" On a souvent cru qu’on pouvait trouver des accommodements avec les milieux nationalistes. En réalité, chaque fois qu’on négociait avec des terroristes, quand ce n’était pas avec des délinquants ou criminels de droit commun, on finissait par s’apercevoir qu’on aboutissait à une impasse. Je ne jette la pierre à personne, mais toute tentative de ce genre, jusqu’à présent, a abouti à une impasse manifeste.(...) Il n’y a pas de place pour des négociations qui, à chaque fois qu’elles ont eu lieu, ont conduit à l’impasse et à la ridiculisation des pouvoirs publics " a dit, devant la commission d’enquête, un ministre.

La tenue périodique de conférences de presse clandestines, par des militants cagoulés exhibant complaisamment leur armement, participe de cette ridiculisation.

Chacun a encore en mémoire le malheureux épisode de Tralonca en janvier 1996, le plus spectaculaire sans doute, avec plusieurs centaines de personnes cagoulées et armées jusqu’aux dents filmées par les équipes de la télévision.

De même, certaines couvertures d’U Ribombu, hebdomadaire de la Cuncolta naziunalista, sont proprement stupéfiantes242.

Plus grave : aux journées de Corte d’août 1993, les responsables de la Cuncolta naziunalista revendiquent publiquement, à la tribune devant laquelle ont pris position des militants armés, l’assassinat de trois militants nationalistes, dont Robert Sozzi.

L’existence de la société de sécurité privée, Bastia Securita, a souvent été évoquée devant la commission d’enquête. Son cas est exemplaire de la décrédibilisation des autorités publiques.

" Bastia Securita est l’officine sociale de la Cuncolta, c’est-à-dire le FLNC Canal historique " a expliqué un magistrat243. " Cela signifie que Bastia Securita n’emploie évidemment que des nationalistes patentés avec un fort taux de rotation, ce qui permet aux intéressés de bénéficier d’une couverture sociale à l’issue de leur contrat d’embauche. Bastia Securita a réussi l’exploit rare d’obtenir pratiquement le monopole du transport de fonds en Haute-Corse (...) On a braqué à peu près tous les autres transporteurs de fonds, à un point tel qu’ils se sont retirés du transport de fonds en Haute-Corse.(...) J’observe d’ailleurs que nous sommes arrivés au taux zéro d’attaque de transports de fonds. " continue-t-il. Installée géographiquement en face du commissariat de police de Bastia, cette société a parfois compté, hélas, dans sa clientèle un service public. " On est ainsi arrivé à une situation extrêmement paradoxale " poursuit ce magistrat : " il y a trois ou quatre ans, au moment de la saison estivale, le directeur de la Poste (...) me disait : "je vais devoir faire appel, cet été, à Bastia Securita pour assurer les transports de fonds, qui connaissent une forte augmentation l’été, car je ne parviens plus à obtenir d’autres sociétés le supplément de travail dont j’ai besoin pour assurer l’approvisionnement des bureaux de poste" ". Un ancien ministre de l’Intérieur confiait à ce propos : " ce problème me tient à cœur et a été pour moi l’occasion, lors d’une soirée, de me mettre en colère. J’ai, en effet, été surpris, pour ne pas dire choqué, d’apprendre que (cette société) était utilisée par certaines administrations. J’ai appelé un certain nombre de mes collègues pour leur dire " vous êtes fous ", mais j’avais l’impression que j’étais le seul à trouver cela anormal ".

Quant à connaître les raisons de cette situation, les explications fournies devant la commission d’enquête n’emportent guère l’adhésion :

" Il paraît - d’après la direction des services fiscaux et la trésorerie générale - que cette société tient les comptes les plus clairs qui soient. Il n’est guère surprenant de présenter des comptes équilibrés avec de tels tarifs244 et le fait que les clients paient rubis sur l’ongle. Comment pouvons-nous intervenir dans une société de ce genre ? Nous nous posions quotidiennement la question. En réalité, nous pensions, vraisemblablement à tort, que par l’observation des différents convoyeurs de fonds ou de gardiens nous pourrions établir un lien entre les activités de la société et les activités terroristes. Ce lien a été démontré individuellement à plusieurs reprises entre tel ou tel individu de Bastia Securita et un attentat ou une activité terroriste, mais la société en tant que telle n’a jamais été impliquée " expliquait un ancien préfet.

Le magistrat déjà cité a évoqué une autre piste : " il y a eu, pour le principe, deux ou trois enquêtes qui ont consisté à essayer de savoir si les détentions d’armes des personnels étaient légales. Les personnels roulent généralement en 306 gris métallisé. Quand on est à un certain niveau de la hiérarchie du FLNC canal historique, on a droit à une 406. On les voit, on les reconnaît, on sait que ce sont des véhicules de location. Il n’y a jamais eu de véritable enquête, notamment auprès de la société Filcar, qui appartenait à M. Filippi, assassiné quatre ou cinq jours avant l’ouverture du procès de la catastrophe de Furiani, et qui représente Hertz en Haute-Corse. Jamais, alors que je l’ai réclamé à cor et à cri, on n’a enquêté auprès de Hertz pour connaître les contrats de location passés entre cette société et les membres notoires de la Cuncolta. Ce travail, demandé un certain nombre de fois, n’a jamais été fait par aucun service de police ".

On peut en tout cas s’interroger sur les motifs qui ont conduit l’autorité administrative à accorder les autorisations de ports d’armes initiales, sans lesquelles ce " fonds de commerce " n’aurait pu être constitué.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr