Invité au téléphone par la brigade des stupéfiants à converser sur l’opportunité de poursuivre une plainte déposée par France Télécom contre le 3615 CIRC (le service télématique du Collectif d’information et de recherche cannabique), je ne m’attendais pas à passer 48 heures au 36, quai des Orfèvres.

Mis en demeure de modifier dans les 24 heures le contenu de notre "3615", nous avions gentiment obtempéré, supprimant quelques textes et ajoutant des avertissements. Mais France Télécom veut la peau du CIRC et nous assure, entre autres, qu’écrire " le cannabis est efficace contre le glaucome ", c’est le présenter sous un jour favorable.

Une précédente fois, les inspecteurs m’avaient déjà fait le coup du procureur qui veut nous emprunter quelques tee-shirts, dont celui avec le clown coiffé d’une feuille de cannabis, logo du CIRC. Un clown qui, pour ne pas présenter le cannabis sous un jour favorable, devrait s’abstenir de sourire ! Sans plus. Cette fois-ci, changement de scénario.

J’aurais dû me méfier. Une fois au local - espérant peut-être trouver quelques kilos de haschich en provenance du Rif... ? -, ils ont pris cent cinquante badges représentant la colombe de la paix tenant en son bec une feuille de chanvre et huit cent cinquante affiches CANNABIS 95 signées par des associations européeennes d’usagers, la preuve pour les policiers de notre affinité spirituelle et de notre complicité matérielle avec les "lobbies" néerlandais du cannabis.

Dans l’élan, ils ont aussi saisi nos tee-shirts, même ceux qui dans les enveloppes étaient prêts à être expédiés, ainsi que des "stickers" : cent "Une barrette, combien de barreaux ? " par-ci, cent cinquante "Ça pousse en France" par-là, et quelques autocolllants en langue française du Hasch Museum, dont un exemplaire a fini sur la porte d’un bureau du 36, quai des Orfèvres.Finalement, ils ont été obligés de réquisitionner le "sous-marin" (la camionnette banalisée aux vitres sans tain servant à surveiller les dealers) pour transporter les 4.900 exemplaires de "Double-zéro" (notre bulletin de liaison), qui, jamais, au grand jamais ! "n’incite à la consommation" de cannabis.

C’était ma première vraie garde à vue, mais oui ! L’espace est réduit, la nourriture exécrable et les couvertures crasseuses.

Les inspecteurs m’avaient promis du spectacle, des junkies se tapant la tête contre les murs et implorant qu’on leur donne leur dose, je n’ai rencontré que des types sympas, quelques usagers d’héroïne pris en flagrant délit d’achat, et pour l’un d’entre eux, seulement parce qu’il possédait une seringue.

Je n’irai pas jusqu’à remercier Michel Bouchet, le patron de la brigade des stups, mais la nuit venue, nous nous sommes retrouvés une bonne douzaine entassés dans les cages, la grande étant apparemment réservée aux usagers et les deux petites aux dealers.Les trois quarts des pensionnaires "gardés à vue" dans les locaux de la brigade des stups ce jour-là y étaient pour deux ou trois grammes de shit, un pétard dans une chaussette, un pétard à moitié consumé, quelques graines de chanvre dans une voiture !

Blacks, blancs, beurs, ce n’était pas vraiment des zonards. Des étudiants, quelques provinciaux et des travailleurs se demandant comment expliquer à leurs employeurs qu’ils étaient retenus pour une minable barrette de shit.

Tous, nous n’avions qu’une hâte : quitter cette cage sordide, puis une fois dehors, se fumer un bon gros pétard. Ce souhait unanime démontre, s’il en est, l’efficacité des campagnes préventives de la police, justifiées par Michel Bouchet, lequel affirmait lors d’une conférence organisée par la mairie de Paris : "Cette pénalisation nous permet à la fois de rendre service (!) au toxicomane et de lui rendre service (!!) une seconde fois, indirectement, en pesant fortement sur le dealer."

"Les toxicomanes" au cannabis que j’ai croisés lors de ma garde à vue se passeraient volontiers des services de monsieur Bouchet. Ils se gaussent des leçons de morale des inspecteurs et dénoncent rarement leur fournisseur.

Depuis 1991, nous avons distribué des dizaines de milliers de tracts, et seulement une demi-douzaine de personnes ont trouvé notre "littérature" incitative. Par contre, nous avons reçu au CIRC des témoignages d’adolescents qui se sont servis des tracts diffusés par le CIRC pour informer leurs parents sur les dangers réels du cannabis.

Le CIRC énerve la maréchaussée, ses adhérents revendiquent le droit au plaisir de consommer librement du cannabis. Ils ont des arguments et des idées ! En Vendée, des membres du CIRC se sont présentés au commissariat et se sont dénoncés comme les "clients privilégiés" de leur pote arrêté en possession de cent cinquante grammes de haschich. A Brest, les animateurs du CIRC sont dans le collimateur de la justice pour avoir ouvert au Douric, le premier "cannabistrot", où on ne fait pourtant qu’informer sur le cannabis.

Ce que la police reproche au CIRC, ce sont ses audaces et son insolence. Considérant les usagers comme des experts tout aussi qualifiés que les flics et les médecins, le CIRC défend le système du "cannabistrot" où l’Etat se contenterait de jouer son rôle, celui de percepteur de taxes.

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A peine sorti de garde à vue, je partais pour Amsterdam. Cette année, la NCCB (Association néerlandaise des consommateurs de cannabis) avait invité les associations européennes d’usagers à participer à la Cannabis cup. Tout comme l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique et la Suisse, nous avions apporté quelques variétés locales de cannabis, qui n’ont pas été "primées" : c’est l’Allemagne avec sa "killer" qui remporta la coupe devant la "marijuana de Lerida".

A l’heure où nous abusions sans conséquences notoires de marijuana amoureusement sélectionnée, d’autres m’avaient succédé dans la cage simplement pour avoir au fond d’une poche un petit bout de shit de rien du tout. Et d’autres, des imprudents, alors que nous dégustions les crus européens, sont en prison.

Depuis septembre 1994, le CIRC est aussi engagé dans Amnesty des drogues, mouvement regroupant des associations d’usagers, qui se propose de soutenir des "prisonniers des drogues". Le premier à avoir demandé le soutien d’Amnesty des drogues s’appelle Ronald Roffel, un Néerlandais qui subit une peine de dix ans de prison en France pour avoir trafiqué du cannabis. Le samedi 15 octobre, on a saisi dans sa cellule des documents personnels, des tee-shirts, et on lui interdit de correspondre avec la NCCB et le CIRC. Dans l’indifférence générale - malgré les pressions du CIRC sur la presse -, Ronald Roffel a entamé une grève de la faim. Aujourd’hui, on l’a transféré de Bapaume à Loos-lès-Lille.

A travers Ronald, otage du gouvernement français, la France veut punir la politique audacieuse des Pays-Bas en matière de drogues.A présent, les amateurs de cannabis sortent de la clandestinité. Lors de la première Cannabis cup européenne, ils ont fondé une fédération regroupant les associations allemandes, belges, néerlandaises, espagnoles et françaises.

L’objectif de la fédération ? Que soient écoutés les arguments des cannabinophiles lorsque, de guerre lasse, l’Europe décidera de sortir enfin la plante cannabis du tableau des stupéfiants.

Jean-Pierre Galland

Président du Collectif d’information et de recherche cannabique