Le projet de traité constitutionnel européen prolonge au sein du Parti socialiste un débat sur la pluralité du sentiment européen, mais quels que soient les arguments, il faut être eurolucides, socialistes et politiques au sens historico-géographique.
Ce traité n’est, au plus, qu’une reprise des traités existants, déjà ratifiés, mêlant des éléments d’un système fédéral, donc une dose de partage de souveraineté (et non d’abandon), et d’autres éléments de nature intergouvernementale. C’est un progrès institutionnel et démocratique pour chaque camp selon les points considérés. Son rejet désavouerait vingt ans de politique européenne de la France et nous condamnerait au traité de Nice. Ce serait par là même la victoire inespérée, posthume ou actuelle, des forces les plus populistes, souverainistes, théocratiques que l’on retrouve en Europe. Je m’y refuse totalement et ne prendrais pas la responsabilité d’un tel recul en interne ou devant nos camarades socialistes et sociaux-démocrates européens. Je préfère prendre la responsabilité d’une démarche vers un modèle qui n’existe pas et reste à inventer dans lequel il faut que les socialistes d’Europe s’impliquent vraiment.
L’Europe est le fruit de compromis, donc de rapports de force et de volonté, en Europe et hors d’Europe, face à ceux qui ne veulent pas d’Europe, à ceux qui, l’acceptant, ne veulent pas d’Europe-puissance, à ceux qui ne veulent que son marché. Une constitution n’interdit, ni le combat, ni les alternances politiques. Je voterais pour que le PS s’engage et s’oblige à œuvrer pour modifier les rapports de force au sein du PSE, pour qu’il ne confonde pas conviction et impuissance, recul et victoire, repli et volonté, peur et conquête de l’inconnu. Je voterai pour le traité constitutionnel européen avec cette exigence, celle d’un euro-socialo-lucide.

Source
Le Monde (France)

« Euro-socialo-lucide », par Gilbert Mitterrand, Le Monde, 10 septembre 2004.