Le milieu corse est représenté principalement par deux cercles qui défraient régulièrement la chronique, celui dit de la " Brise de mer " et celui gravitant autour de M. Jean-Jérôme Colonna.

Tirant son nom d’un établissement du vieux port de Bastia aujourd’hui disparu, le groupe de la " Brise de mer " a pris son essor à la fin des années 1970, en se spécialisant notamment dans des attaques à main armée de succursales bancaires ou de fourgons de transport de fonds. Dans le passé, plusieurs membres de cette bande ont été impliqués dans des affaires de ce type au début des années 1980.

Depuis, ce groupe a réinvesti le produit de ses activités criminelles dans diverses activités en Haute-Corse, telles que débits de boisson, boîtes de nuit ou discothèques, en " faisant en sorte que leurs affaires deviennent de plus en plus "blanches" " a indiqué devant la commission d’enquête un ancien responsable administratif sur l’île. Ce " blanchiment " d’argent sale et cette prise de contrôle d’établissements de nuit ont, en outre, été l’occasion de sanglants règlements de comptes289. On observe que cette bande a su également parfaitement utiliser le climat créé par les attentats terroristes. Des établissements ou magasins plastiqués ont parfois été rachetés pour des sommes modiques pour devenir de fructueuses affaires pour leurs nouveaux propriétaires.

Depuis quelques années, les conséquences de cette prospérité inquiètent, en ce sens qu’elle suscite un certain prosélytisme au sein des jeunes gens fréquentant les établissements détenus par cette bande.

Dans le sud de l’île, cet ancien responsable a également évoqué " le groupe de Jean-Jérôme Colonna, que l’on peut considérer comme le seul parrain corse. Ayant, lui aussi, assumé des activités mafieuses sur le continent, il s’est enfui en Argentine après avoir été condamné par les tribunaux à 20 ans de réclusion criminelle290. Sa peine devenue forclose, il est rentré s’installer paisiblement au pays où il continue à animer un certain nombre d’activités tournant autour de l’hôtellerie, des jeux et des boîtes de nuit dans le secteur d’Ajaccio ". On note également qu’il possède des intérêts dans le bar de l’aéroport d’Ajaccio, concédé par le précédent président de la Chambre de commerce et d’industrie, M. Edouard Cuttoli. Les propos entendus concernant M. Colonna apparaissent quelque peu contradictoires. Pour certains, le cœur de ses activités n’est pas situé en Corse, celle-ci constituant plutôt un " sanctuaire " où il se montre particulièrement discret. D’autres, au contraire, voient en lui un " parrain " actif et influent, nouant des liens dans toutes les couches de la société insulaire.

S’agissant de l’éventuelle implantation de la mafia italienne, de nombreux observateurs soulignent que l’île est suffisamment pourvue en bandits pour ne pas éprouver le besoin d’en importer de l’extérieur. En réponse à une question sur une éventuelle implication du crime organisé, notamment italien, en Corse, le directeur général de la police nationale indiquait à la mission d’information sur la Corse : " au plan opérationnel, je n’ai pas eu, pour ma part, depuis que je suis à ce poste, d’indications précises sur des liens entre la mafia italienne et les actions qui se passent en Corse. En revanche, il est certain qu’il y a des liens entre les personnes ".

Le rapport de la commission d’enquête sur les moyens de lutter contre les tentatives de pénétration de la mafia en France, présidée par M. François d’Aubert en janvier 1993, avait évoqué cette question, relevant que " des témoins ont cependant indiqué à la commission que plusieurs réunions de mafieux avaient eu lieu en Corse et que l’enquête sur l’affaire du casino de Menton (...) avait mis à jour des liens entre la Mafia et le milieu corse ". Il ajoutait que " quant aux investissements de la Mafia en Corse, souvent mis en avant par les nationalistes pour justifier leurs exactions, il n’existe guère plus de certitudes ".

A ce sujet, on évoque pourtant régulièrement l’île de Cavallo située sur le territoire de la commune de Bonifacio. Comme l’indiquait devant la mission d’information sur la Corse le directeur général de la police nationale, " Cavallo a fait l’objet d’investissements mafieux italiens ". A la question posée de savoir si l’on en avait la certitude, il indiquait : " c’est une certitude au sens du renseignement. C’est de la conviction policière ; il reste à mettre cela en évidence de façon procédurale ".

Le rapport d’Aubert évoquait déjà le cas de Cavallo en ces termes : " Des rumeurs ont couru sur des investissements immobiliers, comprenant la construction d’un village de vacances dans l’île de Cavallo, au sud de la Corse. D’après les renseignements fournis par la police italienne, ces investissements seraient financées par l’intermédiaire de M. Lillo Lauricello, considéré comme un spécialiste du recyclage de l’argent de la mafia. L’enquête menée en France sur cette affaire a révélé que des financements provenaient de prêts bancaires consentis par des banques helvétiques, qui étaient eux-mêmes couverts par la garantie à l’exportation accordée par l’État italien ".

Surnommée " l’île des milliardaires ", l’île de Cavallo appartient en effet à une société privée, la Compagnie des îles Lavezzi (CODIL) qui a, à plusieurs reprises attiré l’attention des services fiscaux ou des services de police. Elle a aussi attiré l’attention des milieux nationalistes qui ont monté deux actions violentes sur l’île, la première en 1992 par le mouvement Resistanza, la seconde en 1995 revendiquée par le FLNC-Canal historique.

Il est à noter qu’elle a su échapper à l’attention du tribunal de commerce d’Ajaccio. En avril 1995, le commissaire aux comptes de cette société mettait en œuvre la procédure d’alerte mais, dans un jugement de juillet 1995 confirmé en appel en décembre 1996, le tribunal de commerce constatait que la société ne se trouvait pas en situation de cessation des paiements. A la suite d’une nouvelle saisine directe par le commissaire aux comptes, le tribunal de commerce d’Ajaccio rejetait, par un jugement du 12 janvier 1998, la saisine, estimant que la société ne se trouvait toujours pas en situation de cessation des paiements. Apparemment, le tribunal se contentait des déclarations du nouveau commissaire aux comptes - puisque le précédent, auteur de la saisine, avait démissionné - indiquant qu’il n’avait pas l’intention de mettre en œuvre la procédure d’alerte.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr