Claudine Vidal et les événements de 1973 au Rwanda. L’expertise ambiguë

Dans cet article du Monde (voir plus loin), C. Vidal se fait ardente partisane du gouvernement rwandais. Non seulement il ne serait pour rien dans les incidents de 1973 au Rwanda, mais il serait au contraire un élément modérateur, cherchant à éviter " tout incident sanglant ". S’il est vrai que ces incidents ont fait moins de morts que les massacres des élites hutu de 1972 au Burundi, il n’en reste pas moins qu’ils étaient tout autant inacceptables. Il s’agissait de pogromes téléguidés par les autorités rwandaises, comme l’ont souligné les historiens, notamment Gérard Prunier, pour qui les événements du Burundi ont servi à inspirer "au Président Grégoire Kayibanda une persécution démagogique des Tutsi au Rwanda pour l’aider à soutenir sa dictature flageolante. " (Rwanda. Le génocide, Dagorno, 1997). Effectivement, il sera remis en selle par ce nouvel appel à l’ethnisme hutu et à sa " révolution sociale " (version ethnique), qu’il avait déjà utilisé avec l’aide des autorités coloniales pour prendre le pouvoir. Il profitera même de l’occasion pour faire réviser la constitution, le 3 mai 1993, afin de l’autoriser à se représenter une quatrième fois au pouvoir suprême. Mais C. Vidal en 1973 était du côté officiel...

Selon un journaliste présent en 1973 au Rwanda, ces événements " n’auraient fait que 400 ou 450 morts " (cité par Jean-Claude Willame, dans Aux sources de l’hécatombe rwandaise, CEDAF- L’Harmattan, 1995). C’est à notre avis déjà beaucoup trop d’innocentes victimes. Mais ce fut surtout l’origine d’un nouvel exode de cadres et d’enseignants tutsi, aussi important, et probablement plus important qualitativement, que ceux de 1959 et de 1963 (selon Willame, ibidem).

En 1995, après le génocide, C. Vidal a singulièrement modifié sa vision de ces événements de 1973 au Rwanda. Elle explique dans " Les politiques de la haine " (Les Temps Modernes n°583, juillet-août 1995) :

" Il ne fait pas de doute qu’il s’agissait d’une campagne de diversion lancée d’en haut, nullement spontanée, cependant elle donna lieu à l’expression ouverte d’une haine, bien authentique quant à elle, et qui était le fait d’une partie des clercs et des jeunes gens occidentalisés. "

On aurait aimé que C. Vidal eût cette lucidité en 1973 et qu’elle eût été à l’époque plus distante avec les institutions et le pouvoir. On peut faire la même remarque aujourd’hui concernant les suites à donner au rapport Quilès. D’autant plus que son désire de défendre cette manipulation étatique destinée à étouffer un scandale politique majeur, l’a conduite à se lancer dans une violente campagne contre Survie. En 1973, Claudine Vidal défendait les ethnocrates hutu qui manipulaient la haine ethnique pour s’accrocher au pouvoir. En 1999, Claudine Vidal est toujours du côté du manche. Elle défend les militaires et les politiques français impliqués dans une complicité de génocide. Ce ne serait pas si grave, si pour ce faire, elle ne s’était pas attaquée à une association dont le travail exemplaire (et bénévole) d’information sur les dérives africaine de la politique française ressemble au défi de David contre le Goliath de la désinformation étatique. (J.P.G.)

Le 20 mars 1973, Claudine Vidal écrit au Monde :

" Je n’ai vu personnellement, à cette époque (évènements de 73), aucune liquidation physique de Tutsi. A Butare, certes, les étudiants hutu chassèrent sans ménagement les étudiants tutsi, mais les autorités universitaires les appelèrent immédiatement au calme. De même, des ordres visant à interdire les brutalités furent envoyées un peu partout. Les autorités supérieures cherchent manifestement a éviter tout incident sanglant." "Aussi les accusations de massacre racial émanant du Burundi s’avèrent-elles tendancieuses. Le gouvernement du président Micombero, qui n’a pas hésité à massacrer, en 1972, plusieurs dizaines de milliers de Hutu, afin d’assurer par la terreur la domination de la minorité tutsi a réellement, quant à lui, appliqué une politique raciste et utilisé sans hésiter des méthodes nazies. Rien de tel au Rwanda. Mais on comprend que le Burundi voisin espère, en accusant son voisin, masquer sa propre culpabilité. C’est pourquoi il est indispensable de réfuter ces calomnies. Le meilleur démenti à ces accusations réside dans l’actuelle modération du gouvernement rwandais qui, il faut l’espérer, réussira à contenir tout désordre pouvant entraîner des effusions de sang. "

Voici ce que nous dit en revanche un témoin de ces événements (Propos recueillis par Luc Pillionnel)

" Fin 1972 l’agitation contre les Tutsi se fait à nouveau très virulente. Ma sœur, qui à 7 ans, est menacée à coup de tesson de bouteille par des élèves Hutu du même âge. Le corps enseignant laisse faire, voire regarde ses faits d’un air amusé. Une cousine est chassée de l’école car elle est Tutsi. A la fin du printemps 1973 la tension augmente encore. Des listes sont placardées dans tout le pays. Pour ce qui concerne mon père, il est inscrit sur une liste placardée sur son lieu de travail. Il est licencié de son travail, emprisonné pendant trois mois, menacé de mort ainsi que toute ma famille. Ce fut un moment de détresse pour toute la famille, car la plupart des prisonniers mourraient de torture. Plusieurs dizaines de personnes figurant sur la même liste que mon père seront assassinées lors des massacres de cette année là. Toute ma famille vit dans la crainte jusqu’au putsch de Habyarimana ( Le président du Rwanda depuis 1973 jusqu’au mois d’Avril 1994). Nous nous cachons chez les voisins. Pendant des semaines, nous dormons constamment habillés près à fuir. A Kibungo, un de mes oncles maternels, agronome préfectoral, échappe à la mort de justesse, après être sérieusement torturé. Il devint infirme pour le reste de sa vie. Une trentaine d’autres fonctionnaires Tutsi qui étaient avec lui, furent jetés dans la chute de la Rusumo (Préfecture de Kibungo). Ces semaines de troubles et de craintes sont les 1er souvenirs conscients de mon existence (J’ai alors 3 ans.)".