Rivière près du camp de réfugiés d’Al Faraa tarie l’été en raison du pompage excessif de ses eaux en amont par les colons israéliens.

Le Proche-Orient est une terre aride. Si l’on se limite aux trois régions où le problème de l’eau se pose avec le plus d’acuité, à savoir la Jordanie, Israël et les Territoires palestiniens, on constate que l’exploitation réelle des ressources, pour satisfaire à la demande actuelle, est très proche, voire supérieure à ce qui est effectivement disponible. Ainsi, en 1994, la consommation d’eau en Israël dépasse les 2 000 millions de mètres cube/an alors que les ressources renouvelables n’excédent pas les 1 500 millions de mètres cube/an. En Jordanie, le déficit d’eau se monte en 1999 à 155 millions de mètres cube et les nappes phréatiques sont surpompées à 180 %. Le cas est encore plus net dans la bande de Gaza qui exploite ses ressources renouvelables à 217 %, ce qui pose d’importants problèmes, tant pour la qualité de l’eau pompée dans les nappes, que pour l’avenir avec le risque d’assécher ces nappes, dont beaucoup ne se renouvellent plus.

Historique

Déjà en 1919, Chaim Weizman, dirigeant de l’Organisation Sioniste Mondiale, écrit au 1er ministre anglais Lloyd George que « l’ensemble du futur économique de la Palestine est dépendant de son approvisionnement en eau pour l’irrigation et l’énergie électrique ». Les frontières demandées englobent en plus de la Palestine, le Golan et les Monts Hermon en Syrie, le sud Liban et la rive est du Jourdain. Un an plus tard en octobre 1920, le même C. Weizman écrit au secrétaire du Foreign Office : « Si la Palestine était amputée du Litani, du Haut Jourdain et du Yarmouk, sans même parler de la bordure ouest de la (mer de) Galilée (Lac de Tibériade), elle ne pourrait être économiquement indépendante. Et une Palestine faible et appauvrie ne serait d’aucune utilité pour aucune puissance ».

En 1941, D. Ben Gourion déclare : « nous devons nous rappeler que, pour parvenir à enraciner l’Etat juif, il faudra que les eaux du Jourdain et du Litani soient comprises à l’intérieur de nos frontières ». Ben Gourion et Moshe Dayan étaient dès le début partisans d’envahir le sud-Liban jusqu’au Litani. Dayan proclamait en 1954 : -« la seule chose qui est nécessaire est de trouver un officier (libanais), même seulement un Major....Nous pourrions soit le convaincre soit l’acheter pour qu’il se déclare lui-même le sauveur de la population maronite (chrétienne). Ensuite l’armée israélienne entrerait au Liban, occuperait les territoires nécessaires et mettrait en place un régime chrétien qui s’allierait à Israël. Le territoire au sud du Litani serait totalement annexé et tout serait parfait ». On le voit, les envahissements ultérieurs du (sud)-Liban étaient programmés de longue date !

Dès 1953, Israël commence à dériver les eaux du Lac de Tibériade pour irriguer la côte et le Néguev, sans consulter la Syrie ni la Jordanie, et prélève une partie des eaux du Jourdain. En 1964 le National Water Carrier (transport de l’eau par canalisations) (en rouge sur la figure 1) est opérationnel. La Syrie et la Jordanie entreprennent alors la construction de barrages sur le Yarmouk et le détournement du Baniyas pour retenir l’eau en amont du Lac Tiberiade et ainsi empêcher Israël de l’y siphonner. Israël les accuse alors de l’agresser et bombarde les travaux jusqu’au déclenchement de la guerre des 6 jours. Le Liban suspecte aussi Israël de pomper son eau souterraine depuis le Bassin de Hasbani River [1].

La guerre de 1967 permet à Israël d’accaparer les ressources de Gaza, de la Cisjordanie et du Golan. En 1978, cet Etat envahit le sud-Liban et détourne par pompage une partie du Litani jusqu’en 2000, date à laquelle il se retire suite à la résistance du Hezbollah installé dans cette région.
L’annexion du Golan, surnommé le « château d’eau », permet le contrôle du bassin d’alimentation amont du Jourdain, et se traduit par l’expulsion de la majorité de la population (100 000 personnes), ce qui, du même coup, permet à Israël de récupérer l’eau qui n’est plus localement consommée.

En 1994, Israël et la Jordanie signent un traité de paix avec un volet sur l’eau défavorable aux Jordaniens. Avec la Syrie qui propose de tout négocier, notamment l’eau, contre un retrait total de l’occupant du Golan, les discussions reprises en 1999 sont brusquement interrompues par Ehoud Barak. Quant aux accords d’Oslo de 1993, s’ils reconnaissent (formellement) « les droits de l’eau des Palestiniens », ils renvoient leur négociation aux discussions finales sur le statut des territoires Palestiniens.....! Même des responsables israéliens dits modérés ont refusé de s’engager sur l’eau dans le protocole de Genève…

Figure 1 : carte des sources d’eau en Palestine
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La politique israélienne de l’eau

Dès 1936, Walter Clay Lowdermilk s’inspira des grands travaux, menés alors dans la Tennessee Valley aux Etats-Unis, pour proposer la mise en place d’une « Jordan Valley Authority » placée sous surveillance internationale. Cette idée fut reprise en grande partie par le plan Johnston pour la vallée du Jourdain, du nom d’un envoyé du Président américain Eisenhower, en vue de créer une autorité régionale en 1954-1955, fondée sur une coopération inter étatique des Etats riverains du Jourdain, visant à allouer et gérer au mieux les ressources en eau.

La loi sur l’eau d’Israël

Mais Israël en décida autrement. Sa loi sur l’eau de 1959 fait des ressources hydrauliques « une propriété publique (...) soumise au contrôle de l’État ». Le contenu légal, la valeur économique et sociale de la propriété foncière et des ressources qu’elle contient sont alors profondément modifiés. Cela initie un système qui empêche les Palestiniens de disposer librement de leurs ressources hydrauliques, instaurant une discrimination systématique. Mais la politique mise en œuvre depuis 1967 à Gaza et en Cisjordanie est d’un autre ordre de grandeur. Dès les premiers jours de l’invasion de la Cisjordanie et de Gaza en 1967, deux mesures sont prises :
1-interdiction de toute nouvelle infrastructure hydraulique, forages et puits sans autorisation,
2-confiscation des ressources en eau qui sont déclarées propriétés d’état conformément à cette loi israélienne sur l’eau de 1959 qui a nationalisé la ressource.

Pour y appliquer sa loi sur l’eau, Israël use à outrance de décrets militaires. Le domaine principal de discrimination est celui des entraves imposées aux forages des puits. 350 puits palestiniens fonctionnent actuellement en Cisjordanie, 23 d’entre eux, représentant 6,5 % de tous les puits, ont été forés depuis le début de l’occupation, au profit exclusif des colonies de peuplement. Le droit de creuser de nouveaux puits nécessite un permis, délivré à la discrétion des autorités israéliennes. Depuis 1975, des quotas sont imposés et leur dépassement entraîne de lourdes amendes (des compteurs ont été installés). Ils n’ont été augmentés que quatre fois... La quantité d’eau disponible pour les agriculteurs de Cisjordanie est gelée depuis 1967 : le plafond est fixé à 90-100 millions de mètres cube par an pour 400 villages. Inversement, la quantité d’eau allouée aux colonies juives a augmenté de 100% au cours des années 1980.

Utilisation de la « loi des absents »

Sous des prétextes sécuritaires, la « loi des absents » est renforcée par la proclamation de « zones ou régions spéciales ». Conformément à l’ordonnance militaire sur la « propriété abandonnée », Israël prend possession de ces terres, expropriant de cette façon un nombre inconnu de puits qui étaient utilisés par les Palestiniens ayant subi l’exode de 1948 et depuis considérés comme « absents ». De même, la législation israélienne soumet certaines régions de Cisjordanie à des réglementations renforcées : « régions soumises à rationnement », « districts de drainage », « régions de sécurité militaire ». C’est le cas d’une bande de terre le long du Jourdain, déclarée « zone militaire », que les Palestiniens utilisaient à des fins d’irrigation. Ces mesures limitent davantage encore l’accès des Palestiniens à l’eau, laquelle est achetée au prix fort - celui de l’eau potable - par les agriculteurs palestiniens pour les besoins de l’irrigation.

Avant 1967, cette pratique était inconnue des populations palestiniennes : pour la Cisjordanie, les autorisations concernant l’utilisation des eaux étaient généralement accordées par l’autorité jordanienne. Dans la bande de Gaza, aucun système de permis n’existait avant 1967 et l’utilisation de l’eau relevait du droit coutumier. Ainsi, par les ordonnances militaires n° 450 et 451 de 1971, le droit d’octroyer des licences d’utilisation de l’eau, prérogative du Directeur du cadastre jordanien, a été transféré aux autorités israéliennes. Selon diverses sources, 5 à 10 permis ont été concédés depuis 1967. De même, depuis 1975, la réfection et le nettoyage des puits sont soumis à des autorisations israéliennes, pratiquement jamais accordées. Israël a reconnu sa politique de limitation de nouveaux permis pour les Palestiniens sous les prétextes d’économie d’eau et d’amélioration des méthodes d’irrigation permettant une productivité accrue de l’agriculture locale… !

La Mékorot

Ces pratiques discriminatoires sont institutionnalisées : le gouvernement israélien, l’Agence juive et le Fonds national juif (FNJ) contrôlent la Mékorot (Compagnie de gestion israélienne) et la Tahal (Compagnie de planification des ressources en eau d’Israël), dont l’objectif commun est le soutien exclusif des intérêts israéliens. L’intégration des services israéliens, en imposant une centralisation de ces compagnies et en supprimant la participation des populations locales, place les territoires palestiniens dans une situation de dépendance juridique et administrative.
La Mékorot a développé dès 1967 des réseaux au profit quasi-exclusif des colonies. Le développement et l’entretien des systèmes municipaux palestiniens ont été laissés à l’abandon, alors que la Mékorot contrôlait et étendait son réseau de distribution. Dans les secteurs Palestiniens desservis par la Mékorot, l’état d’entretien est tel que jusqu’à 40 % de l’eau transportée en Cisjordanie est perdue en ligne. Le système hydraulique palestinien est resté à son niveau de 1967. À Tulkarem, ces pertes s’élèvent à 60 %, à Ramallah à 20 %. Et la création d’infrastructures hydrauliques, qui relient les colonies de peuplement entre elles, enserre les territoires palestiniens dans un quadrillage serré. A Gaza, la situation est plus dramatique encore, car l’aquifère côtier surexploité s’infiltre maintenant d’eau de mer. Pour le futur État palestinien, l’éventuel découplement du réseau hydraulique s’avérera difficile et onéreux.

Inégalité d’accès et de prix

Mais il ne suffit pas que la ressource existe, encore faut-il y avoir accès et les couvre-feux et blocus continuels conduisent à des situations dramatiques. Les destructions de réseaux et réservoirs obligent à faire venir l’eau en camions-citernes, renchérissant son prix qui peut atteindre jusqu’à 40 NIS/mètre cube (plus de 8 euros), soit près de 10 fois plus que le prix initialement demandé par la municipalité. Dans les Territoires Occupés Palestiniens de 1967, les réseaux étant fréquemment sous le contrôle direct des colons, ceux-ci ferment les vannes de distribution des antennes en direction des villages palestiniens quand bon leur semble.
Si les israéliens bénéficient de l’eau courante toute l’année, les palestiniens sont victimes de coupures arbitraires, en particulier pendant l’été. Quant au prix payé par un consommateur palestinien, il est en principe le même qu’un israélien, alors que le PIB est 20 fois plus élevé en Israël qu’en Cisjordanie. En réalité l’eau est fortement subventionnée pour les colonies juives alors qu’un palestinien doit payer 4 fois plus cher qu’un colon pour y accéder. Ainsi une famille palestinienne peut dépenser plusieurs centaines de shekels/mois, alors que ses revenus n’excèdent pas 1500 NIS mensuels. (1 NIS = 0.21 euro = 1.37 FF ; 1 euro = 4,7 shekels).

Dans de telles conditions, l’Autorité Palestinienne de l’Eau, qui a été créée par Oslo 1, faisait pâle figure avant d’être annulée par Oslo 2, puisque c’est Israël seul qui gère les flux. Elle servait surtout de bouc émissaire face au mécontentement des populations palestiniennes, et elle a perdu sa raison d’être avec la destruction systématique des infrastructures (les cuves) et l’impossibilité de contrôler la pollution.

Etat des lieux hydrogéologiques et répartition de la consommation d’eau

La consommation moyenne et annuelle d’un Israélien (357 mètres cube) est quatre fois plus élevée que celle d’un Palestinien de Cisjordanie (84,6 mètres cube). La consommation domestique d’un citoyen israélien est trois fois supérieure à celle d’un Palestinien. La consommation agricole est également largement plus forte, et la politique israélienne de subventions encourage, de fait, une consommation élevée. Douloureux handicap pour l’agriculture palestinienne : les colonies irriguent 60 % de leurs terres cultivables, contre 45 % en Israël et 6 % en Cisjordanie.
La législation décrite ci-dessus permet à Israël de satisfaire ses besoins en eau grâce à des détournements qui s’apparentent à de véritables spoliations (voir la figure 1 pour ce qui suit).
-Depuis 1967, la conquête du Golan a permis à Israël de disposer du Baniyas ainsi que des nappes et cours d’eau qui parcourent le Mont et lui donnent son surnom de château d’eau. Le Golan apporte à Israël plus de 250 millions de mètres cube d’eau par an. Le Golan et le Yarmouk fournissent ainsi près du tiers de la consommation totale israélienne. En conséquence, 75 % des eaux du Jourdain sont détournés par Israël avant qu’elles n’atteignent les Territoires.
-En Cisjordanie trois aquifères fournissent un autre tiers des réserves hydrauliques à Israël, qui consomme près de 86 % de l’eau de la région. Les Palestiniens en utilisent 8 à 12 %, et les colons israéliens 2 à 5 %. Après plus de trente années d’occupation, quelque 180 villages de Cisjordanie ne sont toujours pas raccordés à un système de distribution. Le contrôle des sources d’eau est aux mains de la compagnie israélienne Mekorot qui distribue chaque année 110 millions de mètres cube aux 1,5 million de Palestiniens (soit 73 mètres cube par habitant), 30 millions de mètres cube aux 140 000 colons (soit 214 mètres cube par colon), tandis que 460 millions de mètres cube partent vers Israël. Cette compagnie pratique une distribution, mais aussi des tarifs discriminatoires. Elle fait payer 0,7 $ le mètre cube pour usage domestique et 0,16 $ pour l’agriculture aux Israéliens, tandis qu’il n’existe pas de prix différencié pour les Palestiniens qui doivent payer, eux, 1,20 $ le mètre cube. Heureusement, cette nappe se régénère facilement grâce à des précipitations abondantes.

A Gaza, la superficie territoriale est petite et les précipitations sont faibles. On estime que seulement 35 millions de mètres cube pénètrent le sol pour gagner la nappe phréatique. Vu l’accroissement de la population (de 50 000 personnes avant 1948, elle est passé à 1,2 million aujourd’hui, ce qui correspond à 29 mètres cube d’eau par habitant et par an !), cette nappe d’eau est surexploitée, et 70 % de ses ressources sont endommagées. Les Israéliens pompent de façon trop importante près de la bande de Gaza et assèchent les puits palestiniens où l’eau disponible est saumâtre et désormais polluée. Il n’existe pas de rivière dans la bande de Gaza, mais un wadi qui rassemble les eaux de plusieurs wadi dans la région. Les Israéliens ont établi de petites digues sur ces wadi et la seule eau qui coule désormais dans le Wadi Gaza est celle usée et non recyclée de la ville de Gaza.... La Bande de Gaza a d’ores et déjà reçu un certain soutien international pour résoudre en partie la crise de l’eau (dessalage, importation d’eau et lutte contre la pollution), mais cela reste insuffisant par rapport à la demande locale.

Conséquences sur l’environnement

Tous usages confondus, la consommation moyenne en eau des Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza représente environ 150 mètres cube par personne et par an, alors que les colons de Cisjordanie en consomment, eux, entre 700 et 800 mètres cube. En conséquence, les eaux souterraines ont été surexploitées. Depuis l’occupation en Cisjordanie et à Gaza, 70 à 80 % des villes et villages palestiniens ne reçoivent que quelques heures d’eau par semaine, obligeant la population à faire des réserves dans des bidons, soit dans des conditions d’hygiènes hasardeuses, tandis que les postes militaires israéliens et les colonies sont alimentés 24 heures sur 24. Ces dernières vivent comme si elles étaient dans un pays européen, alors que la population palestinienne a toujours géré son eau en connaissant l’aridité de la région.
De plus le développement agricole israélien se fait en contradiction avec les ressources en eau disponibles. Les Palestiniens n’ont pas le doit de forer des puits, alors que les colons le peuvent et sur de grandes profondeurs (300 à 500 mètres). Ainsi, non seulement il est interdit pour les Palestiniens de forer de nouveaux puits sans autorisation militaire israélienne, mais surtout leurs puits ne doivent pas dépasser 140 mètres de profondeur, alors que ceux des colons peuvent atteindre 800 mètres.

Aggravation de la situation

Depuis la deuxième Intifada, la situation s’est encore dégradée, puisque l’armée israélienne et les colons attaquent de manière presque systématique les puits, empêchent les Palestiniens d’accéder à l’eau et à terme essaient de les pousser à partir. De ce fait, le coût de l’achat de tanks d’eau a considérablement augmenté, passant de 3 $ par mètre cube à 7 $. Les hélicoptères israéliens bombardent les tanks sur les toits des maisons ainsi que les puits importants comme ce fut le cas à Rafah.
L’eau des aquifères de Cisjordanie est revendiquée par les Palestiniens, qui soulignent qu’Israël exploite par ses puits profonds et à 80-90 % des nappes qui devraient leur revenir, car elles sont situées sous les collines de Cisjordanie. Ils estiment de plus que l’État israélien a violé la Convention de Genève (stipulant le statu quo des sols de territoires occupés) en creusant des puits pour ses propres implantations, tandis qu’il gelait l’exploitation palestinienne de l’eau. Par ailleurs ces puits auraient asséché ceux moins profonds de villages traditionnels.

Pour Gaza, le problème provient des puits creusés dans la nappe phréatique. Selon l’Autorité palestinienne, les Israéliens ont pompé dans les nappes aux abords immédiats de la bande de Gaza, causant ainsi la forte salinisation actuelle des puits
Ajoutons que 31 % des communautés palestiniennes ne sont pas raccordées : dépendant du Mékorot, qui fait ce qu’il veut, elles se retrouvent souvent non alimentées, soit du fait de camions citernes bloqués aux check points, soit parce que l’eau est saumâtre comme à Gaza et sur l’aquifère oriental en Cisjordanie.

Le vrai rôle du Mur et la politique d’annexion

C’est au nom d’une prétendue - et illusoire - sécurité que les gouvernements israéliens successifs ont refusé d’appliquer les résolutions de l’ONU leur intimant l’ordre de revenir aux frontières de 1967 - dite la « ligne verte »-, et en particulier de rendre à la Syrie les hauteurs du Golan. En réalité, la politique des « faits accomplis », guidée par la volonté connue de conquête territoriale d’Israël (le rêve du « Grand Israël biblique » de certains dirigeants israéliens), a surtout pour objectif de mettre la main sur 90 % des ressources en eau de la région, ce qui devrait être effectif quand le Mur sera terminé. Cette politique, planifiée pour chasser les Palestiniens de Cisjordanie par le tarissement de l’accès à leurs propres ressources en eau, est escomptée passer à travers les gouttes d’une réprobation internationale…
Qu’on en juge sur le terrain : le tracé du Mur suit une logique délibérée : maximum de terres, minimum de population, en vue de l’annexion et de l’expansion future des colonies. Le tracé de ce dernier suit soigneusement les principales colonies, mais est aussi calé sur la mainmise des meilleures terres et sur la récupération optimale des accès à l’eau. Séparer les puits des terres conduit d’abord à assécher ces dernières, à la perte des investissements et des récoltes, puis à l’abandon et donc à la récupération par Israël au titre de la « loi » sur les « terrains non cultivés ».
Par exemple, dans les régions de Qalqiliya et Tulkarem (voir la figure 2), en juin 2003, plus de 50 % des terres irriguées sont isolées et plus de 5 % détruites, 50 puits sur 140 et 200 citernes se retrouvent isolés ou en zone tampon, 30 km de réseau d’irrigation et 25 puits et citernes ont été détruits, affectant 51 communes, soit plus de 200 000 personnes, dont 40 % sont maintenant sans ressources.

Un rapport de l’ONU indique qu’entre la signature des accords d’Oslo en 1993 et 1999, 780 puits fournissant de l’eau à usage domestique et pour l’irrigation ont été détruits. Quant aux secteurs, où malgré tout, subsistent quelques productions, comme les serres à Qalqiliya, la fermeture des voies de communication rend impossible toute commercialisation.
L’enfermement concentrationnaire, déjà effectif à Gaza depuis plus de 10 ans, s’accélère aujourd’hui avec la construction du Mur en Cisjordanie. A Rafah, dans la bande de Gaza, où la démolition systématique de centaines de maisons a été menée par l’armée d’occupation, les infrastructures correspondantes : citernes, réseau et réservoirs publics ont été détruits. Cela a été le cas, en particulier, au début 2003, de la station de pompage de deux puits fournissant l’eau à 50 % des habitants de la ville. Ces deux puits fournissaient 6 000 mètres cube d’eau par jour (de bonne qualité et non saumâtre) sur les 13 000 journaliers consommés par les 130 000 habitants. L’un de ces deux puits avait été bâti en 2001 par l’Autorité Palestinienne avec l’aide de fonds du gouvernement canadien.

En mars 2003 et depuis le début de la 2ème Intifada, les dommages dans les Territoires occupés s’établissaient comme suit : 151 puits, 153 sources, 447 citernes, 52 citernes mobiles (tankers), 9 128 citernes de toit, 14 réservoirs, 150 km de canalisations desservant plus de 78 000 maisons [2].

L’avenir ?

Il est inacceptable qu’Israël puisse accaparer la presque totalité des ressources hydrauliques de la région au profit exclusif de ses ressortissants - minoritaires en nombre. Le fait incontournable que ces ressources soient insuffisantes pour permettre une utilisation de l’eau semblable à celle des pays tempérés, devrait au contraire inciter à la recherche de modus vivendi des peuples de la région. Or, Israël refuse à ce jour toute (re)négociation sur ce sujet, tant avec l’Autorité Palestinienne qu’avec ses voisins, comme le prouve sa politique au sud-Liban et au Golan.

Figure 2 : annexion des sources d’eau par Israël
Exemple de Quaqiliya montrant le Mur en bleu, enserrant la zone des puits et des sources (chiffres écrits en bleu). Cette zone annexée à Israël (zone hachurée en vert entre le Mur et la ligne verte de 1967, en vert sur la carte), qui fait partie du territoire palestinien, en est séparée par le Mur. Les Palestiniens n’ont plus de sources à leur disposition. Les colonies sont en rose.

_ La politique internationale de l’eau qui avait été initiée dans les années 50 avec le Plan Johnston, a été mise sous le boisseau par Israël. Il serait temps que sous l’égide de l’ONU se tienne une Conférence internationale avec les pays alentour, tout en étant conscient que le règlement politique sur la base des résolutions de l’ONU et le partage équitable de l’eau sont indissociables. Il est aussi évident que si, en Palestine, un seul pays – laïque – permettait à l’ensemble de la population de vivre sous les mêmes lois, la résolution du problème de l’eau serait plus facile. En attendant, le statu quo mène directement à une catastrophe annoncée. Et rappelons-nous que dans l’histoire de la Mésopotamie, des civilisations ont disparu par suite d’insuffisance des ressources hydrauliques.

[1David Paul, “Water Issues in the Arab-Israeli Conflict”

[2source : Palestinian Hydrology Group - mars 2003