Présidence de M. Michel VAXÈS, Vice-Président

M. Christian RAYSSÉGUIER est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. Christian RAYSSÉGUIER prête serment.

M. le Président : Mes chers collègues, nous accueillons ce matin M. Christian RAYSSÉGUIER, qui a ainsi exercé ses fonctions sous l’autorité de trois ministres différents

 MM. Vauzelle, Méhaignerie et Toubon.

M. Christian RAYSSÉGUIER : Monsieur le Président, je suis actuellement procureur général à la cour d’appel de Rouen, et j’ai exercé les fonctions de procureur général en Corse pendant trois ans et quatre mois : j’ai pris mes fonctions à la fin du mois d’août 1992 pour les quitter à la fin du mois de décembre 1995.

Lorsque je suis arrivé en Corse, j’ai trouvé un ressort dans une situation extrêmement difficile en termes de délinquance et de criminalité. En effet, pour 1992, la Corse a connu quelque 600 attentats, 40 homicides volontaires et 260 vols à main armée. J’avais autorité sur deux parquets de tribunaux de grande instance, celui de Bastia et celui d’Ajaccio, et je travaillais, au parquet général, avec un avocat général et deux substituts généraux - c’est-à-dire une équipe très réduite.

Avec le recul, j’estime que la Corse souffre, en général, d’une présentation extrêmement tronquée, erronée. En ce qui concerne l’activité des services de police et de gendarmerie et l’activité judiciaire, je dirai, de façon un peu caricaturale, que dans un mode de dysfonctionnement général des services de l’Etat en Corse, la justice et les forces de police et de gendarmerie sont très certainement les services qui dysfonctionnaient le moins.

J’étais entouré de magistrats qui, pour la plupart, étaient parfaitement engagés dans la tâche qui était la leur, dévoués au service public, très présents, et pour certains très compétents. Les résultats n’ont pas été ceux que la presse a souvent présentés en termes d’inefficacité. Les taux d’élucidation, par exemple, sur un plan général, des crimes et des délits n’avaient pas à pâlir devant les taux qui étaient présentés dans de nombreux ressorts sur le continent.

La présentation de la situation en Corse a toujours été " plombée " par le phénomène des attentats et des assassinats, alors qu’il ne s’agit que d’une partie de la criminalité. La situation de la petite et moyenne criminalité - la délinquance de voie publique - était correcte, acceptable et gérable. Le citoyen, à bien des égards, était beaucoup plus en sécurité en Corse que dans de nombreuses agglomérations du continent : les agressions crapuleuses n’existaient pratiquement pas, la petite et moyenne criminalité de voie publique étaient jugulées. On ne connaissait pas, en Corse, certaines infractions que l’on rencontre couramment sur le continent, telles que les agressions de personnes âgées, les cambriolages, le non-respect des droits des enfants, les agressions de voie publique comme les vols à l’arraché, etc.

Ce qui a tronqué la présentation de la situation en Corse, ce sont les chiffres que j’ai cités tout à l’heure concernant les attentats et les homicides sur voie publique. Sur 600 attentats, 250 étaient commis à l’explosif, et moins de 10 % de ces 250 étaient revendiqués par les organisations nationalistes ; ce qui veut dire que l’immense majorité des attentats n’était que la traduction un peu violente et explosive du règlement de conflits privés ou commerciaux, quand ce n’était pas - et c’était plus préoccupant - la phase ultime d’un processus de racket en cours.

La grande majorité des homicides, sauf rares exceptions, ne concernait pas la partie saine de la population ; il s’agissait de règlements de comptes entre nationalistes plus ou moins purs ou plus ou moins dévoyés, ou entre voyous, car le crime organisé existe encore en Corse. Je ne dis pas que la population restait sans réaction face à cette violence, mais elle n’était pas non plus particulièrement traumatisée.

Les quelques homicides que je qualifierai de droit commun, les affaires passionnelles, les quelques vols à main armée qui tournaient mal, ont pratiquement tous été élucidés. En revanche, les homicides liés à un conflit entre organisations nationalistes ou entre bandes de voyous ne l’ont pas été - sauf rares exceptions -, mais ils ne le sont pas plus sur le continent. J’ai une certaine expérience des parquets, et je peux vous affirmer que ces affaires, en termes d’enquêtes de police et d’investigations judiciaires, connaissent les mêmes difficultés sur le continent et sont difficiles à résoudre.

Pour ce qui concerne les attentats, nous avions, pour palier le déficit d’informations venant de la population - la loi du silence existe -, développé les services de la police technique et scientifique. Malgré cela, la tâche restait extrêmement difficile dans la mesure où, comme la plupart des attentats réussissaient, nous ne récupérions que des résidus de tir qui, sur le plan technique, étaient très difficiles à exploiter. Cela explique la non-élucidation de la quasi-totalité des attentats, étant précisé qu’ils avaient lieu pour leurs auteurs dans des conditions de sécurité maximum - la nuit et en l’absence de témoins.

Mais pour tout ce qui est de la criminalité de droit commun, grâce, à la fois au développement d’une police de proximité et de la police technique et scientifique, et à une politique pénale clairement affichée, nous avons obtenu des taux d’élucidation tout à fait honorables.

Pour ce qui concerne l’articulation entre les services de justice, les forces de police, de la gendarmerie et la préfecture, mon analyse est assez différente. Je le dis clairement : j’ai souffert de difficultés de coordination, de cogestion, de partenariat avec la préfecture de police. J’estime qu’il s’agit d’une institution qui ne se comprend pas, qui ne se justifie pas. La Corse est une petite île, faiblement peuplée - 240 000 habitants - avec deux préfets dont un préfet de région et une sur-représentation politique à l’Assemblée territoriale ; la création de l’institution du préfet chargé de la sécurité a apporté beaucoup plus de problèmes qu’elle n’en a résolu.

En outre, j’ai eu la difficulté d’avoir affaire, pendant un certain temps, à un préfet de police qui, manifestement, avait une méconnaissance des principes de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la justice.

M. le Rapporteur : Il s’agissait de M. Lacave ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Oui. La coordination a donc été assez difficile, avec une intrusion systématique dans la direction des enquêtes judiciaires, voire quelquefois des violations du secret de l’enquête et de l’instruction, et, surtout, un caractère très opaque, très occulte de sa stratégie et des informations qu’il pouvait recueillir.

Il y avait également des difficultés avec les renseignements généraux. Il serait indispensable de clarifier, sur un plan plus général et national, le mode de fonctionnement des renseignements généraux : il s’agit d’un service de la police nationale au service de l’Etat qui a toujours eu une culture de fonctionnement étanche, hermétique. En Corse, plus qu’ailleurs, ils fonctionnent de façon très verticalisée.

Les préfets n’ont pas dû obtenir beaucoup d’informations de la part des renseignements généraux ; certains d’entre eux m’ont fait la confidence qu’il existait un déficit de ce côté-là, avec une information qui remontait vers la direction centrale mais qui, sur le plan local, était délivrée avec beaucoup de parcimonie. Quoi qu’il en soit, au niveau de l’autorité judiciaire, en dehors des relations intuitu personnae que l’on pouvait avoir avec certains fonctionnaires des renseignements généraux qui, un peu sous le manteau, vous donnaient des informations, il n’y avait aucun contact avec les renseignements généraux.

M. Robert PANDRAUD. Ils étaient habilités ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Oui, certains fonctionnaires étaient habilités. De mémoire, je vous dirai que le directeur régional, les directeurs départementaux et les chefs de groupe devaient l’être. Cependant, ils ne travaillaient absolument pas sur le judiciaire, à l’inverse de ce qui se fait ailleurs, où ils travaillent parfois sur des affaires de travail clandestin, de la police des étrangers, sur la prévention des difficultés des entreprises, etc. Ce n’était pas le cas en Corse où ils ne travaillaient que sur le nationalisme. Mais je n’avais aucune information de leur part, et ce n’est pas faute d’en avoir demandé et de les avoir associés à certaines réunions - où ils ne sont d’ailleurs venus que du bout des pieds.

En revanche, j’ai eu d’excellentes relations avec la gendarmerie. Je dois dire qu’en Corse, la direction générale de la gendarmerie, très soucieuse des affectations des officiers, faisait un excellent choix en hommes : tous les officiers que j’ai connus étaient, sur le plan professionnel et humain, d’excellente qualité.

Bien entendu, certaines choses auraient dû être revues, notamment en ce qui concerne la présence trop grande des militaires de base dans les brigades. Mais je crois que ce problème a été réglé, la présence des gendarmes en Corse ayant été limitée à 3 ans et le renouvellement nécessitant une autorisation de la direction générale de la gendarmerie. Globalement, l’action de la gendarmerie en matière de police judiciaire a été extrêmement honorable. Je l’avais repositionnée sur les affaires de terrorisme - dont elle était exclue - car on arrivait à des situations tout à fait surréalistes.

Je me souviens d’une nuit bleue - je venais d’arriver, en janvier 1993 -, par exemple, au cours de laquelle 55 attentats lourds avaient été commis contre des villas de particuliers. La police judiciaire qui avait à l’époque compétence exclusive pour ce type d’affaires, a mis deux jours pour se rendre sur les 55 sites ! Vous pouvez imaginer l’utilité des premières investigations et des enquêtes de voisinage quand les fonctionnaires de la police judiciaire arrivent un ou deux jours après ! J’ai donc demandé à la gendarmerie de se repositionner sur ces affaires et d’être capable, en temps réel, de " monter " sur des affaires flagrantes de terrorisme. Cela s’est passé sans difficulté et les constatations ont été par la suite rapidement faites dans de bonnes conditions.

La Corse compte trois commissariats : celui de Corte, qui ne se justifiait pas et qui nous donnait beaucoup de soucis en termes d’ordre public, et les deux commissariats centraux d’Ajaccio et de Bastia. J’ai rencontré, au départ, quelques difficultés liées à des questions de personne, certains directeurs n’étant peut-être pas à la hauteur de leurs missions. Mais la direction centrale de la sécurité publique en avait vite pris la mesure et j’ai ensuite eu affaire à des directeurs départementaux de grande qualité, des personnes courageuses, très présentes et très engagées. Cela a permis d’avoir une situation, en termes de contrôle de la petite et moyenne délinquance, tout à fait satisfaisante.

Malheureusement, les médias et certains élus n’ont retenu que les attentats, les homicides, les incivilités relatives au stationnement, etc...

Pour ce qui est de la justice, je considère, avec le recul, que les moyens étaient insuffisants. Alors que la Corse est un lieu très sensible d’exercice de l’action publique, les effectifs, manifestement, n’avaient pas été actualisés depuis de nombreuses années. Certains postes étaient vacants dans les parquets - un magistrat du parquet général, par exemple, est parti et n’a jamais été remplacé -, et nous avions une grande difficulté à trouver des magistrats qui acceptaient de venir servir en Corse. A tel point que la plupart des postes vacants étaient pourvus par des jeunes magistrats sortant de l’Ecole nationale de la magistrature. Or la Corse n’est pas le lieu approprié pour une jeune femme ou un jeune homme fraîchement sorti de l’école. Ils étaient ainsi bombardés juges d’instruction ou substituts. Il convenait donc techniquement, professionnellement et humainement de bien les encadrer et de les soutenir, ce que je me suis toujours efforcé de faire.

Autre dysfonctionnement : les cours d’assises qui rendaient des verdicts surprenants, voire surréalistes : 55 % des affaires criminelles jugées en cour d’assises aboutissaient à des verdicts correctionnels, parfois même à des peines avec sursis ! Les jurés faisaient, c’est évident, l’objet de pressions. Mais cela est lié à la structure même de l’île, dont la population est peu nombreuse ; les gens se connaissent, il existe des liens de solidarité, des liens familiaux, un barreau qui n’est peut-être pas très soucieux de déontologie et qui se prête à certaines complaisances, certaines facilités. Je me souviens de présidents d’assises qui devaient rappeler à l’ordre des avocats qui se mettaient à plaider en corse, par exemple.

Ces difficultés, au niveau des cours d’assises, étaient un peu désarmantes et désespérantes, car la répression n’allait pas jusqu’au bout.

Difficultés également au niveau pénitentiaire. La justice en Corse avait la capacité de sortir les affaires, de les suivre et de les juger. En revanche, les capacités pénitentiaires étaient très limitées. Nous avions de grosses difficultés avec les deux maisons d’arrêt - d’Ajaccio et de Borgo - où il se passait des choses tout à fait anormales et irrégulières. Pour les affaires sensibles, il était plus prudent d’incarcérer les prévenus sur le continent, ce qui entraînait des lourdeurs en termes de gestion des dossiers et qui quelquefois, participait du choix de dépayser certaines affaires.

Il y a une telle avalanche de jugements négatifs sur la Corse, sur ce qui s’y passe, sur l’engagement des personnes qui y servent l’Etat, qu’il convient tout de même de rappeler des choses essentielles. Je pense par exemple à Furiani.

La catastrophe du stade de Furiani a été un véritable drame qui a crucifié la Corse ; il n’y a pas un village en Corse qui ne compte pas une victime. Furiani, c’est 2 400 victimes - même s’il y a certainement parmi eux des fantaisistes, quelques magouilles et des personnes qui ont ressenti des douleurs cervicales au bon moment -, une vingtaine de morts et une cinquantaine de personnes paralysées à vie. Tout cela dans un contexte de violence : nous sommes en mai 1992.

Le dossier est en lui-même difficile : recherche des conditions dans lesquelles la tribune s’est effondrée, des responsabilités techniques, administratives - elles n’étaient pas minces -, auxquelles s’ajoute l’aspect financier, avec toute une nébuleuse sur une double billetterie, et le rôle très ambigu des nationalistes qui contrôlaient plus ou moins le club sportif. Cette affaire a été instruite en onze mois, pourvoi en cassation compris, et a été jugée dans les dix-huit mois.

Au niveau des victimes, Furiani était une bombe à retardement. Les familles étaient très exigeantes sur les droits - il ne fallait donc pas attendre que les responsabilités soient pénalement établies et de façon définitive par un jugement - pour enclencher un processus d’aide aux victimes. Ce qui a été fait en Corse est la vitrine de ce qui se fait en matière d’indemnisation des victimes : 90 % des victimes ont été, dans l’année qui a suivi, entièrement indemnisées sur la base de taux préalablement définis. Nous avions constitué un comité de pilotage, un pool d’assureurs, et un fonds était régulièrement abondé en fonction des demandes que nous formulions. Tout cela ne s’est pas fait tout seul. Il a fallu des bonnes volontés et une bonne administration de la justice, c’est-à-dire des juges d’instruction sachant travailler et une chambre d’accusation rendant des décisions rapidement.

Malgré les pressions visant à dépayser l’affaire, le procès s’est déroulé à Bastia. J’ai en effet considéré que si l’on ne jugeait pas cette affaire en Corse, la justice pouvait mettre la clé sous le paillasson. Nous avons donc fait preuve d’innovation : nous avons retransmis le procès en direct, dans toutes les salles d’audience du tribunal, ainsi que dans le théâtre municipal que le maire de Bastia, M. Zuccarelli, avait accepté de nous prêter.

Le procès s’est déroulé de façon exemplaire, à l’exception de quelques braillards clairement manipulés par des organisations ayant tout intérêt à ce que la justice n’avance pas. L’appel a par ailleurs été rendu dans des délais extrêmement raisonnables. Un tel procès démontre le bon fonctionnement de la justice en Corse.

M. le Président. Je vous remercie pour cet exposé liminaire très intéressant.

Nous avons donc le sentiment que sur un territoire relativement restreint, le potentiel des forces de police et de gendarmerie est plus important que ce que nous connaissons sur le continent. Vous nous avez rappelé les résultats satisfaisants en ce qui concerne l’élucidation des délits de droit commun et les difficultés que vous rencontriez s’agissant du nationalisme et du banditisme. Nous ne comprenons pas pourquoi, avec des services de police judiciaire et une justice capables de fonctionner, les délits n’étaient pas élucidés pour une grande part ni pourquoi les sanctions rendues étaient inadaptées. Sans parler de la porosité qui, semble-t-il, était importante, comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Par ailleurs, pouvez-vous nous donner votre sentiment sur les rapports qui existaient entre le parquet et le siège ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : S’agissant de l’activité des mouvements nationalistes terroristes, ma difficulté première était un déficit majeur d’information : les renseignements généraux ne nous donnaient pratiquement rien, la préfecture de police faisait cavalier seul, et mon administration centrale avait adopté une position que je qualifierai de très attentiste. J’ai eu le sentiment, en Corse, dans l’action judiciaire que je menais et dans la politique pénale que je devais définir, d’être quelquefois très seul.

M. le Rapporteur. Quel que soit le gouvernement en place ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Les premiers mois, j’avais des contacts directs avec le cabinet qui était d’ailleurs doublé par la direction des affaires criminelles, ce qui était très lourd pour la gestion de l’action publique. Durant la deuxième période, je n’ai plus eu de contacts au niveau ministériel, je traitais directement avec le directeur des affaires criminelles. Enfin, durant la troisième période, un processus de dialogue fréquent avec le cabinet s’était réenclenché.

M. le Rapporteur. Le problème corse n’était-il pas entièrement géré par le ministère de l’intérieur ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Si, j’ai eu le sentiment que le dossier corse était géré dans sa totalité par le ministère de l’intérieur.

M. le Président. Avez-vous reçu des instructions ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Non, je n’ai jamais reçu d’instruction. J’avais des contacts très fréquents avec la direction des affaires criminelles, je l’informais spontanément des affaires qui me paraissaient devoir être portées à sa connaissance et l’on en discutait. Ce genre de relation ne sent pas le souffre, le bon sens émerge et l’on arrive toujours à trouver, ensemble, une solution. Mais je n’ai jamais reçu d’instruction, je n’ai jamais vendu mon âme en faisant ce que je ne voulais pas faire. J’étais très libre et très indépendant.

M. Robert PANDRAUD. Monsieur le procureur général, ma première question concerne les renseignements généraux qui ne vous donnaient aucun renseignement. Vous n’avez jamais pensé à leur supprimer leur habilitation ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Je me suis ému à plusieurs reprises des difficultés de relation avec les renseignements généraux dans différentes réunions. Mais en ce qui concerne les habilitations, vous m’accorderez l’excuse du temps, j’ai quitté ce poste depuis trois ans et demi et les événements corses ne sont pas gravés dans ma mémoire. Cela étant dit, je pense qu’ils étaient habilités et s’ils l’étaient, je les ai trouvés ainsi quand je suis arrivé, car je n’ai aucun souvenir d’avoir pris une telle décision.

Dans la plupart des cours d’appel, les responsables des renseignements généraux sont habilités. Prenons l’exemple de Rouen où j’exerce actuellement : ils sont habilités et mènent des enquêtes sur le travail clandestin, les problèmes de trafic de main-d’œuvre, etc. En outre, nous ne pouvons leur retirer leur habilitation que s’ils commettent une faute active : défaut de loyauté, malversation quelconque dans une procédure. Par ailleurs, le contexte en Corse ne s’y prêtait pas ; il n’était pas facile de vivre avec les renseignements généraux ; leur retirer l’habilitation, c’était prendre le risque d’un conflit frontal !

En revanche, je l’ai rappelé à plusieurs reprises dans les cercles autorisés, les renseignements généraux sont un service de la police nationale au service de l’Etat. Si par leur activité, ils ont connaissance de crimes ou de délits, ils doivent en informer l’autorité judiciaire comme le leur impose l’article 40. Qu’ils ne me donnent pas d’informations stratégiques sur l’évolution du nationalisme, sur le positionnement des uns et des autres, sur la densité des tractations ou des relations qui pouvaient se dérouler au moment où j’exerçais mes fonctions, je le comprends, même si la justice sait, elle aussi, garder des secrets. Cependant, j’aurais souhaité obtenir des informations objectives, par exemple, sur les conférences de presse clandestines, les enterrements à l’irlandaise. L’image que les médias se régalaient de développer au journal de 20 heures, où l’on voyait des conférences de presse dans le maquis, des individus cagoulés qui venaient tirer des rafales de Kalachnikov à l’enterrement d’un nationaliste, était dévastatrice dans l’opinion publique.

Que pouvions-nous faire ? Pour intervenir sur ces affaires, il aurait fallu monter non pas une opération de police, mais une opération militaire. Les conférences clandestines qui se tenaient dans le maquis étaient organisées par des individus puissamment armés, possédant des armes automatiques, des fusils mitrailleurs, des bazookas. Si l’on décide de monter une opération militaire, il y aura un prix à payer, il y aura des morts des deux côtés. Il s’agit donc d’une décision non pas judiciaire, mais politique. Quoi qu’il en soit, je n’ai jamais été en situation de prendre une telle décision, puisque j’étais informé, comme les carabiniers, quand tout était fini !

Bien entendu, monsieur le rapporteur, les renseignements généraux possédaient ces informations. Les journalistes locaux et régionaux détenaient eux-mêmes des informations sur les nationalistes ; alors, si les renseignements généraux n’étaient pas au courant, c’est qu’ils étaient vraiment nuls, ce que je ne pense pas : ils étaient sélectifs. Ils avaient des informations, mais ils ne me les ont jamais données.

Quelquefois, nous relevions des numéros d’immatriculation de voitures, notamment lors d’enterrements à l’irlandaise. Chaque fois j’ai ordonné des enquêtes, on n’a jamais identifié les numéros.

M. le Président. Le problème ne se posait donc pas qu’avec les renseignements généraux, puisque lors de vos demandes d’enquêtes, vous n’aviez jamais de retour sur l’identification des véhicules, et donc des propriétaires ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Nous nous adressions à la préfecture pour l’identification, mais l’enquête se bloquait.

M. Robert PANDRAUD. Monsieur le procureur, il nous a été affirmé qu’il était impossible pour les policiers ou les gendarmes qui effectuaient des barrages de fouiller les coffres des voitures, les douaniers étant les seuls habilités à effectuer de telles opérations. Trouvez-vous cela normal, étant donné la masse de commissions rogatoires qui doit traîner dans tous les services de police et de gendarmerie en Corse depuis des années ? Ne pourrait-on pas jouer des commissions rogatoires plus ou moins précises pour inventorier ces coffres ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Je m’inscris en faux, monsieur le député : des contrôles combinés police-gendarmerie-douane, il y en a eu beaucoup ! Nous entretenions, avec la direction régionale des douanes, d’excellentes relations. Et dans le cadre de la lutte contre les stupéfiants ou du trafic d’explosifs - par le trafic d’explosifs on amorçait le problème du nationalisme -, les procureurs, à ma demande expresse, ont ordonné des opérations de contrôle. Les véhicules étaient systématiquement arrêtés, les coffres et les personnes fouillés. Mais, il est vrai que les douanes ne voulaient pas être dévoyées, et refusaient que l’on utilise les douaniers pour le confort juridique qu’apportait leur concours à des fins qui n’étaient pas liées à leur mission.

Cela étant dit, nous menions une lutte contre le trafic d’explosifs avec la Sardaigne, notamment d’explosifs agricoles et d’explosifs de carrière. Nous avons mené de nombreuses opérations de contrôle de voitures à Bonifacio, à l’arrivée des ferries. Lors de la survenance de faits extrêmement lourds, et si nous étions avisés en temps utile, nous prenions des réquisitions de contrôle ; à ce moment-là, nous nous situions dans le cadre de la flagrance et l’on fouillait les coffres.

Mais hors flagrance et hors infraction douanière, la loi ne nous permet pas de mener ce type d’opérations.

M. Robert PANDRAUD. Ne pensez-vous pas que la création des deux départements avec l’indépendance des deux préfets a créé un déséquilibre, le procureur général ayant une autorité directe sur les deux parquets de Bastia et d’Ajaccio et le préfet d’Ajaccio n’ayant aucun pouvoir hiérarchique sur le préfet de Bastia ? Ne serait-il pas opportun, sans vouloir sous-préfectoraliser le préfet de Bastia, de lui octroyer une unité de commandement administrative ?

Dernière question : avez-vous subi des pressions de la part d’hommes politiques locaux ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Non, je n’ai aucun souvenir de pressions ou de demandes particulières pour un dossier particulier. J’ai simplement reçu, à une ou deux reprises, des demandes d’information sur l’état de certains dossiers, dont un dossier pénal.

En ce qui concerne votre question relative aux préfets, j’ai cru comprendre que le préfet de police avait beaucoup de difficultés à se situer par rapport aux deux préfets territoriaux. Il est évident que lorsque le préfet de la Haute-Corse a de la personnalité, le préfet de police n’a aucun pouvoir : cela a été le cas avec M. Goudard. Les réunions de police se tenaient alors à Bastia, chez le préfet de la Haute-Corse, ce qui n’était pas le cas avant et après où ces réunions se tenaient à Ajaccio chez le préfet de police.

Nous avions mis en place, avec le préfet de région, des modes de fonctionnement concernant l’ensemble de la Corse. Je pense par exemple au comité inter-services que nous avions créé pour lutter contre le blanchiment de l’argent et les infiltrations mafieuses sur l’île. Ce comité réunissait le préfet de région, les deux procureurs, le préfet de la Haute-Corse et moi-même. Il est évident que si l’on envisageait de renforcer les pouvoirs du préfet de région à Ajaccio, on ferait l’économie d’un préfet de police qui éprouve des difficultés à se situer.

M. Robert PANDRAUD. Il faut donner au préfet de région des pouvoirs stratégiques.

M. Christian RAYSSÉGUIER : Tout à fait. Il faudrait peut-être également revoir le problème des cartes. Par exemple, la cour d’appel est à Bastia et la préfecture à Ajaccio, alors que selon le code de procédure pénale, le SRPJ doit se situer au siège de la cour d’appel.

M. le Président. Monsieur le procureur, nous serions également intéressés de connaître votre sentiment sur l’affaire de Spérone.

M. Christian RAYSSÉGUIER : L’information est toujours en cours, je ne peux donc pas, compte tenu du secret de l’instruction, entrer dans le détail de cette affaire.

Spérone a été " un gros coup ". Le paradoxe, c’est que l’autorité judiciaire a été avertie au dernier moment, quand tout était déjà décidé et fait, et mal fait d’ailleurs. J’ai appris par la suite qu’une enquête préliminaire avait été ordonnée à la demande du préfet de police, qui s’était immiscé dans la direction de la police judiciaire, concernant l’éventualité d’une action terroriste lourde dans l’extrême sud de l’île. L’enquête avait, paraît-il, débuté une quinzaine de jours avant, le RAID s’était positionné, des repérages avaient été effectués, et le procureur de la République n’était pas au courant.

J’ai été informé de cette affaire dans la nuit, après l’arrestation d’un trop grand nombre de malfaiteurs - les gendarmes en ont arrêté dix de plus que prévu - ce qui a suscité beaucoup d’émoi. Dans cette affaire, l’autorité judiciaire a été mise devant le fait accompli !

M. le Rapporteur. M. Lacave nous a clairement expliqué qu’il vous avait tenu à l’écart.

M. Christian RAYSSÉGUIER : Et vous trouvez cela normal !

M. le Rapporteur. Non, ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Christian RAYSSÉGUIER : Moi, je trouve cela affligeant ! Comment voulez-vous restaurer l’Etat de droit en faisant litière de l’autorité judiciaire ? En outre, l’enquête a été bâclée, la quasi-totalité de la procédure a été annulée, les saisies d’armes ont été effectuées n’importe comment. Non, je trouve cette affaire scandaleuse ! Nous aurions dû y être associés. Nous ne nous sommes jamais trompés d’adversaires et de combats. Il est vrai que lorsque l’autorité judiciaire est informée, elle est sur des rails et elle avance, et les arrangements qui peuvent s’imposer par la suite ne sont plus possibles.

La gestion des gardes à vue a d’ailleurs été tout à fait surprenante et surréaliste : des personnes gardées à vue ont eu le droit de communiquer avec des personnalités politiques. M. Lacave a dû vous expliquer tout cela.

M. le Rapporteur. Non, justement, il n’en a pas parlé.

M. Christian RAYSSÉGUIER : Il faudra lui demander, car il avait sollicité des autorisations avec beaucoup d’insistance ! Spérone, c’est vraiment l’illustration de ce qu’il ne faut pas faire. La justice a été bafouée dans cette affaire.

M. le Rapporteur. Et quand vous dites que les gendarmes ont arrêté trop de personnes...

M. Christian RAYSSÉGUIER : Là, on entre dans le détail des faits, or l’instruction est toujours en cours. Je sais certaines choses grâce à mes gendarmes. J’ai senti beaucoup d’amertume et d’étonnement de la part des officiers de gendarmerie dans la gestion de cette opération.

M. le Rapporteur. Qui commandait la gendarmerie à cette époque ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : La gendarmerie était alors commandée par le colonel Bernard, officier de grande qualité. Il est par la suite devenu général.

M. Robert PANDRAUD. C’est affligeant !

M. Christian RAYSSÉGUIER : Ne retenez pas que ce qui est affligeant, comme la presse, monsieur le député ! J’ai dit des choses très positives sur l’action de la gendarmerie, de la police et de la justice en Corse !

M. Georges LEMOINE. Monsieur le procureur général, vous avez, dans votre exposé liminaire, parlé des conflits entre les bandes de voyous et entre les nationalistes. En répondant à notre collègue, et pour la première fois, vous avez utilisé l’adjectif mafieux. Avez-vous perçu, en Corse, des signes de présence de la mafia ? Existait-il des rapports entre la mafia et certains clans nationalistes ? Si oui, quelles étaient les parades de la justice face à cette situation ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Nous étions extrêmement vigilants quant à une éventuelle infiltration mafieuse, au sens italien du terme, en Corse. Quelques enquêtes ont été initiées, concernant notamment le complexe immobilier de grand luxe sur l’île de Cavallo, pour lequel il était clair que des capitaux provenaient d’organisations mafieuses italiennes. Le cheminement a été parfaitement démontré dans l’instruction qui, d’ailleurs, est toujours en cours.

J’ouvre une parenthèse : le discours officiel expliquait qu’il convenait de s’attaquer à la criminalité économique et financière, notamment pour lutter contre le terrorisme et le grand banditisme, mais les moyens ne suivaient pas. Je me suis occupé de la section financière au SRPJ, et je peux vous affirmer que les moyens se sont réduits comme une peau de chagrin : il y avait 14 enquêteurs à mon arrivée, ils n’étaient plus que 9 à mon départ et ils ne faisaient plus face.

M. Robert PANDRAUD. Un pôle économique a été constitué.

M. Christian RAYSSÉGUIER : J’ai appris cela, oui.

M. le Rapporteur. Cela va plutôt dans le bon sens.

M. Christian RAYSSÉGUIER : Bien sûr, à condition qu’au-delà des mots il y ait des moyens. Il faut des inspecteurs des impôts, des experts comptables, des gens de qualité. Si le pôle économique se réduit à un juge d’instruction - que l’on spécialise - et à deux assistants de justice à 6 000 francs par mois, je ne pense pas qu’il ait les moyens de lutter contre le crime économique.

A mon époque, le pôle économique n’existait pas. J’avais un juge d’instruction spécialisé en matière financière - qui est d’ailleurs parti et qui n’a pas été remplacé - et une section financière du SRPJ qui n’avait pas les moyens des dossiers qu’on lui confiait. Cela étant dit, ils ont travaillé sur le dossier de Cavallo - je m’y suis personnellement impliqué, ayant moi-même une formation en matière financière -, et il a avancé.

Mais pour répondre à votre question, il est tout à fait clair qu’il y a une infiltration mafieuse italienne à Cavallo. Pour d’autres dossiers, je serai beaucoup plus prudent. Mais l’on ne peut pas dire que la Corse, à cette époque-là, était menacée d’une infiltration mafieuse massive. Et ce pour deux raisons : d’une part, parce que la Corse a sa propre mafia et, d’autre part, parce que la mafia a des menées capitalistiques et en Corse il n’y a pas grand-chose à " gratter ".

Cependant nous étions vigilants et nous tenions des réunions avec les membres du parquet anti-mafia italien : je suis allé les voir à Rome, ils sont venus à Bastia.

M. Robert PANDRAUD. Monsieur le procureur, avez-vous quitté la Corse à votre demande ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Je ne suis pas allé en Corse comme un mercenaire. J’y suis allé avec ma femme et mes enfants. J’ai vécu une expérience sur le plan humain très forte. J’ai beaucoup d’attachement pour la Corse et pour les Corses. J’ai vécu totalement en symbiose avec la population, je n’ai bénéficié d’aucune protection, je faisais partie de clubs sportifs, etc. Je me suis beaucoup plu. Cependant, il s’agit d’un investissement personnel colossal.

Je suis actuellement dans une cour d’appel qui est difficile, où il existe d’autres problèmes, mais je dors la nuit. En Corse, vous êtes réveillé par le téléphone toutes les nuits, la pression est terrible. En outre, je vous l’ai dit tout à l’heure, j’ai eu le sentiment, pendant ces trois ans et demi, d’avoir été assez seul, mon administration centrale ne m’ayant pas accompagné. J’ai également rencontré pas mal d’hostilité de la part de certaines institutions, ou du moins un manque de coopération. La justice en Corse, c’est plus un contre-pouvoir qu’un pouvoir et elle se heurte souvent à l’hostilité des autres institutions. Tout cela est extrêmement usant. On m’aurait demandé de faire un an de plus, je l’aurais fait volontiers, mais j’ai eu la possibilité de partir dans une cour d’appel qui m’agréait, je suis donc parti. Je vous précise d’ailleurs que j’avais d’excellents rapports avec le dernier garde des sceaux.

M. le Rapporteur. Vous avez déclaré au Monde, en janvier 1993, " l’Etat de droit ne règne plus en Corse ". Cette déclaration donne le sentiment d’une grande difficulté.

M. Christian RAYSSÉGUIER : Je l’ai dit dans mon propos liminaire : 600 attentats en 1992 et un vol à main armée par jour ouvrable !

M. le Rapporteur. En faisant cette déclaration, vous n’avez pas le sentiment d’avoir été très entendu.

M. Christian RAYSSÉGUIER : Il est vrai que l’on ne m’a pas donné tout de suite deux avocats généraux, des substituts, des juges d’instruction... Non, je n’ai pas été entendu sur ce plan. Mais les choses ont évolué. Je parlais des vols à main armée - 260 par an -, et bien au bout de trois ans nous les avions pratiquement éradiqués, en arrêtant les bandes qui s’adonnaient à ce crime.

M. le Rapporteur. Pour revenir à l’affaire de Spérone, vous nous avez dit qu’un certain nombre de personnes gardées à vue avaient eu des contacts avec des personnalités politiques. Dans quel cadre ont eu lieu ces contacts ?

M. Christian RAYSSÉGUIER : Mes souvenirs ne sont plus très précis. Mais il y a eu au moins une personnalité politique importante du monde nationaliste qui a eu des contacts avec les gardés à vue. Ces contacts ont été autorisés par le procureur de la République qui venait d’arriver, et qui, sous la pression de l’autorité administrative, a accepté ce contact au motif qu’il y allait de l’ordre public, en raison de risques de troubles beaucoup plus graves qu’il convenait d’apaiser. Il faut savoir que cela n’était pas tout à fait faux, puisque nous avons connu, pendant la garde à vue, une situation quasi insurrectionnelle avec des affrontements dans les rues extrêmement violents : il y a même eu un tir à balles sur des CRS. On a découvert, à côté du positionnement des forces de l’ordre, des bouteilles de gaz cachées dans des jardinières et susceptibles d’exploser si l’on avait mis un dispositif de mise à feu.

Des personnes qui détenaient des informations que je n’avais pas ont estimé qu’il convenait de calmer le jeu. Elles ont donc demandé au procureur d’autoriser ces contacts. Cette garde à vue a formellement été contrôlée par l’autorité judiciaire... mais là aussi il y a eu beaucoup d’opacité.

M. Roger FRANZONI. Monsieur le procureur général, nous nous connaissons, je vous ai rendu visite lors de votre arrivée à Bastia. Vous étiez assez optimiste. Vous m’avez exposé les méthodes de la police scientifique et affirmé que vous aviez les moyens de faire régner la justice à condition que les constatations se fassent immédiatement ! Malheureusement, la police scientifique arrivait deux ou trois jours après les faits !

Je ne veux pas entrer dans les détails, puisque votre propos est très édifiant. Vous avez dit au Monde : " l’Etat de droit ne règne plus en Corse ", mais ce n’est pas l’Etat de droit qui ne règne plus, c’est tout simplement l’Etat !

Vous avez fait allusion au préfet Goudard que j’ai bien connu et avec qui j’entretenais d’excellentes relations. Je lui ai demandé, un jour, qui était responsable de la police en ville, et notamment de la circulation et des doubles files. Il m’a répondu : " Votre question n’est pas innocente, vous savez bien que c’est l’Etat ". Et l’Etat ne fait rien ? " Vous savez bien que nous sommes en Corse, et mieux encore, à Bastia. Quand l’un de mes fonctionnaires veut dresser un procès-verbal, le contrevenant lui répond "vous savez bien que je suis le cousin de M. Piétri ou le beau-frère de M. Paoli, et que votre procès-verbal n’aura aucun effet" ". Ou on leur dit " Votre santé vous pèse, vous vous sentez trop bien ? " La police avait peur de faire son travail dans ces conditions. Je suppose que certains de vos magistrats devaient eux aussi avoir peur et n’osaient pas requérir contre des voyous.

M. Christian RAYSSÉGUIER : Non, je n’ai pas connu de magistrats qui avaient peur.

M. Roger FRANZONI. Moi, j’en ai connu. C’était un problème d’Etat, et non pas de fonctionnaires. Vous avez dû souffrir pendant ces trois ans et demi, car vous n’avez pas dû pouvoir exercer votre fonction comme vous le souhaitiez.

M. Christian RAYSSÉGUIER : Il s’agissait plus d’un accommodement avec les usages, la tradition, la complaisance, que de peur. Je n’ai pas vu de policiers terrorisés.

M. Robert PANDRAUD. J’ai entendu un colonel de gendarmerie dire que la plupart des personnes contrôlées allaient vers les gendarmes et leur rabaissaient le képi !

M. le Président. Monsieur le procureur général, je vous remercie de cette contribution extrêmement riche.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr