(extrait du procès-verbal de la séance du 30 septembre 2003)

Présidence de Mme Martine DAVID, membre du Bureau

Mme Martine DAVID, Présidente : Je vous demanderai de bien vouloir excuser Jean-Louis Debré, Président de l’Assemblée nationale dont les obligations l’ont empêché de présider cette réunion, comme il le fait très régulièrement depuis le début de nos travaux.

Je propose, après un exposé liminaire de chacun d’entre vous, d’ouvrir le débat car les signes religieux et la laïcité sont des sujets dont la sensibilité se prête tout particulièrement aux échanges.

M. Gérard ASCHIERI : Notre fédération est la première de l’Education nationale et je vous remercie de me donner la parole en premier. Je suis secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU) et je suis accompagné par Daniel Robin, secrétaire national du Syndicat national des enseignants du second degré (SNES), premier syndicat de la FSU, et qui suit toutes ces questions avec Hubert Duchscher, secrétaire national du Syndicat national unitaire des professeurs d’école (SNUIPP), qui est le second syndicat en nombre de la FSU.

La question du port des signes religieux peut-elle être mise en relation avec celle de la laïcité ? C’est une question sur laquelle je souhaiterais m’arrêter, car elle me paraît déterminante. Tous les débats, toutes les réflexions, toutes les commissions ayant trait au sujet, mise à part peut-être la commission Stasi, installée par le Président de la République, sont centrés sur la question du port des signes religieux dans les établissements scolaires ou universitaires. C’est une entrée réductrice, parce que s’il y a problème, et il y a effectivement problème, il demande à être traité dans le cadre de la laïcité. Si tel n’était pas le cas, ce serait dangereux par rapport à l’objectif même de ces réflexions.

Ce problème de la laïcité renvoie, aujourd’hui, à des questions traditionnelles et à des questions nouvelles. Je citerai quelques exemples, sur lesquels nous pourrons revenir au cours du débat. Pour ce que j’appellerais les « questions traditionnelles », il y a : le projet de Constitution européenne et les débats qui l’ont entouré sur la place des religions et des églises, de même que l’article 51 dudit projet ; le maintien du statut particulier d’Alsace-Moselle ; les « dérapages » dans la mise en place de la formation des personnels dans le cadre de l’enseignement du « fait religieux » ; les tentatives de restauration des services religieux, notamment catholiques, dans certains établissements du second degré ; les tentatives de développement du poids et de la place de l’enseignement privé sous contrat, voire de remise en cause, une nouvelle fois, de la loi Falloux.

Il existe, par ailleurs, une dimension nouvelle de la problématique de la laïcité à travers, notamment, le rapport qu’entretient l’école à « la marchandisation ». Je veux parler de la place des marques, du commerce et de tout ce qui peut se traduire par l’introduction d’intérêts privés dans le système éducatif et mettre en cause la laïcité en tant que formation de l’esprit critique et en tant qu’élément central de la neutralité.

Il nous paraît essentiel que toutes ces questions soient traitées. Ne pas le faire réduirait la portée et l’efficacité de la réflexion sur le port de signes religieux et poserait de graves problèmes vis-à-vis des notions de laïcité et de République, cela pour plusieurs raisons.

En premier lieu, parce que chacun sait qu’à travers les signes religieux c’est essentiellement le voile ou le foulard dit « islamique » qui est ciblé. C’est lui qui, aujourd’hui, génère des incidents, alors que le port des croix, des kippas, ou d’autres signes susceptibles de mettre en cause la laïcité ne pose pas problème, ou du moins, n’est pas l’objet de la même médiatisation.

En second lieu, parce que la religion musulmane apparaît la seule visée, ce qui laisse entendre que les autres religions auraient accepté un pacte laïc républicain, ce qui paraît contestable. L’attitude des églises sur le statut d’Alsace-Moselle, sur le contenu du projet de Constitution européenne, l’offensive pour faire inscrire l’idée d’une Europe « fille de l’Eglise », les tentatives auxquelles j’ai fait allusion pour rétablir les services religieux catholiques dans certains lycées, sont autant de preuves que la question n’est pas réglée.

En troisième lieu, parce que cela donne à la question du port du voile un caractère prioritaire et décisif au regard du respect des principes de laïcité. Peut-on légitimer une telle appréciation lorsque l’on est confronté aux questions que j’ai évoquées et qui portent sur la laïcité ?

La FSU, dans ses mandats et dans ses pratiques, s’est clairement prononcée contre le port de signes religieux, donc du « foulard » dans les établissements scolaires. La question est de savoir comment mieux concrétiser, si nécessaire, cette exigence. Faut-il une loi ou des réglementations nouvelles ? De fait lorsque l’on évoque la loi, on évoque la recherche d’un instrument permettant l’exclusion, sans contestation, de ceux qui contreviendraient aux règles. Or, l’expérience de nombreux collègues dans différents établissements concernés montre que l’exclusion définitive, immédiate, ne peut être la seule solution et qu’il importe de laisser aux équipes pédagogiques la possibilité d’explorer, au préalable, d’autres voies, en particulier celle du dialogue, pour obtenir de l’élève qu’elle accepte de retirer le voile.

C’est ce type de pratique qui a permis de limiter progressivement les incidents - sans parvenir à les faire disparaître, comme en témoigne l’actualité. Ces incidents, lorsqu’ils sont montés en épingle, favorisent les positionnements, voire la propagande, intégristes. C’est pourquoi nous sommes, avant tout, favorables à ce que soit menée, en ce domaine, une politique active, fondée sur l’intervention et la formation des équipes, sur un dialogue incluant le respect des règles et, si nécessaire, sur la sanction et la formation de jeunes aux valeurs de la République.

Dans ce cadre, nous ne sommes pas a priori favorables à une loi qui traiterait de la seule question du port des insignes religieux. S’il y a nécessité d’améliorer le dispositif législatif, c’est sur tous les domaines que nous avons évoqués qu’il convient d’agir de façon à marquer clairement - et c’est la condition de tout progrès en ce domaine - que l’application du principe de laïcité dans la République s’applique à tous et partout.

Mme Françoise RAFFINI : Tout d’abord, je tiens à rappeler que nous avions exprimé dans un court communiqué de presse, en septembre 1994, la position de notre fédération concernant le respect de la laïcité dans les établissements scolaires, après les mouvements survenus dans plusieurs lycées, autour du port d’un foulard, dit « islamique ». Selon nous, la circulaire ministérielle du 26 octobre 1993 n’apportait pas, à notre sens, d’éléments constructifs pour une solution satisfaisante au regard à la fois des obligations du service public d’enseignement et des droits des élèves.

Je cite l’essentiel de ce communiqué qui continue d’exprimer, dix ans après, notre conviction en ce qui concerne le port de signes religieux dans les établissements scolaires : « Le cycle exclusion, provocation, répression, accompagné du tapage médiatique inévitable, crée une situation inextricable d’où chacun sortira meurtri, mais la laïcité, pas plus que l’image de l’école publique, n’y auront gagné. La FERC-CGT demande que le ministre retire sa circulaire, s’en tienne à l’avis et aux arrêts du Conseil d’Etat. Elle invite les personnels de direction et les personnels d’enseignement et d’éducation à négocier les situations par le dialogue, l’échange, la compréhension réciproque, en aucun cas par l’exclusion ou l’isolement des jeunes filles concernées, quand il s’agit de foulard. Aucun texte ne peut valablement légiférer sur des situations aussi complexes ».

Nous ne pouvons aborder le thème de cette réunion de travail sans le situer dans le cadre plus large du principe de laïcité, tel que l’ont institué et posé successivement la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, puis la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905, puis les constitutions de 1946 et de 1958.

Nous entendons réaffirmer ici même notre attachement indéfectible à ce qui caractérise notre République en ce domaine, c’est-à-dire que la France est une république laïque, démocratique et sociale ; que son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ; qu’aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice ; et que, si l’article 2 de la loi de 1905 pose que la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte, c’est après avoir déclaré, dans son article premier qu’elle assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées dans l’intérêt de l’ordre public.

Nous tenons à souligner combien nous estimons indissociables les trois caractéristiques de la République française : laïque, démocratique et sociale. Nous sommes inquiets des risques encourus par la démocratie quand « le politique » apparaît comme discrédité à trop de nos concitoyens, quand l’abstention aux élections, politiques et professionnelles, va croissant, quand la protection sociale dans son acception la plus large et le droit à l’emploi régressent au point de rejeter dans l’exclusion une part toujours plus importante de la population.

Dans ces conditions, la laïcité aussi est en cause, dans la mesure où le gouvernement du peuple par le peuple tend à ne devenir le fait que d’une seule « section de celui-ci ».

Elle est menacée par les discriminations racistes dont sont victimes dans leur vie quotidienne tant d’enfants de familles récemment ou anciennement immigrées, quelle que soit la nationalité de ces enfants, souvent française de surcroît. Elle est encore menacée par les humiliations des enfants de familles réduites à une extrême pauvreté. Ce n’est pas le communautarisme qui fait des émules, mais ces pathologies de notre société, évoquées à l’instant, qui provoquent sa fragmentation en groupes d’identités diverses - la bande, le quartier, la religion, le groupe ethnique - engendrant un déchaînement de violence. C’est bien parce que nous sommes attachés au principe de laïcité qu’il nous apparaît indispensable, d’une part, de ne pas ériger en dogme une laïcité de forme plus que de fond, qui serait réduite à n’être qu’une icône sans effet social dynamique, d’autre part, de refuser les fureurs du tapage médiatique, de ne pas entacher d’anachronisme la réflexion sur la laïcité et de prendre en compte les évolutions de la société, des idées, du droit et, tout particulièrement, la déclaration universelle des droits de l’homme et la convention des Nations unies, relatives aux droits de l’enfant.

Nous ne pouvons pas plus feindre d’ignorer que les élèves ont acquis des droits dans l’institution scolaire, qui ne sont pas de l’ordre du supplément amovible selon les circonstances, enfin que le droit de la famille a été profondément modifié. J’ajoute que parler des droits ne signifie pas nier, ou seulement occulter, les devoirs et les obligations des élèves dans l’école.

De même, nous ne sous-estimons nullement les réelles difficultés rencontrées par nos collègues - personnels de direction, enseignants, éducateurs, surveillants, personnels ATOSS1. Nous respectons leur demande d’aide pour y faire face, mais nous pensons que poser, en soi, le problème du port des signes religieux comme une menace prioritaire contre la laïcité, voire la République, est une erreur : c’est se réfugier derrière un écran pour éviter de regarder en face d’autres réalités dérangeantes.

Puisqu’il faut être bref, je vais donc rappeler nos positions et propositions.

Premièrement, nous récusons l’exclusion comme réponse aux problèmes posés par le port de signes religieux dans l’école, exclusion qui ne peut être vécue que comme un échec. Une des missions de l’école est d’instituer l’élève en citoyen au cours d’un long apprentissage, ce qui exige la confrontation à autrui, à d’autres modes de vie ou de comportement que les siens. En ce sens, l’enseignement du fait religieux participerait à l’instauration de ce « vivre ensemble ». Nous sommes convaincus de la nécessité du dialogue entre les représentants de l’institution, les élèves et leur famille.

Deuxièmement, nous estimons qu’une loi sur le port des signes religieux à l’école serait inopportune, voire plus propice à aggraver les difficultés qu’à les dépasser.

Troisièmement, nous jugeons hors de question de négocier le contenu des enseignements avec les enseignés ou l’assiduité aux cours.

Quatrièmement, nous souscrivons aux positions du Conseil d’Etat, selon lesquelles le port de signes religieux à l’école n’est pas, en soi, de nature à contrevenir au principe de laïcité s’il n’est ni ostentatoire, ni occasion de prosélytisme.

Cinquièmement, nous demandons un débat approfondi à l’échelle de la nation sur le concept de laïcité et l’actualité de sa mise en œuvre dans notre société et un dispositif permanent et renforcé d’accompagnement et d’aide à la décision pour les personnels de l’école et des services publics qui sont confrontés à des difficultés.

Sixièmement, nous jugeons qu’il faut poursuivre la réflexion et l’actualisation des règlements intérieurs des collèges et des lycées, dont certains sont encore loin d’être conformes au droit.

M. Hubert RAGUIN : Je commencerai par rappeler que, pour FO-Enseignement, la laïcité de l’école n’est pas une question d’opinion, mais un principe fondamental de la République, principe défini par les lois organiques de 1882 et 1886 et la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905. Ce principe est devenu constitutionnel en 1946.

Au-delà de cette question d’actualité des signes religieux, nous voulons faire état d’une préoccupation plus générale à propos de la loi constitutionnelle de mars 2003 et de ses suites législatives. Le droit à l’expérimentation, reconnu aux collectivités territoriales par la loi organique de juillet 2003, ne risque-t-il pas d’entraîner d’inquiétantes dérives, en particulier en matière de laïcité ?

L’actualité récente en Allemagne ne préfigure-t-elle pas ce que deviendrait une laïcité régionalisée ? Le projet de loi relatif à la décentralisation est, à notre avis, lourd de menaces : que resterait-il de l’école laïque dans une Education nationale définie comme « un service public national dont le fonctionnement est assuré par l’Etat, sous réserve des compétences attribuées aux collectivités territoriales » ?

Si un débat public est ouvert aujourd’hui, c’est parce que la laïcité de l’école est mise à mal. Dès lors, les missions de l’école publique se retrouvent, en maintes circonstances, remises en cause et les conditions d’un enseignement serein ne sont plus toujours réunies.

Les règles traditionnelles de la laïcité ont prévalu pendant des dizaines d’années. Elles étaient simples : aucun clerc à l’école publique, aucun enseignement religieux à l’école publique, aucun signe religieux a l’école publique, stricte neutralité religieuse.

Il faut rétablir ces règles traditionnelles et restaurer les principes. Le respect de la stricte neutralité religieuse de l’enseignement public est d’ailleurs, par nature, incompatible avec la permanence de multiples tentatives pour lui substituer la coexistence, forcément précaire, des communautés.

Nous voulons souligner que ces tentatives se développent depuis la loi d’orientation du 10 juillet 1989. L’article 10 de cette loi d’orientation précise que « Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression ».

Le 27 novembre 1989, un avis du Conseil d’Etat interprète cet article, à la demande du gouvernement d’alors. L’avis du Conseil d’Etat considère que cet article 10 renverse le principe même de laïcité : « Dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas, par lui-même, incompatible avec le principe de laïcité dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation de croyances religieuses ».

Le même avis du Conseil d’Etat renvoie, par ailleurs, aux conseils d’école et aux conseils d’administration des collèges et lycées la responsabilité de déterminer les modalités d’application du respect des principes de laïcité et de pluralisme, et notamment les conditions dans lesquelles pourrait être restreint ou interdit le port par les élèves de signes d’appartenance à une religion.

Pour Force Ouvrière, la laïcité ne peut pas être à géométrie variable, d’un établissement ou d’une école à l’autre. Il n’appartient pas à chaque établissement, ni a fortiori à chacun des professeurs, d’interpréter ce qui est conforme, ou non, au respect de la laïcité.

Force est de constater qu’aucune circulaire n’a pu, ensuite, modifier ou infléchir la jurisprudence initiée par l’avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989. Force est de constater que les juridictions administratives saisies de cas d’expulsion d’élèves manifestant leur appartenance à une religion ont, sauf exceptions tirées de la sécurité ou de l’assistance à certains cours, notamment ceux d’éducation physique, en permanence jugé selon cette jurisprudence et annulé les exclusions d’élèves.

Force Ouvrière ne demande pourtant aucune nouvelle loi, ni charte. Elle demande le retour aux principes de la République et leur strict respect, ce qui nécessite l’abrogation de la loi d’orientation de 1989 qui leur est contradictoire. Contradictoire par son article 10 qui a ouvert la voie aux mesures administratives imposant aux enseignants d’accepter les signes religieux ostentatoires dans leurs classes. Contradictoire aussi par le renvoi explicite à chaque établissement de la responsabilité d’interpréter les principes de la laïcité.

Pour conclure, nous nous devons de faire état de la grande inquiétude de nos collègues dans tous les établissements, et en particulier dans ceux, de plus en plus nombreux, où ils sont confrontés à ce problème.

Les autorités administratives leur imposent le plus souvent d’accepter en classe des élèves qui portent des signes religieux. Comme enseignants, comme fonctionnaires d’Etat, ce n’est pas au nom d’opinions ou d’appartenances religieuses, politiques ou philosophiques qu’ils expriment leur détermination collective. Ils veulent enseigner à des élèves et non à des adeptes. Leurs opinions sont aussi divergentes que celles des familles des élèves que la nation leur confie. Ils sont au service de l’école laïque qui ne reconnaît aucun culte.

Ils refusent de se faire « instrumentaliser » dans un débat politique. Ils sont convaincus que leur conception de la laïcité scolaire peut, seule, permettre à leurs élèves d’être protégés pour le temps de leurs études et dans l’intérêt de celles-ci. Ils refusent de prendre en considération des jugements de valeur sur la façon d’interpréter telle ou telle religion. Ils veulent, sur ce plan comme sur d’autres, que la sérénité préside aux missions qui leur sont confiées et demandent à leurs supérieurs hiérarchiques de prendre leurs responsabilités.

C’est pourquoi Force Ouvrière ne demande aucune nouvelle loi qui affaiblirait nécessairement les principes de la laïcité et revendique l’abrogation de la loi d’orientation de 1989 qui a profondément déstabilisé l’institution scolaire.

M. Jean-Louis BIOT : Le Syndicat des enseignants, membre de l’Union nationale des syndicats autonomes (SE-UNSA) rassemble des enseignants publics, de l’école maternelle au lycée. Il est une des cinq organisations constitutives du Comité national d’action laïque (CNAL) et depuis toujours attaché au combat en faveur la laïcité.

Il prend acte avec satisfaction du regain d’intérêt manifesté par les forces politiques démocratiques de ce pays pour la question de la laïcité dont il considère, comme d’autres, qu’elle dépasse le système éducatif et qu’elle concerne toute la société.

Je vais, dans mon propos, tenter de m’en tenir au cadre de votre mission qui est celui de la question des signes religieux à l’école en commençant par formuler trois observations.

Premièrement, le port des signes religieux à l’école n’est pas un phénomène récent. En revanche, il devient un réel problème lorsqu’il se traduit par du prosélytisme, par la remise en cause du caractère obligatoire d’un certain nombre d’enseignements ou par la perturbation du fonctionnement des établissements scolaires.

Deuxièmement, il convient d’apprécier à sa juste proportion l’ampleur de ce problème. On l’évalue à plusieurs centaines de cas par an, répertoriés ou non. Cette estimation est à rapprocher des 70 000 écoles et établissements scolaires implantés sur notre territoire et fréquentés par plus de 12 millions d’élèves. On en viendrait à oublier cette réalité tant est fort l’impact médiatique donné à certaines affaires.

Troisièmement, le problème du port des signes à l’école ne doit pas, selon nous, se limiter au seul caractère religieux. D’autres signes, d’appartenance politique, philosophique, par exemple, sont également susceptibles de véhiculer des comportements de prosélytisme et doivent donc, eux aussi, être pris en compte.

Venons-en maintenant au constat. Le dispositif législatif et réglementaire, en particulier l’avis rendu par le Conseil d’Etat, le 27 novembre 1989, peut paraître insuffisant. En effet, il ne permet pas toujours de résoudre certaines situations conflictuelles. Les chefs d’établissement et les enseignants se retrouvent alors confrontés à des cas très complexes à gérer. Dès lors, la question d’un texte supplémentaire, apte à préciser la réglementation en vigueur, se pose légitimement.

Le SE-UNSA ne rejette pas cette hypothèse, mais il s’interroge. En effet, la jurisprudence actuelle lui paraît équilibrée. Elle respecte le principe de laïcité figurant dans la Constitution et, s’agissant des écoles publiques, dans les lois de 1882 et 1886 ; le principe de liberté de conscience, relatif à la loi de séparation de 1905 ; les droits des élèves à la liberté d’information et d’expression dans les établissements scolaires mentionnés dans la loi d’orientation du 10 juillet 1989.

Cette jurisprudence nous semble définir assez clairement la frontière entre ce qui est permis et ce qui peut être interdit. L’état du droit en la matière n’est pas flou. Toutefois, de réelles difficultés existent.

Pour le SE-UNSA, elles ont pour origine, d’une part, la méconnaissance qu’ont de très nombreux enseignants, de l’avis du Conseil d’Etat et des circulaires Jospin, puis Bayrou, qui l’ont complété en 1989, 1993 et 1994, d’autre part, le traitement sur mesure, au cas par cas, des situations conflictuelles, traitement qui sollicite beaucoup d’investissement et d’énergie de la part des chefs d’établissement et des enseignants, sans, bien sûr, aucune garantie de succès. On rentre là, comme cela a déjà été signalé, dans le domaine de l’interprétation qui passe par la prise en compte, selon nous inévitable, d’un contexte variable d’un établissement à l’autre.

Le SE-UNSA n’est pas favorable à un texte clarificateur, à plus forte raison à une loi qui ne concernerait qu’un seul signe religieux, en l’occurrence le foulard islamique, comme certains le suggèrent depuis quelque temps dans notre pays. Si tel était le cas, notre syndicat s’opposerait à une telle orientation.

Il estime, en revanche, qu’une réglementation, qu’il s’agisse d’un décret ou d’une loi, portant sur tous les signes religieux peut avoir théoriquement un effet dissuasif, notamment par la force de sa portée symbolique. Toutefois, au risque de me répéter, je souligne que le SE-UNSA s’interroge sur « l’opérationnalité » et l’application d’un tel dispositif.

Ces interrogations sont les suivantes. Pourra-t-on définir juridiquement le signe religieux, et, à plus forte raison, la notion « d’ostentatoire » ? Parviendra-t-on à dresser une liste complète, précise et incontestable de ces signes ? Cette réglementation sera-t-elle compatible avec le respect de la liberté de conscience, mais aussi avec les textes internationaux - convention européenne des droits de l’homme, convention internationale des droits de l’enfant - ratifiés par la France ? Dans l’hypothèse d’une condamnation par la Cour européenne, ne court-on pas le risque d’avoir un effet boomerang, contraire à l’objectif recherché ?

Enfin, l’école étant un lieu d’enseignement, d’éducation et de formation, en particulier à la citoyenneté donc à l’apprentissage des droits et devoirs, nous estimons que la question du port des signes religieux doit pouvoir y être abordée avec les élèves.

Notre interrogation porte aussi sur les effets induits par d’éventuels textes plus spécifiques. Dans un passé récent, notre syndicat a été amené à dénoncer, avec d’autres décideurs publics, une tendance préoccupante de notre société à « judiciariser » les rapports sociaux. Nous l’avions fait en particulier lorsque nombre de nos collègues s’étaient retrouvés devant les tribunaux pour des affaires de responsabilité. Nous nous étions alors inquiétés que le recours au tribunal devienne un a priori, en lieu et place du dialogue et de la conciliation. En rendant la réglementation plus sévère, notamment sous la forme d’une éventuelle loi, ne renforcera-t-on pas cette « judiciarisation » des rapports sociaux au sein même de l’école, lieu jusqu’alors privilégié pour l’apprentissage « du vivre ensemble » et pour la cohésion de notre société ?

Enfin, nous ne sommes pas convaincus que les difficultés relevées jusqu’à présent quant à l’interprétation des textes sur le terrain ne se retrouveraient pas à l’identique avec une loi. Certes, une loi fixerait un cadre et des interdits, mais elle continuerait à s’appliquer dans des circonstances et un contexte à apprécier localement.

Qui établira, et sur quelles bases, qu’il y a infraction à la législation sur le port éventuel de signes dans l’établissement scolaire ? Même si la loi oriente ces affaires scolaires vers la justice, la question de la marge d’appréciation qui conduit à décider de la saisir, ou non, restera entière.

Le SE-UNSA soumet trois propositions.

Premièrement, il plaide pour qu’un travail de fond soit conduit dans la durée à l’égard de tous les enseignants et, plus généralement, l’ensemble des personnels d’éducation, en formation initiale et continue, concernant l’histoire et la philosophie de la laïcité, les principes législatifs et juridiques auxquels elle se réfère, le fonctionnement du service public d’éducation, les droits et devoirs des enseignants. Il considère qu’il y a une véritable urgence à engager cet effort tant cette dimension a été, depuis longtemps, délaissée ce dont nous payons probablement les frais

Deuxièmement, il propose la mise en œuvre d’un dispositif d’aide, voire de prévention, pour assister les chefs d’établissement et enseignants dans le cas de situations conflictuelles. Il s’agit de leur apporter immédiatement les informations susceptibles de les éclairer sur des manipulations ou des « instrumentalisations ». Un tel dispositif impliquerait, naturellement, une étroite collaboration sur le terrain entre les représentants des ministères de l’éducation nationale et de l’intérieur, notamment.

Troisièmement, au fil du temps, la référence à la laïcité de la société française s’est estompée, devenant plus discrète, voire complètement ignorée. Inconsciemment, sans doute, nous avons pensé collectivement qu’elle imprégnait naturellement tous les citoyens de notre pays. C’est une erreur et les débats actuels le démontrent. C’est ce défi qui paraît à notre syndicat devoir être relevé. La classe politique doit prendre ses responsabilités et s’engager, sans arrière-pensées, dans cette reconquête collective qui exigera beaucoup de temps.

Le SE-UNSA estime qu’il faut effectivement réaffirmer la pertinence du concept de laïcité et le faire vivre. Dans ce domaine, l’école ne peut pas tout, même si elle a un rôle pivot à jouer. Elle doit être soutenue, appuyée et relayée, en particulier par les paroles, mais aussi par les actes de tous les élus et représentants des partis politiques démocratiques de notre pays. A ce sujet, au moment où certains revendiquent que leur caractère propre soit mieux considéré, le SE-UNSA tient à souligner que, selon la Constitution, l’organisation de l’enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés reste un devoir de l’Etat.

M. Hubert DUCHSCHER : Je vous prie de bien vouloir excuser Nicole Geneix, secrétaire générale du Syndicat national unitaire des professeurs d’école (SNUIPP), retenue par un engagement prévu antérieurement. Permettez-moi, aussi, de vous remercier d’avoir organisé cette table ronde car il me semble utile, sur une question aussi délicate, de prendre le temps de la réflexion, du dialogue et de la consultation la plus large, pour éviter d’arrêter des décisions dont les conséquences seraient mal évaluées.

Je ne reviendrai pas sur les propos de Gérard Aschieri puisque nous appartenons à la même fédération. Je me bornerai à les compléter par la vision de notre syndicat qui est représentatif des enseignants de l’école élémentaire et maternelle.

Le premier constat que nous pouvons dresser est que très peu de problèmes sont répertoriés à l’école maternelle ou élémentaire, à quelques exceptions près, notamment à Nanterre où nous avons eu à connaître d’une affaire un peu délicate, pour laquelle nous avons bénéficié, il faut le dire, d’un très bon soutien des représentants de notre ministère, venus sur place pour dialoguer et tenter de calmer le jeu.

Même si le sujet est très pointu, je pense qu’il convient de réaffirmer notre attachement à cette laïcité qui existe aujourd’hui en France et dont on dit souvent qu’elle fait figure d’exception au sein de l’Europe. En effet, en dépit de ses lacunes et de son incapacité à résoudre toutes les difficultés, elle a apporté la preuve de son efficacité.

Il faut rappeler qu’elle garantit la liberté de culte comme celle de n’en pratiquer aucun, tout en instaurant dans la sphère publique un espace garantissant l’exercice des droits et des libertés individuels, en dehors de toute appartenance ethnique ou religieuse. Ce concept de laïcité, appliqué à l’école publique, permet - ou a permis jusqu’à présent et nous souhaitons qu’il en aille de même à l’avenir - d’assurer l’éducation et la formation, en dehors des religions ou de tout autre groupe de pression. C’est une qualité qui ne se vérifie pas toujours dans d’autres pays européens aux yeux desquels il est parfois difficile de faire valoir notre spécificité en la matière.

Il est également important de rappeler que ces principes fondamentaux sont loin d’être admis et partagés à travers notre monde où abondent les exemples de conflits meurtriers, liés à l’exacerbation des identités religieuses ou ethniques, que notre législation nous a épargnés.

Le débat récent sur la place du « religieux » dans la future Constitution européenne montre bien que ce qui est évident, en France, l’est beaucoup moins dans nombre de pays voisins, pourtant culturellement très proches. Notre fonctionnement reste pour eux, comme souvent le leur pour nous, impénétrable tant il est vrai qu’en ce domaine, rien n’est définitivement acquis.

A ce propos, le Mosellan que je suis ne peut pas ne pas rappeler qu’il existe en France des exceptions, puisque le régime en vigueur dans les trois départements d’Alsace-Moselle institutionnalise l’enseignement et la présence d’objets religieux au sein même des établissements scolaires. Ainsi, dans les écoles de Moselle, le crucifix au mur est de rigueur et l’enseignement religieux est obligatoire, sauf à demander une dispense, étant précisé que, si seulement trois élèves sur dix-huit sont de religion catholique, il appartiendra aux quinze autres d’obtenir cette dérogation qui n’est octroyée qu’à certains moments de l’année. En la matière, les textes en vigueur demanderaient, peut-être, eux aussi, un certain toilettage.

Dans le principe, il faut très clairement réaffirmer que les établissements scolaires ne peuvent, en aucun cas, devenir des lieux dérogatoires aux principes de laïcité. En même temps, il faut considérer que l’école est source d’émancipation, de tolérance, d’éducation ouverte à la citoyenneté pour tous les jeunes. En ce sens, si les enseignants se voient contraints de procéder à l’exclusion d’un élève, c’est qu’ils ont échoué dans leur mission, ce qui est un constat toujours très douloureux et très mal vécu.

Le débat actuel autour d’une redéfinition plus stricte de la laïcité en milieu scolaire est étroitement lié, comme l’ont déjà dit plusieurs de mes collègues, aux conflits liés au port du foulard islamique, au sein même de nos établissements scolaires. Je vois, pour ma part, un danger à vouloir stigmatiser, cibler certaines populations, déjà très fragilisées.

Quand surgit un tel conflit, l’école ne peut pas rester seule face à la loi. Ses personnels qui, en ces circonstances, se sentent souvent abandonnés et impuissants, ont surtout besoin de médiation, de formation, et du soutien de leur ministère. Une formation initiale et continue des enseignants les aiderait à gérer ce type de conflits, en leur rappelant l’historique et un certain nombre de principes de la laïcité.

On oublie trop souvent de dire que la question du foulard ne touche pas seulement l’école, mais qu’elle s’étend à tout le champ social. Le sujet est grave et appelle un débat public. Par le biais du voile, en effet, certains groupes de pression entendent faire de la femme une citoyenne de seconde zone.

A cet égard, si des difficultés subsistent, ce qui est inévitable au sein d’une institution comme l’Education nationale, j’estime que l’on ne rend pas suffisamment hommage au travail accompli par la médiatrice, Hanifa Chérifi ! Puisqu’il ressort des statistiques que le nombre de filles voilées à l’école décroît par rapport aux années antérieures, on peut dire que le travail de médiation a porté ses fruits. S’il y a des solutions à chercher, c’est donc peut-être dans cette voie qu’il convient de s’engager, même s’il est souvent beaucoup plus difficile de privilégier la médiation et le dialogue que de légiférer.

Sans revenir sur les avantages de la formation et du rappel du concept de laïcité, je pense que l’on ne peut pas, pour protéger l’école, se résoudre à l’exclusion des jeunes filles. Outre que l’exclusion signe un constat d’échec, elle équivaut à rejeter les élèves concernées dans les bras des fondamentalistes.

A la télévision, Malek Bouthi avait déclaré : « faites une loi et, demain, vous aurez cent cas de foulard ! ». Une loi ne ferait, selon lui, qu’aider les intégristes à se faire passer pour des victimes. Elle leur donnerait toutes les raisons d’ouvrir des écoles coraniques, qui, actuellement, encore assez rares, sont, appelées à se multiplier et n’aurait pas d’autre effet que de favoriser le repli communautariste.

En conclusion, vous me permettrez de citer cette phrase d’Hanifa Chérifi : « Prendre les élèves pour cible en croyant que l’on va faire reculer les fondamentalistes est illusoire, on s’attaque aux symptômes sans s’attaquer à la cause ».

Mme Stéphanie PARQUET-GOGOS : Je suis ici à double titre : en tant que secrétaire générale de Sud Education du Cher, et en tant que membre de la commission exécutive de la fédération des syndicats Sud Education. Sud Education est une fédération de syndicats, intercatégoriels, autonomes, car elle est attachée à ce que l’instance décisionnelle soit l’assemblée générale des adhérents. La question de la pertinence d’une nouvelle législation sur le port des signes religieux à l’école n’ayant pas été débattue dans l’ensemble des structures Sud Education, la position que je présenterai ici n’est pas une position fédérale, mais celle de Sud Education du Cher dont je suis la secrétaire générale.

La commissaire fédérale que je suis également entend dénoncer les violations récurrentes des règles qui fondent le principe de laïcité de l’école publique.

Les membres de Sud Education du Cher pensent qu’il n’appartient pas à l’école de définir les signes religieux tolérables. Refuser que des élèves portent un foulard, une kippa, une croix, c’est seulement dire que le port d’un signe religieux, quel qu’il soit, ou, pire, l’un d’entre eux, empêche d’apprendre. C’est dire uniquement cela, puisqu’il n’empêche pas de respecter la dignité et la liberté d’opinion d’autrui. Ces signes, en effet, ne sont pas interdits dans l’espace public : chacun est libre de se promener dans la rue en les arborant... L’école publique n’a pas à déroger au droit commun !

Pour Sud Education du Cher, ce qui empêche l’apprentissage des savoirs que la République garantit à tous les enfants, c’est de prétendre se dispenser de tout ou partie des activités et programmes d’enseignement. Or, tel n’est pas le cas : on ne peut pas dire que le foulard, la kippa, la croix empêchent d’étudier quand, tous les jours, se forment, y compris dans l’enseignement supérieur, des jeunes engagés dans une pratique cultuelle que la République n’a pas à juger.

Tout signe est ostentatoire dans l’œil de celui qui le désapprouve. Comment fonder des règles de droit qui contrediraient, aujourd’hui, l’arrêt du Conseil d’Etat sur cette question, sans s’interroger, non sur les intentions que l’on prête aux élèves porteurs de ces signes, mais sur les faits ? Faut-il rappeler l’article premier du préambule de la Constitution française : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. » ?

Aujourd’hui, il semble que les violations des principes fondamentaux de l’école publique, laïque, sont plus massives, prégnantes, bien qu’insidieuses et rarement dénoncées, du côté de l’invasion marchande. Les marques proposent des mallettes pédagogiques qui sont autant de supports publicitaires. Les entreprises s’immiscent dans les contenus d’enseignement et cogèrent l’offre de formation. Notre fédération dénonce cette situation et s’efforce de lutter contre cette « marchandisation » de l’école.

On oublie, en effet, que l’école ne saurait défendre des intérêts immédiats, privés, y compris ceux des grandes entreprises, au détriment de l’intérêt général qui veut, conformément aux principes du service public, que chaque jeune ait également accès à la formation de son choix, en vue d’obtenir un diplôme lui garantissant des droits individuels et collectifs sur l’ensemble du territoire national, et plus, le cas échéant.

M. Patrick GONTHIER : Il me faut préciser que nous intervenons, nous aussi, à titre fédéral, avec le syndicat des enseignants de la fédération et que nous aurions certainement beaucoup à dire sur l’ensemble des problèmes de la laïcité. Nous allons cependant, dans le temps qui nous est imparti, nous efforcer de nous concentrer sur le sujet précis qui est celui de votre mission.

L’UNSA-Education se félicite de la mise en place de cette mission sur la question des signes religieux à l’école avec tous les partenaires directement concernés. Depuis plus de quatorze années, cette question de société n’a pu trouver de réponses satisfaisantes et durables pour les usagers et les agents du service public de l’Education.

Notre fédération, souhaite rappeler, ici, devant les membres de cette mission qu’elle revendique la laïcité comme valeur fondamentale inscrite dans les préambules et l’article premier de notre Constitution.

Au nom de la laïcité, l’UNSA-Education exige que soit préservée, pour tous les usagers et agents du service public et celui d’Education en particulier, l’inaliénable et intangible liberté de conscience, telle qu’affirmée dans l’article premier de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat.

Notre acception de la laïcité, au sens de la loi du 9 décembre 1905, hiérarchise les libertés. Dans son article premier, l’assurance de la « liberté de conscience », garantit le « libre exercice des cultes ». L’article 2 dispose que la « République ne reconnaît... aucun culte ». Les principes énoncés dans cette loi fondamentale permettent la coexistence, à égalité de droit, de tous les citoyens et proclame le respect des convictions de chacune et chacun, y compris, pour nous, la liberté de ne pas croire.

Notre fédération juge cette liberté fondamentale indissociable du principe d’égalité, pierre angulaire de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Dès l’origine de ce débat, nous soulignions que le Conseil d’Etat ne pouvait que « dire le droit » la mission de faire le droit incombant, selon nous, au pouvoir législatif. Dans l’avis du 27 novembre 1989 qu’il a rendu, nous approuvions, bien évidemment, le rappel des principes constitutionnels sur la laïcité.

Notre fédération, après cet avis du Conseil d’Etat, revendiquait, le 5 décembre 1989, dans une lettre au ministre de l’éducation nationale, Lionel Jospin, la mise en place d’un dispositif réglementaire parce « qu’aucune circulaire, quelle qu’en soit la précision, ne pourra jamais prétendre éviter des applications divergentes entre les établissements, pour une longue période, des contentieux naîtront et se multiplieront ». Ainsi exprimions nous notre souci de protéger et d’encadrer une liberté fondamentale par un dispositif juridique complet et précis comme c’est, par exemple, le cas aujourd’hui pour les photographies sur les cartes d’identité - dispositif entériné par le Conseil d’Etat.

Nous souhaitions, dans ce courrier adressé au ministre, des dispositions réglementaires, s’appuyant, entre autres, sur l’article 10 de la loi d’orientation du 10 juillet 1989 qui précise : « Dans les collèges et lycées, les élèves disposent dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d’information et de la liberté d’expression. L’exercice de cette liberté ne peut porter atteinte aux activités d’enseignement ». La question est posée de savoir si ce texte peut, aujourd’hui, servir de support à un dispositif réglementaire relatif au port de signes religieux, en clair, à un décret d’application visant cet article.

Nous évoquions aussi, dans ce même courrier, l’article 5 de la convention internationale des droits de la femme, signée par la France en 1984, qui dispose que les Etats signataires s’engagent à « modifier les schémas et modèles de comportements socioculturels de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou de l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ».

Une circulaire ministérielle fut publiée, le 12 décembre 1989, afin de fournir des instructions claires pour mettre fin aux controverses engendrées par le port de signes religieux. Au conseil supérieur de l’éducation, nous avions approuvé cette circulaire en demandant que des décrets, annoncés par ailleurs, puissent constituer une réglementation qui conforte ce premier texte.

La circulaire du 12 décembre 1989 s’était bien assigné, à terme, l’objectif du retrait de port de signes religieux : « afin que dans l’intérêt de l’élève et le souci du bon fonctionnement de l’école, il soit renoncé au port de ces signes ». Le phénomène, à l’époque, était considéré comme marginal ; il ne l’est plus. Il devait se fondre dans la capacité d’intégration de l’école : ce n’est pas le cas, et votre mission est là pour nous le rappeler.

Malheureusement, quatorze années après, les faits ont confirmé nos inquiétudes. La gestion purement disciplinaire, inscrite dans les règlements des établissements, montre ses limites. Le vide juridique perdure, les contentieux pourraient se multiplier. Une solution politique est devenue nécessaire.

On oppose souvent les textes internationaux ou européens qui interdiraient d’interdire en matière de liberté religieuse. Or, il n’est dans nos intentions ni de porter atteinte à cette liberté fondamentale garantie par la « liberté de conscience » inscrite dans la loi du 9 décembre 1905, ni de revendiquer de loi d’exception ou de circonstance pour répondre à un seul signe religieux, de façon à le stigmatiser.

En effet, si l’on se réfère à l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, relatif à la liberté de pensée, de conscience et de religion : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Cette convention distingue et hiérarchise : les droits fondamentaux et intangibles de « liberté de pensée, de conscience et de religion » ; la manifestation de « sa religion ou ses convictions » qui peuvent faire l’objet de restrictions « prévues par la loi » ; enfin, la « protection des droits et libertés d’autrui ». Cela justifie pleinement que l’on s’oppose à l’affichage ostentatoire d’une conviction religieuse dans un lieu d’éducation, dont l’une des missions fondamentales est de permettre, en conscience, à tout jeune, d’effectuer librement, hors de tout prosélytisme, ses choix d’individu et de citoyen.

D’ailleurs, sans qu’elles soient explicitement inscrites dans la loi, des restrictions à la manifestation de convictions ont déjà été retenues par le juge administratif et le Conseil d’Etat. Personne ne considère que ces décisions portent atteinte à la liberté de conscience.

Les interdictions peuvent être soit permanentes - elles portent sur les agents chargés, ou non, d’une mission d’enseignement, ainsi que sur les programmes d’enseignement -, soit occasionnelles. Pour les élèves, le Conseil d’Etat, dans une décision du 12 décembre 1989, a reconnu la liberté « d’exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l’intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d’autrui et sans qu’il soit porté atteinte aux activités d’enseignement, au contenu des programmes et à l’obligation d’assiduité ».

Le Conseil d’Etat fonde toutes ses décisions sur son avis de 1989, car aucun texte législatif ne réglemente explicitement le port de signes d’appartenance religieuse à l’école.

Jusqu’à ce jour, aucune interdiction de port de signe religieux décidée en France par le Conseil d’Etat n’a fait l’objet d’appel devant la Cour européenne des droits de l’homme. L’absence de restrictions inscrites dans la loi serait-elle susceptible d’entraîner, au niveau européen, l’annulation de décisions de notre haute juridiction administrative ?

Je ne voudrais pas m’attarder sur les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, mais certaines d’entre elles vont dans le sens que nous nous avons indiqué. C’est notamment la cas des jugements rendus contre la Turquie dans lesquels la Cour européenne a tranché parce qu’elle estimait que : « en choisissant de faire ses études supérieures dans une université laïque, un étudiant se soumet à cette réglementation universitaire ». En conséquence, à ceux qui prétendent que la Cour européenne n’a pas dit le droit, nous répondons qu’à notre sens, elle s’est suffisamment prononcée sur le sujet, un certain nombre d’autres textes allant dans le même sens.

La juridiction européenne indique clairement qu’un signe peut être ostentatoire : « Le port d’un attribut vestimentaire distinctif trahit et traduit bien souvent une volonté de prosélytisme » alors que le Conseil d’Etat, en France, ne semble s’attacher qu’au « port ostentatoire » et non au signe qui, selon lui, ne l’est pas par principe. Aujourd’hui, certains mouvements religieux extrémistes qui se qualifient, eux-mêmes, de « fondamentalistes », revendiquent clairement le caractère indissociable de ces signes avec la conviction qui s’y rattache.

Le Conseil d’Etat interdit que l’on puisse imposer à l’école, à tout instant, pour toutes les disciplines, des règles conformes à ses convictions. Il considère ainsi que des restrictions permanentes ou temporaires pour certains cours, dans certaines circonstances, ne constituent pas une atteinte à la liberté religieuse.

Dans tous les contentieux portés devant le Conseil d’Etat, ce n’est pas intrinsèquement la liberté religieuse qui est en cause, mais sa manifestation ou son expression. La liberté supposée des uns par la manifestation de port de signes religieux, ne peut constituer de contrainte ou pression pour d’autres. La neutralité qui préserve toutes les consciences au regard de la manifestation et de l’expression religieuse, ne constitue-t-elle pas une garantie pour toutes et tous, sauf à admettre le primat de la croyance sur la possibilité de ne pas croire ou celle de changer de religion ?

Aujourd’hui, l’institution scolaire se doit de rester neutre et laïque, la manifestation des convictions religieuses de quelques-uns pouvant aussi porter atteinte aux droits et libertés d’autres. Ainsi, certaines jeunes filles disent ne plus pouvoir supporter d’être considérées, dans l’école, comme l’antithèse de celles qui portent le foulard. La liberté des uns ne peut ni porter atteinte à celle d’autres, ni à la mixité et à l’égalité de tous.

Une pression particulièrement forte s’exerce sur les membres de certaines communautés d’origine, soumises à des religions ultra-majoritaires, quand elles ne sont pas issues de pays dont c’est la religion d’Etat. Cela peut, aujourd’hui, selon nous, constituer une nouvelle ségrégation.

Dans ces conditions l’école ne doit-elle pas privilégier la neutralité et la laïcité ? La laïcité de l’école publique impose de ne pas intervenir dans la conviction de chacun pour garantir l’égalité de tous, croyants ou non. La manifestation d’expression des convictions ne peut être fondée sur une différence de droits, laissée à l’appréciation des établissements.

Les questions qui touchent à des libertés fondamentales et des droits intangibles ne peuvent, sans dispositions réglementaires précises que revendique l’UNSA-Education, être abandonnées, comme c’est actuellement le cas, à l’appréciation des seuls agents du service public d’éducation.

C’est pour quoi un dispositif législatif ou réglementaire devient indispensable pour éviter que des interprétations subjectives des faits puissent, en droit, contrevenir au principe fondamental de « liberté de conscience ».

M. Hubert TISON : Notre association se réjouit de pouvoir s’exprimer devant la mission d’information de l’Assemblée nationale, étant précisé que ses membres assurent de leur mieux l’enseignement des faits religieux.

Au cours des dernières années, l’enseignement de l’histoire et de la géographie a été marqué, dans certains établissements, collèges lycées, voire universités, par des incidents plus ou moins graves, survenus dans les classes ou lors d’activités périscolaires, le plus souvent sans avoir été portés à la connaissance des médias. Nous sommes, d’ailleurs, en train de procéder à une enquête qui porte sur 2 200 établissements, pour mesurer l’ampleur de ces incidents qui, bien que minoritaires, sont inquiétants.

Ces contestations plus ou moins violentes sont liées à l’enseignement des faits religieux : en sixième, l’enseignement des Hébreux et du christianisme ; en cinquième, de l’islam ; en seconde, du christianisme ou de l’islam.

Il y a plus dangereux encore : des tentatives d’ingérence soit d’organisations, soit de personnalités religieuses ou politiques, se font jour dans les contenus d’enseignement ou dans la formation des maîtres Beaucoup de professeurs font face à ces incidents, d’autres craquent ou passent vite sur les faits controversés pour ne pas susciter de conflits internes.

L’association des professeurs d’histoire et de géographie, très attachée à la défense de la tolérance, de la démocratie et de la laïcité, s’est inquiétée de ces faits, les a dénoncés et a demandé aux autorités de faire respecter les principes sur lesquels se fonde l’école. Elle entend aider ainsi les élèves à mieux comprendre les enjeux du monde actuel et à devenir des citoyens et des esprits libres.

Quelle est notre conception de l’enseignement du fait religieux et de l’éducation civique et quelles solutions proposons-nous pour faire respecter les principes fondateurs de l’enseignement public ?

En ce qui concerne l’enseignement du fait religieux à l’école, il faut savoir que les programmes d’histoire des collèges et des lycées prévoient un enseignement des faits religieux en classe de sixième, cinquième, quatrième, seconde et première et que, pour nous, cet enseignement s’inscrit dans l’histoire. Il n’est pas question d’enseigner la foi ou de faire de la théologie, d’où le malentendu qui surgit parfois avec des élèves de cinquième. L’histoire du fait religieux s’inscrit dans une histoire globale.

L’étude des conflits religieux comme les croisades, les guerres de religion, qui s’est trouvée restreinte dans les programmes, ne doit pas, non plus, être négligée pour établir des comparaisons avec des conflits de notre temps : celui de Bosnie-Herzégovine, par exemple. La Méditerranée au XIIème siècle, question inscrite au programme de seconde, qui mêle l’étude des civilisations byzantines, chrétiennes et musulmanes, apporte des connaissances, suscite des réflexions et des regards croisés sur les uns et les autres.

Les méthodes d’approche de cet enseignement doivent être scientifiques. La pédagogie doit être vivante, fondée sur des documents patrimoniaux : Bible, Coran et autres. Le choix des traductions du vocabulaire doit être rigoureux et précis et ne doit pas laisser place à la contestation, d’où la nécessité d’assurer une formation rigoureuse aux futurs enseignants. Le professeur doit connaître l’environnement scolaire, les itinéraires de ses élèves, leur famille. Au total, l’enseignement de l’histoire ne doit pas être un moment d’endoctrinement, ou de catéchèse.

Pour ce qui est de l’éducation à la citoyenneté dans le cadre laïque, notre association milite depuis longtemps en sa faveur mais demande qu’elle soit mieux enracinée dans l’espace et dans le temps. Si, en classes de collège, cet enseignement repensé pour être plus actif, fondé sur la connaissance des principes et des valeurs républicaines, nous paraît solide, ce qui a été baptisé dans les lycées du sigle un peu barbare d’ECJS - éducation civique, juridique et sociale - a trop souvent été déconnecté de l’enseignement de l’histoire et devrait être repensé.

Au contraire, le programme de sixième suit une démarche progressive qui part de la personne pour aller au citoyen et tient compte de l’âge des élèves. Ces derniers acquièrent des notions clés et un vocabulaire spécifique, découvrent les grands textes comme la Déclaration des droits de l’homme ou la Constitution de la Vème République. Je serais d’accord avec certains orateurs qui m’ont précédé pour mettre davantage l’accent sur la laïcité dont on pensait qu’elle était un fait acquis.

Dès la sixième, la laïcité, qui occupe une place de choix dans les programmes, est située dans une dimension historique, à la fois en termes de valeur et de pratique. Elle est illustrée par des dispositions du règlement intérieur de l’établissement.

En troisième, on la retrouve dans l’étude des principes et des symboles de la Vème République, une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, comme cela a été rappelé.

Il nous semble qu’au lycée, soit en histoire, soit en éducation civique, l’étude des grandes lois de la République, des lois scolaires, de la grande loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat, très précisément de la sphère publique et de la sphère privée, permet aux élèves de mieux mesurer les conquêtes démocratiques de la République. Parmi les thèmes d’ECJS, on peut retenir, en classe de première, l’exercice de la citoyenneté, la séparation de l’ordre politique et religieux qui se manifeste en France à travers les lois de laïcité Il est également intéressant d’établir des comparaisons avec des pays de l’Union européenne et de constater les grandes différences qui existent dans les programmes scolaires. Ainsi, il faut savoir qu’en Grèce, on n’enseigne pas l’histoire !

Il serait bien ambitieux de ma part de penser détenir des solutions, aussi, je me contenterai de formuler quelques suggestions. Je vois trois conditions à un examen serein et humain des faits religieux dans l’enseignement de l’histoire.

Premièrement, les enseignants attendent un soutien sans faille de l’administration de l’établissement et du ministère, à toute remise en cause des valeurs et des principes républicains, ainsi que des contenus du programme national qui sont parfois contestés par des élèves ou des groupes communautaristes de l’extérieur.

Deuxièmement, il convient de rétablir des horaires plus équilibrés. La diminution des heures d’histoire et de géographie depuis les années 90, au collège et au lycée, en classes scientifiques, notamment en première et terminale, a privé les élèves de pans entiers de connaissances solides, étant entendu qu’à côté de la pédagogie, il y a le savoir. Il est nécessaire de disposer de temps pour enseigner à des classes de plus en plus hétérogènes, notamment aux élèves des classes de sixième, cinquième et quatrième. C’est une condition essentielle pour ne pas tomber dans la caricature et le schématisme qui pourraient, ensuite, être reprochés au professeur qui aurait mal parlé de Mahomet, du christianisme ou des Hébreux.

Troisièmement, il s’agit de prévoir une formation des maîtres, initiale et continue, active et renouvelée tout au long des carrières.

En résumé, notre association est contre les signes religieux ostentatoires, notamment le voile, étant entendu que, pour parvenir à obtenir des élèves qu’ils y renoncent, il faut aussi, au sein des établissements, avoir recours à la médiation et au dialogue

En dehors des incidents qui peuvent émailler les cours d’histoire, le boycott ou la perturbation du cours de philosophie ou d’histoire des sciences de la vie et de la terre sont aussi très inquiétants. L’association demande donc aux hommes politiques des signes forts pour réaffirmer les principes laïques, pour garantir le déroulement normal des cours et pour ne pas laisser les enseignants et les administrateurs résoudre seuls des problèmes extrêmement complexes.

Le collège et le lycée ne sont pas des lieux d’enfermement, de haine et de prosélytisme religieux, mais, au contraire, des lieux d’apprentissage de la vie en commun et de la démocratie.

Mme Martine DAVID, Présidente : Avant de donner la parole à mes collègues, je souhaiterais souligner un point : vous avez tous essentiellement parlé du port de signes religieux et particulièrement du port du voile, mais, si j’excepte M. Tison, qui a déploré que des élèves refusent certains enseignements, peu d’entre vous ont fait état d’autres manifestations d’appartenance religieuse que nombre d’enseignants ont pourtant évoquées au cours de nos auditions. Qu’en est-il exactement ?

M. Jean GLAVANY : Les interventions de nos invités appellent de ma part deux réflexions et deux questions.

Ma première réflexion fait écho aux propos liminaires de notre Présidente et souligne, mesdames et messieurs, que vos questions sur la portée de notre mission sont également les nôtres. Le cadre de notre mission d’information, qui est celui du port de signes religieux à l’école, pose question dans la mesure où la laïcité dans la République ne se limite pas à l’école, où la laïcité à l’école ne se limite pas aux signes religieux et où, si j’ose dire, les signes religieux ne se limitent pas au voile.

Ma seconde réflexion s’adresse à M. Raguin. La confusion, qui existe dans les raisonnements juridiques, existe aussi au sein de notre mission : ce n’est pas la loi de 1989, et l’avis du Conseil d’Etat qui ont créé une jurisprudence, mais une réalité du droit français, qui existe depuis des décennies, et qui porte au même niveau de normes juridiques deux notions qui sont, d’une part la laïcité, d’autre part, la liberté d’expression.

Ces deux valeurs sont tout autant protégées par la Constitution que par la Convention européenne des droits de l’homme et du citoyen, laquelle n’est pas l’invention d’un bureaucrate de Bruxelles, contrairement à ce que certains se plaisent actuellement à dire, mais l’œuvre d’un éminent juriste français, René Cassin. La loi de 1989 et l’avis du Conseil d’Etat n’ont donc fait que s’inscrire dans une vieille tradition de protection juridique de ces deux valeurs qui nous complique d’ailleurs la tâche et qui rend extrêmement complexe toute entreprise législative en matière de laïcité.

J’en viens à ma première question. Constatez-vous dans nos collèges et nos lycées une diversité de situations - je vais droit au but sur le port du voile puisque vous dites, à juste titre qu’il est dans tous les esprits - tenant au fait que le voile peut être à la fois un vêtement, parfois un accessoire de mode, mais également un signe religieux, un symbole d’aliénation des femmes, ou un instrument d’intégrisme et, s’il y a diversité de situations, considérez-vous que l’on puisse y apporter une réponse unique ?

Ma seconde question est la suivante : sentez-vous, chez les chefs d’établissement et dans les équipes pédagogiques des établissements, monter un vrai refus d’assumer une responsabilité dans cette diversité, comme certaines organisations de chefs d’établissement le laissaient entendre ici ? C’est une attitude d’autant plus curieuse que, d’une part, ces chefs d’établissement assument bien leurs responsabilités en toute autonomie en d’autres domaines - je pense aux exclusions temporaires d’élèves - et que, d’autre part, ce refus paraît contradictoire avec la revendication d’autonomie des établissements, qui est constamment mise en avant dans les mêmes sphères.

M. Jean-Pierre BLAZY : Je souhaiterais rebondir sur l’intervention de Jean Glavany, car je reste un peu surpris des propos que j’ai entendus. J’ai, en effet, plutôt le sentiment que les enseignants de ma circonscription et de ma commune expriment, sur cette question, un certain malaise, un profond désarroi et qu’ils attendent des politiques qu’ils cadrent, par une loi ou non, la situation. Je suis donc très étonné que les porte-parole des syndicats, ici présents, qui représentent toute la diversité syndicale, n’aient pas exprimé aussi clairement cette attente.

Par ailleurs, quinze ans après l’avis du Conseil d’Etat, je constate que, parmi vous, les uns disent qu’il faut légiférer - certains sous réserve de le faire sous certaines conditions auxquelles il faudrait réfléchir - et que les autres, dont Mme Raffini, s’y opposent et privilégient la médiation et l’enseignement du fait religieux. Je suis donc très heureux, en tant qu’ancien professeur d’histoire et de géographie, d’avoir entendu M. Tison rappeler que l’enseignement du fait religieux se fait déjà, bien que difficilement comme il l’a très bien expliqué, à travers les programmes d’histoire.

Dans ces conditions, j’aimerais savoir quelle est votre conception de l’enseignement du fait religieux. Il me semble un peu court de dire qu’il constitue la solution, sans préciser comment il sera dispensé, alors qu’il est semé d’embûches.

M. Pierre-André PERISSOL : Après mon collègue Jean Glavany, je tiens à dire à nos invités qu’ils doivent savoir que, les parlementaires, toutes tendances confondues, ont bien conscience de la complexité du problème, qu’ils ne détiennent pas de solutions en noir ou blanc et que leurs interrogations sont les mêmes que celles qui viennent d’être exprimées.

Aujourd’hui, nous recevons des enseignants et leurs représentants, qui ont évidemment des convictions par rapport aux grands principes, mais dont la caractéristique est de se trouver « au front », de faire directement face au problème, à l’intérieur de l’école. Nous avons reçu des chefs d’établissement qui nous demandaient de clarifier la situation, donc de légiférer, tout en reconnaissant la difficulté de la chose et les effets qu’elle pourrait induire.

Pourquoi l’ont-ils fait ? Non pas pour mieux exclure - je rassure d’emblée M. Aschieri - mais pour leur permettre, dans une phase de dialogue, de s’adosser à une base solide, l’interdiction de porter le voile, et non plus à une base floue qui ne leur permet pas d’engager le dialogue en situation claire, pour la bonne raison que, in fine, la situation n’est pas claire. Si j’ajoute, pour vous tranquilliser, que nous aurions la même position face à des établissements où des chaldéens arboreraient une croix qui serait un signe ostentatoire, il n’en demeure pas moins vrai que si, aujourd’hui, le problème du port du voile est évoqué c’est que, derrière, on retrouve un certain nombre de comportements qui, eux sont totalement déstabilisateurs pour l’école : le refus de participer à certains cours, le refus d’un examinateur masculin, et j’en passe car les exemples sont multiples.

Si nous ne sommes pas capables de mettre un terme à certaines situations et d’arrêter une position claire par rapport au voile, nous ne serons pas en mesure d’apaiser les esprits.

Par ailleurs, nous avons reçu des femmes musulmanes qui nous ont déclaré que le problème n’était pas un problème de croyance religieuse et qu’il y avait derrière le port du voile une signification que l’on ne retrouve pas derrière d’autres signes religieux dans la mesure où, de fait, il conduit à une certaine soumission de la femme. S’il est légitime de se demander si l’exclusion de jeunes filles ne revient pas à les renvoyer dans des écoles coraniques, nos interlocutrices musulmanes nous ont invités à réfléchir également à la situation de toutes les élèves qui, elles, ne portent pas le voile et qui, si on laisse celui-ci proliférer, vont subir des pressions de plus en plus fortes pour l’accepter.

La laïcité renvoie, certes, à la non-distinction d’une croyance religieuse, mais elle prend aussi en compte l’égalité de traitement des jeunes filles et des jeunes garçons. En conséquence, on ne peut pas laisser entrer à l’école un signe qui est le symbole de la position inférieure de la femme.

De plus, tous les chefs d’établissement que nous avons auditionnés ici et ailleurs, nous ont dit qu’il ne s’agit pas seulement d’un signe religieux mais qu’il a une signification politique. La corrélation entre la fréquence de l’ostentation dans le port du voile et l’actualité politique internationale illustre le fait que, par ce biais, certains jeunes entendent afficher leur soutien à une cause. C’est une attitude tout à fait compréhensible, mais qui, elle non plus, n’a pas sa place dans l’enceinte de l’école où la laïcité impose, comme vous l’avez tous dit, la neutralité des opinions politiques.

Après ces observations qui renvoient à des problèmes concrets, j’en arrive à ma question. Quelle est votre position sur l’opportunité de légiférer, sachant que, dans leur quasi-totalité, les grands acteurs de l’Education ont été unanimes pour nous demander de les aider, de les sortir de cette situation floue qui affaiblit leur position, qui fragilise les établissements les plus exposés et qui empêche de régler une situation qui a des effets, non seulement sur la laïcité, mais aussi sur l’autorité et le pouvoir de l’école républicaine ?

M. Lionnel LUCA : Je suis assez surpris par la réaction des représentants syndicaux du monde enseignant. J’imaginais que j’allais écouter des propos plus vigoureux que tous ceux que je viens d’entendre prononcer sur un ton convenu et assez « émasculé ». Je dois avouer que je m’attendais, de la part de syndicalistes attachés à la laïcité, à plus d’intransigeance sur cette question

Cette façon de mettre tous les signes religieux - kippa, croix, voile - sur le même plan, en feignant de croire, car on ne peut pas imaginer qu’on le pense un seul instant sérieusement, que tout serait identique, me pose véritablement question.

En effet, le débat qui nous rassemble aujourd’hui, en dépit de l’appellation de la mission, n’a pas pour objet les signes religieux en général : nous savons très bien qu’il existe un problème de fond que certains de mes collègues ont évoqué et qui est celui du voile ! C’est si vrai que cette mission n’aurait jamais vu le jour, s’il s’était agi de ne parler que de la kippa, le problème la concernant ne s’étant jamais posé dans les mêmes termes. Je demande donc que l’on fasse preuve d’un peu moins, sinon d’hypocrisie, du moins de conformisme.

Le port du voile est un signe bien particulier dans les écoles, qui pose des problèmes que nous ne connaissions pas, il y a dix ou quinze ans et qui génère des situations de conflit. D’ailleurs, si la presse s’en est fait l’écho et si nous sommes là aujourd’hui, ce n’est pas le fruit du hasard. En conséquence, feindre de croire que le port du voile est comparable à une croix portée autour du cou me paraît une attitude assez spécieuse, d’autant que personne ne trouverait rien à redire contre une étoile de David ou une main de Fatma pourvu qu’elles soient portées avec discrétion. La laïcité sait, en effet reconnaître toutes les religions, mais ne peut accepter qu’elles soient affichées de manière ostentatoire.

Je m’étonne donc que certains d’entre vous, qui ont déclaré être les héritiers d’une laïcité de combat, adoptent une logique qui conduit, finalement, par le biais du voile, à permettre à une certaine forme d’intégrisme religieux d’entrer à l’école. Au-delà du discours un peu convenu d’un bon nombre d’entre vous, nous avons besoin d’être éclairés.

Comme nous enregistrons, mesdames et messieurs, un véritable décalage entre vos interventions et celles de ceux que vous représentez, notamment celles des chefs d’établissement qu’évoquait Pierre-André Périssol, j’aimerais que puissiez nous expliquer les raisons de cette tiédeur, de cette prudence.

M. Christian BATAILLE : Je suis député et militant socialiste, mais, dans ma prime jeunesse, avant d’être militant socialiste, j’ai été, si j’ose dire, « militant laïque », membre des amicales laïques, au contact, non pas des intellectuels, mais de gens du peuple, d’enfants de l’école laïque qui estimaient devoir continuer à militer pour défendre cette école.

Je dois dire que, comme mon collègue - et pourtant nous n’avons pas, loin s’en faut, la même philosophie - je suis un peu surpris de l’absence de « vibration militante » dans les propos que j’ai entendus, et dont la platitude dénotait une certaine résignation.

Evidemment, je ne reviendrai pas sur l’intervention de la représentante Sud-Education de la fédération du Cher qui se situe aux antipodes de ce que je pense et de ce que je ressens puisqu’elle nous dit que, dans la mesure où le problème posé est celui de savoir s’il faut tolérer les signes religieux à l’école, la meilleure façon de le résoudre est, non pas de n’en tolérer aucun, mais de les tolérer tous. Un tel raisonnement relève d’une philosophie qui existe historiquement, mais qui me paraît totalement opposée à ce qui constitue le fondement de la tradition laïque française.

Je ne voudrais pas développer ce qui serait une anticipation de nos conclusions, nombre d’entre nous n’ayant pas forcément forgé définitivement leur jugement, aussi je me bornerai à vous interroger sur deux points.

Ma première interrogation faite suite à l’intervention du représentant de l’association des professeurs d’histoire et de géographie, qui avait trait à l’enseignement du fait religieux. Je n’ai entendu personne s’opposer à un tel enseignement, mais il reste à déterminer la forme qu’il doit prendre. La IIIème République, elle-même, avait bien posé le problème, qui avait voulu substituer à ce qu’était l’enseignement des écoles religieuses une forme de morale laïque, de telle façon que, dans les années 50, l’instituteur consacrait chaque matin un quart d’heure à cet enseignement qui était, en quelque sorte, la réflexion de la République laïque sur toute une série d’événements.

J’estime que M. Tison a fort bien pointé du doigt le fait que, tout en posant le problème de l’enseignement du fait religieux, on observait le silence sur l’énorme lacune que constitue l’atonie de la laïcité dans les programmes d’enseignement et dans la formation des maîtres. Il y a un fossé entre la place qu’occupe la laïcité dans la formation dispensée par les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) et celle qu’elle occupait autrefois dans les programmes des écoles normales.

Puisque vous avez mis l’accent, ce qui est normal, sur la matière que vous enseignez, je vous poserai quelques questions précises. Les horaires d’enseignement de l’histoire ont-ils été restreints ? L’éducation civique a-t-elle disparu des programmes à tel point que vous ne l’avez pas évoquée ? Quelle est la part de l’enseignement du fait religieux dans l’enseignement des lettres et de la philosophie ?

A chacun d’entre vous, je demande s’il convient d’ajouter aux programmes une nouvelle matière, l’enseignement du fait religieux avec, à la clé - et je me tourne vers le représentant du SNES - un CAPES de religion qui ne me semble pas avoir lieu d’être, mais qui existe dans certains départements français - j’ai entendu des parlementaires indignés interpeller le ministre à ce sujet - ou si, au contraire, le fait religieux doit être enseigné de manière diffuse dans les divers enseignements.

Par ailleurs, je n’ai pas entendu dans les différentes interventions, de remarques relatives à l’âge ou à la majorité des élèves. J’ai le sentiment que les intervenants ont fait référence à une forme de citoyenneté scolaire qui serait un état de fait, y compris chez les jeunes enfants, et qui, en quelque sorte, anticiperait sur la citoyenneté de celui qui a atteint sa majorité. C’est une notion essentielle et c’est peut-être la raison pour laquelle l’université, qui est plutôt peuplée d’étudiants adultes disposant de tous les pouvoirs citoyens pour faire un libre choix, a si peu été évoquée au cours de nos travaux.

Sans vouloir être provocateur, est-ce que, comme cela a été le cas au Moyen Age, l’enfant est désormais considéré à l’école comme un modèle réduit de l’adulte avec son autonomie de jugement et sa citoyenneté, ou est-ce qu’il continue à être considéré comme quelqu’un qui, au contraire, est sous la responsabilité des adultes ? Autrement dit, considérez-vous que les élèves de 12 à 18 ans sont des citoyens jouissant de droits, ou pensez-vous, au contraire, que les adultes doivent réaffirmer la mission d’éducation qui leur est confiée dans les établissements scolaires ?

Mme Martine DAVID, Présidente : Je compléterai ces diverses questions en y ajoutant une suggestion : puisque quelques-uns d’entre vous ont évoqué le nombre de cas dont ils avaient éventuellement connaissance, je souhaiterais que, au fur et à mesure des réponses qui seront apportées, chacun donne son estimation de l’ampleur du problème. Les chiffres qui nous ont été fournis sont assez contradictoires et il est, pour nous, très difficile de procéder à une évaluation fiable.

M. Daniel ROBIN : Il est très difficile d’évaluer précisément la quantité de jeunes filles qui portent aujourd’hui le voile dans les collèges et dans les lycées. Certaines d’entre elles fréquentent des établissements dont je ne soupçonnais pas, moi-même, qu’ils puissent être confrontés au problème. Cette situation tient à des raisons diverses et variées : certains collègues ont accepté de transiger, par exemple, sur la taille du foulard ou savent pertinemment que toute publicité autour de cette question risque, pour des motifs passionnels, de déclencher une crise là où ils sont parvenus, peu ou prou, à l’éviter.

S’agissant de l’assiduité au cours, il faut bien considérer que le problème est très distinct de celui que pose le foulard et cela pour deux raisons.

Premièrement, elle ne touche pas les seules jeunes filles voilées : nous avons, en fonction des jours de la semaine et des contenus d’enseignement, des problèmes avec tantôt, les adventistes du septième jour, tantôt les témoins de Jéhovah ou autres. Bref, le problème de l’assiduité ne relève pas d’une religion, mais de bon nombre de religions et je ne parle pas des difficultés que pose dans certaines écoles primaires, le mercredi matin, jour de catéchisme... Je veux dire par là que le problème de l’assiduité, des horaires de classe et de leur compatibilité avec les exigences d’un certain nombre de religions, voire de toutes, reste d’actualité.

Deuxièmement, vous savez sans doute qu’à partir du moment où il y a défaut d’assiduité, la question de l’éventuelle sanction ne se pose pas. L’exclusion devant un conseil de discipline pour défaut d’assiduité n’a jamais été remise en cause par une juridiction administrative. Les établissements qui ont choisi d’exclure des élèves portant le voile y sont d’ailleurs parvenus par ce biais.

Ayant bien entendu les interventions de plusieurs députés nous reprochant d’utiliser un langage « convenu » et de ne pas suffisamment « vibrer ». Je vous invite donc à « vibrer » ensemble !

Le foulard n’est pas la kippa, ne serait-ce probablement qu’en raison de la surface du tissu utilisé, mais si nous commençons à nous engager sur cette voie, les choses vont devenir compliquées. Pour moi le foulard et la kippa c’est pareil et je suis obligé de constater, avec une objectivité que vous ne me contesterez pas, que l’indignation que suscite le port du foulard ne s’est jamais manifestée dans les lycées parisiens où, depuis de très nombreuses années, certains élèves portent la kippa.

C’est une différence qui doit nous interroger collectivement et individuellement !

M. Jean-Pierre BRARD : Ce n’est pas le cas en province !

M. Daniel ROBIN : Vous avez, par ailleurs, dénoncé un décalage entre nos propos et ceux des personnes que nous représentons.

Depuis dix jours, je suis en contact avec trois établissements qui connaissent effectivement de gros problèmes et je suis obligé de vous dire que les personnels sont très partagés, non pas sur l’objectif à poursuivre car ils sont tous pour la suppression du voile, mais sur la façon de l’atteindre et sur l’opportunité d’exclure immédiatement, ou non. Ce débat-là sera-t-il réglé par la loi ? Probablement pas ! Evidemment, l’arme de l’exclusion pourra tomber comme un couperet, mais, en tout état de cause, puisque je pense que ni les uns ni les autres, nous ne sommes favorables à une sanction immédiate, il faudra bien en passer par le dialogue. Or c’est précisément cette phase qui, aujourd’hui, fait l’objet de débats entre les personnels au sein des établissements.

Même si la possibilité d’exclure existait, on ne ferait pas l’économie des débats. C’est une donnée que vous ne devez pas perdre de vue car une partie du personnel d’éducation pense que jeter à la rue une élève pose des problèmes et en constitue pas forcément le meilleur choix pour l’inciter, le moment venu, à retirer son foulard.

Puisqu’il s’agit de « vibrer » ensemble, « vibrons » ensemble ! Personnellement, je comprends l’indignation que suscite le port du foulard, mais pourquoi ne pas faire preuve de la même indignation lorsqu’on rend l’enseignement religieux obligatoire en Alsace-Moselle ? Quelle image donnerions-nous de la République et de la laïcité si, demain matin, nous interdisions le port du foulard tout en acceptant parallèlement que, dans certains départements, on continue à tolérer que des crucifix ornent les murs des établissements publics, à rémunérer le clergé, et à obliger tous les élèves, à l’exception de ceux qui disposeraient d’une dérogation accordée dans des conditions compliquées, à suivre un enseignement religieux ?

Y compris en termes de priorité, il y a sur la laïcité des questions à se poser ! « Vibrons » donc ensemble, mais sur tous ces sujets !

Mme Françoise RAFFINI : Vous nous reprochez de ne pas aborder le sujet des enseignements : peut-être, mais le problème n’étant pas posé en ces termes, nous nous sommes efforcés, de nous limiter au seul cadre qui nous était fixé !

Cela étant, comme cela vient d’être indiqué, bien des questions mériteraient d’être soulevées, qui ne relèvent pas de la laïcité. Je pense notamment au respect des règles de l’école qui veut que les enseignés ne choisissent pas les enseignements. Il s’agit alors de problèmes de discipline « ordinaire ».

Le port d’un signe religieux est de toute autre nature et nous récusons tout à fait l’idée d’introduire une hiérarchie entre ces différents signes en fonction de l’endroit où ils se porteraient ou d’autres considérations qui ne nous semblent pas devoir être retenues.

Sans doute me suis-je mal expliquée sur le fait religieux, ce qui m’a valu d’être interpellée à titre personnel

Aussi, je vais m’efforcer de préciser mon point de vue. J’avais précisé que « Une des missions de l’école est d’instituer l’élève en citoyen au cours d’un long apprentissage, ce qui suppose la confrontation à autrui, à d’autres modes de vie ou de comportement que les siens ». En ce sens, j’estimais que l’apprentissage du fait religieux participerait à l’instauration de ce « vivre ensemble » et j’ai avancé six propositions. Il n’était donc pas dans mon propos, et je tiens à le souligner, de faire de l’enseignement du fait religieux la solution.

Le type de problèmes que nous rencontrons aujourd’hui ne relève pas d’une seule solution : il est suffisamment complexe pour ne pouvoir, précisément, recevoir de solutions que dans un cadre beaucoup plus vaste.

S’agissant de l’appel à l’aide de certains de nos collègues, que nous entendons, nous aussi, et que nous comprenons fort bien, il sous-tend une demande quasiment désespérée d’une ligne de conduite à suivre. C’est une revendication qui nous paraît bien compréhensible, mais parfaitement utopique dans la mesure où il n’y aura jamais de réponse automatique au genre de problèmes que nous examinons. La libre interprétation existera toujours, car l’application de la loi, elle-même, n’appelle pas une réponse de type binaire. Sauf à imaginer une République d’ordinateurs et non plus de citoyens, il nous faudra bien examiner les conditions d’application et d’interprétation des cas particuliers auxquels nous nous trouverons confrontés.

Concernant les « vibrations » pour la bataille en faveur de la laïcité, j’avais attiré l’attention sur le fait qu’il ne nous semblait pas nécessaire de l’entacher d’anachronisme. Nous ne pouvons pas, en effet, vouloir nous inscrire très étroitement dans les modalités de nos ancêtres du XIXème siècle et du début du XXème siècle, car, depuis lors, beaucoup de choses ont changé dans la société.

Je rappellerai, aussi, que cette bataille pour la laïcité, qui a été une bataille réelle, qui a demandé beaucoup de courage à certains de nos prédécesseurs, n’a pas été aussi fanatique que l’imaginaire collectif veut bien, maintenant, se le représenter. J’ai lu récemment dans des ouvrages tout à fait fiables que, finalement, l’enseignement des devoirs envers dieu dans les programmes des écoles primaires n’avait été supprimé qu’en 1923. Vous voyez donc qu’il y a eu, de tout temps, des transactions concernant la laïcité, et la prise en compte du fait qu’elle devait rassembler, unir les citoyens et non pas contribuer à l’instauration de guerres civiles permanentes.

Doit-on défendre les jeunes filles qui portent le voile ou celles qui ne le portent pas ? Ma fédération refuse d’entrer dans ce genre de dilemme. Nous devons répondre à la défense des droits et satisfaire à celui de recevoir une éducation dans un milieu scolaire en acceptant toutes les élèves, qu’elles soient, ou non, voilées.

Entendons-nous bien : nous ne sommes pas favorables au port du voile en soi, mais il nous paraît déterminant de ne pas stigmatiser et d’éviter de devoir interdire ou imposer. A ceux qui nous accusent de faire le jeu de certains pays intégristes où les femmes sont contraintes de porter le voile, nous répondons qu’en France, compte tenu des spécificités nationales, le port du voile ne recueille nullement notre agrément. Pour autant, nous nous refusons aussi bien à l’imposer qu’à nous y opposer. Nous constatons seulement qu’il y a bien des façons de porter le voile...

M. Jean-Pierre BLAZY : Ce n’est pas très clair !

Mme Françoise RAFFINI : Vous êtes, naturellement, libre de le penser, mais on ne peut pas simplifier à l’extrême un problème qui est complexe sans courir le danger de tomber dans le simplisme !

S’agissant de l’ampleur du problème, nous avons, pour ce qui nous concerne, la faiblesse de penser que Mme Chérifi, médiateur au ministère de l’éducation nationale, est particulièrement bien placée et informée pour en faire l’estimation. Cela étant, on confond souvent deux cas de figure : les élèves voilées qui posent problème - Mme Chérifi parle de 120 cas par an - et les élèves qui ont admis un compromis acceptable et qui ne posent pas problème. Le cas des élèves appartenant à la seconde catégorie sont-ils recensés ? Je l’ignore et il est donc très difficile d’apporter une réponse à votre question.

M. Patrick GONTHIER : Tout d’abord, je tiens à dire que je ne me reconnais pas dans certaines remarques qui ont été formulées. Je croyais que nos attentes avaient été assez clairement exprimées. J’avais le sentiment d’avoir montré une attitude qui n’était ni résignée, ni plate, ni convenue, pour ne pas mentionner l’autre adjectif que la décence m’interdit de prononcer.

Toutes les organisations, tous les partis et syndicats sont traversés par des questions très fortes sur le sujet et les approches sont souvent contradictoires avant d’arriver à un consensus et d’émettre un avis définitif. Dès 1989, notre organisation qui s’appelait alors la Fédération de l’éducation nationale (FEN) plaidait pour un cadre réglementaire précis, estimant que l’avis du Conseil d’Etat ne permettait pas de régler les questions. Le vide juridique, selon nous, perdure et il revient aux politiques de le combler. Il ne nous appartient de définir, ni la forme, ni le contenu, ni le périmètre du texte à élaborer !

Quand nous disons que tous les signes doivent être visés, ce n’est pas pour les mettre sur un pied d’égalité, ni pour esquiver le problème, mais pour réaffirmer que la laïcité est l’affaire de tous. En effet, ce qui est en cause au sein de l’établissement, c’est la mise sous influence de publics qui peuvent être d’origine religieuse différente, c’est la soustraction de zones républicaines au droit républicain et à d’autres influences, et c’est l’acceptation de voir s’imposer des logiques communautaristes, quelle que soit la religion en cause. Nous pensons qu’en transigeant et en établissant une hiérarchie, on se dérobe au droit républicain.

La laïcité est l’affaire de tous. C’est un sujet grave et c’est pourquoi nous en parlons avec retenue. Il n’empêche que nous nous sommes exprimés très précisément sur la nécessité d’un texte, y compris si cette nécessité se trouve assortie d’un souci « d’opérationnalité », comme l’a souhaité l’un des intervenants.

Pour ce qui est du chiffrage des cas, vous avez reçu l’un des syndicats de la fédération, le Syndicat national des personnels de direction de l’Education nationale (SNPDEN) qui est le syndicat des chefs d’établissement. Nous avons discuté avec ses responsables, mais le chiffrage est extrêmement difficile à apprécier car, si l’on met à part les deux cents cas critiques qui posent problème, qui sont l’objet de contentieux locaux ou nationaux et où intervient la médiatrice, les cas sont estimés à plusieurs milliers. Cette situation tient, d’une part au fait que les cas ne sont pas tous révélés, que beaucoup sont réglés au sein des établissements, d’autre part - on peut le dire entre nous - au fait que de ne nombreux recteurs préfèrent éviter la surenchère médiatique qui présente le risque de voir le cas s’échapper ou être monté en épingle.

Aujourd’hui, il doit y avoir moyen, auprès du ministère de l’éducation, des inspections générales, et non pas seulement auprès de la médiatrice, dont je respecte beaucoup le travail, d’obtenir des chiffrages relativement précis.

Mme Martine DAVID, Présidente : Si nous vous posons la question c’est précisément parce que c’est impossible !

M. Patrick GONTHIER : La médiatrice qui s’intéresse aux cas critiques, estime les cas à deux ou trois cents, alors que les chefs d’établissement en recensent plusieurs milliers !

Avec la question de la référence à l’âge des élèves, nous abordons le terrain des principes et des libertés fondamentales. Les établissements scolaires doivent préserver l’élève et sa formation de citoyen de tout groupe de pression. On peut, dès lors, estimer que l’âge de référence est celui de la scolarité obligatoire, et qu’il peut être étendu à celui des élèves de lycée.

Concernant le cadre réglementaire, je crois que nous avons été relativement précis. Quand les sujets sont aussi pointus, ils suscitent des réflexions fortes qui traversent toutes les organisations. Il est effectivement plus simple de s’en sortir en esquivant les problèmes qu’en les affrontant !

M. Hubert RAGUIN : Les chiffres qui viennent d’être donnés sont justes, mais ils demandent encore à être relativisés selon que l’on regarde une situation à froid ou à chaud. Je vais vous donner un exemple.

La ville d’Angers, qui a connu fort peu de cas durant des années, a été le cadre, à la rentrée, d’un cas qui a suscité l’émotion. L’inspecteur d’académie a jugé utile de faire une déclaration à la presse pour faire savoir qu’il refusait aux enseignants d’interdire à une élève d’entrer avec le voile, conformément à leur demande, faisant valoir qu’il préférait des musulmans intégrés à des musulmans intégristes. Une semaine plus tard, on dénombrait cinq nouveaux cas dans cinq établissements de la ville ! Il faut donc relativiser les situations et faire preuve d’une extrême prudence !

Pour ce qui me concerne, je souscris tout à fait aux propos de mon collègue du SNES sur le statut concordataire d’Alsace-Moselle. En réalité, sa position nous ramène au cœur du débat puisqu’il s’agit, en fait de définir un cadre institutionnel. Il est impossible de définir un cadre variable d’une région à l’autre, d’un établissement à l’autre, traitant d’un voile ou d’un autre signe religieux, car le principe même de la laïcité impose d’apporter une réponse institutionnelle qui convienne à une très grande diversité de situations, en fonction, bien entendu, de toute une série de paramètres. Il n’empêche que, historiquement, la laïcité s’est définie comme une laïcité institutionnelle dans la mesure où elle apportait une réponse unique, avec, bien entendu, des aspects réglementaires qui n’épuiseront, de toute façon, pas la discussion, à une multiplicité de situations.

J’ai été interpellé par M. Glavany à propos de l’interprétation que je faisais de la loi Jospin et de l’avis du Conseil d’Etat de 1989. J’ai parfaitement entendu ce qu’il m’a dit et je pense d’ailleurs que nous pourrions nous rejoindre sur cette appréciation, mais un problème demeure, qui renvoie au cadre institutionnel de la laïcité : l’article 10 de la loi Jospin inclut parmi les libertés reconnues dans les collèges et les lycées, le droit des élèves à disposer de la liberté d’information et de la liberté d’expression. Je ne peux, cependant, que constater que le Conseil d’Etat a défini ce droit comme un droit à disposer de la liberté d’opinion religieuse, politique et philosophique. C’est contraire au principe de laïcité !

M. Jean GLAVANY : Ce n’est pas nouveau : il serait temps de le découvrir !

M. Hubert RAGUIN : C’est contraire au principe de laïcité et cela renvoie au problème soulevé par ma collègue de Sud. Sous prétexte d’éviter un problème, faudrait-il tout autoriser ?

La laïcité institutionnelle se fixait précisément pour objectif de protéger les enfants. L’école, de ce point de vue, ne relève pas du domaine public, du droit commun, d’une réglementation ordinaire : la laïcité de l’école lui impose des règles pour protéger les jeunes générations de tout prosélytisme, de toute propagande et elle se décline dans la stricte neutralité religieuse quant au contenu des enseignements, quant à l’attitude des enseignants et quant au port d’insignes religieux. Si nous sortons de cette problématique, nous irons au-devant de problèmes de toutes sortes.

Je ne me prononcerai pas sur l’enseignement du fait religieux sur lequel il y aurait beaucoup à dire, mais qui ne rentrait pas dans le champ de votre mission. En revanche, j’enregistre et je soutiens vivement, même si elle ne résoudra pas le problème, la proposition de notre collègue de l’association des professeurs d’histoire et de géographie. Le fait qu’il n’existe strictement aucune formation des enseignants au cadre réglementaire de la laïcité, n’est pas rien ! On peut me répondre que, jadis, les amicales laïques et les syndicats se substituaient à cette lacune de l’administration, mais cette dernière, jadis également, se préoccupait, dans les écoles normales, de ce volet de la formation qui a complètement disparu des programmes des IUFM. Ce serait quand même un comble que l’enseignement de la laïcité reste définitivement écarté de la formation des enseignants alors que l’on y inclurait l’enseignement du fait religieux !

Mme Martine DAVID : On peut tous tomber d’accord sur ce point et il faudra faire des propositions en ce sens !

Mme Stéphanie PARQUET-GOGOS : Je suis un peu surprise d’entendre tout ce que j’entends et j’ai décelé dans les différents propos beaucoup de préjugés et relevé très peu de faits établis.

Vous demandiez, Mme la Présidente, quelle était l’ampleur du problème. Pour avoir travaillé durant seize ans en établissement scolaire et pour avoir, je pense, une bonne connaissance des élèves, puisque j’en ai formé 20 000, je vous livrerai un scoop : très peu de jeunes élèves pratiquent actuellement une religion.

J’ai travaillé dans un lycée où trois jeunes élèves portaient le foulard et elles n’ont pas posé le moindre problème d’assiduité. En revanche, comme je suis conseillère principale d’éducation, je peux vous dire que ce problème, qui n’a strictement rien à voir avec la religion, est très répandu dans les collèges français. Les manques d’assiduité relèvent de questions de confort et sont liés soit aux multiples activités des élèves à l’extérieur de l’école, soit à un désintérêt pour la formation.

Je n’ai pas, non plus, rencontré d’élèves ayant refusé un examinateur masculin ou ayant mis en cause la mixité en classe pour des raisons religieuses. Des cas peuvent certainement se produire, mais ils restent extrêmement minoritaires.

Puisque nous ne pouvons effectivement pas déroger au règlement intérieur qui veut que tout élève soit assidu en classe, le cas où une élève prétendrait se dispenser du cours d’éducation physique ou autre, pourrait se régler par ce biais.

M. Jean-Louis BIOT : S’agissant de l’appréciation du nombre de cas, nous nous heurtons à la même difficulté que nos collègues qui se sont exprimés précédemment. Au niveau de notre organisation syndicale, nous évaluons les cas à plusieurs centaines. Notre estimation est donc supérieure à celle de Mme Hanifa Chérifi, mais il nous est impossible d’aller au-delà.

Nous tenons, nous aussi, à souligner que le fait de monter en épingle des affaires face aux médias influe sur la tournure des événements car le règlement de situations de ce type demande du temps, des explications et un compromis. Le compromis suppose que chacun accepte de faire un pas et il est rare d’y parvenir, dès lors que les médias s’en mêlent.

Puisque la question de l’enseignement du fait religieux a été posée, notre organisation syndicale estime que cet enseignement ne peut pas devenir une matière spécifique et que le fait religieux peut être enseigné dans le cadre des programmes actuels. Un éclairage peut être donné notamment à travers la philosophie, l’histoire, la musique, la peinture et les arts. Il ne faut pas ajouter des matières aux programmes, alors que l’on constate qu’ils sont déjà trop volumineux et que le gouvernement, quand il s’y essaye, à le plus grand mal à les alléger. En tout cas, si nous sommes d’accord sur le principe d’un tel enseignement, nous pensons qu’il ne peut pas, dans la formation des enseignants, constituer une réponse aux questions liées à la laïcité.

Une question de M. Blazy concernait les réactions des chefs d’établissement et des enseignants confrontés au problème du foulard. J’ai envie de répondre que leur sentiment dépend beaucoup de la façon dont ils vivent leur fonction au sein de l’établissement où ils exercent. Très majoritairement, vraisemblablement dans une proportion de 95 %, les enseignants ne se trouvent pas confrontés au problème. Le problème du foulard, qui, vu à travers les médias, peut paraître important parce que monté en épingle, reste marginal.

Pour ce qui est de la solution à proposer, je me retrouve assez dans les propos qui viennent d’être tenus : si l’objectif est bien le respect du principe de la laïcité, les enseignants sont assez partagés sur les moyens de l’atteindre ce qui prouve de façon évidente que le débat, mené ici ou en commission, doit être poursuivi. Il faut souligner que l’instruction, d’abord, l’enseignement ensuite, la pédagogie enfin, ont toujours été un facteur de la mission d’éducation et d’émancipation à laquelle de nombreux enseignants demeurent attachés ce qui écarte l’exclusion des solutions envisageables. Il semble, de notre point de vue, que c’est la voie de la négociation, de l’explication et de l’argumentation qui doit être privilégiée.

Après d’autres, j’ajouterai que, pour nous, il ne saurait y avoir de hiérarchie entre les différents signes religieux. Au fil du temps, la société française, car cette attitude n’est pas propre aux seuls enseignants, a montré moins de vigilance pour faire respecter les principes de la laïcité. Combien avons-nous vu de représentants de l’Etat et de ministres se rendre dans des lieux de culte à l’occasion, par exemple, de funérailles ?

Nous avons observé, petit à petit, des élèves arriver avec des croix ou autres signes sans y prêter attention et nous constatons, aujourd’hui avec le foulard, que le phénomène prend des dimensions inquiétantes.

En outre, le terme même de laïcité a été mis de côté depuis bien longtemps dans ce pays. On a parlé de laïcité dans le cadre des conflits survenus entre l’école privée et l’école publique, en 1994, mais collectivement, politiquement, socialement, il était peu utilisé en France. Il est revenu en force depuis trois ans à l’occasion de trois événements : les attentats du 11 septembre, aux Etats-Unis ; la présence du candidat du Front national au second tour des élections présidentielles, quelques affaires de foulard survenues plus récemment. Je répète que, s’il y a un point sur lequel la carence est totale depuis des années, c’est celui de la formation des enseignants et des personnels de l’éducation. Il y a vraiment un travail de fond à entreprendre d’urgence, même s’il ne suffira pas, concernant la connaissance, les principes, le fonctionnement de la laïcité, vis-à-vis des droits et devoirs des fonctionnaires et du fonctionnement du service public. En matière de formation des enseignants, des choix s’imposent et, si l’on veut restaurer le principe de laïcité dans notre société, il faut mettre l’accent sur toutes ces dimensions.

Si certains contenus d’enseignement en matière de formation initiale peuvent, aujourd’hui, être portés par internet ou des moyens plus opérationnels encore, la philosophie, la pratique de la laïcité, la définition de la déontologie et de l’éthique laïque devraient être largement incorporées à la formation, aussi bien des enseignants actuels que de ceux qui vont être recrutés par milliers dans les années à venir.

Je terminerai en répondant à la question de savoir si le port du foulard peut avoir des significations multiples : oui, il peut, c’est évident, être la marque d’un combat ou d’un engagement politique. Il est également évident que l’islam, dans notre pays, suscite de la peur chez un certain nombre de citoyens dans la mesure où il évoque pour eux l’Iran de Khomeyni, le Front islamique de salut algérien et les attentats des Etats-Unis. Sur la signification politique, je persiste cependant à dire que, si l’école peut avoir une certaine influence, elle ne peut pas agir seule. C’est à la classe politique démocratique qu’incombe la responsabilité de savoir ce qu’elle veut dans ce domaine, de fixer un cadre et c’est à la société, donc à tous les citoyens qu’incombe, ensuite, la responsabilité de prendre à bras-le-corps ce problème.

Mme Martine DAVID : C’est bien la raison de notre présence et de l’attention que nous prêtons à vos propos !

M. Thomas JANIER : Je suis surpris de constater qu’il y a presque autant d’appréciations de la laïcité que de personnes présentes.

Je m’étonne également, en dépit de la pertinence de la question, que l’on s’interroge sur le nombre de cas. Le port du voile ne se pose pas en termes de nombre, mais de principe !

Quand il a été question de l’enseignement du fait religieux, notre méconnaissance de l’islam est apparue de façon évidente. En effet, si peu de problèmes surviennent dans l’enseignement primaire, comme certains se sont plu à le souligner, il faut probablement en chercher la raison dans le fait que les très jeunes filles, dans les pays musulmans, ne portent pas le voile !

Nous avons débattu sur le port du foulard, mais je considère que nos propos doivent pouvoir s’appliquer à toutes les religions. Notre organisation refuse que l’on stigmatise l’islam. En revanche, si la question de la laïcité est relancée avec le foulard, ce n’est peut-être pas un hasard puisque nous avons souligné cette particularité de l’islam de déterminer une attitude à la fois religieuse et politique. Pour autant, il ne faudrait pas tomber dans le travers qui consisterait à apporter une réponse politique à la question politique qui nous est posée. Nous avons un principe auquel il faut revenir : celui de la laïcité.

Lorsque nous avons pensé la laïcité, l’islam n’était probablement pas aussi présent, en tout cas le problème de son affichage à travers des signes vestimentaires ne se posait pas. Il conviendrait, sans doute, aujourd’hui, d’en tenir compte.

Il a été fait allusion précédemment au caractère ostentatoire et prosélyte du voile ou de tout autre signe religieux. Cette vision, qui est très subjective tant il est difficile de déterminer quand commence le prosélytisme, ne fait que renforcer l’idée, émise de part et d’autre, du retour au dialogue et de la négociation au cas par cas.

Puisque vous nous avez demandé ce que nous pensions, je me permets de vous renvoyer la question : si vous entendez légiférer, dans quel sens comptez-vous le faire ? Quels signes souhaiteriez-vous condamner et à partir de quelle taille qualifieriez-vous un signe de prosélyte ? J’ai entendu établir entre la kippa et le voile une distinction qui m’est apparue tout à fait déplacée ! Toutes ces observations nous renvoient à la nécessité de former les enseignants et les personnels au fait religieux.

Mme Martine DAVID : Encore une fois, je vais m’efforcer de répondre à la question que vous venez de poser et que d’autres ont posée de façon sous-jacente.

Il est clair que nous ne serions pas membres de cette mission parlementaire, au nom de tous nos autres collègues de l’Assemblée nationale, si nous n’étions pas, comme vous, témoins, observateurs ou acteurs d’une série de problèmes liés à cette question des signes religieux à l’école. Si, par ailleurs, le Président de la République a mis en place la mission Stasi sur la laïcité, c’est bien parce que nous ressentons une série de difficultés importantes.

Certes, je rejoins un peu le constat de M. Biot qui souligne que notre société, à tous les niveaux de responsabilité, a sans doute un peu abandonné le terrain de la laïcité, mais M. Janier, il ne faudrait pas anticiper nos décisions, car nous n’en sommes pas encore au stade de la conclusion de nos travaux.

Nous avons tenté de diversifier les personnalités que nous entendons parce qu’il nous faut, avant de nous prononcer, disposer d’un ensemble de témoignages professionnels, juridiques, philosophiques. Nous avons fait en sorte d’élargir cette diversité parce que nous en avons besoin et parce qu’elle nous aidera, le moment venu, à tirer des conclusions, comme elle nous aide déjà à débattre entre nous puisque nous n’avons pas exactement les mêmes positions, y compris sur l’opportunité de légiférer.

Contrairement à ce que vous pourriez peut-être penser, je n’ai aucun a priori sur ce point. Nous nous efforçons d’avoir une approche pragmatique et surtout de prêter l’oreille à tout ce que nous disent les interlocuteurs que nous avons entendus, que nous entendons et que nous allons encore entendre durant quelques semaines.

M. Hubert TISON : Il est en effet très difficile de quantifier le nombre de jeunes filles voilées. D’après nos estimations, les chiffres tourneraient autour de plusieurs centaines, mais il est vrai que de nombreux cas sont réglés par la médiation.

Nous nous sommes intéressés à des événements sur lesquels nous avons diligenté une enquête qui n’est pas encore totalement dépouillée : les incidents qui sont survenus en cours d’histoire. Ils concernent d’ailleurs, non seulement les faits religieux, mais également l’enseignement portant sur des sujets tels que la seconde guerre mondiale, le front populaire, les Etats-Unis qui donnent parfois lieu à des manifestations plus ou moins violentes, parfois extrêmement graves, d’antisémitisme, de racisme, d’intégrisme, qui peuvent se traduire par le boycott de films présentés en terminale ou par un refus, lors d’excursions, d’entrer dans une église, une synagogue, un temple protestant ou une mosquée.

Nos collègues font aussi souvent état de parents qui écrivent directement au principal pour se plaindre que l’on enseigne trop, ou pas assez, l’islam ou le christianisme dans l’établissement.

Il ne faudrait pas perdre de vue, non plus, que si l’on enseigne le fait religieux, on délaisse aussi les non religieux, les athées. A cet égard, il faut d’ailleurs songer que c’est précisément la laïcité qui nous permet de respecter toutes les composantes.

Pour ma part, je suis très hostile à l’instauration d’un CAPES des religions. En effet, ainsi que l’a rappelé l’un de nos collègues syndicalistes, le fait religieux est inscrit dans les programmes d’histoire dont il faut d’ailleurs souligner qu’ils ont été rééquilibrés et repensés. Plusieurs colloques - dont un très important, l’année dernière, qui a réuni, sous la présidence de Régis Debray, des professeurs, des inspecteurs, des formateurs - ont été consacrés au fait religieux qui est enseigné à travers d’autres disciplines : la philosophie, dieu ayant été de tout temps un objet philosophique, mais aussi le français, les langues sans oublier naturellement les arts et la musique...

Instaurer un CAPES des religions serait extrêmement dangereux dans la mesure où cela reviendrait à réaliser le rêve de nombreux communautaristes qui n’aspirent qu’à venir enseigner la religion. On aurait ainsi un rabbin, un prêtre catholique, un imam etc...

Puisque nous nous intéressons à la formation des professeurs, en ce qui concerne la religion et la laïcité, nous pourrions aussi nous poser des questions s’agissant des imams dont beaucoup ne connaissent pas grand-chose au Coran. Ils viennent généralement de pays extérieurs et ne sont pas même enracinés dans la tradition française qu’ils connaissent très mal, ce qui ne va pas sans poser problème, d’autant que quelques-uns font pression dans certains collèges de la banlieue nord, par exemple, sur l’enseignement de l’histoire : je pense à des cas extrêmement précis. Ils critiquent telle ou telle façon d’enseigner, ce qui a pour effet de gravement désorienter un certain nombre de nos collègues qui se sentent abandonnés par la République.

C’est un point très important. Si j’attire votre attention sur de tels comportements qui sont actuellement minoritaires - nous dénombrons des incidents dans 17 % des établissements français - c’est parce qu’ils peuvent être appelés à se multiplier.

Sans entrer dans la « cuisine » des programmes, je confirme que les heures d’enseignement de l’histoire ont été réduites au collège et au lycée. Les enseignements d’histoire qui, en section scientifique ont diminué d’une heure et demie, se limitent à une heure au collège où les classes sont très hétérogènes et demandent beaucoup d’explications.

Sur la formation des enseignants, je serai un peu plus nuancé concernant les IUFM où les situations sont très variées. Je crois d’ailleurs qu’il y a maintenant, dans les IUFM, une volonté de répondre à la gestion des conflits dans les établissements et d’adapter la formation des enseignants à la laïcité. Il y a bien un institut d’histoire des religions de l’Europe qui vient de se créer, mais je pense qu’il faudrait aussi prévoir, à l’université, des chaires consacrées à la laïcité d’autant que c’est une spécificité française que certains pays nous envient, y compris dans l’Union européenne.

Les incidents auxquels j’ai fait allusion sont liés aux cours et pas seulement au foulard et, en tant qu’enseignant « de terrain », je peux témoigner que 99 % des jeunes maghrébines ne sont pas voilées, souhaitent s’intégrer dans la société française et sont des éléments extrêmement vivants et dynamiques dans leur classe. Il ne faudrait donc pas se focaliser sur une minorité, souvent manipulée de l’extérieur par des groupes communautaristes extrêmement dangereux, qui veulent renverser les idéaux de la République et dont les agissements sont précisément ceux qu’il convient de dénoncer.

M. Gérard ASCHIERI : Si je reprends la parole, j’ai parce que j’ai cru percevoir quelques malentendus que je souhaiterais tenter de les lever.

Le premier malentendu qui me semble emblématique a trait au CAPES de religion. En effet, s’il existe aujourd’hui un CAPES de religion, ce n’est pas pour enseigner le fait religieux, mais la catéchèse. Il a été créé pour titulariser, en Alsace-Moselle, des auxiliaires qui ont la responsabilité d’enseigner la religion, essentiellement catholique d’ailleurs. Donc ne mélangeons pas tout !

Il y a un problème d’enseignement du fait religieux. Le rapport Debray me semble pertinent en proposant de ne surtout pas en faire une discipline à part entière et de ne pas le séparer d’un enseignement culturel global. Si j’ai parlé de « dérapages » dans mon intervention liminaire, c’est parce qu’il y en a un qui consiste à isoler l’enseignement du fait religieux.

Le second malentendu tient à la surprise manifestée par les parlementaires, toutes tendances confondues, devant les positions des organisations syndicales. J’ai le sentiment qu’un certain nombre d’entre eux attendaient que nous leur parlions du malaise et des difficultés des enseignants. Certes, il y a malaise et difficultés, mais l’objectif pour une organisation syndicale, comme, il me semble, pour des parlementaires, n’est pas de se coller au malaise, mais d’essayer de voir comment s’en sortir.

En la matière, au nom de la FSU - la position des autres organisations me semble d’ailleurs assez convergente - je tiens à souligner deux points.

Premièrement, la situation est beaucoup plus complexe que peut le laisser penser l’écume médiatique entourant un certain nombre d’affaires. Cette complexité se retrouve jusque dans les réactions de nos collègues et dans leur façon de traiter les problèmes.

Deuxièmement, nous pensons qu’il n’y a pas de solution législative qui isolerait le seul problème du port des signes religieux.

Telle est la teneur du message que nous souhaitions vous faire passer. Si elle peut être une contribution à votre réflexion, je m’en réjouirai !`

Mme Martine DAVID : Je vous rassure : votre participation, au même titre que toutes les autres, contribuera à notre réflexion. Nous en tiendrons compte, aussi bien dans le cadre de notre mission, que dans celui de nos différents travaux parlementaires.

Merci à tous pour cette participation !


Source : Assemblée nationale française