Tony Frangieh
Tony Frangieh, fils de l’ancien président de la République libanaise Suleiman Frangieh, peu avant son assassinat (1978).

L’écrivain et journaliste français Richard Labévière, qui avait déjà consacré un livre très documenté aux secrets des délibérations du Conseil de sécurité de l’ONU relatives au Liban [1], s’apprête à publier un nouvel ouvrage traitant d’un autre épisode tragique de l’histoire du pays du Cèdre : l’assassinat de l’ancien député et ministre chrétien Antoine Frangieh, dit « Tony », le 13 juin 1978. L’ouvrage révèle le rôle décisif du Mossad, le service secret du ministère israélien des Affaires étrangères, dans ce meurtre.

L’auteur, qui est par ailleurs rédacteur en chef de la revue de l’Institut des hautes études de la Défense nationale [2], a recoupé des sources israéliennes de haut niveau, qu’il a rencontré en Suisse, et des sources françaises liées aux services secrets extérieurs.

Selon les informations du Réseau Voltaire, Richard Labévière est arrivé à la conclusion qu’en préparant cette opération, Israël s’était fixé quatre objectifs stratégiques :
 L’élimination d’un de ses adversaires chrétiens les plus déterminés ;
 Se déployer militairement dans le Nord du Liban, qu’il contrôlait déjà indirectement au plan sécuritaire ;
 Semer la zizanie dans le camp chrétien afin d’y trouver plus facilement des alliés ;
 Affaiblir les chrétiens alliés à la Syrie.

Le Mossad aurait confié l’opération au parti fasciste libanais, les « phalanges » de Bachir Gemayel. Des psychologues israéliens auraient fait passer des tests de personnalité à divers hommes de main et auraient choisi parmi eux le profil idéal pour remplir cette mission : Samir Geagea.

Le chapitre 11 de l’ouvrage serait consacré à la manière dont le Mossad a planifié l’opération. Celle-ci visait officiellement à enlever dans le palais des Frangieh à Ehden un de leurs hommes impliqué dans la mort d’un cadre phalangiste. Elle aurait donc dû se dérouler en l’absence de Tony Frangieh et de ses gardes du corps. Mais les choses furent organisées de telle sorte que le leader politique fut retenu chez lui par une panne de voiture. Sachant qu’il refuserait de livrer un des siens et que Samir Geagea est un psychopathe, l’issue fatale de l’affrontement ne faisait aucun doute.

Dés le début des combats, Geagea fut blessé à la main et au bras. C’est donc probablement son adjoint qui commanda le massacre de tous les habitants de la résidence, incluant Tony Frangieh, son épouse et leur bébé de trois ans, ainsi que 35 autres personnes.

La secrétaire d’État US Condoleezza Rice rencontre Samir Geagea au domicile beyrouthin de Saad Hariri (16 juin 2008). Elle salue « un grand défenseur de la démocratie » (sic).

Il y a quelques mois, un membre du clan Frangieh, Joseph, a témoigné sur Orange TV (la chaîne de télévision du Courant patriotique libre de Michel Aoun) qu’à l’époque il avait participé à la défense de la résidence et qu’il avait lui-même blessé Samir Geagea. Dès la diffusion de cette révélation, le vieil homme était assassiné à son tour.

Dans un souci d’objectivité, l’auteur a sollicité une rencontre avec Samir Geagea pour recueillir sa version des faits. Il en dresserait un compte rendu dans le chapitre 14. M. Geagea y reconnaîtrait les exactions de ses miliciens durant ces années sombres, et soulignerait qu’il n’a pas dirigé le massacre d’Ehden et ne pouvait pas l’avoir fait, puisqu’il était blessé.

Le plus grand secret entoure la parution de ce livre, annoncé en librairie en France fin avril, et au Liban courant mai. Il semble que l’auteur y dévoile l’identité des différents protagonistes, des chefs du Mossad qui organisèrent l’opération jusqu’aux trois complices de Samir Geagea qui seraient aujourd’hui réfugiés en Australie. Le caractère extrêmement sensible de ces informations, qui plus est à la veille des élections législatives libanaises, suscite beaucoup d’inquiétudes à Tel-Aviv et à Beyrouth. Des pressions se multiplient pour censurer une partie du manuscrit ou en bloquer la diffusion.

Si nul n’ignore les nombreux crimes de Samir Geagea, incluant le meurtre du Premier ministre Rachid Karamé, le 1er juin 1987, son recrutement par le Mossad n’avait jamais été mis en lumière. En outre, l’amnistie dont le clan Hariri a fait bénéficier M. Geagea pourrait ne pas couvrir de nouveaux éléments révélés par M. Labévière.

Les leaders de la coalition pro-US du 14 Mars présentent leurs candidats pour les élections législatives (14 mars 2009). De gauche à droite : Walid Joumblatt (vice-président de l’Internationale socialiste), Bassem al-Sabaa, Amine Gemayel (ancien président de la République), Saad Hariri et Samir Geagea.

[1Le grand retournement : Bagdad-Beyrouth, par Richard Labévière, éd. du Seuil, ocotbre 2006, 257 pp.