Depuis le statut de 1991, c’est la Collectivité territoriale de Corse qui est compétente pour déterminer les grandes orientations du développement agricole et rural de l’île. A cette fin, elle dispose de deux établissements publics à caractère industriel et commercial dotés de la personnalité civile et de l’autonomie financière, sur lesquels elle exerce son pouvoir de tutelle. Ceux-ci sont présidés par un Conseiller exécutif et gérés par un directeur nommé sur proposition du président de l’office par arrêté délibéré en Conseil exécutif. Ces deux offices sont, d’une part, l’ODARC, chargé de la mise en œuvre des actions tendant au développement de l’agriculture et à l’équipement du milieu rural102, et d’autre part, l’office d’équipement hydraulique de Corse (OEHC), chargé de l’aménagement et de la gestion de l’ensemble des ressources hydrauliques de Corse103. Les développements qui suivent concernent le premier organisme104.

( L’ODARC " NOUVELLE FORMULE " DE 1992

L’ODARC, qui se veut le relais de la Collectivité territoriale de Corse, se voit déléguer par l’Assemblée de Corse105 des crédits importants pour les secteurs agricoles et forestiers. Il est en charge de l’individualisation d’une part conséquente des crédits alloués, que ces derniers émanent de l’État, de la Collectivité territoriale ou de l’Union européenne106. Il peut de ce fait être considéré comme l’intermédiaire ou le " guichet unique " du développement agricole en Corse.

Pour l’année 1998, ses dépenses et recettes de fonctionnement doivent atteindre plus de 29 millions.

LES DEPENSES DE FONCTIONNEMENT POUR 1998

ACHATS : 1.000.000 F (3,4 %)

SERVICES EXTERIEURS : 4.098.000 F (14,5 %)

IMPOTS ET TAXES : 455.000 F (1,5 %)

CHARGES DE PERSONNEL107 : 21.147.000 F (72,6 %)

AMORTISSEMENTS ET PROVISIONS : 2.168.000 F (7,4 %)

DEPENSES IMPREVUES : 200.000 F (0,6 %)

TOTAL : 29.068.000 F (100 %)

LES RECETTES DE FONCTIONNEMENT POUR 1998

VENTES ET PRESTATIONS : 3.817.000 F (13,1 %)

DOTATION DE FONCTIONNEMENT : 17.200.000 F (59,1 %)

AUTRES CONCOURS : 7.380.000 F (25,3 %)

PRODUITS FINANCIERS : 20.000 F (0,1 %)

PRODUITS EXCEPTIONNELS : 191.000 F (0,7 %)

REPRISES SUR PROVISION : 460.000 F (1,7 %)

TOTAL : 29.068.000 F (100 %)

En 1997, le budget de l’office s’élevait à 120 millions de francs : 20 millions pour le fonctionnement et 100 pour les investissements108. Dans son rapport d’activités pour 1997, l’ODARC note que son compte de résultat de l’exercice 1997 s’élève au total à 130,923 millions de francs et fait apparaître un déficit de 146.621 francs.

( DES OPERATIONS D’INTERVENTION ET DE DEVELOPPEMENT DE GRANDE AMPLEUR

L’ODARC fonctionne comme une instance distributrice d’aides et de subventions en provenance de l’État, de l’Union européenne et de la région. En 1998, la totalité des subventions allouées au secteur agricole doit atteindre 250 millions de francs.

Au cours de cette année, l’ODARC doit répartir directement des fonds en provenance de la Collectivité territoriale à hauteur de 59,60 millions109, de l’État à hauteur de 26,95 millions de francs et de l’Union européenne pour 8,31 millions de francs. Concernant le secteur de la forêt, qui doit bénéficier de 15,78 millions de francs en 1998, l’office doit gérer directement 12,98 millions de francs : 5,40 millions de francs au titre de la Collectivité territoriale de Corse, 4,05 millions de francs au titre de l’État, 3,53 millions de francs au titre de l’Union européenne.

( DES COMPETENCES FORT ETENDUES

Les statuts de 1992 indiquent, dans son article 2, que " l’office est chargé, dans le cadre des orientations définies par la Collectivité territoriale de Corse, de la mise en œuvre d’actions tendant au développement de l’agriculture et à l’équipement du milieu rural. " Les actions de développement agricole sont réalisées par l’office, conformément aux articles R 821 à R 821-4 du code rural. A ce titre, il bénéficie des aides financières que l’association nationale du développement agricole (ANDA) consacre aux actions de développement agricole en Corse par le moyen du fonds national du développement agricole (FNDA). "

Les articles 4, 5, 6 et 7 de ses statuts prévoient que l’ODARC :

* se substitue aux commissions départementales des structures agricoles pour la mise en oeuvre du contrôle des structures agricoles (art 4) ;

*

* exerce certaines des compétences dévolues au centre national pour l’aménagement des structures des exploitations agricoles (CNASEA) (art 4) ;

*

* est habilité à être un organisme agréé par l’administration pour l’instruction des dossiers d’installation des jeunes agriculteurs et des plans d’amélioration matérielle des exploitations agricoles (art 4) ;

*

* est le représentant en Corse des offices d’intervention du secteur agricole relevant du ministère de l’agriculture et exerce les compétences qui lui sont dévolues à ce titre. Les relations entre l’ODARC et ces offices d’intervention sont régies par voie de convention approuvée par le ministère de l’agriculture (art 5) ;

*

* est consulté pour toutes les questions relatives à la modernisation et au développement de l’agriculture et notamment lors de l’élaboration du contrat de développement de la Corse et du schéma d’aménagement de la Corse (art 6).

*

* peut procéder à des études d’ensemble ou sectorielles quelle que soit leur nature ainsi qu’à des travaux d’expérimentation et de recherche appliquée, à des études de travaux d’équipement liés aux exploitations agricoles (article 7) ;

*

* mener des actions d’animation et d’assistance commerciale afin de faciliter l’organisation des producteurs, le contrôle de la production et des débouchés (art 7) ;

*

* mener des actions de mise en valeur en vue du développement de l’agriculture, de la forêt, de l’aquaculture, ainsi que du développement en milieu rural du tourisme et de l’artisanat (art 7) ;

*

* réaliser des programmes spéciaux au titre des règlements communautaires (art 7) ;

*

* assurer la distribution des aides financières à des exploitants agricoles et à leurs groupements (art 7).

*

Aux termes de l’article 7 des statuts, l’ODARC peut soit exécuter ses missions lui-même, soit confier cette exécution à d’autres intervenants. Par exemple, l’office peut " passer convention avec les Chambres départementales d’agriculture ou toute autre personne de droit public ou privé ".

Ainsi l’ODARC est conçu comme devant être le lieu de mise en oeuvre de la politique agricole. L’État n’a, en effet, plus la capacité d’impulser une politique agricole en Corse car, dans ce secteur important pour l’économie insulaire, la décentralisation a été poussée très loin. Cependant, ce ne sont pas les élus de l’île qui se sont appropriés ces nouvelles attributions, comme l’illustre la composition du conseil d’administration.

( UN CONSEIL D’ADMINISTRATION DOMINE PAR LES SOCIO-PROFESSIONNELS DU MILIEU AGRICOLE

Composé de 25 membres, le conseil d’administration est présidé par un conseiller exécutif désigné par le président du Conseil exécutif. Il comprend, outre son président et le président de l’Assemblée de Corse, 23 autres membres :

* Huit membres désignés par l’Assemblée de Corse en son sein lors de chaque renouvellement.

*

* Pour chaque département de la Corse, un membre désigné par les Chambres départementales d’agriculture (deux en tout).

*

* Pour chaque département de la Corse, trois membres désignés par les organisations représentatives des chefs d’exploitations agricoles (six en tout). Cette désignation se fait proportionnellement aux voix obtenues par ces organisations lors des élections aux Chambres d’agriculture.

*

* Un représentant des salariés agricoles.

*

* Un membre désigné par la SAFER (société d’aménagement foncier et d’établissement rural) de Corse.

*

* Un membre désigné par l’office hydraulique (OEHC).

*

* Quatre représentants du personnel de l’office désignés par les organisations syndicales représentatives du personnel. La désignation de ces membres se fait proportionnellement aux voix obtenues par les organisations syndicales représentatives du personnel aux élections du comité d’entreprise.

*

Lors de son audition devant la commission d’enquête, un témoin expliquait : " Au sein de l’ODARC, les élus de la Collectivité territoriale n’exercent pas ces pouvoirs. Dans les faits, l’ODARC est totalement contrôlé par les professionnels agricoles qui siègent nombreux à son conseil d’administration et prennent seuls toutes les décisions au sein de son comité technique chargé de l’instruction des dossiers. Je considère que les élus ont largement renoncé à leurs pouvoirs de décision et de contrôle. (...) Je rappelle également que depuis dix ans, M. Valentini a été président puis membre du conseil d’administration en tant qu’élu à la Collectivité territoriale, puis membre du conseil d’administration en tant que président de la Chambre régionale d’agriculture, et qu’il n’a jamais cessé de diriger, de fait, l’ODARC. "

Dans leur réponse à un questionnaire leur ayant été adressé par la commission d’enquête, les responsables de l’ODARC, rappelant que le décret de 1983 créant l’office prévoyait une majorité de socio-professionnels au sein du conseil d’administration, ont estimé que, de ce fait, il n’aurait pas été opportun de les écarter brusquement en 1991 au moment du vote du nouveau statut. Tout récemment, la Collectivité territoriale a néanmoins envisagé de revoir la composition du conseil d’administration afin que les élus y soient majoritaires.

Sont associés à titre consultatif un membre désigné par la caisse régionale de Crédit agricole, un membre désigné par la fédération régionale des coopératives agricoles, le président du Conseil exécutif, le président de la commission de contrôle des offices de la Collectivité territoriale, le directeur régional et les directeurs départementaux de l’agriculture et de la forêt (DRAF et DDAF), l’agent comptable et le secrétaire du comité d’entreprise de l’ODARC. En outre, le préfet de région y assiste de plein droit.

Notons que, selon l’article 14 des statuts, le conseil d’administration ne peut valablement siéger que lorsque les trois quarts au moins de ses membres ont été régulièrement désignés110. D’après les informations fournies dans le rapport d’activités pour 1997 de l’office, le conseil d’administration s’est réuni seulement deux fois au cours de l’année 1997. Au cours de la réunion du 20 février 1997, l’état prévisionnel des recettes et des dépenses a été adopté et les crédits relatifs aux filières de production ont été répartis. Lors de la séance du 22 octobre 1997, le conseil d’administration a, après avoir adopté les orientations budgétaires pour 1998, décidé de la mise en place d’un dispositif d’aide au transport de fromage et d’aliments de bétails pour les agriculteurs victimes de la sécheresse ...

Le conseil d’administration délibère notamment dans les matières suivantes :

* Les programmes généraux d’activité et d’investissement, les marchés de travaux, de fournitures et de services

*

* L’état annuel des prévisions des recettes et des dépenses, et le cas échéant, les états rectificatifs en cours d’année ;

*

* Les comptes de chaque exercice et l’affectation des résultats ;

*

* Les emprunts, les acquisitions, échanges et aliénations de biens immobiliers ;

*

* Les prises, extensions et cessions de participations financières ;

*

* Les conditions générales de tarification de vente des produits de l’exploitation et des prestations de services ;

*

* Les conditions générales de passation, de financement et de contrôle des marchés.

*

Mais il faut relever que c’est la commission technique permanente (CTP) qui a compétence pour individualiser les aides111. Cette commission est composée de 8 membres : le président de l’ODARC, 2 conseillers territoriaux (taux de présence en 1996 : 50 %), 5 socio-professionnels (taux de présence en 1996 : 65 %). En 1996, la CTP s’est réunie 4 fois au cours de l’année. Elle a examiné 743 dossiers de demandes d’intervention pour un montant de subventions de 84,6 millions de francs. Elle a accepté 726 dossiers pour un montant de subventions de 75,07 millions de francs se répartissant en 466 opérations de modernisation et d’équipement des exploitations agricoles, 45 dotations régionales d’installation jeunes agriculteurs, 57 dossiers de restructuration du vignoble, 33 dossiers concernant les industries agro-alimentaires, 2 dossiers de financement de voies rurales, 40 dossiers de restructuration de l’arboriculture fruitière, 59 aides de transport du vin, 8 dossiers d’amélioration de la qualité du lait et 16 dossiers forestiers.

En 1997, cette commission s’est réunie à cinq reprises. Elle a examiné 683 dossiers de demandes d’intervention pour un montant de subventions de 82,9 millions de francs. Elle a accepté 661 dossiers pour un montant de subventions de 81,05 millions de francs.

La procédure d’individualisation des aides gérées par l’ODARC figure ci-après.

LES INSUFFISANCES NOTOIRES DU DISPOSITIF

 Le manque de ligne directrice

Selon le statut de 1991, c’est la Collectivité territoriale de Corse qui devrait définir les grandes orientations de la politique agricole. De l’aveu même d’élus corses et de responsables de l’ODARC, cet effort de ciblage et de sélectivité des aides n’est pas entrepris pour éviter d’avoir à trancher entre telle ou telle filière de production agricole. En l’absence de stratégie clairement définie, l’ODARC se borne à distribuer une multitude d’aides en fonction des demandes de subventions qui lui sont adressées.

Investi par les professionnels qui font bloc pour réclamer des aides toujours plus abondantes, l’office s’est à ce jour révélé incapable de mettre en place une véritable politique de développement agricole et rural dans l’île.

 Un office incontrôlé dans les faits

Le contrôle théorique du préfet de Corse

Selon les statuts de l’office, le préfet détient des moyens de contrôle qu’il peut exercer dans un cadre bien délimité. Si le préfet de Corse estime qu’une délibération du conseil d’administration de l’office est de nature à augmenter gravement la charge financière ou le risque encouru par la Collectivité territoriale, il peut saisir dans un délai d’un mois suivant la date de réception, la Chambre régionale des comptes. Il en informe simultanément le président de l’ODARC et la Collectivité territoriale de Corse. La saisine de la Chambre régionale des comptes entraîne une seconde lecture de la délibération contestée par le conseil d’administration. Mais la saisine n’a pas d’effet suspensif. La Chambre dispose d’un délai d’un mois pour faire connaître son avis au préfet, au président de l’office et à celui du Conseil exécutif de Corse.

Sur la période 1992-1997, le préfet de Corse n’a assisté personnellement qu’une fois au conseil d’administration de l’office. Bien entendu, en son absence, le préfet est représenté par le secrétaire général aux affaires corses ou par le directeur régional de l’agriculture et de la forêt. L’intervention du préfet lors de sa venue le 20 janvier 1997 fut d’ailleurs suivie avec une attention particulière dans la mesure où elle concernait les mesures prises par l’État pour le désendettement des agriculteurs.

Le ministère de l’agriculture a récemment fait quelques tentatives pour renforcer les contrôles : en accord avec l’actuel ministre, le préfet Bernard Bonnet a décidé de faire passer en comité régional des aides tous les dossiers impliquant des crédits nationaux ou européens. Cette méthode permet de recouper les informations des différents services de l’État et de confronter les avis. Elle donne également la possibilité d’ajourner des dossiers lorsque des problèmes sont détectés à temps.

Le contrôle très relatif de la Collectivité territoriale : le renoncement des élus

Aux termes de l’article 28, alinéa 3 des statuts de l’ODARC, " aucune délibération du conseil d’administration ou décision prise par délégation de celui-ci ne peut engager les finances de la Collectivité territoriale au-delà des crédits que celle-ci a délégués à l’office qu’avec l’accord préalable du Conseil exécutif et de l’Assemblée de Corse ".

En principe, le président du Conseil exécutif détient, aux termes des articles 26, 27 et 28 des statuts, des pouvoirs non négligeables. Il dispose d’un pouvoir d’information, de conseil et de suggestion sur le fonctionnement économique et financier de l’ODARC. Il se fait communiquer tout document nécessaire à l’exercice de ses missions. Il transmet ses avis et suggestions au président de l’office. Il informe l’Assemblée de Corse du fonctionnement économique et financier de l’office. Il reçoit copie des délibérations du conseil d’administration de l’office. Il peut dans un délai de huit jours à compter de sa réception demander un nouvel examen d’une délibération. Cette demande doit être motivée. L’exécution de la délibération est suspendue jusqu’à ce nouvel examen. Les délibérations n’ayant pas fait l’objet dans un délai de 8 jours d’une demande de réexamen sont exécutoires de plein droit. Une délibération résultant d’un nouvel examen ne peut être exécutoire que si le président du Conseil exécutif ne s’y oppose pas dans un délai de quatre jours à compter de sa réception. Avant la fin du premier semestre de chaque année, il présente à l’Assemblée de Corse le rapport d’activités de l’office et les comptes de l’exercice écoulé.

Notons que, par jugement du 27 février 1997, le tribunal administratif de Bastia a déclaré illégal l’article 27 des statuts de l’ODARC qui institue un pouvoir de contrôle des délibérations du conseil d’administration de l’office par le président du Conseil exécutif. Cette décision a fait l’objet d’un recours devant la cour administrative d’appel de Marseille.

Lors de son audition devant la mission d’information sur la Corse, le 11 décembre 1996, M. Jean Baggioni, président du Conseil exécutif de Corse, remarquait :

" En tant que président du Conseil exécutif, je nomme les présidents d’agences et d’offices. Dans le meilleur des cas - mais pas toujours - les élus sont majoritaires, mais d’une voix. Il faut tenir compte des socio-professionnels. A-t-on vu à l’office hydraulique des élus qui auraient le courage de fixer le prix de l’eau sans tenir compte des agriculteurs qui y siègent ? Aurait-on pu imaginer qu’à l’office agricole, ce soient les élus qui décident des orientations d’une politique agricole ? Non, ce sont les agriculteurs. (...) Les pouvoirs politiques et les moyens financiers de l’État et de la région sont utilisés par des tiers, qui n’ont pas à répondre devant le suffrage universel. (...) Par conséquent, le pouvoir dans le domaine de la politique agricole, hydraulique, de l’environnement, revient aux socio-professionnels. Et c’est la fuite en avant. Vous le constatez tous les jours, les Corses demandent, demandent toujours et demandent encore. J’ai honte d’être le représentant d’une collectivité qui toujours quémande mais, en réalité, l’institution est faite pour inviter à quémander parce que nous sommes toujours dans la seringue. Pour en sortir, il faut avoir toujours plus de moyens. "

L’impossible contrôle des DDAF et DRAF

Expliquant devant la commission d’enquête que le système avait été ainsi conçu que les services de l’État se trouvaient particulièrement démunis pour contrôler, ou simplement assurer le suivi des opérations gérées directement par l’ODARC ou les trois Chambres d’agriculture, un témoin s’exclamait : " Que reste-t-il alors comme capacité de contrôle aux services de l’État qui doivent déléguer des crédits, notamment européens, pour des dossiers qu’ils n’ont pas pu contribuer à instruire ? "

La commission a, au cours de ses travaux, pu constater à quel point il est désormais difficile, voire impossible en l’état, au ministère de l’agriculture et de la pêche de mener une politique agricole en Corse. En fait, les fonctionnaires de cette administration sont placés dans une situation d’infériorité complète face au monde agricole. La disproportion entre la faiblesse du nombre des agents de l’État, le manque d’informations à leur disposition, d’une part, et, d’autre part, la puissance d’organisation des quelques dirigeants agricoles qui dominent ce secteur, est frappante. En interrogeant des responsables administratifs chargé des affaires agricoles sur place, la commission d’enquête a pu mesurer le décalage très important entre les moyens d’action et la mobilisation des agents de l’État et la force et la détermination d’une partie de la profession agricole de l’île.

Jusqu’à présent, il semble que seuls les dossiers de la politique forestière, des industries agro-alimentaires et des mesures agro-environnementales, dans leur volet crédits d’État, ont fait réellement l’objet de contrôle ainsi que la plupart des actions dans le domaine viticole grâce à la présence d’une délégation régionale de l’ONIVIN.

Selon le ministère, la situation dans le secteur agricole n’est plus celle des fraudes massives prévalant avant 1994 et la publication du rapport Jacquot. Il n’en demeure pas moins que l’ODARC gère des sommes importantes sans faire l’objet de contrôle ni de l’État, ni dans les faits de la Collectivité territoriale de Corse elle-même.

 Le " vide sidéral " des dossiers

Un exemple relevé à propos des aides européennes au titre du FEOGA (tranches 1994-1995-1996) a été commmuniqué à la commission d’enquête : " En théorie, l’ODARC devrait conditionner l’octroi des aides qu’il alloue au respect des critères d’éligibilité définis dans le Docup, éventuellement précisés par le comité de programmation ou le comité national de suivi. En pratique, il n’est pas possible de vérifier la teneur des critères véritablement mobilisés par la commission technique permanente. Le compte rendu circonstancié des séances de la commission technique permanente (CTP) n’étant pas communiqué aux services de l’État, pas plus que la liste des critères réellement mobilisés, il n’est pas possible d’en apprécier la teneur. (...) Il en ressort que (....) l’État n’est appelé qu’à connaître des cas litigieux, tout bénéficiaire potentiel disposant de la possibilité de faire appel des décisions de la CTP devant le conseil d’administration. Quoiqu’il en soit, la lecture des comptes rendus de la CTP ne donne aucune indication sur les éventuels débats ayant lieu en commission, au sujet de l’interprétation des critères d’éligibilité. Les différents paragraphes de ces comptes rendus mentionnent invariablement : " la commission technique, après avoir procédé à l’examen des dossiers présentés, se prononce sur les aides à accorder suivant la liste qui figure à l’annexe n°...du présent procès-verbal. " "

Un témoin a indiqué devant la commission d’enquête : " L’ODARC n’est pas opérateur des principaux programmes qu’il finance. Dans la quasi-totalité des cas, il passe par des cascades de conventions avec différents partenaires, le véritable opérateur étant souvent une Chambre d’agriculture, plus particulièrement celle de Haute-Corse. L’office fournit aux offices et aux services de l’État des dossiers d’une régularité administrative parfaite, mais d’un vide sidéral du point de vue de leur contenu. "

 La grande " générosité " de l’office

Au cours de ses investigations, la commission d’enquête a noté que la commission technique permanente s’est réunie à quatre reprises seulement au cours de l’année 1996. Ce rythme paraît très faible, notamment au regard du nombre de demandes traitées. Ainsi, la CTP, qui a examiné pas moins de 743 dossiers de demandes d’interventions, en a accepté 726 pour un montant de subventions de 75,07 millions de francs. La commission, qui s’est rendue dans les locaux de l’ODARC en juin 1998, a demandé à ses responsables comment, en quatre réunions seulement, un tel nombre de dossiers aient pu être acceptés pour un montant aussi élevé. Les explications fournies à la commission d’enquête par ces dirigeants n’ont pas semblé très convaincantes. La commission d’enquête s’interroge sur le sérieux et la rigueur entourant le traitement de ces demandes.

La commission d’enquête a également demandé sur place si une exploitation agricole pouvait bénéficier plusieurs fois de subventions à des titres différents, en d’autres termes, si l’ODARC tient un fichier à jour des demandes d’aides permettant de savoir avec précision le nombre de fois où un agriculteur a sollicité l’assistance de l’office, le montant des subventions déjà obtenues. D’après les informations fournies à la commission d’enquête, ce fichier n’existe pas à l’ODARC. Les aides sont donc gérées au coup par coup sans que l’office ne se soit doté des moyens nécessaires lui permettant d’avoir une vision globale des destinataires exacts des aides.

Au terme de ses travaux, la commission a souhaité proposer une refonte importante du système d’aides agricoles tel qu’il est actuellement géré par l’ODARC. Ces préconisations figurent en dernière partie du rapport.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr