Sujet : Contraception, IVG
Allocution de : Edouard Sakiz
En qualité de : Président-Directeur-Général des laboratoires Exelgyn
Colloque : Délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale (France)
Le : 30 mai 2000
I - LA MISE AU POINT DU RU 486
Dès le début des années soixante-dix, le Professeur Etienne-Emile Baulieu et son laboratoire à l’INSERM, en coopération avec moi-même, alors directeur des recherches, ainsi que les chercheurs de Roussel Uclaf, avons initié, un vaste programme de recherche chimique et biologique. Le but était la découverte de nouvelles entités chimiques à activité hormonale et surtout anti-hormonale.
Au cours des dix années suivantes, des milliers de molécules ont été synthétisés dans le centre de recherche de Roussel-Uclaf à Romainville. Ces travaux nous ont permis d’obtenir toute une série de produits intéressants, et, en particulier, une molécule qui sortait de l’ordinaire.
Son numéro de code était RU 38486 (RU pour Roussel Uclaf). Elle deviendra mondialement célèbre sous le nom de RU 486. Son nom générique chimique est mifépristone et le nom de marque " MIFÉGYNE(r) ". Le document n°1 indique sa formule plate et sa configuration dans l’espace.
Cette molécule, qui n’a aucune activité propre, bloque le récepteur de la progestérone et, de ce fait, en l’absence d’effet hormonal, interrompt la grossesse.
L’idée d’une molécule capable d’empêcher une hormone d’agir, tout en étant dépourvue d’activité propre, paraissait, à l’époque, plutôt utopique. Et pourtant, la mifépristone est cette anti-hormone idéale.
En 1982, nous avons publié les résultats de la première expérimentation clinique d’interruption médicale de grossesse conduite avec la mifépristone (document n° 2).
La découverte de cette véritable anti-hormone, très originale, a déclenché un enthousiasme scientifique hors du commun, dans le monde entier.
II - L’IMPACT DE LA MIFÉGYNE
Sur le document n° 3, j’ai résumé les différents points d’impact d’une anti-progestérone.
La grossesse vient, bien entendu, en numéro un.
Il n’y a aucun mammifère au monde, de la souris à l’éléphant, où une grossesse soit possible, si l’on coupe la source de la progestérone. Aucune des étapes de la gestation ne peut s’accomplir en l’absence de progestérone.
L’interruption d’une grossesse précoce est donc l’indication principale de la mifégyne.
Mais ce produit est également remarquable pour dilater et assouplir le col de l’utérus avant de procéder à un avortement par méthode chirurgicale.
L’impact de la mifégyne au cours du cycle menstruel nous permettra d’avoir une excellente méthode préventive. C’est la " contraception d’urgence " ou " pilule du lendemain ".
Enfin, cette molécule extraordinaire a bien d’autres potentialités, tant au cours de la grossesse, que lors de la mort du foetus in utero, ou qu’en gynécologie et en cancérologie.
Le document n° 4 présente, de manière succincte, l’intérêt de la méthode médicale d’interruption de grossesse par la mifégyne. Nous obtenons, en fait, une fausse couche physiologique. Le produit a une efficacité remarquable, très proche de celle de la chirurgie, il n’y a pas d’anesthésie, l’acceptabilité est excellente, il n’y a aucune des complications, rares mais qui existent après une IVG chirurgicale, comme une infection, une perforation et plus grave encore une stérilité secondaire.
Autre avantage de la mifégyne : l’intervention peut être réalisée très précocement, dès que la grossesse est diagnostiquée, donc bien avant la méthode par aspiration.
III - DIFFUSION ET COMMERCIALISATION DE LA MIFÉGYNE
Je voudrais, maintenant, vous donner un aperçu sur la mifégyne dans les autres pays du monde.
La première commercialisation a eu lieu en France, en 1988, avec le fort soutien du Ministre de la Santé de l’époque, M. Claude Evin, suivie de la Grande-Bretagne et de la Suède.
Les enregistrements et les commercialisations dans tous les autres pays ont été faits par les laboratoires Exelgyn.
Le document n° 5 indique les dates de commercialisation dans la presque totalité des pays de l’Union européenne, plus la Norvège et la Suisse.
Le document n° 6 indique les commercialisations dans d’autres pays, tels la Russie ou Israël. En peu de temps, les laboratoires Exelgyn auront implanté une distribution dans seize pays et préparent l’enregistrement dans sept autres.
Le but de ce colloque étant d’essayer d’améliorer l’accès des femmes aux différentes méthodes de contraception, de contraception d’urgence ou d’IVG, je souhaite évoquer maintenant les freins qui empêchent l’utilisation optimale de la mifégyne.
Au premier abord, la méthode paraît simple. Certains, à l’époque, avaient même prédit que la mifégyne allait banaliser l’avortement. Nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien.
Dans notre pays, comme en Europe d’ailleurs, le nombre d’avortements diminue régulièrement et la présence de la mifégyne n’a strictement rien modifié.
Tout au début de la distribution de la mifégyne en France et, dans le but clairement indiqué d’éviter un possible marché noir, un arrêté a été pris le 10 septembre 1992. Il rend extrêmement difficile la détention, la distribution, la dispensation et l’administration de ce produit (document n° 7).
Après douze ans de commercialisation sans incident, et une utilisation par plus de 700 000 femmes sans aucun effet secondaire majeur, le problème ne se pose plus, bien entendu, dans les mêmes termes.
Cet arrêté qui, hélas, est toujours applicable, fait de l’utilisation de la mifégyne un parcours du combattant particulièrement sévère que je vais essayer de vous résumer.
La mifégyne qui, comme nous l’avons vu, n’a aucun effet indésirable, est classée dans la catégorie des substances vénéneuses, avec tout le cortège des contraintes qui en découlent (documents n° 8 et n° 9).
Ce produit a, en plus, des restrictions propres : la nécessité d’avoir un numéro spécifique sur chaque boîte, qui doit être retranscrit sur plusieurs feuillets ; de plus, la tenue obligatoire d’un registre spécial mifégyne où tout mouvement concernant le produit doit être inscrit.
Ce registre doit être côté et paraphé par le maire ou le commissaire de police.
Il y a également obligation d’avoir une armoire spécifique, fermée à clef, mensuellement inspectée.
Le pharmacien doit, comme pour les stupéfiants, remplir le bon " toxique " pour commander la mifégyne.
La patiente doit signer un formulaire de consentement en trois exemplaires qui, également, doivent être conservés pendant trois ans.
L’ordonnance, rédigée par le médecin, doit être conservée par le pharmacien pendant trois ans.
Le pharmacien de l’hôpital ou de la clinique, submergé de papiers à remplir, craignant en plus de faire une erreur, refuse parfois, tout simplement, de délivrer la mifégyne.
Enfin pour ce produit totalement sans danger pour la santé de la patiente, le médecin, au moins dans certains cas, ne pourrait-il pas avoir le droit de remettre les comprimés à la patiente et de lui dire par exemple : " Madame, prenez ces trois comprimés samedi soir et venez me voir lundi pour la suite de la procédure " ?
Non, il faut que la patiente vienne de nouveau à l’hôpital ou à la clinique, rien que pour avaler ses trois malheureux comprimés, en présence obligatoire d’un médecin ou d’un membre du personnel habilité.
Croyez-moi, je ne vous donne que quelques morceaux choisis. Il y a bien d’autres tracasseries encore.
Je trouve sincèrement que nos gynécologues et le personnel paramédical ont vraiment le sens du devoir et la volonté d’agir pour le bien-être de la femme, pour faire tout ce travail, au lieu de se contenter de réaliser une aspiration qui n’a aucune de ces complications administratives.
Les conséquences négatives sont claires (documents n° 10 et 11) : méthode médicale non proposée aux patientes, ou proposée uniquement pendant un nombre limité de jours par semaine, ou pour un nombre limité de patientes. C’est la méthode " des quotas ".
Autre conséquence grave : les autres indications de la mifégyne, bien que remarquables, sont peu utilisées, car les mêmes formalités administratives lourdes leur sont imposées.
Il est curieux de constater que les prostaglandines, qui n’ont pas d’autorisation de mise sur le marché dans l’interruption de la grossesse, sont largement utilisées pour la dilatation du col, alors qu’elles sont peu efficaces et mal tolérées.
IV - " DONNONS LEUR LE CHOIX "
Malgré tous les efforts que nous avons faits depuis deux ans pour expliquer cette situation, malgré l’avis favorable de toutes les personnes au Ministère de la Santé ou à l’Agence du Médicament que j’ai rencontrées, et enfin malgré la demande très claire de Madame la Ministre Martine Aubry pour que la méthode médicale soit proposée à toutes les femmes, comme l’est la méthode chirurgicale, la réalité est que cet arrêté est toujours là, et le parcours du combattant pour prescrire la mifégyne toujours aussi compliqué.
Une mesure immédiate à prendre pour un meilleur accès à l’interruption de grossesse par la méthode médicale est l’abrogation de l’arrêté du 10 septembre 1992.
En conclusion, j’aimerais beaucoup que la phrase " DONNONS LEUR LE CHOIX " corresponde à une réalité, et que ce colloque nous permette de résoudre ce problème et d’avancer dans le sens de plus de liberté.
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