Le 6 décembre l993 à 11h30, dans la banlieue de Sofia, deux officiers de police du CDVR (Direction pour la capitale des affaires intérieures), les capitaines Andreï Grigorov et Dafin Todorov, ont été mortellement blessés (Todorov succombera le 25 décembre) au cours de ce qui a été présenté comme une descente ayant mal tourné chez des trafiquants de drogue iraniens. Une demi-heure plus tôt, ces deux hommes avaient fait irruption, en compagnie du capitaine Michaïl Levenski, dans un "atelier" de conditionnement d’héroïne, situé dans le quartier Nadjda. Blessé (il sera amputé d’une jambe), le capitaine Levenski réussit à s’échapper. Selon les sources officielles, le bureau de CDVR avait été anonymement averti de l’existence de l’atelier ; mais, d’après la presse bulgare, les trois officiers opéraient en civil, sans mandat de perquisition. Dans l’appartement des trafiquants iraniens ont été retrouvées leurs trois vestes posées sur le dossier des chaises, disposées autour d’une table, face à des verres d’alcool et des sachets d’héroïne. Dans une des pièces de l’appartement se trouvait une balance électronique. La reconstitution par des journalistes des événements qui ont suivi ne permet pas d’y voir parfaitement clair dans une affaire pour le moins confuse où plusieurs des protagonistes perdent la vie pour avoir précisément joué un double jeu. Il semble qu’en réalité le "partage" ait mal tourné et que les Iraniens se soient enfuis en montant dans un taxi, qui se trouvait là "par hasard", et dans lequel avait déjà pris place un certain Jordan Jordanov, dit "La Vache", toxicomane bulgare et vraisemblablement indicateur. Ce dernier s’est d’ailleurs rapidement constitué prisonnier. Le soir même, des unités de choc de la police ont arrêté, au hasard semble-t-il, une vingtaine d’Arabes et d’Iraniens. Un peu plus tard, la télévision montrait cinq photos que les trafiquants auraient opportunément abandonnées dans leur atelier. En réalité les clichés provenaient des archives de la police. Se reconnaissant, Massoud Shemadpour, Iranien marié à une Bulgare résidant à Sofia depuis l985 et interprète occasionnel de la police, a téléphoné aussitôt aux autorités pour dire qu’il n’avait pu être témoin de la tuerie puisqu’il était à cette heure à l’ambassade de son pays. Quelques heures plus tard, à 1h du matin, une vingtaine de policiers, estimant vraisem-blablement qu’il risquait d’en savoir trop sur cette affaire, investissent son appartement dans le quartier Lulin et le tuent dans sa cuisine, devant sa famille. Quelques jours plus tard, le capitaine Davoud, officier de liaison, jusqu’en l990, entre les services secrets iraniens (Vévak) et bulgares (KDC), est abattu en pleine rue. Enfin, le 21 décembre, Mehdat Baktiari et Amir Shérif Addim, deux Iraniens mis en cause dans l’affaire, sont tués en plein centre de Sofia. Devant la tournure des événements, les petits trafiquants marocains, sri lankais, syriens, pakistanais, iraniens et roumains ont préféré mettre les stocks d’héroïne et de haschisch en lieu sûr et se faire provisoirement oublier. Le 11 janvier, une autre affaire éclatait : deux gangs bulgares se sont affrontés dans le quartier Droujba, et, le lendemain, devant le casino Sébastopol, pour le contrôle du blanchiment de l’argent de la drogue, des jeux et de la prostitution. Trois jours plus tard, le 14 janvier, les unités de choc venues arrêter un parrain, sont tombées dans une embuscade tendue par un autre service de la police travaillant pour le trafiquant. Lors de l’enterrement des deux victimes policières de cet affrontement, leurs collègues ont interdit au ministre de l’Intérieur d’assister à la cérémonie (correspondant de l’OGD en Bulgarie).

(c) La Dépêche Internationale des Drogues n° 29