17 ans signataire de notre appel : « Un non-musulman comme un musulman enlève ses chaussures par respect quand il entre à la mosquée. Il n’est pas anormal que ceux qui entrent à l’école enlèvent leurs signes religieux par respect pour l’école de la République qui est l’école de tous les enfants de la République. »

M. Jean-Pierre BLAZY : Ma question s’adresse au représentant de l’UNAPEL : vous nous dites qu’il ne faut pas légiférer ; dès lors, accepter le port d’insignes religieux, n’est-ce pas faire le postulat de la priorité des impératifs religieux sur ceux de la citoyenneté ? Nous sommes sans doute un certain nombre à penser que l’école de la République, l’école publique a un rôle d’éducation et d’apprentissage de la citoyenneté. Ce rôle est le principe premier, si l’on se réfère à la loi de 1905, de séparation de l’Eglise et de l’Etat, avant donc la question du religieux.

Certes, la loi de 1905 ne condamnait pas la religion catholique alors prédominante, mais elle proposait la séparation de l’Eglise et de l’Etat pour remettre en question le rôle de l’Eglise, tout en reconnaissant la liberté de conscience et le libre choix de sa religion.

A la FCPE, dont je suis surpris des positions selon lesquelles il conviendrait d’en rester à l’avis du Conseil d’Etat de 1989 qui aurait permis de calmer les tensions, je ferai remarquer que tel n’est pas le cas. L’actualité le démontre clairement. Pour régler le problème d’Aubervilliers, il aurait pu être fait référence à un arrêt du Conseil d’Etat sur la question des cours de gymnastique, mais cela n’a pas été le cas et l’on note que la situation s’enflamme à nouveau. En fait, un profond malaise gagne les enseignants. On ne peut dire à la suite de M. Hamana que ce serait la faute des enseignants qui ne seraient pas neutres.

Aujourd’hui, nous remarquons une perte de repères, non seulement chez les enseignants, mais aussi chez les jeunes concernés. Ne pensez-vous pas, quinze ans après, que l’avis du Conseil d’Etat, non seulement n’a pas permis de calmer les tensions, mais les a peut-être, d’une certaine manière, entretenues ?

Vous éludez un peu trop rapidement la question de la nécessité de la loi. S’il devait y avoir une loi, dans quelles conditions devrait-elle être élaborée ? Pouvez-vous approfondir votre point de vue, certes très clair, mais très définitif ?

M. Jean-Pierre BRARD : Les représentants de la FCPE ne semblent pas choqués par le fait que les enseignants aient à connaître de l’appartenance religieuse de leurs élèves.

J’avais cru comprendre, jusqu’à présent, que le modèle français depuis la Révolution était le « vivre ensemble ». Ne pensez-vous pas que votre position conduit à un modèle différentialiste, où l’on substitue au « vivre ensemble » le « vivre côte à côte », dans la mesure où votre position permet un regroupement à partir de signes d’appartenance ?

Enfin, ai-je cru comprendre, le foulard ne serait pas seulement signe d’appartenance religieuse, mais il pourrait indiquer autre chose. Raisonnons par analogie : quand vous voyez dans votre ascenseur une croix gammée, vous demandez-vous s’il s’agit de la croix gammée ou de la svastika ? La laissez-vous, bien qu’elle puisse être une expression culturelle et non pas un signe d’adhésion au nazisme ?

M. Jacques MYARD : Je voudrais également m’adresser au représentant de la FCPE. Vous avez parlé des droits de l’enfant à avoir sa propre conscience ; d’accord, mais la conscience relève du domaine du cœur et n’est pas seulement un affichage ostensible. Je suis quelque peu gêné, car si chacun peut avoir sa religion, lorsqu’elle s’affiche dans un endroit à la fois neutre et institutionnel comme l’école de la République, n’y a-t-il pas risque d’engrenage, de surenchère ? D’où la question suivante : le voile peut-il être analysé comme un signe religieux ou comme un signe d’appartenance ? Il peut marquer une révolte adolescente, mais il recouvre aussi une démarche politique de la part d’intégristes religieux, ne l’oublions pas. Dès lors, votre attitude gêne par son acceptation ; n’avez-vous pas le sentiment que le voile est un épiphénomène et qu’il cache derrière lui beaucoup de choses ? Êtes-vous prêt, au nom de la liberté de conscience de l’enfant, à tolérer qu’il fasse sa prière en classe ?

Si ce n’était qu’un voile, tout le monde se moquerait de cette affaire, mais l’on sait très bien que, derrière, se dessine une démarche prosélyte forte. Le voile n’est que la face visible de l’iceberg. Jusqu’où êtes-vous prêt à accepter l’irruption de signes religieux forts dans l’école laïque ?

M. Lionnel LUCA : En tant qu’enseignant, je veux dire au représentant de la FCPE que cela me dérange de voir un élève avec une crête rouge sur la tête, un piercing ou un signe religieux. L’idée que je me fais d’un établissement scolaire avec des règles et un mode de fonctionnement est effectivement celle d’une certaine tenue. Sinon, l’on pourrait tout aussi bien venir en short ou tout nu ! J’ai été assez choqué d’apprendre que, pour vous, il était dérangeant d’exiger dans un établissement quelques règles de bonne conduite. Que vous soyez choqué, en tant que parent d’élève, que l’on parle de bonne conduite m’interpelle encore davantage !

Par rapport à vos affirmations sur un certain souci de neutralité, les droits de l’enfant vous conduisent à tout accepter. J’ai été choqué d’apprendre, qu’à vos yeux, l’affirmation du port du voile et la représentativité qui y est liée n’étaient pas un problème. Poursuivez votre raisonnement à son terme pour nous expliquer votre conception.

Ma question s’adresse aussi au représentant de l’association des parents pour la laïcité dont le propos porte une cohérence inverse que je nommerai « intégrisme de la laïcité ». Vous dénonciez les intégrismes, mais je considère que vos propos en décèlent un en procédant par amalgame facile : quand on met sur le même plan le port discret d’un insigne comme la croix et un signe extérieur plus visible très marqué, on complique les choses. Jusqu’à preuve du contraire, jusqu’à ces dernières années, nul n’était dérangé par des identifications relativement discrètes. On se rappelle ces jeunes qui, dans les années soixante-dix, se réclamant du mouvement « peace and love », portaient une petite croix, sans pour autant entraîner de retentissements particuliers, mais il est vrai que la kippa ou le voile sont des signes plus marqués d’une appartenance, d’une identification. Ils sont à placer sur un plan différent. J’ai l’impression que c’est pour vous l’occasion ou jamais d’extirper les derniers vestiges de ce que la loi de 1905 a posé, c’est-à-dire le respect des convictions religieuses de chacun pourvu qu’elles restent discrètes. Je voudrais que vous me confirmiez l’idée que vous souhaitez profiter du voile pour extirper tout ce qui pourrait rester, jusqu’aux aumôneries de collèges.

M. Bernard TEPER : C’est en effet cela.

M. Lionnel LUCA : C’est donc clair, ce qui nous permettra de juger de la difficulté de l’affirmation de la loi.

Enfin, les représentants des parents de l’enseignement libre craignent une loi qui précisément pourrait remettre en cause la marque de l’enseignement confessionnel.

Mme Patricia ADAM : J’aimerais revenir sur la liberté de conscience. Croyez-vous qu’un enfant de dix ans jouisse véritablement d’une liberté de conscience ? Est-il en capacité, a-t-il tous les éléments pour fonder un jugement alors qu’il n’est qu’en réalisation de son identité ? Ne faut-il pas, à la suite de M. Teper, procéder à une différence entre majorité et minorité ?

Chacun a aussi parlé du respect de l’autre. Je me pose la question suivante : si l’on vient en affirmant fortement son identité religieuse, le débat peut-il être serein ?

M. Jean-Yves HUGON : M. Teper, vous avez fait procéder à une différence entre lycée et université, fondée sur les notions de minorité et de majorité civiles ; or, il faut bien savoir que, dans la plupart des lycées, nombreux sont les élèves majeurs.

M. de Vaujuas, vous avez parlé d’outils qu’il faudrait donner aux chefs d’établissement et aux enseignants. Pouvez-vous préciser votre pensée ?

M. René DOSIERE : Deux questions au représentant de l’UNAPEL. Dans votre texte « Pour une laïcité vivante », vous dites que la concertation et la discussion doivent suffire à régler les problèmes liés au voile. Avez-vous l’expérience dans vos établissements de jeunes filles voilées ?

A supposer qu’une loi réglemente les signes religieux, elle concernerait la totalité des signes religieux et ne s’appliquerait pas à un seul. Dans cette hypothèse, la loi aurait-elle des conséquences pratiques sur le fonctionnement de vos établissements ? Quel est l’ensemble des signes religieux qui pourrait être concerné dans l’enseignement catholique ?

Une observation à M. Teper : quand vous souhaitez la remise en cause du statut actuel de l’Alsace-Moselle, avez-vous conscience que cela revient à soulever des problèmes dont l’ampleur est considérable ?

M. Robert PANDRAUD : Je souhaiterais savoir si l’association des parents d’élèves de l’enseignement libre regroupe des parents d’élèves d’école libre appartenant à toutes les confessions ?

Les écoles juives adhèrent-elles à l’UNAPEL ? Savez-vous s’il est possible dans une école juive de ne pas porter de kippa ?

Si nous devions suivre la position de la FCPE, nous ne serions plus là aujourd’hui, car il n’y aurait plus d’école laïque, car l’école laïque et l’enseignement public, obéissent à une norme commune qui s’impose à tous. Je ne pense pas que l’enseignement laïque ait toujours privilégié les droits des enfants, d’autant que, selon moi, les droits des enfants, cela peut mener très loin.

Les enseignants ont une mission d’intérêt général à accomplir. Dans le dialogue qui les unissait aux parents, ils l’imposaient autrefois aux parents. Ils ne se laissaient pas déborder par telle secte, religion, confession ou autre. L’école laïque est née, avant d’être institutionnalisée, à la suite de tensions avec certaines religions plus dominantes à l’époque que maintenant. Si nous vous suivons, nous allons nous laisser dominer par des religions, certes, importantes, mais minoritaires.

M. Teper, vous allez loin ! Je suis d’accord avec vous sur la mise au point sur le foulard. Mais je ne vois pas - cela me paraît d’ailleurs l’équilibre nécessaire - que vous remettiez en cause les aumôneries. Je ne parle pas du statut de l’Alsace-Moselle qui est un problème particulier. De toute manière, Herriot en 1924 a tenté de faire rentrer l’Alsace-Moselle dans la loi commune de la République ; en 1936, ce fut une revendication du Front populaire. Personne n’y est parvenu. J’aime autant vous le dire : vous n’y arriverez pas ! Ce serait très dommageable pour l’unité nationale et pour la tradition française.

Mais pourquoi s’attaquer aux aumôneries ? A l’inverse, selon ma conception neutre de l’enseignement public, l’équilibre réside dans la possibilité d’avoir des enseignements privés. Cela ne me gêne nullement que s’ouvre une école coranique à Lille. Un contrôle s’y applique. Mais conservons à l’enseignement laïque, dans le respect des parents et des convictions républicaines, une certaine homogénéité. L’aumônerie relève d’une autre question. On ne peut ouvrir des écoles privées partout, dans toutes les communes. On n’oblige personne à se rendre dans les aumôneries, c’est d’une grande discrétion et il est normal qu’il puisse y avoir des aumôneries d’enseignement public comme cela s’est toujours fait et ce qui ne choque personne. Préservons à la fois le maintien des principes républicains et l’assurance que les convictions religieuses peuvent être reconnues, affirmées, à l’intérieur même de l’enseignement public, à la condition toutefois que les aumôniers, à l’instar des enseignants, appliquent à l’extérieur de leurs locaux une stricte neutralité.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Même si le propos ne s’adressait pas directement à la FCPE, je répondrai en premier lieu à M. Pandraud sur l’Alsace-Moselle. Sur ce point, je rejoins tout à fait M. Teper. Nous remettons en cause la situation en Alsace-Moselle et en Guyane, où l’enseignement religieux est obligatoire dans les écoles publiques.

M. Robert PANDRAUD : C’est la déclaration des parents d’élèves !

M. Georges DUPON-LAHITTE : En Alsace-Moselle, un enseignement religieux fait obligatoirement partie des obligations scolaires. Où est la laïcité ? Il faut que les parents refusent expressément l’enseignement religieux pour que l’enfant ne le suive pas et éventuellement suive, quand cela existe, un enseignement de morale républicaine. En tant que laïque, permettez-moi de dire que tout le monde a droit à l’enseignement de la morale républicaine, l’enseignement religieux étant une affaire privée. Imaginez dans un village d’Alsace-Moselle ce que cela représente pour une famille de refuser que son enfant suive un enseignement religieux : elle est obligatoirement mise à l’index.

C’est pourquoi, oui, nous osons dire à la FCPE, comme M. Teper et l’UFAL, que le statut de l’Alsace-Moselle est un vrai problème dans une République laïque. Je me contente de poser la question de l’école en Alsace-Moselle, non celle des droits sociaux ou autres. S’il y a égalité républicaine, débat sur la laïcité, penchons-nous sur cette anomalie, qui a des raisons historiques, et qui considère avant tout un élève comme une personne appartenant à une confession religieuse et qui est mise à l’index si elle déroge à cela. Il est très difficile et se déclarer laïque, voire non religieux, dans les villages d’Alsace-Moselle. C’est un vrai problème, plus que celui du foulard, quitte à choquer ! Car il n’y a pas égalité de traitement de tous les jeunes dans le pays. Penchons-nous sur cette réalité.

S’agissant des aumôneries, pardonnez-moi, mais elles ne sont pas discrètes. En début d’année, vous avez la possibilité d’accéder à un certain nombre d’aumôneries, mais ce n’est pas vrai pour toutes les religions. C’est dire qu’au nom de la laïcité, certaines sont exclues. Partant de là, si la religion est une affaire privée, nous ne l’interdisons pas, mais il convient qu’elle soit hors de l’école. Par exemple, comment peut-on accepter que dans des établissements publics, pour des raisons d’héritage historique, subsistent des bâtiments religieux consacrés, autorisant ainsi une religion à exiger que s’y déroule une fois par an une cérémonie religieuse, cela dans le non-respect des autres croyances des élèves ? C’est une réalité qui existe à Paris. Il s’agit d’un lycée qui a une chapelle consacrée, l’Eglise et des anciens y revendiquant la tenue tous les ans d’une cérémonie. Cette question a fait l’objet d’un débat l’an passé au sein de la FCPE. Je vous fournirai le nom du lycée si vous le souhaitez.

M. Robert PANDRAUD : Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Je n’ai pas défendu que les seules aumôneries catholiques ! Qu’elles soient protestantes, juives ou musulmanes...

M. Georges DUPON-LAHITTE : Et pourquoi pas bouddhistes ?

M. Robert PANDRAUD : Et oui !

M. Georges DUPON-LAHITTE : On va aller très loin. Et pourquoi pas les Témoins de Jéhovah ?

M. Jean-Pierre BRARD : Et pourquoi pas les sectes !

M. Robert PANDRAUD : Dans un même local, il y a des gens différents.

Certains instituteurs d’Alsace-Moselle ont été un important facteur de déchristianisation tellement ils enseignaient mal ce qu’ils connaissaient peu !

M. Georges DUPON-LAHITTE : Je ne répondrai pas sur ce point.

M. Brard, je vous entends bien quand vous parlez de sectes. Il y a des sectes, hormis que le phénomène religieux n’est plus simplement reconnu dans les églises quelles qu’elles soient, notamment celles du monothéisme. Oui, il y a une influence boudhiste-tibétaine ! Les sectes sont un phénomène de religiosité qui me paraît bien plus dangereux que les églises... Partant de là, l’aumônerie pose problème en soulevant, entre autres, la question des limites que l’on fixe.

Cela pour dire que nous sommes attachés à une véritable laïcité, loin d’être acquise partout. Des questions de fond se posent sur le fonctionnement actuel de la laïcité.

M. Luca a indiqué que nous acceptions tout. Certainement pas ! Nous n’acceptons pas tout. Il existe des règles de fonctionnement à l’école dont l’obligation scolaire : on ne choisit pas l’enseignement, on n’est pas dans un supermarché. Un élève qui, au nom de croyances religieuses, philosophiques, politiques, dirait qu’il récuse tel enseignement tombe sous le coup de la règle et peut être sanctionné. Nous avons largement les moyens de la faire respecter.

M. Jacques MYARD : Lorsqu’un élève vous dira qu’il ne peut obéir, parce que c’est contraire à sa conscience, comment ferez-vous, dès lors que vous aurez préalablement mis en avant la conscience de l’enfant ?

M. Faride HAMANA : Cela relève de l’autorité de l’enseignant. Un enseignant doit savoir ce qu’il a à enseigner, ce qu’est le programme et qui détermine la règle ; il doit avoir la capacité de gérer ces éléments dans une classe. C’est la force de son autorité.

M. le Président : Ce que vient de dire M. Myard est important. Que se passe-t-il si un élève décrète ne pouvoir suivre l’enseignement des sciences de la vie ou les cours de gymnastique, parce que cela bouscule sa liberté de conscience ?

M. Faride HAMANA : La réponse est claire. Si l’élève n’est pas présent aux cours obligatoires sans motif légitime, il est signalé et sanctionné.

M. Jean-Pierre BRARD : Et la prière pendant la récréation ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Voyez la difficulté du débat : on parle de la gymnastique, des sciences de la vie et de la terre...

M. le Président : On parle de la laïcité à l’école.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Vous parlez d’exemples concrets. J’attends le jour où l’on demandera aux écoles de gérer les fondamentalistes chrétiens qui déclareront, comme aux Etats-Unis, qu’ils refusent de suivre un enseignement évolutionniste, parce qu’ils croient au créationnisme ! Nous pouvons parfaitement connaître une telle situation demain !

M. le Président : Raison de plus d’avoir des règles très précises.

M. Georges DUPON-LAHITTE : C’est bien pourquoi nous disons que l’obligation scolaire et le contenu des programmes fixé par l’Etat dans les règles de la neutralité doivent être suivis.

M. le Président : A partir du moment où vous avez considéré, ce qui m’a un peu choqué, que les élèves étaient des usagers...

M. Georges DUPON-LAHITTE : Ce terme n’est pas de nous. J’ai bien précisé que j’employais le terme « usagers », même s’il nous gênait.

M. le Président : Acceptez-vous qu’en tant qu’usager je n’aille pas à l’école le vendredi, parce que cela heurte ma liberté de conscience ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Non. Le terme d’usager est le terme officiel utilisé dans les circulaires. Je ne suis pas l’inventeur du terme. J’ai posé de prime abord que ce terme me gênait.

M. le Président : Vous avez posé la liberté de conscience.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Qu’est-ce la liberté de conscience si ce n’est la liberté pour un individu de se construire sa conscience, de disposer de la base de données sur lesquelles il se construit ? C’est pourquoi dans le débat majeur/mineur, il faut faire attention, car une partie des élèves est mineure et sous le joug d’une autorité sociale qui est la famille. C’est en cela que nous croyons à l’école et que nous osons dire que l’école doit accueillir tout le monde, avec les difficultés que cela représente, car nous croyons en la capacité de l’école d’apporter les éléments de la liberté grâce au savoir, grâce à la découverte d’autre chose, voire de la différence, pour demain forger sa liberté par rapport à son milieu d’origine. Si, au prétexte de non-respect et de port d’insigne, on décrète que tel enfant n’a pas sa place, on renforce l’emprise du milieu.

M. le Président : Qu’un enfant porte un signe n’est-il pas choquant pour les autres enfants ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Pourquoi donc ?

Mme Lucille RABILLER : J’ai été un peu surprise que soient opposés les termes famille et joug, école et liberté. Je ne pensais pas que les familles étaient un joug !

Vous m’avez interrogée sur les outils dont pourraient disposer les chefs d’établissement pour faire respecter la règle. Nous pensons en particulier que le terme « ostentatoire » peut revêtir des interprétations très diverses et pose vraiment problème. C’est pourquoi nous croyons que remplacer le terme « ostentatoire » par celui de « visible » réglerait en grande partie le problème. Si les enseignants, les chefs d’établissement disposaient d’un texte très précis sur lequel s’appuyer, le terme « visible » ne pouvant pas être interprété, nous pensons que cela pourrait réduirait le problème.

M. Faride HAMANA : Il faut mesurer les effets pervers des termes. Un vêtement peut être interprété de diverses manières. Il convient de noter que, depuis le début, la question centrale est celle du foulard islamique, auquel on revient systématiquement ! L’hypocrisie serait d’occulter le fait. Il convient d’en parler franchement. Il y a une capacité des jeunes à trouver des signes, à se regrouper de différentes manières. Si l’on n’est pas en mesure de le comprendre, on passe à côté des choses.

Pour ce qui est du hidjab, le foulard traditionnel, qui peut être remplacé par un bandana, qui est porté dans tous les collèges, tous les lycées et sera interprété différemment selon qu’il sera porté par une jeune fille blonde aux yeux bleus ou brune-châtain au caractère maghrébin marqué. On arrivera à des discriminations, car des revendications identitaires seront perçues à tort à des moments où l’intention des jeunes ne sera pas celle-là. Il faut aussi cesser de fantasmer et de dramatiser sur et à propos de cette situation. Aujourd’hui, il y a moins de cas déclarés de foulards islamiques posant problème qu’il y a dix ans. C’est dire que tous les autres cas sont gérés localement et la plupart du temps par un dialogue. Il est préférable que ces jeunes filles soient à l’école avec, pour elles, la contrainte de suivre tous les cours et le risque d’être sanctionnées si elles ne les suivent pas. Il est en tout cas préférable qu’elles soient scolarisées plutôt qu’enfermées chez elles ou sous l’emprise d’un quelconque intégrisme. L’intérêt politique est là. Peut-on imaginer une loi dont l’objet est de sanctionner une jeune fille entre 15 et 17 ans, qui appartient à une minorité ethnique déterminée socialement et cela pour l’expression de ses convictions religieuses ? Cela fait beaucoup en même temps ! Il faut en mesurer les conséquences et avoir pleinement conscience de ce que l’on fait.

M. Georges DUPON-LAHITTE : On identifie « intégrisme » au port du voile et aux jeunes filles. On les exclut alors que l’on ne fait rien supporter aux jeunes barbus, car il faut savoir que beaucoup plus dangereux sont ceux qui « fliquent » ce qui se passe, à savoir les jeunes hommes intégristes, les « barbus ». Pourquoi les jeunes filles qui portent le voile seraient-elles jugées plus intégristes que des garçons de la même communauté ?

M. le Président : Si ces barbus existent, ne serait-il pas alors très opportun pour sauver ces jeunes filles d’être d’une interdiction absolue sur le port du voile ? Si nous acceptons le port d’un signe, nous entrons dans une mécanique.

Mme Véronique GASS : Merci de vos questions, qui vont permettre de développer le préambule rapidement exposé.

Nous sommes là pour évoquer ce que nous vivons. Les établissements libres catholiques n’accueillent que 20 % des enfants scolarisés et sans doute ne connaissons nous pas les mêmes problèmes que l’enseignement public.

Nous parlons de laïcité active. La laïcité n’est pas « aucune religion », c’est « toutes les religions possibles ». Le fait religion étant réel, il est pour nous une dimension positive pour tout être humain. Cependant, nous sommes absolument contre tout prosélytisme. Dans nos établissements, nous avons la chance de pouvoir dialoguer avec les familles et de faire appliquer un projet éducatif clair, compris, entre les familles qui viennent volontairement inscrire les enfants dans les établissements et les chefs d’établissement qui les reçoivent les uns après les autres. C’est ce qui nous permet d’obtenir une finalité positive au dialogue. Des jeunes filles arrivent voilées dans les établissements, mais, en aucun cas, elles ne refusent de suivre les cours. C’est l’aspect fondamental.

Autant nous sommes favorables au port des signes de religion selon sa conviction, autant nous sommes attachés au respect des lois communes de l’Etat, notamment pour tout ce qui est concerne l’enseignement.

Je voudrais établir un lien. Vous avez parlé du « vivre ensemble » qui devenait « vivre côte à côte ». La connaissance du fait religieux permet de vivre ensemble. Je pourrais également vous répondre sur l’Alsace-Moselle, puisque j’habite Strasbourg. Les termes que vous avez utilisés sont quelque peu exagérés. Je vais essayer de redéfinir ce qui se passe dans le privé ainsi que dans le public qui vous intéresse. En Alsace-Moselle, est dispensé l’enseignement de la culture religieuse. Pour nous, c’est un élément positif qui permet la connaissance des autres religions.

Evoquant les outils pédagogiques et le problème des enseignants, parfois démunis, sans doute conviendrait-il de trouver dans le cursus des enseignants une meilleure connaissance des religions des autres. Le respect, la connaissance et la possibilité de vivre ensemble commencent par cela.

M. Jean-Pierre BRARD : Madame, ne confondez-vous pas l’enseignement des religions et l’enseignement du fait religieux et de l’histoire des religions qui, me semble-t-il, est d’une nature essentiellement différente ?

Mme Véronique GASS : Dans les établissements, on enseigne l’histoire des religions et des grands fondamentaux. Les enfants ont ensuite la possibilité, parce que les cours sont proposés, y compris dans le public, d’aller en pastorale catholique, protestante, israélite ou musulmane. Les parents ont la possibilité de refuser. Mais ce que vous nommez « histoire des religions » n’est dispensé que dans très peu d’établissements. C’est une perte pour la connaissance et la compréhension, au moins au sein des communautés d’élèves.

M. Pandraud a posé la question de la kippa et a demandé si en tant qu’association de parents d’élèves nous représentions les autres établissements. Effectivement, au sein des structures, plus spécifiquement les commissions d’appel qui se réunissent, par exemple, quand des parents contestent une décision d’orientation, de redoublement, il y a une commission paritaire qui est créée afin que les dossiers des enfants soient étudiés. Dans ce cadre très précis, nous représentons en Alsace, où il existe deux établissements protestants et trois établissements israélites à Strasbourg, les parents d’élèves de ces autres établissements.

M. le Président : Si dans une école catholique, les élèves arrivent avec la kippa, considérez-vous cela comme un signe ostentatoire ?

Connaissez-vous des établissements libres ou privés où des élèves sont tolérés alors qu’ils portent la kippa ?

Mme Véronique GASS : L’intervention tout à l’heure était justifiée par rapport au port ostentatoire de signes religieux et par rapport au voile. En Alsace...

M. le Président : Je parle en général.

Mme Véronique GASS : Dans des établissements, des élèves juifs arrivent avec la kippa sur la tête. Toutefois, il est à noter que de plus en plus de règlements intérieurs précisent que tout couvre-chef est interdit dans l’établissement. Cela va jusqu’à la casquette « Nike ».

M. le Président : Pourquoi cela a-t-il été fait ?

Mme Véronique GASS : Je parle d’établissements que je connais. Cela fut fait dans le respect de la personne en général, plutôt qu’orienté contre un signe religieux ostentatoire.

M. le Président : Vous indiquez que des établissements catholiques acceptent aujourd’hui que des enfants portent la kippa.

Mme Véronique GASS : Oui. Je vous transmettrai les noms des établissements.

A Marseille notamment, des établissements reçoivent 90 % de jeunes filles musulmanes, dont certaines viennent en voile.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Dans les quartiers au nord de Marseille.

M. Philippe de VAUJUAS : Je réponds plus précisément à M. Dosière qui nous a interrogés sur notre expérience de gestion du port du voile dans les établissements catholiques.

Il y a des enfants issus de familles musulmanes scolarisés dans l’enseignement catholique. Pour être très honnête, nous n’en connaissons pas le nombre exact, mais le secrétariat épiscopal pour les relations avec l’islam estime qu’environ 10 % des enfants scolarisés dans les établissements catholiques sont d’origine musulmane. Toujours est-il qu’un certain nombre d’établissements scolarisent une forte minorité et certains autres une forte majorité d’enfants musulmans ou d’origine musulmane, parmi lesquels des jeunes filles qui ont la tentation ou la volonté de porter le voile.

Il faut dire que la position des chefs d’établissement n’est pas strictement homogène. Il peut y avoir des différences de comportement dues aux circonstances locales et aussi au tempérament du chef d’établissement.

Les interdictions brutales sont toujours évitées. Il est de très loin et toujours préféré un dialogue avec l’enfant et avec la famille, afin, avant tout, de déterminer les raisons du port du voile : sont-elles strictement religieuses ? Plus politiques et par conséquent vraisemblablement d’origine fondamentaliste ? Ou est-ce un signe de pudeur de la jeune fille compte tenu de l’environnement familial ? C’est la première des questions.

Il est habituellement souhaité une cohérence entre le comportement de la jeune fille, éventuellement porteuse du voile, et le projet éducatif de l’établissement.

Le refus d’assister à des cours touchant aux sciences de la vie, aux cours de chimie ou de gymnastique est un motif immédiat d’exclusion. En revanche, s’il n’y a pas de refus de jouer la règle commune à tous les élèves, le dialogue se poursuit afin que l’enfant et les familles soient convaincus que le comportement de l’enfant est cohérent avec le projet éducatif. De ce point de vue, nous profitons d’un avantage, en ce sens que l’école catholique est choisie par l’enfant, sur la base d’un projet d’établissement, d’un projet éducatif, les parents étant reçus.

Le fait d’avoir un outil, sorte de contrat sous la forme du projet éducatif, favorise grandement le dialogue grâce à une volonté de proximité forte entre enseignants et parents et, souvent, dans les établissements de petite taille, entre le chef d’établissement lui-même et les parents. Cela favorise, en règle générale, le dialogue.

Il résulte de tout cela que les tensions existent entre la volonté d’exprimer une conscience religieuse et la nécessité de faire appliquer la loi. Cette tension existe dans les établissements catholiques comme dans les autres. En règle générale, cela se passe plutôt bien du fait de l’effort de dialogue, appuyé sur un projet éducatif. Neuf fois sur dix, les voiles sont retirés volontairement après un temps plus ou moins long. Cela dit, il faut dire que certains établissements tolèrent le port du voile de façon un peu plus longue, si par ailleurs les autres conditions sont remplies. C’est notamment le cas à Saint-Mauront, collège du troisième arrondissement de Marseille, qui scolarise une population d’enfants d’origine musulmane à 85 ou 90 %. C’est un début de restitution de ce que nous essayons de faire pour que cela se passe le moins mal possible.

Cela me permet de rebondir sur la question des outils, car, au bout du compte, c’est cela qui est en jeu. Quels outils permettraient aux chefs d’établissement et aux enseignants de gérer le problème sans l’intervention d’une loi dont on peut craindre l’effet destructeur pour des libertés fondamentales ? Le premier outil serait sans doute la mise au point d’un texte qui pourrait être une charte et qui serait dépourvu de la force coercitive d’une loi, mais qui traduirait en termes contemporains ce que la Nation entend par laïcité. Ce serait un cadrage assez général et il n’est pas certain que ce serait l’outil le plus efficace. Tant s’en faut. Les outils plus efficaces sur le plan du terrain tiendraient dans une formation ad hoc des enseignants et chefs d’établissements.

M. le Président : Vous voyez cette charte comme dépourvue de toute valeur juridique ?

M. Philippe de VAUJUAS : Je la vois comme n’ayant pas valeur juridique, mais comme élément de référence.

M. le Président : Une loi peut fixer des principes généraux ?

M. Philippe de VAUJUAS : Certes, mais l’on perçoit mal comment une loi pourrait interdire le port de signes religieux au sein de l’école, sans aborder la question des signes religieux dans l’espace public avec les risques majeurs d’un appauvrissement terrible de la tolérance dans notre vie en société.

M. le Président : Qu’appelez-vous « espace public » ?

M. Philippe de VAUJUAS : C’est effectivement un terme à définir. L’espace public peut être restreint aux établissements scolaires publics, aux administrations publiques d’Etat...

M. le Président : Ce peut être la rue.

M. Philippe de VAUJUAS : En effet.

M. le Président : Dans la rue, transmettons-nous des valeurs ?

M. Philippe de VAUJUAS : Bien entendu ! Pourquoi les gens portent-ils des signes religieux sur eux ?...

M. le Président : L’école de la République a aussi comme mission de transmettre un certain nombre de valeurs. Mais le métro, par exemple, est là pour vous transporter, non pour vous transmettre des valeurs.

M. Philippe de VAUJUAS : Ce n’est pas sa finalité de vous transmettre des valeurs. N’empêche qu’il le fait comme tout espace public ne peut s’empêcher d’en véhiculer.

M. le Président : Dans de telles conditions, il n’y a plus de sphère privée.

M. Philippe de VAUJUAS : Par définition, dans l’espace public, la sphère privée n’est pas première, elle est seconde.

L’autre outil consisterait, dans la mesure du possible, en des projets éducatifs suffisamment clairs, servant de chartes internes auxquelles se référer dans l’établissement. Même si elles n’ont pas une valeur extrême juridiquement, elles revêtent une grande valeur en tant que document de référence.

Enfin, il faut favoriser de plus en plus l’enseignement du fait religieux dans les établissements car connaître la religion d’autrui aide à respecter la personne qui la pratique.

M. le Président : M. Teper, je vous sens quelque peu ... nerveux. Nous sommes ici dans une sphère publique ; je ressens donc les choses !

M. Bernard TEPER : Vous avez raison, M. le Président. J’ai été choqué par les propositions de M. Luca. Me considérer comme intégriste en me plaçant dans le même camp que Khomeini et Ben Laden, je trouve cela choquant !

M. le Président : M. Luca n’a pas dit cela !

M. Bernard TEPER : Le mot « intégriste » a un sens. C’est pourquoi j’ai été choqué par son propos, car le nôtre est de défendre la liberté, l’égalité et la fraternité. Même si l’on est en désaccord sur ces principes, personne n’a le droit de nous considérer comme intégristes.

Sur ces points, qui ne sont pas à l’ordre du jour comme l’Alsace-Moselle et les aumôneries, je rejoins M. Dupon-Lahitte de la FCPE. Si certains voulaient démontrer que sur le sujet des aumôneries et de l’Alsace-Moselle, l’UFAL était d’accord avec la FCPE, c’est réussi !

Je veux montrer la cohérence qui préside à notre position sur l’Alsace-Moselle et sur une loi contre les signes religieux à l’école. Nous estimons qu’une même loi doit s’appliquer à toutes les écoles de la République française. Que le port du voile soit autorisé dans une école et pas dans une autre, que les règles appliquées en Alsace-Moselle soient différentes de celles qui s’appliquent aux 97 autres départements de notre République entraînent notre désaccord. J’accepte que d’aucuns disent que je suis ringard, mais le principe d’une République une et indivisible ne me semble pas un principe désuet. En tout état de cause, nous sommes pour la même loi pour tous.

Je crois qu’une confusion philosophique a caractérisé certains propos. Il ne faut pas confondre « sphère » et « espace ». La rue c’est l’espace public, mais la sphère est privée. La définition de la laïcité réside dans la séparation de la sphère publique d’avec la sphère privée. Mais la sphère n’est ni le domaine ni l’espace. L’école est entièrement dans la sphère publique, car ce n’est pas un service public, c’est une institution de la République. Lorsque nous sommes à la poste, la sphère publique est représentée par les fonctionnaires de l’Etat. En revanche, ceux qui sont de l’autre côté du guichet, les usagers, mot que je préfère à celui de clients, ne font pas partie de la sphère publique, car il s’agit d’un service public où ceux qui sont assujettis à la règle publique sont les personnels. Par contre, à l’école qui est une institution de la République, une règle s’applique aux élèves et aux enseignants.

M. le Président : Et l’université ?

M. Bernard TEPER : La différence que je vois entre l’université, le collège et le lycée, c’est la majorité acquise entre-temps par les étudiants.

M. le Président : A l’école, il y a des élèves majeurs.

M. Bernard TEPER : Effectivement. Toutefois, il faut une règle pour tous dans une enceinte. Dans un lycée, de la seconde à la terminale, la plupart des élèves sont mineurs. De ce point de vue, la règle doit s’appliquer, car on ne peut établir des règles différentes dans une instance, institution de la République. En revanche, à l’université, où la grande majorité des élèves est majeure, un autre règlement doit s’appliquer.

Notre position est ancienne. Or, déjà, nous sommes rejoints dans notre combat par l’association des maghrébins laïques de France, par l’association des musulmans laïques de France. Il faudra bien un jour que la République française tienne compte de ces organisations, dont les idées sont majoritairement partagées par la communauté d’origine maghrébine. Avant-hier soir, le syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale, le SNPDEN, par la voix de son secrétaire général, M. Guittet, est venu à notre réunion déclarer que le SNPDEN, qui syndique la majorité des chefs d’établissement et des adjoints de l’enseignement public, nous rejoignait.

Dès lors que nous sommes en train de rassembler le syndicat majoritaire des chefs d’établissement et des adjoints, comme de plus en plus d’associations maghrébines et musulmanes, nous faisons œuvre du respect des principes de liberté, d’égalité et de fraternité.

M. le Président : M. Teper, vous êtes rejoint sur la nécessité d’une loi.

M. Bernard TEPER : D’une loi contre les signes religieux à l’école publique.

M. le Président : Nous avons des points de vue différents. Je me tourne vers ceux qui souhaitent une loi. Qu’allez-vous introduire dans la loi ?

M. Bernard TEPER : Il faut une loi, en raison de l’article 10 de la loi d’orientation de 1989. Les membres du Conseil d’Etat, membres de notre association, nous ont dit très clairement que le Conseil d’Etat, lorsqu’il a émis son avis du 27 novembre 1989, avait fait son travail. Nous ne participons pas, quant à nous, à la critique du Conseil d’Etat dans l’avis de 1989. En revanche, les membres du Conseil d’Etat ont indiqué que, sans l’article 10 de la loi de 1989, l’avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989 n’eût pas été identique. C’est pourquoi nous pensons qu’il faut une loi qui précise que tous les signes religieux sont interdits dans l’enceinte de l’école publique.

M. le Président : Article premier : « L’ensemble des signes religieux visibles est interdit dans tout établissement public scolaire. » ?

M. Bernard TEPER : Collèges et lycées !

M. le Président : Selon vous, quelle est la zone géographique de l’établissement public ? S’agit-il de l’ensemble de l’établissement, de la cour, du réfectoire, du gymnase, s’il n’est pas dans le périmètre de l’école... ?

M. Bernard TEPER : Il s’agit de l’ensemble de l’école. Je vais vous dire pourquoi, car c’est là un vrai sujet de débat. Tous les collectifs d’enseignants, les syndicats locaux et les fédérations départementales des différents syndicats d’enseignants qui nous rejoignent estiment que si on limite cela à la classe, il y aura des difficultés d’interprétation à l’intérieur de l’établissement. Or, les enseignants demandent une règle simple.

M. Jean-Yves HUGON : M. Teper, pour vous un sapin de Noël est-il un signe religieux ?

M. Bernard TEPER : Je parle des signes religieux portés par les personnels et les élèves. Cela touche donc la croix, la kippa, le voile : des signes visibles sur les personnels et les élèves. On ne peut, par une loi, régler tous les problèmes de la République. En l’occurrence, il convient de rester dans son objet, à savoir les signes religieux visibles sur les personnels et les élèves.

Mme Lucille RABILLER : Cela concerne-t-il tous les signes religieux présents dans l’enceinte des établissements scolaires, ce qui signifierait que les livres d’histoire seraient exempts d’images ?

M. le Président : M. Teper a précisé : les signes visibles portés par l’individu.

M. Bernard TEPER : Une œuvre d’art dans un livre d’histoire a été réalisée par des êtres humains. Cette œuvre d’art fait partie des humanités, de l’encyclopédie et a sa place dans les livres d’histoire.

M. le Président : On ne va pas réécrire l’histoire.

M. Bernard TEPER : Exactement !

M. le Président : Jeanne d’Arc est Jeanne d’Arc.

M. Bernard TEPER : Jeanne d’Arc fait partie du patrimoine français, de même que Jésus sur la croix. Un tableau est peint par un homme et fait partie du patrimoine culturel.

M. le Président : On ne va pas enlever de la croix le Christ de Dali !

M. Bernard TEPER : Tout à fait !

M. VAUJUAS : L’hiver, les jeunes filles pourront facilement cacher les croix qu’elles portent. Mais l’été ?

M. Bernard TEPER : Elles feront exactement la même chose que moi quand j’entre dans une mosquée : j’enlève mes chaussures, elles enlèveront leur croix si elles ont un décolleté !

Mme Véronique GASS : M. Luca m’a demandé pourquoi l’UNAPEL était pour le maintien des signes religieux et quelles étaient pour nous les implications éventuelles d’une loi.

L’implication d’une loi est pour nous très claire : dès lors que l’on aura supprimé tous signes visibles ou ostentatoires de religion, pourquoi pas, dans un deuxième temps, remettre en cause, l’existence même des établissements catholiques ?

A l’heure actuelle, de nombreuses familles musulmanes viennent dans nos établissements. Même si elles savent que notre confession est différente, elles disent que c’est un endroit où l’on entend parler de Dieu, ce qu’elles estiment important. Pourquoi à un moment donné s’arrêter ? Les établissements catholiques étant sous contrat d’association avec l’Etat, à quelles frontières s’arrêterait la législation ?

M. Jacques MYARD : Vous venez de conforter, madame, ce que j’ai entendu tout à l’heure dans la bouche de M. de Vaujuas. Je suis profondément choqué par vos propos. Pensez-vous qu’un législateur, quel qu’il soit, quelle que soit d’ailleurs sa majorité, puisse engager la chasse aux sorcières que vous êtes en train de décrire ? Vous êtes vous posé la question de savoir quelle pourrait être la République demain matin ? Nous assistons à une montée des communautarismes. S’il ne s’agissait que du voile, mais le problème est que d’aucuns avancent selon une salami-tactique, voire une taquia, chère aux shiites, afin de demander toujours plus pour faire irruption du religieux, et ce, en violation de la neutralité dont vous seriez, en l’occurrence, les premières victimes. La grande force de l’enseignement et de l’église aujourd’hui a été l’affirmation de la laïcité, c’est-à-dire la césure entre ce qui relève de César et de Dieu le Père !

Vous mettez en avant que la loi pourrait être une possibilité d’atteinte à vos convictions religieuses. En tant que fervent républicain, je suis profondément choqué, car nous avons prouvé par la loi - relisez les textes de Jules Ferry - que le législateur fit preuve d’une prudence extrême dans les circulaires qu’il a adressées aux professeurs en leur demandant d’être prudents et respectueux de la conscience de chacun dès lors qu’ils abordent des points touchant à la religion. Lorsque j’entends votre discours, j’ai l’impression que l’on vit sur une autre planète !

M. le Président : Nous vous avons entendus, vous êtes pour une loi dont le contenu serait d’interdire tout signe religieux visible, porté, dans le périmètre de l’école.

Légiférer implique de prendre en compte les risques que cette loi peut entraîner. Il y a la loi et la façon dont les gens la ressentiront. Je n’ai pas évoqué jusqu’à présent le problème du voile. Ne craignez-vous pas qu’une loi, dont on comprend parfaitement la finalité, aura pour conséquence de désigner « à la vindicte publique » une religion ? C’est ma première question.

Seconde question : puisque vous voulez une loi, considérez-vous aujourd’hui que les professeurs, les principaux de collèges n’ont pas les moyens d’assurer la laïcité de l’école ?

M. Georges DUPON-LAHITTE : Avant de répondre, j’indique à Mme Rabiller que je ne considère pas la famille comme un « joug » ; je le mettais en rapport avec cette idée que des familles imposaient un certain type de tenue à leurs enfants et que si on les excluait de l’école, on les faisait tomber sous le joug de ces familles, dont nous considérons qu’elles ne les libèrent pas, puisqu’elles les enferment. C’est un risque fort au regard de la liberté et de la volonté que j’exprimais lorsque j’indiquais que l’école est porteuse de la liberté de l’individu. Et en tant que républicain, je crois à l’école de la République !

Pour répondre à l’argument de M. Teper, oui, l’école est une institution de la République ; ce n’est pas qu’un service public tout en étant un service public à la manière de la poste. Ce n’est pas la seule institution. Vous me permettrez, M. le Président, de faire appel à vos origines professionnelles. La justice me semble bien être une institution de la République. Si l’on suit la logique de l’interdiction des signes, demain, les magistrats n’accepteront plus de juger des femmes voilées ou des personnes entrant dans l’enceinte du tribunal au prétexte qu’elles portent un signe religieux alors qu’elles sont là pour être jugées en fonction de la loi.

M. le Président : Il y a quelques années, on a enlevé tous les crucifix des prétoires. Ceux qui rendent la justice la rendent au nom du peuple et non au nom d’une religion.

M. Georges DUPON-LAHITTE : C’est bien là la laïcité de l’institution - justice comme école - qui a supprimé les insignes parce que la République est laïque, mais quand on juge un prévenu qu’importe qu’il vienne avec un signe religieux ou pas...

M. le Président : Le passage au prétoire n’est pas obligatoire !

M. Georges DUPON-LAHITTE : J’entends bien ! Vous me permettrez de simplifier pour illustrer mon propos et pour montrer que ce n’est pas la notion d’institution qui entraîne l’interdiction pour le justiciable de porter un signe religieux. En revanche, c’est bien l’institution qui ne doit pas porter de crucifix.

Nous vous rejoignons totalement, M. le Président, sur le risque de mise à l’index.

M. le Président : Je n’ai pas pris position, j’ai posé des questions.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Pour répondre à votre question, c’est un des éléments qui nous fait dire que l’on ne peut légiférer à chaud dans un climat parfois monté inutilement en épingle. Cela pourra paraître surprenant, mais, pour l’essentiel, sur les propos tenus par l’UNAPEL, nous nous retrouvons.

M. Jacques MYARD : C’est ce qui nous manquait !

M. Georges DUPON-LAHITTE : Au moins sommes-nous des parents qui avons des projets éducatifs pour nos jeunes, quelles que soient nos opinions, ce qui amène à cette convergence.

M. Jean-Pierre BRARD : Vous ne parlez pas du même point de vue !

M. Faride HAMANA : Avec l’UNAPEL, nous avons comme point de convergence un projet qui tourne autour de l’enfant et du respect de la personne. A partir de là, les mots de « dialogue avec l’enfant », « d’éducabilité » de l’enfant reviennent en force. Sur ces bases, nous commençons à construire véritablement un rapport avec l’enfant. La pire des choses serait que les enfants, quelles que soient leurs convictions religieuses, n’aillent plus à l’école républicaine, ne soient plus en mesure d’entendre un autre type de discours, un autre type de vérité. C’est l’enfermement et c’est destructeur pour notre République. Voilà pourquoi nous ne souhaitons pas de loi, car nous le savons bien, qu’on l’habille de la façon dont on voudra, c’est une loi qui stigmatisera systématiquement une seule catégorie d’individus. Il est inutile d’ajouter des tensions là où elles n’existent pas, où elles sont gérées car, dans des centaines d’établissements, des jeunes filles sont voilées sans que cela pose de problème.

M. le Président : M. Hamana, vous êtes comme nous tous républicains. N’êtes-vous pas choqué que l’on puisse interpréter différemment la République suivant que l’on habite Marseille, Lyon, Tours ou Evreux ?

Je m’adresse maintenant à vous tous : des extrémistes veulent aujourd’hui profiter de la situation pour avancer contre la République et contre la laïcité. Je pose la question inverse à celle que je vous ai adressée : le fait de ne pas légiférer ne risque-t-il pas d’être interprété comme une faiblesse de la République qui considérera que le législateur s’autocensure, en ne voulant pas voir la réalité ; il dirait ainsi : que chacun fasse comme il l’entend ! Ce serait une laïcité à la carte. Je ne vois pas pourquoi - c’est une interrogation qui m’habite - nous aurions une République différente à Evreux, à Paris, à Marseille ou à Lyon.

M. Faride HAMANA : Des règles existent déjà, énoncées par l’avis du Conseil d’Etat et par la jurisprudence. Au-delà de la question qui nous inquiète, se pose le problème de la formation et de la connaissance juridique des enseignants, qui est totalement absente. On le voit dans les interprétations des textes relatifs aux conseils de discipline par exemple. Il existe une surinterprétation, parfois personnelle, des textes existants. Nous estimons donc nécessaire, dans un premier temps, de réaffirmer des principes, car il ne revient pas forcément à l’enseignant de décider de la situation, mais aux responsables des établissements, proviseurs ou principaux. Nous sommes d’accord avec nos amis de l’UNAPEL sur l’idée d’une charte rappelant des principes formant engagement. Les élèves et les enseignants ont besoin aujourd’hui de savoir ce qu’est la laïcité et de se rappeler dans quel contexte le débat a été mené. Ce n’est pas un débat qui détruisait la liberté de conscience, mais qui l’organisait pour vivre ensemble. La force de la loi est d’avoir eu la sagesse de ne pas en faire une.

M. Jacques MYARD : Quelle serait la sanction si vous tombiez sur des parents véritablement déterminés à refuser tout cela ?

M. Faride HAMANA : Des sanctions existent.

M. Jacques MYARD : Elles n’existent pas. Le Conseil d’Etat va réintégrer les jeunes filles !

M. Faride HAMANA : Je vous l’assure, dans chaque établissement, il y a un règlement intérieur. Un élève qui commet une faute, qui ne va pas en cours, qui est en retard injustifié, qui fume, qui téléphone avec son portable au moment où il ne le doit pas, est sanctionné. Je ne vois pas l’utilité d’en rajouter.

M. le Président : Des professeurs et des chefs d’établissement que nous avons auditionnés ne partagent pas exactement le même point de vue que vous.

Je vous admire tous, car vous avez vos vérités et vous n’en changez pas. Depuis que je préside cette mission, je change tous les jours de vérité. C’est dire toute la difficulté de la question. Anatole France disait : « Heureux ceux qui n’ont qu’une vérité. Plus heureux et plus grands ceux qui ont fait le tour des choses, ont assez approché la réalité pour savoir que l’on n’atteindra jamais la vérité et que chacun a sa vérité. ».

Nous sommes en pleine interrogation et plus nous entrons dans ce sujet avec facilité et humour, plus nous nous rendons compte de la difficulté. Il est très délicat d’avoir une seule position. C’est pourquoi je vous admire.

M. Bernard TEPER : Si nous établissons une charte, il est clair que les islamistes gagneront devant les tribunaux, parce que la loi est supérieure à la charte, comme la loi est supérieure à la circulaire Bayrou, comme elle est supérieure au décret de 1937. Dès lors que les conseillers d’Etat estiment qu’ils ont appliqué la loi, seule la loi peut être changée. Si vous élaborez un autre texte, vous aboutirez au statu quo.

Dans l’enceinte de l’école, je le répète, nous sommes en présence, non d’enfants, mais d’élèves. Ils redeviennent enfants lorsqu’ils sortent de l’école. Fondamentalement, c’est une différence de statut.

Je rappelle un troisième élément : il n’y a pas un seul cas de jeune fille portant le voile islamique qui accepte d’aller à la piscine. Je vais vous livrer des exemples rapportés par les enseignants. Des enfants demandent pourquoi une petite fille portant fichu est exemptée de piscine alors qu’eux-mêmes n’ont pas envie de s’y rendre. On leur répond qu’elle est musulmane, qu’elle porte le voile, et qu’eux-mêmes sont obligés d’y aller, même s’ils n’en ont pas envie. Dans une enceinte scolaire, il faut que tout le monde soit soumis à la même règle.

Je réponds maintenant à votre question, M. le Président. Vous demandez si une loi réglera tous les problèmes. Ma réponse est non. On nous demande si nous sommes pour une loi contre les signes religieux. Ma réponse est oui. En revanche, j’estime que si cette loi ne s’accompagne pas d’autre chose, on passera à côté de ce que la République française doit faire pour respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité et de solidarité. Nous estimons que le législateur doit faire la loi. Mais il faut que le pouvoir exécutif, avec l’accord du législateur, fasse un « plan Marshall » pour les banlieues. Permettez-moi de citer une phrase de Jean Jaurès qui disait : « On ne règle aucun problème laïque sans régler en même temps les problèmes sociaux ». Dans les régions, les inégalités sont invivables entre certaines banlieues et certains centres villes.

Deuxièmement, il faut régler le problème des mosquées et être très clairs. Nous sommes pour la construction de mosquées dans la société civile ; cela veut dire que les mosquées sont dans la sphère privée. Il faut permettre aux musulmans d’aller à la mosquée comme les juifs vont prier à la synagogue et les catholiques à l’église. Nous avons avancé des propositions, qui figurent dans les publications de la Ligue de l’enseignement. Nous avons proposé la création d’une fondation d’utilité publique pour des fonds privés comptant trois membres désignés par les ministères pour assurer la transparence de ces fonds privés et destinée à la construction des mosquées.

Le dernier point que vous avez souligné a trait à l’intégrisme. Bien évidemment, si la règle dans l’école ne peut être que la règle pour tous, en mettant sur le même plan la kippa, la croix ou le voile islamique, nous sommes, malgré tout, confrontés au problème de l’islamisme radical dans l’ensemble des pays européens. A ce titre, la République doit protéger ceux qui ne souhaitent pas subir les pressions de cet intégrisme radical. La République, selon moi, a protégé les femmes contre ce que j’appelle « l’intégrisme catholique » sur le droit à l’avortement et le droit à la contraception. A un moment donné, le législateur a tranché contre l’avis de l’intégrisme catholique. Pourquoi aujourd’hui la République ne trancherait-elle pas face à l’intégrisme musulman ? Rien ne s’y oppose. La République doit protéger la possibilité pour chacun de pratiquer, dans sa sphère privée, la religion de son choix. En revanche, elle doit empêcher les intégrismes de dicter la loi à la République française.

M. Jean-Yves HUGON : Je partage les interrogations du Président Jean-Louis Debré, tant il est vrai qu’au fur et à mesure des auditions, nous ne savons que penser et je suis un peu étonné qu’un grand quotidien titre : « La commission Stasi et la mission Debré : l’acheminement vers l’interdiction du voile. » Il faudrait, de temps en temps, nous demander notre avis !

Sur la charte, je partage l’opinion de M. Teper. Il faudra bien, à un moment ou à un autre, dans la charte ou dans le règlement intérieur d’un établissement scolaire, que l’on dise concrètement si l’on autorise ou si l’on interdit le port d’un signe religieux. Mais il risque d’y avoir une faiblesse : une charte ou un règlement intérieur n’a aucune valeur juridique. Si vous interdisez les téléphones portables, personne ne viendra attaquer le règlement intérieur ou la charte. En revanche, si vous interdisez le port des signes religieux ou si vous l’autorisez, vous risquez d’être attaqués et de perdre devant la justice.

M. Jean-Pierre BRARD : J’ai bien compris l’intervention de Mme Gass. Vous vous demandez si légiférer n’engendrerait pas un enchaînement pervers. Avec mon collègue, M. Myard, nous sommes très frappés. Nous avons été confrontés au même débat lorsque nous avons travaillé sur les sectes. Certaines religions constatant que l’Assemblée légiférait sur les sectes se sont demandé quand leur tour allait venir. Or, vous avez pu le remarquer, nous avons tenu une ligne et nous ne nous sommes pas trompés de sujet.

Vous savez quel fut le destin du projet de loi Savary comme celui de la loi Falloux-Bayrou. Aujourd’hui, un équilibre s’est instauré dans notre pays auquel les uns et les autres nous sommes attachés. On en pense ce que l’on veut. Il existe une vraie liberté de choix et la discrimination ne se fera pas par des textes, mais par le libre choix à partir de la qualité des enseignements. Mme Gass, je vous le dis du fond de ma conviction, vous n’avez pas de crainte à avoir. Toutes opinions confondues, nous sommes d’accord pour ne pas nous attaquer aux religions. Nous reconnaissons tous l’importance du fait religieux dans la formation de nos civilisations. Nous partageons la conviction qu’il faut transmettre un héritage sur le plan des connaissances et non des croyances comme nous ne l’avons pas fait depuis 1905. Pour le coup, n’y voyez pas un côté facétieux. La sainte église catholique a été responsable de l’absence de cette transmission, compte tenu des conditions historiques de la loi de 1905. Je ne porte pas de jugement, mais un siècle après, on peut dépasser le conflit. La laïcité est une chance pour les religions, à condition qu’elles ne confondent pas spiritualité et conquête du pouvoir.

M. le Président : La République peut tenir compte du fait religieux ou des écoles religieuses, puisque la loi de 1959 a été faite contre l’enseignement catholique, contre la hiérarchie catholique qui ne voulait pas de cette loi et qui la craignait fortement - pas uniquement dans le confessionnal ! Il a fallu que la République impose la loi.

M. VAUJUAS : Qu’il faut parachever.

M. le Président : C’est là un autre sujet.

Il ne faut donc pas aborder notre sujet avec crainte. Notre problème n’est pas de supprimer le fait religieux, ni de faire disparaître les églises et les religions. Confrontés à un problème, nous voulons que notre conviction, à savoir la nécessité d’une école laïque, obligatoire et pour tous, prenne forme, que la laïcité soit une réalité et que les professeurs, les enseignants, les maîtres, les principaux de collège soient à même de faire respecter ce principe de laïcité. De la même façon, nous sommes tout aussi attachés à la notion de Nation et d’entité du territoire national : il ne convient pas d’appliquer la loi différemment ici ou là.

M. Georges DUPON-LAHITTE : Il ne faut pas oublier que la loi a tendance à tuer la loi. Depuis Rome, la multiplication des lois est souvent le signe d’une plus grande faiblesse dans la capacité à appliquer des règles, car il faut toujours en ajouter.

Je crains que nous nous engagions demain dans une voie en oubliant que les signes religieux n’étaient pas si absents que cela de l’école il y a trente ans. On ne se préoccupait pas tant du petit catholique qui annonçait dans l’enceinte de l’école publique qu’il avait fait sa communion solennelle, ce dont il se disait très fier, d’autant qu’on lui avait offert une mobylette à cette occasion.

M. le Président : Vous avez raison, mais vous oubliez un phénomène nouveau, que l’on ne peut écarter : il s’agit de la médiatisation, qui rend les problèmes plus difficiles à régler.

M. Philippe de VAUJUAS : En réalité, on dénombre entre 100 et 150 jeunes filles, qui, non seulement portent le voile, mais qui ont l’intention d’aller jusqu’à un contentieux.

M. le Président : Toutes les informations ne remontent pas, les incidents sont réglés au cas par cas.

Merci de cet intéressant débat et de votre collaboration à ce travail difficile.


Source : Assemblée nationale française