Monsieur le Président,

Permettez-moi tout d’abord, Monsieur le Président Ping, de vous féliciter pour votre élection et de vous souhaiter beaucoup de succès dans l’exercice de vos éminentes fonctions. J’adresse en même temps mes plus sincères remerciements au président sortant pour l’engagement dont il a fait preuve dans son travail. Je me rallie aux propos de la Présidence néerlandaise de l’Union européenne.

Monsieur le Président,

En ce début de XXIe siècle, notre univers se transforme à un rythme vertigineux. Dans quelques décennies, nous serons 8 milliards d’êtres humains sur terre. L’imbrication du commerce mondial, les technologies de communication à l’échelle planétaire nous rapprochent de plus en plus. Tant économiquement que techniquement, nous sommes de plus en plus tributaires les uns des autres.

D’un autre côté, nous devons tous faire face à une multitude de nouveaux défis, à de nouveaux dangers qui nous menacent tous pareillement : le Sud comme le Nord, le monde en développement comme le monde développé.

Il s’agit, d’une part, de menaces à la sécurité nationale et mondiale, telles que la prolifération des armes de destruction massive, le risque nucléaire, la menace que représentent les États en faillite ou - comme nous le rappelle douloureusement cette ville dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui - le terrorisme.

Et il s’agit aussi, d’autre part, des menaces dites "douces", telles que les grands changements environnementaux et climatiques, la pauvreté, les carences graves dans l’éducation et la formation, ainsi que le revers de la mondialisation, les flux de réfugiés, les maladies et les épidémies, comme le VIH/sida et le paludisme. Ces menaces pèsent sur la sécurité et la stabilité et font de nombreuses victimes.

Il existe entre les deux - menaces "dures" et menaces "douces" - un lien étroit car nous savons que les causes de la guerre et de la violence, de la pauvreté, de la misère et de l’oppression sont complexes et anciennes. Et nous savons aussi qu’il y a interaction entre les crises, d’un côté, et la pauvreté et le manque de perspectives, de l’autre. Nous n’obtiendrons pas la paix sans le développement, pas plus que nous n’obtiendrons le développement sans la paix. Nous devons donc assurer la paix et la stabilité de manière générale, et en particulier à travers le développement économique et social.

Monsieur le Président,

Les pays de la planète doivent gérer ensemble la mondialisation économique, technologique et écologique, et faire face aux défis qui en résultent. Or ils ne pourront y parvenir sans coopérer étroitement. Cela n’est plus possible avec les seuls instruments de la diplomatie classique. Sa compétence à trouver des solutions pour garantir et stabiliser le système international s’avérera, prise à elle seule, de plus en plus insuffisante à l’avenir.

Ce qu’il nous faut, c’est une réforme en profondeur du système international et de ses institutions, qui tienne compte de ces mutations. Nous en avons un besoin urgent. Car nous devons créer un multilatéralisme efficace qui nous donne les moyens de prévenir les crises ensemble et, si nous n’y sommes pas parvenus, de les régler dans la durée.

Dans ce contexte, des développements prometteurs se dessinent déjà à l’échelon régional :

Forts de leur expérience passée, les pays européens ont constitué ensemble l’Union européenne et atteint ainsi une nouvelle dimension du multilatéralisme. Cette communauté politique et économique, qui compte aujourd’hui 25 États, est devenue un pôle de stabilité pour l’Europe et au-delà.

Depuis sa fondation, l’Union africaine assume de façon impressionnante sa responsabilité commune dans le contexte de la lutte contre les catastrophes humanitaires et du règlement des graves conflits régionaux. C’est un grand pas en avant. Cette percée du multilatéralisme sur le continent africain développera une dynamique sans cesse croissante.

Nous sommes toutefois, compte tenu des dépendances et des imbrications mondiales, tributaires d’une organisation internationale qui soit étroitement interconnectée avec ces organisations régionales, afin d’accroître l’efficacité de l’action commune. L’Organisation des Nations Unies est le premier forum de réglementation planétaire. C’est la "force de la loi" qui fait sa force, comme l’a déclaré le Secrétaire général dans son impressionnant discours d’ouverture de cette 59e Assemblée générale. La légitimité des Nations Unies nous permet de disposer d’une compétence universelle unique pour résoudre ensemble les problèmes. Depuis la fin de son blocage interne lié à la guerre froide, l’ONU joue automatiquement un rôle de plus en plus important.

La communauté internationale a de plus en plus tendance à se servir des Nations Unies comme forum pour gérer les grands défis auxquels doit faire face l’humanité. Pour des millions de personnes, le drapeau bleu signifie aujourd’hui une aide tout à fait concrète dans des questions existentielles et il symbolise l’espoir en un avenir meilleur. Pour cela, cette organisation et tous ceux et celles qui travaillent pour elle méritent nos plus profonds remerciements. Ils sont présents dans nombre de régions en crise d’Amérique latine, d’Europe, d’Afrique et d’Asie. Dans ce contexte, il apparaît de plus en plus clairement que des solutions différentes doivent être trouvées pour empêcher ou régler chacune de ces crises.

C’est ce que montre l’engagement des Nations Unies dans toutes les régions en crise, que ce soit en Afghanistan ou dans les Balkans, en Haïti ou dans la région des Grands Lacs.

Dans toutes ces zones de mission, les Nations Unies accomplissent dès aujourd’hui un travail remarquable. Et pourtant, nous devons nous faire à l’évidence : le nombre des conflits est loin de diminuer, et l’Organisation des Nations Unies doit répondre à des exigences croissantes.

Se pose donc la question de savoir si les structures dont a été pourvue cette organisation lors de sa fondation il y a près de 60 ans sont encore à même de lui permettre de remplir sa mission, et si, au plan international, son action rencontre l’adhésion nécessaire. En particulier les querelles qui ont accompagné la crise en Iraq ont mis en relief une fois de plus cette problématique.

Nous sommes persuadés qu’il n’y a pas d’alternative à un monde d’action multilatérale. Or pour organiser cette coopération multilatérale de façon durable et efficace, il nous faut une réforme courageuse et globale des Nations Unies.

Monsieur le Président,

Le Secrétaire général en personne - et nous l’en remercions - a pris l’initiative à ce sujet, en créant un groupe d’experts internationaux de haut niveau qui doit lui soumettre des propositions de réforme d’ici la fin de l’année. Nous attendons avec beaucoup d’intérêt ce rapport et le débat qui suivra.

L’enjeu est une nouvelle conception commune du système instauré par la Charte : comment améliorer l’efficacité de la prévention et la durabilité de la consolidation de la paix ? Comment continuer de mettre en œuvre les propositions de réforme du mécanisme de maintien de la paix ? Qu’entendons-nous exactement par le droit à l’autodéfense ? Et comment définissons-nous le terrorisme ? Il semblerait que la réponse à cette question justement soit claire, mais un consensus véritable nous ferait progresser.

À propos de la réforme des institutions des Nations Unies, plusieurs propositions très concrètes ont déjà été soumises. Laissez-moi donc revenir sur quelques idées concernant ce sujet :

Commençons par l’Assemblée générale : c’est l’instance centrale des Nations Unies, la seule qui soit d’appartenance universelle. Pour cette raison précisément, l’Assemblée générale doit être plus qu’un forum se livrant chaque année à des exercices d’adaptation et de répétition. Il nous faut tout d’abord rétrécir le champ des sujets. Nous devons débattre des questions vraiment importantes si nous ne voulons pas voir d’autres forums débattre de l’essentiel. Ensuite, notre mode de fonctionnement doit devenir plus efficace.

Monsieur le Président,

Le Conseil économique et social (ECOSOC) doit enfin devenir l’organe central de consultations et de prises de décisions dans le système des Nations Unies, pour les questions économiques et sociales.

Nous pensons que l’ECOSOC est doté, à deux niveaux, d’un grand potentiel dont seule une partie infime est exploitée pour l’instant :

Premièrement, cet organe dispose d’un réseau d’expertise unique au monde, ce que nous devons mieux exploiter et de façon plus ciblée.

Deuxièmement, nous le considérons comme un partenaire du Conseil de sécurité dans le contexte du maintien de la paix, comme le prévoit l’article 65 de la Charte. Dans la lutte contre les origines des conflits et la réhabilitation après conflit, l’ECOSOC a un rôle important à jouer qui peut seconder les efforts du Conseil de sécurité en matière de prévention des conflits et de consolidation de la paix. Nous devrions lui accorder davantage de compétences dans le domaine opérationnel. En effet, les efforts que nous déployons dans les missions de paix n’aboutiront que si une longue phase de stabilisation prend la relève de l’engagement militaire. Les groupes consultatifs de l’ECOSOC chargés de la réhabilitation après conflit en Afrique représentent un pas dans la bonne direction. Le maillon décisif entre la gestion des conflits et la coopération au développement pourrait être ainsi constitué.

Une telle approche globale exige une dotation financière appropriée. L’instrument des contributions volontaires s’est avéré insuffisant. Je propose donc d’affecter à la réhabilitation après conflit une portion fixe du budget des missions de paix de l’ONU. Cela nous permettrait de faire ce à quoi nous aspirons depuis longtemps, c’est-à-dire d’instaurer une "part de la prévention" qui - souvenons-nous d’Haïti - pourrait nous aider à éviter les coûts engendrés par une résurgence du conflit.

Monsieur le Président,

Nombreux sont ceux qui critiquent le nombre croissant d’organisations satellites et subsidiaires de l’ONU. Si naturellement la réduction ne peut être une fin en soi, il faudrait se livrer à une autocritique suffisante et nous demander s’il ne serait pas préférable dans certains cas de mettre en commun les compétences. D’un autre côté, il y a aussi des domaines qui demandent à être mieux équipés. Je pense en disant cela par exemple au traitement des questions d’environnement dans le cadre du système des Nations Unies. C’est pourquoi nous appuyons la proposition faite l’année dernière par le président Chirac de transformer le PNUE en une agence spécialisée qui rassemblerait des membres du monde entier. Cela pourrait considérablement renforcer la contribution du PNUE au développement durable.

Monsieur le Président,

Au cœur de la réforme de l’ONU se trouve l’instance qui porte sur ses épaules la responsabilité centrale de la paix internationale : le Conseil de sécurité.

Les conflits se multiplient. Ils s’étendent à tous les continents. Leur complexité augmente. La responsabilité et les compétences du Conseil de sécurité se sont donc constamment accrues. La prévention des crises va occuper une place de plus en plus importante. Et l’instauration de la paix requerra des stratégies de plus en plus complètes, une coopération de plus en plus étroite et de plus en plus de moyens. Cela conduit forcément avec une fréquence accrue à des décisions impliquant des engagements sur le long terme, étayant le droit public international et susceptibles d’intervenir profondément dans la souveraineté des États.

Si nous voulons vraiment que les décisions du Conseil soient acceptées, jugées légitimes et réellement appliquées, il nous faut le réformer. Il doit dans ce cas mieux représenter une organisation internationale qui comprend aujourd’hui 191 membres, ce qui est inconcevable sans augmenter le nombre des sièges, permanents et non permanents.

Le pourquoi d’un tel élargissement est évident :

Un Conseil composé d’un plus grand nombre de membres serait mieux accepté au plan international, ce qui lui conférerait une plus grande autorité. La représentation plus équilibrée et plus complète de tous les continents, y compris parmi les membres permanents, renforcerait l’identification de tous les États avec le Conseil de sécurité.

De plus, un tel élargissement inciterait clairement davantage les nouveaux membres du Conseil de sécurité à s’engager plus durablement dans la réalisation des objectifs de l’ONU.

L’élargissement doit refléter convenablement des mutations telles que la décolonisation, la fin de la guerre froide et la mondialisation. Au final, la composition du Conseil doit être conforme aux réalités géopolitiques actuelles. Pour cela, toutes les grandes régions du Sud doivent être représentées en qualité de membres permanents au sein du Conseil de sécurité.

Parallèlement, il faudrait prendre en compte les membres qui peuvent et veulent apporter une contribution particulièrement significative et durable au maintien de la paix et de la sécurité internationales ainsi qu’à la réalisation des objectifs de l’Organisation.

Ces deux approches en matière d’élargissement augmenteraient l’efficacité, la capacité d’action et l’autorité du Conseil.

Monsieur le Président,

La composition du Conseil de sécurité est demeurée inchangée depuis 40 ans. À mon avis, il est grand temps de l’adapter à la nouvelle situation mondiale. Des demi-solutions ou des solutions provisoires ne sont ni nécessaires ni utiles à cet égard. Comme le Brésil, l’Inde et le Japon, l’Allemagne est prête à prendre la responsabilité qui va de pair avec l’attribution d’un siège permanent au Conseil de sécurité. Il est néanmoins très important que le continent africain soit représenté parmi les nouveaux membres permanents.

Une deuxième chose doit cependant être prise en compte dans une réforme du Conseil de sécurité : un plus grand nombre de membres des Nations Unies qui se font forts de soutenir l’ONU devraient être davantage impliqués dans le travail du Conseil de sécurité. Il est pour cela nécessaire de créer également de nouveaux sièges non permanents, ce qui permettra de maintenir l’équilibre en nombre entre membres permanents et non permanents.

Monsieur le Président,

Comme je le disais au début, cette 59e Assemblée générale est placée sous le signe de la réforme de l’Organisation des Nations Unies. J’en appelle donc à ses membres pour qu’ils profitent de cette nouvelle session jusqu’à la prochaine Assemblée générale en 2005, pour engager les réformes qui s’imposent depuis longtemps et aboutir à des résultats tangibles.

Nous, les membres de l’Organisation, devons faire preuve de l’imagination politique, de la volonté et de la force créatrice nécessaires pour adapter l’Organisation des Nations Unies au contexte international. L’Allemagne est prête à y contribuer activement.

Je vous remercie.

Source : ministère allemand des Affaires étrangères