Ce qui frappe dans l’analyse des politiques menées par les gouvernements successifs depuis les événements d’Aléria en 1975, c’est le caractère éphémère des remises en ordre. Tout se passe comme si, après quelques mois et la constatation des premiers résultats obtenus sur le terrain de l’ordre public, l’effort se relâchait. Le retour au calme, qui a toujours été relatif et provisoire, faisait sortir la Corse de la première place des journaux et l’île rétrogradait progressivement dans le classement des priorités gouvernementales.

Les justifications données aux amnisties illustrent bien, on l’a vu, cette sorte d’impatience à revenir à une situation plus normale. Une année environ d’accalmie sur le plan des attentats et de la violence justifie que la page soit tournée.

Un brusque regain de tension conduit le gouvernement à durcir son action et, par la nomination d’hommes déterminés, à engager une remise en ordre au nom de l’indispensable restauration de l’État de droit.

Ainsi, par exemple, l’année 1983 marque assurément un raidissement de la politique menée en Corse. Devant la recrudescence des attentats238, le gouvernement dissout le FLNC, nomme en Corse un préfet de grande qualité, M. Paul Bernard, et crée un poste de commissaire de la République délégué à la police, poste confié au commissaire Robert Broussard.

La liste des actions engagés alors par le préfet Paul Bernard est étonnante. L’analogie avec celles menées aujourd’hui par le préfet Bernard Bonnet est confondante :

* de nombreuses inspections et missions de contrôle sont lancées dans les organismes les plus variés : formation professionnelle continue agricole, caisse d’allocations familiales de Corse-du-Sud, URSSAF, centre hospitalier de Bastia et d’Ajaccio, office départemental d’HLM de Corse-du-Sud, COTOREP de Corse-du-Sud, université de Corte, association de formation professionnelle des adultes, Chambre des métiers de la Corse-du-Sud,...

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* le contrôle de légalité et budgétaire sur les actes des collectivités locales est renforcé, des procédures judiciaires sont engagées en matière de marchés publics (délits d’ingérence), des maires condamnés pour fraude électorale sont poussés à la démission ou démis d’office,

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* les aides publiques alloués à différents secteurs font l’objet d’un suivi attentif (gîtes ruraux, primes d’orientation agricole, primes d’équipements hôteliers,...).

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Et pourtant, après le départ du préfet Paul Bernard en août 1985, cette stratégie va être mise à mal. L’histoire personnelle de M. François Garsi, procureur général près la Cour d’appel de Bastia muté en 1984 en raison de son laxisme, nommé préfet de Corse en 1986, et de nouveau écarté onze mois plus tard, est assurément l’un des exemples les plus frappants de " tête-à-queue " dans la politique de l’État de ces vingt-cinq dernières années.

De même, s’agissant du domaine judiciaire, le procureur général près la Cour d’appel de Bastia, M. Jean-Louis Nadal, arrivé en janvier 1991, indiqua dans son discours inaugural : " Je ne cesserai de rappeler la place de la loi. Elle est applicable à tous. Il ne peut y avoir de supra, d’infra ou de non-droit. L’exigence d’égalité entre tous les citoyens est une nécessité, une obligation. C’est la donnée incontournable : la loi ne peut être bafouée(...) On ne transige pas avec l’ordre public ". Il développa une vision extensive de sa tâche, annonçant qu’il travaillerait étroitement non seulement avec la police et la gendarmerie - notamment à travers la mise en place d’ " observatoires de la délinquance " - mais aussi avec tous les services chargés de faire appliquer les législations économiques, financières et fiscales et ceux chargés de l’urbanisme et de l’environnement.

Ce discours, on le voit, tranche avec celui tenu par un de ses successeurs qui, dans une note interne transmise aux deux procureurs de la République et une quinzaine de jours après le déplacement sur l’île du ministre de l’Intérieur, incitera à " la plus grande circonspection dans la conduite de l’action publique239 ".

M. Jean-Louis Nadal ne restera que 18 mois sur l’île, puisqu’il sera nommé procureur général à Lyon en juillet 1992.

De même, de nombreux témoignages recueillis par la commission d’enquête confirment que l’attentat perpétré à la mairie de Bordeaux, en octobre 1996, a provoqué un tournant majeur dans la politique de l’État et dans l’adoption d’une politique ferme, mais progressive, de retour à la loi.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr