Si elle ne participe qu’à hauteur de 2 % environ au produit intérieur brut de l’île, l’agriculture joue cependant un rôle non négligeable à la fois dans la société insulaire, dans le débat politique et en matière d’aménagement du territoire. Largement dépendante d’aides publiques, elle connaît aujourd’hui des difficultés d’adaptation réelles ; ce constat général doit être toutefois nuancé par la diversité des activités agricoles pratiquées sur la plaine orientale ou en zones montagneuses. En effet, l’agriculture corse ne se présente pas de façon uniforme sur l’ensemble de l’île.

( MALGRE UN POIDS ECONOMIQUE LIMITE, UNE PLACE IMPORTANTE DANS LA SOCIETE INSULAIRE

Le résultat brut d’exploitation du secteur agricole a atteint environ 445 millions de francs en 1997. L’agriculture corse tient une place modeste dans l’ensemble français. Elle apparaît cependant comme un secteur de la vie économique important assurant un revenu à près de 10 % de la population insulaire. Au sens de la statistique agricole, le nombre d’exploitations en Corse, qui était estimé à 3.800 en 1996, est descendu à 3.600 en 1997. Ce nombre est en diminution rapide : - 4,4 % en moyenne par an sur 9 ans. Quant aux installations avec DJA (dotation jeunes agriculteurs), elles sont de 45 par an en moyenne, soit la moitié du nombre nécessaire au maintien de l’ensemble actuel des exploitations agricoles.

En dépit de résultats économiques où se cotoient le meilleur et le pire, le monde agricole corse se situe au centre de préoccupations politiques depuis de nombreuses années. La multitude de plans coûteux mis en place en faveur de cette agriculture depuis les années 1970 témoigne de l’attention que les pouvoirs publics lui ont consacrée.

Par ailleurs, la commission d’enquête a entendu qu’au sein de l’univers agricole, existaient des relais pour les idées des groupes nationalistes. Certains n’hésitent pas à parler de monde " agricolo-nationaliste ". Selon ces observateurs, cette profession au sens large du terme représenterait une force de protestation que les divers gouvernements ont tenté de prendre en compte et de canaliser.

La commission d’enquête a surtout pu constater combien les principales institutions de l’agriculture corse pêchaient à la fois par leur mauvaise gestion et leur impuissance à définir une politique claire. caisse de Crédit agricole, caisse de Mutualité sociale agricole (MSA) et ODARC (office du développement agricole et rural de la Corse) illustrent l’incapacité des dirigeants professionnels de ce secteur à assumer leurs responsabilités avec rigueur et sens de l’intérêt général. La commission ne saurait néanmoins reprendre à son compte des affirmations trop générales englobant dans une indistincte réprobation toute une profession, alors même qu’une majorité des agriculteurs subit précisément les conséquences négatives des agissements d’un petit nombre.

De même, pour expliquer les difficultés rencontrées par ce secteur, les acteurs locaux privilégient trop souvent trois types d’explications qui n’ont pas convaincu la commission :

 les agriculteurs corses ne seraient pas assez soutenus par l’État,

 la situation sinistrée de certaines filières serait due en grande partie à l’insularité et aux handicaps naturels qui rendraient difficile le développement d’une agriculture performante et exportatrice,

 l’agriculture ne serait pas en mesure de lutter face à la concurrence de certains pays comme l’Espagne en matière d’agrumes notamment.

Au cours de ses travaux, la commission d’enquête a entendu les arguments plaidant en faveur d’une aide toujours plus forte en direction de l’agriculture, présentée comme un enjeu fort pour la société corse, encore très rurale. Elle s’interroge cependant sur un point essentiel : fallait-il multiplier durant ces dernières années les sollicitudes et les tolérances envers ce secteur fragilisé par le phénomène cumulatif de l’endettement lié à la pratique fort répandue du non-paiement et par une souplesse extrême

 pour ne pas parler de fraude - dans l’attribution de nombreuses aides nationales ou communautaires ? La situation actuelle n’est-elle pas le résultat de nombreuses années de laxisme auquel il est grand temps de remédier ?

( LES DIFFERENTS VISAGES DE L’AGRICULTURE CORSE

Il est d’usage de distinguer en termes de production la plaine orientale, l’intérieur et la montagne. L’agriculture présente deux visages différents, tous deux typiquement méditerranéens, axés sur la montagne et sur la plaine côtière. Pour schématiser, une agriculture traditionnelle, de type extensif centrée sur l’élevage (bovin, porcin, ovin, caprin) est principalement localisée dans l’intérieur et le sud, tandis qu’une agriculture spécialisée plus intensive installée en plaine orientale et dans les basses vallées s’oriente vers les cultures fruitières (agrumes, kiwis, amandes) et viticoles.

Dans la plaine, et notamment sur la côte orientale, une agriculture moderne, organisée, mécanisée et intensive s’est progressivement développée et a fait preuve d’une certaine capacité d’adaptation. A la monoculture de la vigne s’est substituée une gamme diversifiée de spéculations : les céréales (le maïs), les vergers (les kiwis et les clémentines corses par exemple), les vignes d’appellation et le maraîchage de plein champ. Cependant, les investissements nécessaires aux réorientations qui s’imposent et les déboires de la commercialisation de certaines productions fruitières et légumières ont entraîné des difficultés financières parfois inextricables pour de nombreuses exploitations. La question de la viabilité de certaines d’entre elles se trouve aujourd’hui posée.

Rappelons que la mise en valeur de la plaine orientale avait justifié la création de la SOMIVAC en 1957. L’arrivée des rapatriés en 1962 y permit un développement rapide de la viticulture. Mais la nécessité de contrôler la production communautaire entraîna des politiques d’arrachage, puis de restructuration.

Nombre de choix de développement agricole doivent désormais être révisés. La restructuration réussie du vignoble a laissé des terres en friche. L’agrumiculture est en crise et les professionnels paraissent divisés entre eux comme dans le secteur légumier. Pourtant, la plaine orientale est une région fertile et prometteuse. Son développement pourrait être accéléré grâce à l’augmentation des productions fourragères et de l’alimentation du bétail ainsi que des productions fruitières et légumières tournées vers le marché local.

Sur les coteaux et dans les montagnes de l’intérieur de l’île, soit dans la majeure partie du territoire, l’agriculture est de type traditionnel et extensif, centré autour des activités pastorales et de transformations laitières et charcutières. Il apparaît que ce secteur souffre du sous-équipement structurel des petites communes de l’intérieur. Les filières de production n’y sont organisées que de manière embryonnaire. A côté d’exploitations traditionnelles associant quelques productions fruitières (châtaigniers, oliviers, amandiers, pommiers, noisetiers, quelquefois pêchers et clémentines) à des élevages généralement extensifs (porcs, vaches, chèvres, etc) transformant et commercialisant leurs produits (charcuterie, fromage), se sont développées des exploitations modernes. Relativement spécialisées, elles portent sur l’horticulture florale, le maraîchage, la viticulture et la production de lait de brebis.

La montagne reste essentiellement tournée vers l’élevage ; les agriculteurs cherchent la meilleure valorisation possible de leur travail à travers des productions typiques. Certains d’entre eux y parviennent grâce à des productions traditionnelles de qualité dont plusieurs sont déjà en AOC (miel, fromage par exemple). Un effort d’organisation et de rigueur devrait à l’avenir permettre de développer ces productions, qui pourraient être davantage exportées. Elles présentent notamment l’avantage d’être moins sensibles aux aléas des transports que les légumes ou les agrumes par exemple.

( VINGT ANS DE MUTATIONS PARFOIS DOULOUREUSES

D’une manière générale, les agriculteurs corses ont pris conscience avec retard par rapport à ceux du continent de la nécessité de se moderniser. Un des préalables essentiels de la réussite en ce domaine, comme dans d’autres, consiste dans la qualité de la formation et de l’ingénierie. On peut noter à cet égard que le niveau de qualification des agriculteurs s’améliore, même si le nombre de titulaires de BTA ou plus reste faible.

L’agriculture corse se caractérise par une grande diversité des structures d’exploitation entre celles d’élevage extensif, relativement importantes, notamment en Corse-du-Sud, et les petites exploitations fruitières de la plaine orientale16. Aujourd’hui, cette dispersion des structures reflète des systèmes de production très divers et souvent combinés17. A la disparition de nombreuses petites exploitations s’est ajoutée au fil du temps la non culture de domaines importants sur la côte orientale. Depuis vingt ans, la chute impressionnante du nombre d’exploitations (- 41 % en Corse pour - 35 % en moyenne pour la France toute entière) s’est accompagnée d’une baisse relativement réduite de la surface utilisée (- 9 %), ce qui signifie qu’il y a moins d’exploitations mais qu’elles utilisent plus d’espace. Les exploitations les plus réduites tendent, elles, à disparaître.

Le secteur de l’élevage n’a pas fondamentalement évolué depuis ces années, même si le nombre des bovins18 a fortement crû. Une explication à ce phénomène tient dans la mise en place des primes animales. Ceci n’a pas été sans créer de réelles difficultés car la hausse spectaculaire des cheptels ne s’est nullement accompagnée d’une mise en valeur des espaces utilisés et a entraîné un déficit fourrager préoccupant. Il convient aujourd’hui d’organiser cette filière grâce à un programme maîtrisé de constructions d’abattoirs répartis sur l’ensemble du territoire et en incitant les producteurs à se regrouper afin d’améliorer la qualité de la viande et la promotion des produits. Entre 1970 et aujourd’hui, les troupeaux ovins et caprins ont augmenté régulièrement, mais la part dans l’effectif français se situe respectivement autour de 7 % pour les ovins et de 4 % pour les caprins. L’élevage occupe une partie non négligeable du territoire. Extensif, il est conduit en montagne où de vastes espaces sont disponibles. En plaine, dans le sud de l’île et dans l’est, de nombreux troupeaux ovins et caprins fournissent la matière première à des produits de qualité bien valorisés. Le secteur porcin se développe également.

Le secteur végétal a, quant à lui, connu de profondes transformations. Le verger d’agrumes a été presque entièrement rénové. La surface de la vigne a été divisée par quatre en laissant place dans bien des cas à des terres non cultivées. Un regain d’intérêt s’est manifesté depuis peu pour les cultures de la châtaigne, de l’olive, de la noisette, de l’amande ainsi qu’en témoigne par exemple le contrat de plan en cours d’exécution. Ces productions végétales se sont surtout développées en Haute-Corse. La châtaigne, la noisette et l’amande constituent donc les principales cultures récemment réhabilitées en Corse, qui figure parmi les premières régions françaises en ce qui concerne les productions de la châtaigne et de l’amande. Les amandiers s’étendent sur une surface de 800 hectares (après un rythme de plantation de près de 150 hectares par an). La surface en agrumes a peu varié au cours des vingt-cinq dernières années. En revanche, la réorientation variétale, impulsée par les " plans agrumes " successifs, a été spectaculaire.

Les éléments positifs ne manquent pas et permettent d’espérer à terme le décollage d’un secteur agricole modernisé, qui sera possible lorsque diverses conditions seront réunies. Des propositions en ce sens figurent dans la dernière partie du rapport.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr