Présidence de M. Raymond FORNI, Président

M. José Rossi est introduit.

M. le Président lui rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête lui ont été communiquées. A l’invitation du Président, M. José Rossi prête serment.

M. José ROSSI : En tant qu’élu de la Corse, député et détenteur de mandats locaux, je suis un observateur attentif et engagé de la vie publique insulaire depuis de nombreuses années, puisque j’ai été élu conseiller général, pour la première fois, en 1973 ; cela fait donc plus d’un quart de siècle que je suis engagé dans l’action publique en Corse. Par voie de conséquence, j’ai pu mesurer la dérive qu’a connue l’île en matière de sécurité sur une longue période. La période retenue pour cette commission d’enquête, 1993-1999, me paraît singulièrement réduite, pour expliquer cette dérive qui, hélas, s’est accentuée au fil des années.

En 1973, la Corse ne connaissait pas encore la situation de violence exacerbée, dure, qu’elle a connue par la suite. Ce sont les événements d’Aléria en 1975 qui ont été le véritable révélateur de la violence politique, qui s’est transformée ensuite en violence clandestine et sur laquelle s’est greffée une violence de droit commun, à la fin des années 1970 et pendant les années 1980.

Il est devenu difficile de faire la différence entre la violence politique et celle de droit commun, car dans une situation trouble, de désordre généralisé, tous les pêcheurs en eaux troubles peuvent déployer leur talent. Je crois, objectivement, que la violence politique non maîtrisée a permis de renforcer la violence de droit commun et, de façon générale, la criminalité et la délinquance.

Aucun gouvernement - ni de droite ni de gauche - n’a été capable de faire face à cette montée en charge régulière et inexorable du désordre en Corse alors que la population est beaucoup plus respectueuse de l’autorité que l’on ne l’imagine. Les Corses ont servi outre-mer pendant très longtemps, dans l’armée et dans l’administration où leur présence est bien supérieure à la moyenne des citoyens originaires d’autres régions. Ils ont une sorte de respect naturel pour l’Etat, un respect pour l’Etat, lorsqu’il le mérite et sait, lui-même, se faire respecter. Depuis les années 1970, l’Etat et les gouvernements successifs ont manifestement failli à leur mission de garant de la première des libertés qui est la sécurité

 selon l’expression utilisée par le Premier ministre, il y a peu de temps.

Les corses ont été présentés, parfois, comme complices de certaines situations par leur silence, leur passivité, par ce que l’on a appelé l’omerta par référence à une terminologie qui n’a rien à voir avec la situation insulaire. Or, me semble-t-il, le plus souvent - sauf les auteurs des violences - ils n’ont pas été complices de cette situation, mais en ont été les premières victimes.

Cette situation a donné progressivement de la Corse une image extrêmement négative, les événements les plus récents ayant tendance à l’aggraver. Aujourd’hui, l’opinion publique nationale manifeste un sentiment d’hostilité marqué à l’égard de la Corse, une sorte de " ras-le-bol " dont la motivation profonde trouve son origine dans ces violences répétées, multiples, que personne n’a été capable, jusqu’à présent, de maîtriser.

Je voulais insister sur ce point : face à une montée en charge régulière, inexorable, des violences et de l’insécurité, les réponses apportées sur une longue période, quelles qu’elles aient été, n’ont pas permis de maîtriser la situation.

La Corse est aujourd’hui présentée comme le " mouton noir " de la République, et les Français, au fond, sont partagés entre deux sentiments ; certains disent : " si les corses veulent leur indépendance, qu’ils la prennent, après tout, nous en avons assez ", tandis que d’autres affirment : " il faut les aligner brutalement, car cela ne peut plus durer ". Evidemment la vérité est entre les deux. C’est d’une manière plus sereine qu’il faut analyser la situation, mais avec la volonté ferme d’appliquer de façon durable des orientations claires.

Alors qu’elle a subi une dérive pendant trente ans, il est totalement impossible d’imaginer que la Corse puisse retrouver une situation " ordonnée " en quelques mois ; on ne peut donc faire aucun procès ni à ce gouvernement, ni à un autre.

La réponse sera incontestablement, comme l’a dit récemment le ministre de l’Intérieur devant la commission des lois, une détermination tranquille à faire en sorte que l’Etat puisse assurer sa mission dans la durée, avec des moyens qui ne doivent pas être exceptionnels, compte tenu des effets qu’ils ont produits ces derniers mois. En effet, si l’on sort du respect des méthodes républicaines et de l’application sereine de la loi, l’on va vers d’autres dérives totalement inacceptables. Si l’on négocie un jour avec les uns, un jour avec d’autres, si l’on alterne les périodes de fermeté et de laxisme - fermeté qui se trouve parfois plus dans les discours que dans les actes d’ailleurs - on décourage la population insulaire qui " baisse les bras " et pense : " je ne suis pas plus royaliste que le roi, je ne suis ni gendarme, ni policier ; si ceux qui ont pour charge la gestion de ces problèmes en sont incapables, je ne peux pas organiser des milices en Corse pour assurer ma sécurité ".

Tel est le climat général sur l’île. L’assassinat du préfet Erignac a provoqué une intense émotion. La population s’est mobilisée, dans des conditions difficilement imaginables auparavant. Elle avait eu d’autres occasions, dans le passé, de manifester son hostilité à la violence, par des défilés de même nature - peut-être pas de la même importance, mais presque - pour condamner à deux ou trois reprises la violence et le désordre qu’elle générait, sans résultats. L’assassinat du préfet Erignac a été ressenti de manière plus massive et forte en raison à la fois de la résonance nationale de cet acte odieux et du symbole qu’il représentait. Il a entraîné une véritable mobilisation car c’était un acte de plus dans l’odieux, dans cette dérive insupportable.

Une nouvelle politique de sécurité a été mise en place ; elle s’est traduite par un renforcement des effectifs, par la mise en œuvre de moyens plus sophistiqués, par un résultat enfin, dans la recherche des assassins du préfet Erignac. Ce résultat, applaudi par tous, a contribué à remobiliser une opinion qui était en train de repartir à la dérive.

Aujourd’hui, au-delà de ce résultat, l’opinion corse espère que l’on pourra s’attaquer aux faits les plus graves et les résoudre contrairement à ce qui s’est passé pendant ces dix dernières années où nombre d’entre eux sont demeurés, hélas, impunis.

Il y a une attente forte de la population pour que ces actes, ces assassinats soient élucidés, tout en restant dans le cadre de la légalité et en respectant les règles républicaines. Ce qu’on souhaite, en Corse, c’est des résultats, pas des politiques de " roulement de mécanique " ou des déclarations péremptoires. Quand il y a des résultats, il faut s’en réjouir et tout le monde s’en réjouira ; quand il n’y en a pas, il n’est pas nécessaire de répéter à l’envi : " on va voir ce que l’on va voir ".

Je voulais vous faire ressentir cette ambiance insulaire qui reflète un sentiment d’angoisse face à une situation non maîtrisée. Un espoir est né avec l’élucidation de l’affaire Erignac, mais, en même temps, un grand scepticisme règne encore en Corse, car l’immense majorité des problèmes n’est pas réglée à ce jour.

Vous avez pour mission d’analyser sereinement l’organisation publique et le fonctionnement des forces de sécurité en Corse. Il y a incontestablement un travail important à réaliser. Je ne suis, évidemment, ni ministre de l’Intérieur, ni garde des sceaux, je ne peux donc pas témoigner de la manière dont ces services ont fonctionné concrètement, mais je peux affirmer que des dysfonctionnements se sont incontestablement produits. L’opinion publique a ressenti que, pendant les périodes de dialogue mais aussi lorsque des politiques de fermeté étaient mises en œuvre, des discussions avaient lieu avec des forces politiques clandestines, tout le monde en Corse ayant eu l’espoir, à un moment ou un autre, que l’on pourrait finir par résoudre le problème politique corse par la discussion et le dialogue.

Aujourd’hui, il ne faut plus sombrer dans ces politiques hésitantes en matière de sécurité. La politique de fermeté doit s’exercer sans faiblesse, mais de manière sereine, pour obtenir des résultats et la politique de sécurité publique doit être séparée du nécessaire dialogue politique sur le problème corse. A partir du moment où la violence clandestine a pu perdurer pendant près de 30 ans et que subsiste en Corse un puissant courant politique qui rassemble toutes les contestations, mais se fonde, en même temps, sur un engagement que je ne partage pas - pour certains celui de l’indépendantisme, pour d’autres celui d’une spécificité insulaire très forte - c’est un problème qui ne peut pas être ignoré.

Il faut dissocier totalement l’analyse sereine du problème corse, de l’avenir de l’île, de son organisation territoriale, de la simplification administrative, du respect de son identité de la question de la sécurité dont les Corses doivent pouvoir bénéficier, comme l’ensemble des Français.

M. le Président : Une première question me vient à l’esprit - vous en avez parlé vous-même - comment expliquez-vous qu’aussi peu de crimes et délits commis en Corse aient été élucidés, que les services de sécurité aient obtenu de si faibles résultats ?

M. José ROSSI : Il y a une multitude de causes : d’abord, le climat de désordre général fait que les Corses ne se sentent pas en sécurité. La Corse est une société repliée sur elle-même, de 250 000 habitants avec des relations de voisinage, de proximité très fortes. C’est interprété, parfois, comme de la complicité ; l’on dit souvent que les Corses ne parlent pas, mais à mon avis cela ne relève pas de l’omerta, particularisme d’une société de type mafieux comme on la décrit en Sicile.

Il n’y a pas, en Corse, de mafia au sens sicilien du terme. On y trouve du banditisme, une criminalité plus forte qu’ailleurs et de la délinquance, mais il n’y a pas, je suis formel, cette interpénétration entre le banditisme et la vie publique. L’image donnée de la Corse sous cet aspect, que l’on qualifie parfois de " société prémafieuse ", ne correspond pas à la réalité. Si l’on établissait une comparaison entre la situation de la Côte d’Azur ou de la région parisienne et la situation de la Corse, on constaterait que les mœurs politiques, les prévarications et l’interpénétration entre certains milieux et le monde politique sont plus développées dans d’autres régions françaises qu’en Corse.

La " loi du silence " souvent évoquée n’est pas la conséquence de l’intimidation que pourrait faire régner une société mafieuse, mais est liée aux relations de proximité. Dans une société de 250 000 habitants, chacun connaît le voisin, et il n’est pas impossible que parmi les voisins, se trouvent des poseurs de bombes. Or, en Corse, on ne dénonce pas son voisin. Il faut donc utiliser d’autres moyens.

Qu’entend-on par d’autres moyens ? Des écoutes illégales, des moyens extraordinaires, compte tenu de la particularité de la société corse qui ne permet pas de recueillir des témoignages comme dans d’autres régions ? C’est là la véritable difficulté à laquelle se trouvent confrontés les services de police. Il faut que, tout en restant dans un cadre strictement légal, ils puissent se donner les moyens de rechercher les criminels et délinquants en sachant que la population a du mal à communiquer avec les services de sécurité et les autorités judiciaires.

Paradoxalement, et c’est totalement incompréhensible pour un esprit non informé, la population attend de ces services qu’ils obtiennent des résultats. Le fait de ne pas parler spontanément ne veut pas dire que l’on souhaite l’impunité des criminels. Il faut en tirer des conséquences en matière d’organisation de l’action de la police et de la gendarmerie en particulier.

Le deuxième élément expliquant le peu de résultats obtenus dans le domaine de la sécurité est sans doute l’absence totale de confiance dans les services de l’Etat, pendant de longues années. Du fait de la perméabilité des services de police, la réserve de certains témoins est sans doute liée à la crainte de mesures de représailles, le délateur étant présenté comme une sorte de " traître " à la cause insulaire. Cet élément témoigne du délabrement des services compétents de l’Etat, incapables d’assurer la sécurité des " bons citoyens ", de ceux qui étaient susceptibles de contribuer à la recherche des criminels.

Un troisième facteur d’explication réside dans l’alternance des politiques de fermeté et de dialogue - le dialogue s’étant le plus souvent traduit par le laxisme ; dans ces conditions, les personnels des services de sécurité en place pendant de longues années, peut-être en raison d’une mobilité insuffisante, se disaient, sans doute, qu’il était inutile d’arrêter les criminels ou les auteurs de violences politiques, puisqu’ils seraient relâchés, d’une manière ou d’une autre, quelque temps après. Une certaine philosophie de l’action s’est ainsi installée au sein des services de sécurité conduisant à une sorte d’écrêtement des volontés.

Il est même arrivé, bien que je ne sois pas en mesure de citer d’exemples précis, que des auteurs d’attentats et de violences politiques soient quasiment identifiés ou fortement suspectés, mais que les procédures judiciaires ne soient pas engagées ou soient interrompues à la suite d’interventions politiques, sous tous les gouvernements, pour signifier : " n’allez pas trop loin, cela risque de susciter telle réaction ".

Cette politique de dialogue qui a prévalu à certains moments de la vie publique - je ne pense pas à une période en particulier - a conduit les meilleurs policiers et gendarmes à douter de l’intérêt de leur travail et de leur efficacité dans la mesure où ils savaient qu’il pourrait y avoir des ordres contradictoires. Beaucoup ont baissé les bras, alors même que nombre d’entre eux avaient la volonté d’agir de manière plus efficace mais qu’ils s’en sont sentis empêchés par le pouvoir politique.

M. le Président : Selon vous, ce n’était donc pas un problème de moyens. Quels que soient les gouvernements, en tout cas pour la période que nous examinons, 1993-1999, les moyens nécessaires ont toujours été mis à disposition des services de sécurité en Corse et l’absence de résultats trouve son origine dans la philosophie générale de ces services et les comportements sur place.

M. José ROSSI : Des forces publiques de sécurité aussi importantes qu’aujourd’hui ont été déployées par le passé. Si l’on remonte à la fin des années 1970, au moment des événements " Fesch ", au cours desquels des CRS ont été tués ainsi que des manifestants, les déploiements de forces étaient considérables ; leur installation en Corse n’était pas permanente, mais leur action ostentatoire créait un phénomène de réaction dans la population, sur le thème : " CRS : SS " exploité également sur le continent. Il fallait éviter à la fois un déploiement trop visible de forces et, en même temps, se donner des moyens de sécurité plus pérennes.

Aujourd’hui, l’importance des moyens installés en Corse correspond à l’attente de la population ; en d’autres termes, il n’y a pas trop de forces de sécurité en Corse. Personne ne se plaint de la manière dont elles travaillent. Il faut simplement veiller à préserver une certaine discrétion dans l’emploi des forces de sécurité, afin que la Corse ne se sente pas dans une situation " d’occupation " ; ce serait la pire des choses car elle fournirait des armes à ceux qui plaident pour l’indépendance.

Il ne faut pas non plus déployer en Corse, pendant une période déterminée, des forces en nombre important, puis les retirer brutalement du jour au lendemain. Sinon, il est à craindre que se produisent les mêmes effets que lors de la mise en œuvre du plan Vigipirate au plan national, pendant la Coupe du monde de football par exemple ou lorsque l’on redoute des actions terroristes : la mobilisation de forces importantes permet de constater, immédiatement, un abaissement du nombre de crimes et de délits mais dès que le plan cesse d’être en vigueur, on assiste à une recrudescence de la délinquance.

Il faut donc se garder de faire du triomphalisme et ne pas se glorifier, hâtivement, de la baisse des statistiques concernant la criminalité et la délinquance en Corse. Aujourd’hui, des moyens significatifs sont mis en place, il existe une sorte de pression et des résultats sont obtenus. Si la vigilance diminuait - et il ne faut pas qu’elle s’atténue - il pourrait y avoir un " retour de flamme " très rapide. Les causes structurelles profondes des désordres de la société corse ne sont pas réglées, loin s’en faut, et il faudra beaucoup de temps pour y parvenir.

M. le Président : Au-delà des questions de sécurité et pour essayer d’avoir une vision plus complète de la situation, comment expliquez-vous que, dans la plupart des services déconcentrés, des fonctionnaires qui souhaitent faire leur travail, soient empêchés de l’effectuer ?

A titre d’exemple, la presse s’est fait l’écho récemment du témoignage d’un fonctionnaire de la direction départementale de l’équipement qui souhaitait revenir sur le continent parce qu’il considérait, après deux années d’exercice en Corse, qu’il lui était impossible d’exercer sa mission. Comment expliquez-vous par ailleurs que, dans le domaine fiscal, il y ait aussi peu de résultats, si l’on en croit les statistiques, quelles que soient les époques ? La Corse serait-elle un territoire d’exception par rapport aux lois de la République et par rapport aux règles qui s’imposent à tous les autres citoyens ? Si je comprends que l’absence de solution apportée au problème de sécurité réduise les corses au silence en revanche, je m’interroge sur les raisons de cette dérive généralisée.

M. José ROSSI : L’analyse des problèmes de sécurité permet d’expliquer les difficultés auxquelles beaucoup de fonctionnaires d’Etat ou des collectivités locales, corses ou non, ont été confrontées pour accomplir leur mission. Il faut garder à l’esprit que depuis un quart de siècle, une forte pression s’exerce dans cette île, à partir d’une violence clandestine non maîtrisée.

Par conséquent, pour prendre des décisions, il faut faire preuve de courage, car l’on peut trouver une bombe devant sa porte le lendemain - ce n’est pas le cas dans les mois qui viennent de s’écouler - ou voir sa famille et ses biens menacés.

Je pourrai me référer au mauvais exemple des banlieues des grandes villes dans lesquelles il arrive que la police et la gendarmerie n’entrent pas après 22 heures et dont la situation peut s’apparenter à celle des fonctionnaires incapables de remplir leur rôle en Corse parce que dans les deux cas, ces personnes se sentent menacées.

Par ailleurs, il faut prendre en compte la spécificité insulaire. Les événements récents concernant l’affaire des paillotes en attestent. On a laissé construire, de longues années durant, des paillotes sur le domaine public de l’Etat, alors même que celui-ci n’était pas délimité et que les communes n’avaient pas la maîtrise de l’occupation des sols. Ces espaces ne pouvaient donc être exploités au moyen d’autorisations d’occupation temporaire du domaine public.

L’Etat, à travers les services de l’Equipement, a laissé s’installer ces paillotes sur les plages, sans faire respecter la loi et sans recourir à la force publique au moment où il aurait dû le faire, c’est-à-dire au moment de leur mise en exploitation.

Les services de l’Etat ont d’abord fait preuve de tolérance, puis entamé des procédures judiciaires. Lorsque celles-ci ont abouti à des décisions ayant l’autorité de la chose jugée, il fallait les exécuter. Le préfet Bernard Bonnet a décidé de le faire, très bien.

Constatant les dérives des années antérieures, les élus ont réagi en demandant un délai supplémentaire de trois mois, pour engager un dialogue entre la préfecture et les propriétaires des paillotes, organisés en syndicat, afin que les démolitions puissent s’effectuer dans de bonnes conditions.

Tous les intervenants s’étaient mis d’accord pour que les paillotes soient détruites avant le 30 octobre prochain ; puis, brutalement, pour des raisons que j’ignore, le préfet Bernard Bonnet a décidé de passer à l’acte et de faire procéder à leur démolition par la force publique. Il s’agit à l’évidence d’une démonstration de force. On a envoyé 30 camions de gendarmerie, dont 2 automitrailleuses, 7 ou 8 camions du Génie pour montrer à l’opinion corse que, décidément, cette fois-ci, il fallait rentrer dans le rang.

Face à cette intervention brutale, l’Assemblée de Corse a souhaité, à la quasi-unanimité de ses membres, donner un sursis aux propriétaires de paillotes qui s’étaient engagés par écrit à les démolir en octobre. On avait réussi à instaurer un dialogue et à convaincre les intéressés de procéder aux démolitions nécessaires par leurs propres moyens, en négociant une possibilité de reconstruction légale des bâtiments, en dehors de la plage, sur un territoire voisin, à cent mètres environ des sites sur lesquels ils se trouvaient. C’est l’évolution de ce dossier qui a conduit à l’incendie de la paillote " Chez Francis ".

Pour revenir à votre question, l’affaire des paillotes montre bien que les fonctionnaires des services de l’Equipement n’ont pas fait leur métier. Ils ne l’ont pas fait, non pas forcément parce qu’ils étaient menacés, mais parce que régnait une ambiance générale de laisser-aller.

Par ailleurs, si la fonction publique est pléthorique, elle comprend beaucoup de personnel de base, sans l’encadrement nécessaire. Il faut, à cet égard, intégrer l’idée que la société corse, dans ses fonctions essentielles, manque de compétences. Le passage d’une société administrée, voire suradministrée, à une société de développement où l’initiative, l’esprit d’entreprise et la responsabilité reprennent le dessus sera difficile. Si beaucoup de fonctionnaires n’ont pas pu faire leur métier, c’est aussi parce qu’il y avait un manque de compétences et de connaissance des dossiers, dans une situation où l’on s’était habitué au désordre général.

M. le Président : Cela signifie-t-il, Monsieur Rossi, que compte tenu de ce climat particulier et des difficultés d’exercer son métier dans la fonction publique, ce ne sont pas forcément les " meilleurs " qui sont envoyés en Corse ?

M. José ROSSI : Les gouvernements ont essayé, à plusieurs reprises, d’envoyer les " meilleurs ", mais en général c’était dans le cadre de missions d’une durée limitée à six mois, un an ou deux ans, et leur première préoccupation, quand ils arrivaient, était de savoir quand ils allaient repartir. Il ne sert à rien d’affecter des fonctionnaires de qualité si l’on ne s’intéresse pas à l’encadrement effectif des personnels de base en s’inscrivant dans la durée.

M. le Président : Vous nous avez décrit la réaction des élus corses au moment de l’affaire des paillotes. Permettez-moi de vous dire, ce n’est pas une critique, que les délibérations de l’assemblée de Corse ne sont pas forcément parvenues jusqu’à l’opinion publique nationale. En revanche, elle a entendu les déclarations de M. François Léotard et de M. José Rossi qui accréditent l’idée que le fait de mettre un terme à une occupation illégale est une action scandaleuse. Ne pensez-vous pas que le comportement des élus, en général, peut aussi contribuer à la situation de dérive que vous dénoncez vous-même ?

M. José ROSSI : Vous me tendez une perche qui me permet de m’expliquer de manière plus précise, à partir d’une comparaison un peu hasardeuse. Le rôle des élus, dans des situations de tension, est d’être aussi, parfois, des médiateurs. Les boutefeux, les va-t-en-guerre ne réussissent jamais à régler définitivement les problèmes. Quand tel ou tel syndicat bloque le port d’Ajaccio, retenant à terre le bateau qui transporte des milliers de personnes entre Marseille et la Corse, et que cette occupation dure plusieurs semaines - c’est arrivé dans le passé - elle est totalement illégale. Les autorités compétentes de l’Etat, même si elles disposent de décisions de justice pour faire évacuer les lieux, apprécient les conditions dans lesquelles l’évacuation peut se faire. Souvent, dans ce type de circonstances, les élus jouent un rôle de médiateur pour éviter de recourir à l’intervention de la force publique.

Dans une affaire comme celle des " paillotes ", des élus ont demandé aux propriétaires d’être raisonnables, de procéder à la démolition et, en même temps, ils ont indiqué au préfet qu’il n’était pas besoin de faire un fort Chabrol pour un enjeu de cette nature. C’était leur rôle. M. François Léotard était sur le site par hasard, il n’était pas venu exprès pour soutenir X ou Y. Il s’est arrêté, il a vu le fort Chabrol et a dit : " je n’ai jamais vu cela en France ". Je suis arrivé quelques moments plus tard, après que l’Assemblée de Corse eut voté une délibération me donnant mandat pour essayer d’" arrondir les angles " au bon sens du terme et trouver une conciliation qui permette de détruire ces paillotes, sans l’utilisation des moyens de l’armée dans un contexte de crise.

Les événements d’Aléria ont commencé de la même manière. Des personnes se sont enfermées dans une cave et l’affaire s’est soldée par la mort de deux gendarmes. Il aurait suffi qu’il y ait eu, à l’intérieur de la paillote, une personne armée - elle ne l’était pas en l’occurrence, contrairement à ce qui avait été affirmé dans un premier temps - pour se retrouver avec deux gendarmes tués, ce que nul ne souhaitait. Ce sont plutôt les élus, me semble-t-il, qui ont pris quelques risques en allant sur le site dans ces circonstances. Après avoir été sur les lieux, nous nous sommes rendus chez le préfet, qui ne nous a d’ailleurs pas reçus, mais fait recevoir par son directeur de cabinet, M. Gérard Pardini. Au cours de cet entretien, auquel tous les groupes de l’Assemblée de Corse étaient associés, le directeur du cabinet du préfet a parfaitement convenu que la démolition, dans ce contexte-là, présentait des risques pour l’ordre public et qu’il était préférable de différer l’opération. Après l’avoir remercié de son attitude de dialogue et de compréhension, les élus, qui conduisaient la délégation, se sont engagés à faire signer, par les propriétaires des paillotes, un acte de démolition volontaire celle-ci devant intervenir au plus tard le 30 octobre prochain. Nous avons donc le sentiment d’avoir joué un rôle utile de médiation, afin de garantir la démolition des paillotes tout en évitant un possible drame.

M. le Rapporteur : Sans vouloir engager une polémique qui serait vaine, on a le sentiment que l’affaire des paillotes est exemplaire de ce qui se passe en Corse actuellement : d’un côté, la volonté d’un retour à l’Etat de droit, à la légalité est clairement affichée, mais de l’autre, dès qu’il s’agit de prendre des décisions et de les appliquer, se mettent en place des liens de solidarité dont les élus et plus généralement la société corse semblent un peu prisonniers.

Ainsi, il semblerait, mais cela reste à confirmer, que le recours à la force publique, était notamment motivé par le fait que le préfet n’avait trouvé sur place aucune entreprise pour procéder à la destruction des paillotes, ce qui en dit long sur l’accompagnement...

M. José ROSSI : Sur ce point, si vous le permettez, Monsieur le rapporteur, je voudrais préciser que des démolitions avaient déjà été réalisées par l’intermédiaire de l’armée. Les élus ne sont pas intervenus pour empêcher les démolitions de petits ports aménagés à tort ou de constructions en béton sur le domaine public.

Je signale, d’ailleurs, que ces opérations de démolition ont commencé une semaine avant le premier tour des élections régionales. Cet acte, très symbolique, n’a pas été sans conséquence sur les résultats obtenus par les mouvements indépendantistes qui ont presque doublé leur score. Le fait d’entreprendre ces opérations en pleine campagne électorale est une forme de provocation - je pèse mes mots - et, est en tout cas, contraire à la discrétion que doit observer le préfet dans ces circonstances. Ce n’était pas un acte involontaire ; tout était calculé.

Au moment où s’est produit l’incident regrettable des paillotes, une dizaine d’opérations avaient déjà été réalisées, sans aucune opposition des élus qui avaient accepté l’intervention de l’armée puisque, en effet, il semble que l’on n’ait pas trouvé d’entreprise pour effectuer les démolitions. Je dis " il semble ", car c’est l’argument invoqué par le préfet.

En revanche, pour l’affaire des paillotes, un dialogue approfondi s’était instauré entre les services de la préfecture, le secrétaire général, le préfet et le syndicat des " paillotiers " et avait permis de trouver un accord que l’on pourrait résumer en ces termes : " vos paillotes seront démolies par l’armée, si vous ne le faites pas vous-mêmes à la fin du mois d’octobre ".

Les élus, comme les propriétaires de paillotes, en étaient restés à cette version des faits. Aussi avons-nous été totalement surpris les uns et les autres, au mois d’avril, de cette opération réalisée avec des moyens aussi lourds. C’est ce changement d’attitude qui a motivé l’intervention des élus, d’autant plus que la destruction des paillotes avant le début de la saison estivale aurait entraîné la perte de plusieurs centaines d’emplois au total et que le délai accordé initialement permettait aux personnes concernées d’envisager leur reconversion.

M. le Rapporteur : Si, à la fin du mois d’octobre, les paillotes sont toujours en place, que faudra-t-il faire ?

M. José ROSSI : Les démolir avec les moyens de la force publique pour respecter les engagements pris. Je signale par ailleurs qu’il n’y a eu aucune intervention des élus pour demander la reconstruction de la fameuse paillote " Chez Francis ". Dans cette affaire, on a atteint le comble de l’absurde. En avril, l’on veut démolir avec les moyens de l’armée, une paillote qui devait être démolie en octobre ; comme cela n’est pas possible, on va incendier la paillote " Chez Francis " ; puis, celui qui a commandité l’incendie ou qui l’a laissé se réaliser donne l’autorisation de reconstruire la paillote. En effet, cette autorisation a été délivrée par le préfet Bernard Bonnet, le jour de son incarcération, sans qu’aucun élu - je peux le certifier - ne l’ait demandé.

M. le Président : Au mois d’avril, la campagne électorale était terminée. Comment appréciiez-vous le comportement du préfet Bernard Bonnet ?

M. José ROSSI : Je suis le plus mal placé pour porter un jugement sur le préfet Bernard Bonnet, compte tenu de l’attitude d’ostracisme dont il a fait preuve à l’égard des principaux responsables politiques insulaires.

Je n’arrive pas à comprendre comment les ministres concernés ont pu imaginer que l’on puisse travailler en Corse dans un climat de suspicion généralisée à l’égard des élus. Pour ce qui me concerne, je n’ai jamais refusé de dialoguer avec qui que ce soit ; mais nous avons eu le sentiment que le préfet Bernard Bonnet était venu en Corse pour " régler des comptes ". Ce n’est pas le moment d’en parler, puisqu’une procédure judiciaire est en cours ; cependant, je serais tenté de dire que son comportement n’était pas normal, ce qui serait plutôt de nature à atténuer ses responsabilités.

M. le Rapporteur : On a le sentiment que les relations entre le préfet et les élus, même si elles ont pu être particulières avec le préfet Bernard Bonnet, ont toujours été relativement conflictuelles. Le Monde a, il y a quelque temps, publié un article intitulé : " Des préfets pleins d’amertume " dans lequel les préfets dénoncent le manque d’appui des élus locaux ; l’un d’entre eux porte une accusation assez grave puisqu’il déclare : " quand les prisons étaient pleines et qu’il y avait moins d’attentats, les élus corses intervenaient auprès du gouvernement afin qu’il fasse un geste à l’égard des familles, leur clientèle, et on les sortait de prison ".

M. José ROSSI : Je n’ai jamais fait une intervention de cette nature. C’est du reste l’attitude de la plupart des élus. Je me rappelle d’un déjeuner au ministère de l’Intérieur où étaient conviés tous les parlementaires de l’île, il y a quelques années. Au cours de ce déjeuner, le ministre de l’Intérieur s’est étonné de l’intervention des élus corses pour faire sortir les gens de prison. J’ai posé aux députés et sénateurs présents la question suivante : " au cours des derniers mois, l’un d’entre vous a-t-il fait une intervention pour demander la libération de M. X. ou Y ?". Ils ont tous démenti.

Je peux vous assurer que je n’ai fait aucune démarche de ce type. Si l’on trouve trace d’une telle intervention dans un service du ministère de l’Intérieur, je suis prêt à en débattre.

Peut-être y a-t-il eu des interventions d’élus dans le passé, mais cela relève plutôt de l’image d’Epinal que de la réalité. En effet, pendant la période du " terrorisme triomphant ", de telles interventions auraient été hors de propos ; du reste, les ministres étaient mieux placés que quiconque pour dialoguer avec les nationalistes et éventuellement intervenir en faveur de certains d’entre eux.

M. le Rapporteur : L’intervention des élus paraît tout de même une règle assez constante en Corse. Le rapport de la précédente commission d’enquête sur la Corse, présidée par M. Jean Glavany, en fait état. L’un des témoins indiquait : " quand on a besoin de quelque chose en Corse, on va voir l’élu. L’élu intervient auprès de tel et tel service pour essayer de débloquer tel ou tel dossier ".

M. José ROSSI : Monsieur le Rapporteur, tenez-vous des permanences dans votre circonscription ? Vos visiteurs vous demandent-ils d’intervenir auprès de telle ou telle administration ?

M. le Rapporteur : Il m’arrive de faire des interventions mais il semblerait qu’en Corse, ce soit systématique.

M. José ROSSI : Pas plus qu’ailleurs ; cela relève aussi de l’image d’Epinal. Il est vrai que, dans le passé, la Corse, ayant une économie défaillante, a beaucoup attendu de la fonction publique. Les parents corses ne voyaient l’avenir de leur enfant que dans la fonction publique ou les entreprises publiques.

Aujourd’hui, quand bien même les élus corses voudraient faire du clientélisme, au sens où on l’entend nationalement, ils ne le pourraient plus. Il y a en Corse une région, deux départements, un nombre important de communes, des offices et des agences, donc de nombreux emplois publics. Néanmoins, les budgets sont extrêmement tendus et ne permettent pas d’envisager l’expansion du secteur administratif. Il est vrai que la Corse est suradministrée ; comme l’indique le rapport de la commission d’enquête présidée par M. Jean Glavany, il y a 30 % d’agents publics de plus que sur le reste du territoire.

La tentation de la population fut de se diriger vers ces emplois parce qu’il n’y a pas véritablement d’économie productive ; la Corse vit exclusivement du tourisme, de l’artisanat, très peu de l’agriculture dont l’activité comme partout ailleurs est en voie de réduction progressive ; si elle ne se donne pas les moyens du développement économique, la situation deviendra épouvantable.

L’intervention publique a atteint ses limites. Le tissu social et la vie économique sont désorganisés et le redémarrage sera lent, même si l’activité touristique a connu une croissance forte l’année dernière, qui devrait se poursuivre cette année.

Le développement de l’île souffre de certains handicaps. Par exemple, dans le secteur de la construction, la Corse est soumise à la loi " littoral " du 3 janvier 1996, tout comme la côte atlantique ou la côte d’Azur, mais cette loi s’y applique de façon plus drastique. Les zones à protéger de l’urbanisation y sont considérables et les règles de constructibilité limitée concernent l’essentiel du littoral corse.

Ainsi, la construction de logements sur la côte d’Azur a progressé de l’ordre de 10 à 20 % selon les zones en 1998 par rapport à 1997 ; en Corse, sur la même période, on a enregistré une baisse de 10 % environ. Pourquoi ? Tout simplement, parce qu’il y est nécessaire d’adapter cette loi à la spécificité de l’île, même si le contexte actuel ne s’y prête guère, car elle a pour effet de " stériliser " de nombreux espaces non aménagés dans les années 1980.

La Corse a un linéaire côtier de 1 000 kilomètres, soit l’équivalent du littoral méditerranéen de l’Espagne à l’Italie. Je ne dis pas qu’il faut imiter ce qui s’est fait ailleurs mais je dénonce le corset dans lequel la Corse est enserrée. Il faudrait donc, comme le prévoit le statut de 1991, adapter la loi " littoral " en durcissant les réglementations applicables dans les zones à protéger très strictement. Sur 1 000 kilomètres, 150 kilomètres appartiennent au Conservatoire du littoral et seront l’objet d’une protection éternelle ; à côté, se trouvent des zones non équipées, qui n’ont pas vocation à se miter, et une dizaine de stations balnéaires qui pourraient devenir des pôles de développement organisés, ce qui n’est pas possible dans le cadre des textes en vigueur.

En d’autres termes, si l’on veut que la Corse soit moins assistée et dépendante de l’intervention publique, il faut lui donner les moyens de se développer en adaptant à sa spécificité certains textes législatifs, qui n’ont pas été conçus pour elle, bien qu’elle fasse partie de la nation française.

M. le Rapporteur : Comment appréciez-vous l’évolution du nationalisme en Corse, au cours de la période couverte par la commission d’enquête, donc depuis 1993, et la réponse donnée par les différents gouvernements à cette question ?

M. José ROSSI : Les gouvernements successifs ont alterné des phases de dialogue et de fermeté. Le dialogue s’est traduit par des concessions, sur le statut et dans le domaine de l’enseignement de la langue corse, notamment.

Trois éléments majeurs ont toujours été mis en avant par tous les gouvernements :

- l’application de la loi : qui ne serait pas d’accord ? A condition d’être en mesure de la faire appliquer réellement et d’évaluer à terme les effets de cette déclaration d’intention. Oui, à l’application de la loi, ce n’est pas une position de façade.

- le développement économique, priorité des priorités ; là encore, qui ne serait pas d’accord sur cet objectif ? Encore faut-il le faire.

- le dernier élément, que certains gouvernements ont pris en considération : l’avenir de la Corse dans la nation française dans le cadre d’un statut particulier. Au début des années 1980 et des années 1990, deux gouvernements ont estimé qu’il fallait un statut particulier pour la Corse. Ils n’ont résolu, ni l’un ni l’autre, les problèmes de la Corse, mais cela ne signifie pas, pour autant, que l’idée d’une organisation territoriale spécifique de la Corse soit une mauvaise idée.

La réforme ou la transformation du statut de 1991 n’est pas à l’ordre du jour, et on considère à juste titre que ce n’est pas la priorité des priorités. La faiblesse des deux statuts successifs de la Corse est qu’ils ont été " octroyés ", décidés à Paris, même s’il y a eu quelques concertations. Aucun gouvernement n’a vocation à lancer un troisième projet. Cependant, il ne faut pas écarter l’idée d’une réforme utile, le moment venu, lorsque les Corses la demanderont majoritairement.

Mme Catherine TASCA : Compte tenu de ce que vous nous avez dit sur le rôle de médiation joué par les élus entre l’Etat et les propriétaires de paillotes, estimez-vous, aujourd’hui, après tout ce qui s’est passé, que les engagements pris devant vous, et dont vous sembliez prêt à vous porter garant, de procéder à la démolition avant la fin du mois d’octobre, seront tenus ?

M. José ROSSI : Je ne suis pas en mesure de répondre à la place des intéressés mais je peux dire que les élus ayant participé à la délégation dont j’ai parlé tout à l’heure, ont obtenu pour les deux cas directement concernés, des engagements écrits de la part des deux propriétaires de paillotes en vue de leur démolition par leurs propres moyens, à partir du 30 octobre. Ces engagements signés ont été remis à M. Gérard Pardini, directeur de cabinet du préfet. Si cette démolition n’était pas réalisée comme prévu, il appartiendra alors au préfet de le faire avec les moyens de la force publique, comme il envisageait de le faire au mois d’avril.

Mme Catherine TASCA : Ma question est précise : compte tenu de ce qui s’est passé, estimez-vous, personnellement, qu’ils sont toujours prêts à tenir leurs engagements, nonobstant les événements récents ?

M. José ROSSI : La dernière fois que je les ai rencontrés, ils y étaient prêts. J’espère vivement ne pas être démenti. Nous serions les premiers déçus si ces engagements n’étaient pas tenus.

Pour l’avenir, il serait souhaitable, comme je l’ai déjà indiqué, de réfléchir à l’adaptation de la loi " littoral " car des aménagements en zone côtière sont pour la Corse la principale voie de développement. Nous prendrons l’initiative, à l’Assemblée de Corse, de constituer un petit groupe de travail, pour étudier les possibilités de substitution légales afin de préserver l’activité. Pour les deux cas en cause, la préfecture de région avait d’ailleurs envisagé la possibilité de reconstruire les paillotes en amont, à l’écart de la plage.

Mme Catherine TASCA : La démolition pourrait-elle être un premier signe d’une volonté réelle de retour à l’état de droit ?

M. José ROSSI : Ma position est très claire : nous avons joué un rôle de médiateur, nous avons obtenu des engagements, s’ils ne sont pas tenus, il faut démolir les paillotes.

M. Jean-Yves GATEAUD : Je voudrais vous interroger sur un point très précis concernant les forces de sécurité en Corse, celui de la perméabilité des services de sécurité. Certes, la police est l’affaire de l’Etat, vous êtes un élu local et national, mais je souhaiterais savoir ce que vous en pensez, comment vous l’analysez et, surtout, quelles solutions vous proposez pour éviter cette perméabilité ?

M. José ROSSI : Dans l’une des explications que j’ai données tout à l’heure, j’ai indiqué que le facteur essentiel de la passivité ou de la perméabilité des services de l’Etat était l’absence de continuité de la politique menée et le découragement des intéressés. Ce n’est pas mon opinion personnelle, c’est l’interprétation communément admise. Ces cycles ont été destructeurs.

Quant aux solutions, elles sont de trois ordres : il faut d’abord " tenir sur la distance ", donc ne pas changer d’attitude régulièrement ; il faut ensuite garantir une certaine mobilité. Il est évident que des fonctionnaires de police en poste pendant vingt ans s’usent face à une situation aussi peu maîtrisée. Outre la mobilité, se pose la question des compétences que j’ai déjà évoquée. Il faut, enfin, qu’au niveau du pouvoir central, il y ait une sorte de transparence dans la gestion des affaires publiques ; il n’est pas acceptable de tenir un discours public de fermeté et d’adopter en réalité souterrainement une attitude de dialogue.

A mon avis, le dialogue relève des élus, entre eux d’abord, puis entre les élus de la Corse et le gouvernement, quel qu’il soit. Si celui-ci développe une stratégie autre que celle de la fermeté répressive, il doit le dire publiquement, de manière transparente ; s’il y avait, un jour, un " accord de paix " du type de ceux qui existent ailleurs, il ne se conclura pas de façon souterraine. Ce débat doit être sur la place publique ; la police et la gendarmerie ne doivent pas être les otages ou les victimes de ce dialogue souterrain. Cette réponse vous satisfait-elle ?

M. Jean-Yves GATEAUD : Pas tout à fait. La définition que vous donnez de la perméabilité des services de police n’est, à mon avis, pas complète. Le problème est que ce qui se passe à l’intérieur des services de police - et qui devrait y rester - se retrouve parfois dans d’autres cercles ; il ne s’explique pas seulement par la politique de l’Etat et sa non continuité.

M. José ROSSI : Je ne connais pas les services de police de l’intérieur, je ne suis donc pas en mesure de porter un jugement sur leur organisation, n’étant pas un expert.

M. Jean-Yves GATEAUD : Vous les voyez fonctionner.

M. José ROSSI : Je vous fais part ce que perçoit l’opinion. Lorsque nous parlions des témoignages tout à l’heure, je vous ai dit que ceux qui allaient témoigner étaient très réticents car dans le quart d’heure suivant, on saura ce qu’ils ont dit. C’est l’explication donnée par les intéressés qui ne sont peut-être pas portés naturellement à s’exprimer ; on revient, non pas à l’omerta, mais au refus de la délation qui marque la société corse.

Quant à la gendarmerie, elle est un corps respecté. Les gendarmes sont appréciés, ils sont constamment présents sur le terrain, en milieu rural, mais un scepticisme s’est installé dans l’opinion sur l’efficacité de la gendarmerie dans la lutte contre le terrorisme.

M. le Président : Avez-vous senti une volonté de ne pas utiliser les services de la gendarmerie comme on aurait pu le faire en Corse ? C’est ce que nous a dit M. Charles Millon. Il y avait un " ministre pilote ", le ministre de l’Intérieur ; les services de gendarmerie fonctionnaient relativement bien, ils obtenaient un certain nombre de renseignements, mais ces informations ne passaient pas.

M. José ROSSI : On ne peut pas tresser les lauriers des uns ou des autres. La gendarmerie a rencontré les mêmes difficultés à accomplir ses tâches en Corse que les policiers. Je serais tenté de ne pas opposer la police à la gendarmerie.

M. le Président : Vous n’avez pas senti d’affrontement entre les deux catégories de services de sécurité ?

M. José ROSSI : En Corse, je n’ai pas observé de querelles entre les policiers et les gendarmes. Les uns et les autres se désespéraient d’une situation devenue insaisissable. Les gendarmes comme les policiers ont besoin de choix politiques clairs et durables ainsi que d’une coordination réelle de leurs activités.

M. le Rapporteur : Les collectivités territoriales ont-elles participé à une réflexion sur les forces de sécurité en Corse ou ont-elles été sollicitées pour le financement de certaines opérations ?

M. José ROSSI : Le Conseil général a participé au financement de cinq ou six gendarmeries dans les années 1980. La gendarmerie d’Ajaccio est d’ailleurs logée, pour l’essentiel, dans le bâtiment du Conseil général. Pour compléter ma réponse, je vous dirai qu’il n’y a pas eu de réflexion des collectivités locales sur l’organisation et les moyens de fonctionnement des forces de sécurité.

M. Franck DHERSIN : Au sujet de l’affaire des paillotes, vous avez déclaré que les élus locaux garantissaient la démolition. N’y a-t-il pas là, justement, un interventionnisme anormal des élus sur le domaine de l’Etat et un véritable dysfonctionnement, non pas des élus locaux, mais bien des services de l’Etat qui ont accepté, des années durant, la construction et l’exploitation de ces paillotes ? Il me semble inouï que des élus locaux corses soient obligés d’aller négocier cette garantie de démolition, alors que c’est en l’occurrence le travail de l’Etat.

M. José ROSSI : Je n’ai pas dit que je garantissais ou que les élus garantissaient la démolition des paillotes mais qu’ils avaient joué un rôle de médiation. J’ai également souligné que l’Etat, sur son propre domaine public, avait laissé se développer une situation anormale pendant une vingtaine d’années et que les procédures de justice étant arrivées à leur terme et les jugements devenant exécutoires, il fallait les exécuter. La démolition des paillotes ne suscitait pas d’opposition de la part des élus mais ils ont estimé qu’il fallait organiser correctement le processus de sortie, sans manœuvres dilatoires ; le délai de la saison touristique à venir avait paru raisonnable à tout le monde, y compris au préfet.

Comme vous l’avez indiqué, le fait que l’Etat ait laissé se développer ce type de situation sur son domaine est pour le moins inquiétant. Mais l’objectif des élus n’était pas du tout d’aller garantir eux-mêmes la démolition des paillotes ; nous voulions éviter des dégâts, qu’ils soient économiques, pour l’activité des " paillotiers ", ou d’ordre public.

M. Robert PANDRAUD : A ma connaissance, il n’y a pas eu d’intervention des élus corses en faveur de détenus en vue d’interférer de quelque manière que ce soit dans une instruction judiciaire ; ce qui est vrai, mais cela paraît bien légitime, c’est qu’il y a eu certaines interventions des élus corses en vue de résoudre les problèmes sociaux posés par la détention de certains insulaires. Je souhaiterais d’ailleurs que le Rapporteur fasse le bilan du nombre de personnes incarcérées et qui, au bout de quelques jours ou quelques mois, ont été relâchées.

En effet, les détenus corses quittent l’île pour se rendre à Paris. Qui paye le voyage des familles, alors que la personne incarcérée sera libérée au bout de deux ou trois mois ? Il s’agit là d’une question importante et il est normal que certains élus se soient occupés, non pas du caractère judiciaire, mais des problèmes sociaux posés par ces détentions provisoires, dont la plupart étaient arbitraires et n’avaient d’autre objectif que d’afficher une volonté de lutte contre le terrorisme.

M. le Président : M. Pandraud, le temps nous est compté. Je comprends votre explication, mais il me semble que les personnes transférées à Paris ne sont pas celles qui vivent des problèmes sociaux majeurs ; il y a tout de même des détentions qui s’opèrent sur place !

M. Robert PANDRAUD : Permettez-moi tout d’abord une remarque : il y a eu des aller-retour de la politique judiciaire, qui ne venaient pas toujours de l’île : par exemple, quand, en 1981, on a libéré tous les détenus et Dieu sait si l’on en avait arrêtés dans la période précédente ; qui plus est, je crois que ce n’étaient pas les élus corses qui le demandaient, cela s’est fait dans le cadre d’une campagne électorale, il fallait bien trouver quelques thèmes...

Monsieur Rossi, concernant l’affaire des paillotes, vous nous avez rappelé qu’il y avait eu un engagement envers les élus. Que cet engagement n’ait pas été tenu constitue une faute éthique et morale grave de la part de l’autorité préfectorale, mais je ne vois pas pourquoi on emploierait le Génie plutôt que les gendarmes pour détruire un bâtiment édifié illégalement sur le domaine public. Est-il plus grave d’envoyer un bulldozer ou d’utiliser un jerrican ?

Concernant la perméabilité de la police, comment peut-on être sûr de garder les secrets ? Est-on sûr, en dormant, de ne pas les révéler ? Est-on sûr de ses proches et de ses relations ? Il faut être sérieux...

M. Jean-Yves GATEAUD : J’espère que vous ne faites que poser les questions, sans donner les réponses !

M. José ROSSI : C’est devant l’insistance des commissaires que j’ai donné cette définition très relative de la perméabilité des services de police, car il est vrai que la perméabilité est omniprésente dans une situation aussi peu maîtrisée que celle de la Corse.

Concernant l’affaire des paillotes, les élus n’ont pas demandé d’engagement : le préfet et le syndicat des représentants des paillotes s’étaient mis d’accord pour une démolition à l’amiable, au mois d’octobre, puis le préfet a décidé d’anticiper le moment de la démolition. Je reconnais volontiers qu’il vaut mieux démolir, fusse avec les moyens de l’armée, une paillote plutôt que d’y mettre le feu.

M. Robert PANDRAUD : Il était normal que le préfet demande aux élus de s’engager, il avait besoin d’interlocuteurs.

M. Jean-Yves CAULLET : Dans vos propos et vos explications, vous avez souvent mis l’accent sur le manque de confiance de l’ensemble de la population et la démobilisation des services liés au climat insulaire. Le retournement d’une situation de ce genre ne peut s’opérer que si la population et les services sentent, parmi les responsables de l’Etat et les élus, une certaine solidarité autour d’orientations globales.

Vous avez d’ailleurs indiqué que les relations entre les préfets et les élus n’étaient pas toujours les meilleures. De leur côté, les préfets indiquent qu’ils ne se sont jamais sentis soutenus par les élus. A votre avis, les élus corses ont-ils suffisamment montré qu’ils étaient en mesure de se désolidariser publiquement de la violence et de soutenir un meilleur fonctionnement des services publics, se portant garants de la sécurité de ceux qui, fonctionnaires territoriaux ou d’Etat, essaieraient de faire leur travail ?

Concernant la gestion des fonctionnaires en Corse, j’imagine qu’il y a une forte pression au retour des nombreuses personnes d’origine insulaire qui ont servi l’Etat. Les élus sont-ils fréquemment sollicités pour ce retour qui, s’il est souhaitable, ne garantit pas la mobilité et la gestion opérationnelle des services publics. Comment vivez-vous cette " pression " de la part de fonctionnaires qui vous demandent peut-être de revenir en Corse ?

M. José ROSSI : Je vais vous surprendre, mais la demande des fonctionnaires, d’origine corse, qui sont sur le continent, de retourner sur l’île est beaucoup moins forte que par le passé ; en particulier, au niveau de l’encadrement - ce qui traduit d’ailleurs un certain état de dégradation ; les personnes qui exercent tranquillement leur métier dans une administration à Paris, en Seine-Saint-Denis ou ailleurs, préfèrent y rester plutôt que de revenir en Corse dans le contexte actuel.

La situation est différente pour les " petits emplois ", par exemple le gardien de musée à Paris qui veut rentrer à Ajaccio. La demande pourrait être assez forte pour les agents de la catégorie C, mais elle perd de son sens car les personnels de cette catégorie sont recrutés désormais au plan local, ce qui limite les mutations. Je serais presque tenté de dire que le problème a disparu ; ce qui était vrai il y a une vingtaine d’années, l’est beaucoup moins aujourd’hui.

Quant aux fonctionnaires territoriaux, ils sont recrutés par concours pour les catégories A et B et directement pour la catégorie C sur place, le plus souvent. Il est vrai que cela freine la mobilité, sauf en ce qui concerne la Direction générale des services d’un département ou d’une région et les principaux cadres dirigeants.

S’agissant des fonctionnaires de l’Etat, il serait souhaitable, tout en assurant des durées d’affectation suffisamment longues pour garantir la connaissance des dossiers, qu’il y ait, pour l’encadrement, la mobilité la plus grande possible avec, évidemment, des fonctionnaires de qualité.

Pour en revenir à votre remarque sur les relations entre le préfet et les élus, il est certain que la coopération est indispensable. Je dois dire que nous avons connu des problèmes énormes, avec des réussites et des échecs. Nous avons un sentiment global d’échec mais les élus ont eu, la plupart du temps, des relations normales avec les préfets, souvent même cordiales.

Excusez-moi de vous dire, non pas avec passion mais en faisant un constat serein, que lorsque le préfet Bernard Bonnet est arrivé en Corse, son premier acte a été de déclencher un sentiment de suspicion générale à l’égard des principaux responsables politiques de l’île. Nous n’avons pas cherché à nous couper du préfet Bernard Bonnet, il s’est " bunkérisé " lui-même : il s’est enfermé dans sa préfecture et invitait au coup par coup X, Y ou Z en essayant de diviser les élus, en racontant les pires choses aux uns et aux autres pour créer des zizanies entre eux. Cela n’a pas marché puisque " tout le monde connaît tout le monde ".

De façon générale, il est absolument indispensable qu’il y ait une synergie entre la volonté politique insulaire et le représentant de l’Etat en Corse pour aller dans telle ou telle direction. La coopération était difficile avec le préfet Bernard Bonnet mais était également limitée pour d’autres motifs.

Nous ne sommes pas là pour polémiquer, n’y voyez pas une critique à l’égard du Gouvernement, mais c’est une réalité : le Gouvernement, pendant la période qui a suivi l’assassinat du préfet Erignac, a privilégié l’opinion nationale avant de s’intéresser à l’opinion corse. Celle-ci s’est mobilisée dans un premier temps : 40 000 personnes ont défilé dans les rues d’Ajaccio ; dans le Var, lorsque notre collègue Yann Piat fut assassinée, nous n’avons pas observé, hélas, le même type de réaction. Mais, ensuite au travers du rapport Glavany et des thèmes de communication choisis par le Gouvernement, elle a eu le sentiment d’être agressée en tant que communauté insulaire. L’opinion a considéré que, au-delà de la recherche des assassins du préfet Erignac, il y avait une volonté d’alignement. Les Corses ont ressenti cette attitude comme une agression, d’autant plus que l’opinion nationale, recevant des images extrêmement négatives de la Corse au quotidien, a progressivement évolué dans le sens de la séparation.

Nous sommes dans une situation totalement absurde, aujourd’hui : 8 % à 9 % de Corses se déclarent favorables à l’indépendance, une immense majorité - 91 % -, ne conçoit pas son avenir ailleurs que dans la nation française, alors qu’une petite majorité de l’opinion française pense, comme l’avait déclaré il y a longtemps M. Raymond Barre et quelques autres : " Si les Corses veulent leur indépendance, qu’ils la prennent ! ". Si l’on répète ce type de formule à l’envi, le fossé va continuer à se creuser entre la Corse et le continent et l’on va donner des atouts supplémentaires au mouvement indépendantiste. Seuls les nationalistes et les indépendantistes profitent de cette situation.

Il est nécessaire que les élus, les préfets et les principaux responsables administratifs tiennent - ensemble - un discours responsable. Cela ne s’est pas produit pendant la période que nous venons de vivre. Un nouveau préfet vient d’arriver, il travaille normalement, comme tout préfet, et nous n’avons aucun problème de relations, chacun s’efforçant de remplir sa mission.

M. Jean-Yves CAULLET : J’ai connu les trois derniers préfets, avant l’arrivée de M. Jean-Pierre Lacroix, le premier a quitté le service de l’Etat, le deuxième est mort et le troisième est en prison. Je me suis interrogé : trois hommes, très différents, aboutissent à des situations personnelles très atypiques, alors...

M. José ROSSI : Vous me donnez un argument pour la période précédant 1993 ; j’ai connu une quinzaine de préfets dont certains avaient des qualités exceptionnelles. Si j’avais à décerner des lauriers, celui qui m’a le plus marqué par rapport à la situation corse était M. Joël Thoraval ; il fut préfet sous un gouvernement de droite et un gouvernement de gauche et avait un sens élevé du service public. Un autre préfet, dont j’ai gardé le souvenir, maintenant décédé, était M. Alain Bidoux ; il était très engagé, c’était un " préfet de choc ".

J’ai également connu M. Jean-Paul Frouin, c’était un homme de qualité avec lequel nous avons eu des relations tout à fait normales ; il est possible qu’il ait choisi d’abandonner le corps préfectoral pour d’autres raisons.

Plus récemment, nous avons été confrontés à l’assassinat de M. Claude Erignac et à l’action du préfet Bernard Bonnet. Ces deux seules exceptions peuvent vous conduire à émettre le raisonnement que vous semblez tenir. M. Claude Erignac était un préfet de grande qualité, respecté, mais pas forcément " un tendre ".

Le préfet Bernard Bonnet avait été en poste en Corse précédemment en tant que préfet adjoint pour la sécurité. J’ai cru comprendre que c’était l’une des motivations qui avaient conduit le Gouvernement à le choisir. Il était reparti de Corse en 1991 ou 1992 avec une certaine insatisfaction parce qu’il avait le sentiment d’un travail inachevé. Il est revenu en Corse avec un esprit quelque peu justicier. J’espère que la méthode qu’il a mise en œuvre et le comportement qui a été le sien n’étaient en rien le choix d’une politique gouvernementale.

Je ne partage donc pas votre inquiétude sur le sort réservé aux préfets en Corse. Ils ont certes connu des difficultés, en sont peut-être repartis sceptiques, mais, fort heureusement, pas désespérés.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr