Du fait de sa position géographique, l’Espagne est un des pays occidentaux les plus connus dans le monde arabe et les rapports se partagent avec intensité entre amour et haine et entre rivalité et coopération. La fin de la colonisation espagnole en Afrique du Nord a ouvert une période d’amitié de 70 ans que n’est même pas venue démentir la période franquiste. L’élément déterminant dans ces relations est la présence musulmane de sept siècles en Espagne qui fait du pays un intermédiaire privilégié entre l’Europe, voire l’Occident, et le monde arabe.
Dès lors l’alignement de l’Espagne sur la politique étrangère nord-américaine, malgré l’opposition presque unanime de la population, ne pouvait manquer d’être perçue par le monde arabe et musulman comme une agression inattendue et imméritée. Cela a entraîné une attaque d’Al Qaïda contre notre pays. La confusion causée par ces attentats a été accrue par la menace permanente d’ETA et la tenue d’élections législatives trois jours après les attentats. L’usage politicien qui a été fait de ces attentats par le Parti populaire et les nouveaux mensonges proférés par le gouvernement, succédant à ceux sur les armes de destruction massive irakiennes, a entraîné sa défaite.
Certains relais de l’administration Bush ont présenté la victoire du PSOE comme celle d’Al Qaïda, amalgamant la gauche et les terroristes, et les Espagnols comme des fuyards, mais la seule question qui vaille d’être posée est : comment pouvons nous combattre le terrorisme ? Les faits du 11 mars prouvent à l’évidence que si un État en lutte depuis presque 30 ans contre la terreur politique n’est pas en mesure d’éviter un massacre de cette ampleur, c’est que la tactique de défense en aval et le développement des moyens de contrôle-répression ne peuvent en finir seuls avec la violence terroriste. Il faut agir en amont et collaborer avec les gouvernements arabes et musulmans.
Si notre but était réellement d’en finir avec Al Qaïda, alors il aurait fallu se servir de Saddam Hussein contre Ben Laden comme George Bush père l’a utilisé contre l’Iran ou les communistes. Nous devons mettre un terme à notre arrogance économique et mettre en place un partenariat avec les pays du Sud. Nous devons lutter contre le financement du terrorisme en combattant les paradis fiscaux.

Source
Le Monde (France)

« Les armes contre la terreur », par José Vidal-Beneyto, Le Monde, 31 mars 2004.