La répartition géographique des tribunaux sur le territoire corse s’établit ainsi qu’il suit :

 la Cour d’appel est située à Bastia, ainsi que l’un des deux tribunaux de grande instance, l’autre étant situé à Ajaccio.

 trois tribunaux d’instance sont installés à l’Ile Rousse, Corte et Sartène, et un siège de greffe est détaché à Porto Vecchio.

On dénombre dans l’île un peu moins d’une cinquantaine de magistrats et plus d’une centaine de fonctionnaires des greffes.

a) UN FONCTIONNEMENT DIFFICILE DE LA JUSTICE DU FAIT DES SPECIFICITES INSULAIRES

· des missions multiples

Les fonctions dévolues traditionnellement à la justice revêtent en Corse des caractéristiques particulières liées au contexte spécifique de l’île.

Ainsi la recrudescence des attentats liés au développement des mouvements nationalistes depuis 1976 a-t-il imposé une priorité en matière de lutte contre le terrorisme. Les juridictions corses concourent à cette lutte concurremment aux juridictions parisiennes, dans le cadre juridique posé par la loi du 9 septembre 1986.

Par ailleurs, selon plusieurs témoignages recueillis par la commission, le règlement des différends privés s’opère souvent par des plastiquages de véhicules ou d’habitations, autrement dit des méthodes de règlement des conflits assez " inhabituelles " sur le continent. De l’aveu d’un haut magistrat entendu en Corse, " le recours à l’explosif est ici un mode relativement classique de solutions des litiges privés. "

La commission d’enquête ne peut également que faire le constat de l’existence d’une violence spécifique : un ancien préfet de Corse a notamment souligné " l’existence d’une permissivité certaine sur le port d’armes ".

Cette tradition ancienne ne semble pas d’ailleurs en voie d’extinction, puisqu’un magistrat auditionné lors du déplacement en Corse a indiqué que 111 vols à main armée avaient été constatés depuis le début de l’année 1999, contre 63 pour l’ensemble de l’année 1998.

· des magistrats désemparés

Plusieurs signaux d’alerte ont été adressés aux pouvoirs publics depuis 1995 pour attirer leur attention sur le malaise de la justice en Corse :

 la suspension par l’assemblée plénière des magistrats du TGI de Bastia de toutes les activités des tribunaux de grande instance et d’instance entre le 3 et le 11 novembre 1995, à la suite d’un attentat ayant visé la résidence personnelle du procureur de la République ;

 l’envoi au garde des sceaux le 12 janvier 1996 d’une lettre ouverte de 14 magistrats des deux tribunaux de grande instance8(*) dénonçant les dérives de l’action publique et plus particulièrement le traitement de faveur dont bénéficiaient certains nationalistes ;

 l’adoption par l’assemblée générale des magistrats du TGI de Bastia d’une motion le 26 juin 1996 dénonçant les tentatives d’intimidation exercées sur les magistrats, notamment par le biais de communiqués ou de tracts.

Jusqu’à l’attentat contre la mairie de Bordeaux, le 5 octobre 1996, les magistrats ont été confrontés à des messages contradictoires des gouvernements successifs. Un manque de lisibilité de l’action de l’Etat, illustré par les lois d’amnistie de 1981, 1982 et 1989, alternant avec des phases de répression, notamment en 1982 avec la nomination du préfet Broussard, puis en 1986 sous l’impulsion du ministre de l’intérieur M. Charles Pasqua, a abouti à une certaine confusion, entraînant une démotivation des magistrats en Corse. La lettre ouverte du 12 janvier 1996 dénonçait ainsi le double langage des pouvoirs publics et la pression des nationalistes.

La commission d’enquête a cependant constaté qu’une certaine clarification des missions de la justice avait été entreprise depuis trois ans. Une politique plus ferme tournée vers le respect de l’état de droit, a en effet été engagée sous l’impulsion du gouvernement Juppé. Le gouvernement actuel a conforté cette orientation. Comme l’a déclaré le garde des sceaux devant la commission, il s’agit de faire en sorte que " selon les directives données par le Premier ministre, la loi soit respectée en Corse ".

B) UN RENFORCEMENT RECENT DES MOYENS ATTRIBUES A LA JUSTICE EN CORSE

Le " rapport Glavany 9(*)" fait au nom de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, sur l’utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse, a dressé en septembre 1998, le constat " d’une justice en crise " et a mis en évidence une certaine misère matérielle qui peut être illustrée par l’installation du bureau du nouveau procureur adjoint d’Ajaccio dans la bibliothèque du palais de justice.

Face à cette situation, le garde des sceaux s’est engagé à développer les moyens destinés à renforcer l’action de la justice en Corse.

· Un accroissement des effectifs

La Corse compte désormais 44 emplois budgétaires de magistrats et quatre autres ont été affectés en surnombre. Actuellement, 48 magistrats sont donc en poste dans le ressort de la Cour d’appel de Bastia. Un poste de juge d’instruction supplémentaire a été créé en 1996 et un poste de juge d’instruction de Bastia a été redéfini en un poste de vice-président chargé de l’instruction.

Un substitut général a été nommé au mois de septembre 1997, pour coordonner l’action publique sur l’île sous l’autorité du procureur général. En outre, deux magistrats du parquet ont été nommés comme procureurs adjoints10(*), l’un à Ajaccio et l’autre à Bastia. En 1999, la Cour d’appel de Bastia s’est vu dotée d’un poste de conseiller supplémentaire, et le tribunal de grande instance de Bastia d’un juge .

Ainsi, le nombre de magistrats rapporté à la population est-il onze fois plus élevé en Corse que dans le département le plus démuni s’agissant des services judiciaires.

Deux affectations en surnombre bénéficient aux fonctionnaires des greffes, dont le nombre s’élève désormais à 132.

Par ailleurs, on ne décompte pas moins de 16 assistants de justice11(*), dont le rôle est de venir en aide aux magistrats, six ont été recrutés depuis 1996 et quatre autres le seront d’ici la fin de l’année 1999.

En outre, trois assistants spécialisés ont été recrutés dans le cadre de la mise en place du pôle économique et financier de Bastia depuis le 1er juin 1999 et dont la création traduit la nouvelle dynamique engagée en faveur de la magistrature en Corse.

LES MOYENS AFFECTÉS AU PÔLE ÉCONOMIQUE ET FINANCIER

Parquet : un procureur adjoint de la République spécialisé dans les affaires économiques et financières.

Instruction : 1 magistrat instructeur (un magistrat supplémentaire recruté pendant l’été 98 et affecté au pôle depuis sa création) et un demi poste de magistrat instructeur crée depuis septembre 1999

Greffe : Création d’un poste de greffier supplémentaire

Assistants de justice : 2 assistants de justice

Assistants spécialisés : 3 assistants spécialisés , dont 2 affectés depuis le 1er juin et 1 depuis le 1er juillet :

un assistant originaire de l’administration fiscale : inspecteur des impôts

un assistant originaire de la direction de concurrence et de la consommation : inspecteur de la DGCCRF

un assistant originaire des douanes : contrôleur de première classe de la direction générale des douanes

Leur mission : fournir une assistance technique aux magistrats chargés des dossiers financiers ; ils peuvent être sollicités tant par le pôle de Bastia que par le tribunal de grande instance d’Ajaccio. " Ils doivent contribuer à une synergie dans le traitement de tous les dossiers économiques et financier ", selon les propos tenus par un magistrat en corse. .

Parallèlement, le TGI d’Ajaccio a été restructuré à l’image de celui de Bastia, puisqu’il est désormais composé de deux chambres au lieu d’une. Le garde des sceaux a fait part de son intention de dégager des moyens importants d’ici la fin de l’année, au sein de ce tribunal, pour faciliter le traitement du contentieux des dossiers agricoles concernant les entreprises en redressement qui sont actuellement dans une situation économique très préoccupante.

· Un accroissement des moyens matériels

Un effort particulier a porté sur les moyens informatiques : celui-ci s’est traduit par une informatisation de tous les postes de travail par le biais d’une dotation de 1,2 million de francs attribuée à la cour d’appel de Bastia.

Les budgets de fonctionnement des juridictions en Corse ont été augmentés à un rythme supérieur à celui des autres juridictions françaises. Cette situation contraste avec la baisse des crédits de fonctionnement dénoncée par le président du tribunal de grande instance d’Ajaccio en 1996.

Les crédits d’entretien immobilier ont été abondés. Ils s’élèvent désormais à plus de 25 millions de francs pour l’année 1999, répartie notamment à hauteur de 9 millions de francs pour le palais de justice d’Ajaccio et 11,7 millions de francs pour le palais de justice de Bastia.

Plusieurs opérations d’équipement ont été engagées ou sont en projet :

* la réfection de la toiture et de quelques bureaux du palais de justice de Bastia, endommagé en août 1996 lors d’un incendie ;

* la mise aux normes de sécurité du palais de justice d’Ajaccio, pour lequel ont été débloqués 2, 45 millions de francs depuis 1996 ;

* une étude générale a été réalisée en 1997 afin de sécuriser les palais de justice ; plusieurs priorités ont été dégagées : fermeture effective et contrôle de la fermeture des portes, portails sécurisés, rondes externes effectuées par les forces de l’ordre, protocole d’utilisation des parcs de stationnement et installation de barrières électriques ;

* en 1998, l’agencement et l’équipement immobilier du pôle économique et financier a bénéficié de l’attribution d’un million de francs de crédits.

Ces moyens engagés témoignent clairement d’un effort de l’Etat pour remobiliser les magistrats exerçant en Corse.


Source : Sénat. http://www.senat.fr