Le principe de la liberté associative entraîne une conception très libérale des règles organisant la catégorie de personnes morales créée en 1901. La loi de 1901 prévoit l’existence d’associations de fait, dépourvues de capacité juridique et formées sans aucune formalité : en abrogeant l’article 291 du Code pénal, le législateur a explicitement voulu qu’aucune déclaration, aucun contact avec l’administration ne soient exigés pour former une association. On retrouve le même libéralisme dans la définition des obligations prévues pour bénéficier de la capacité juridique.

A) DES OBLIGATIONS MINIMALES

L’association déclarée se constitue selon des règles très souples et continuera, tout au long de son existence, à profiter d’une quasi-absence d’obligations. En outre, la cessation de l’activité de l’association n’a pas de conséquence sur son existence juridique.

( Les obligations liées à la constitution de l’association déclarée

L’article 5 de la loi de 1901 prévoit que " toute association qui voudra obtenir la capacité juridique prévue par l’article 6 devra être rendue publique par les soins de ses fondateurs ". Le même article lie le bénéfice de la capacité juridique à une " déclaration préalable à la préfecture du département ou à la sous-préfecture de l’arrondissement où l’association aura son siège social ". Cette déclaration comprend, outre la communication des statuts :

 le titre et l’objet de l’association ;

 

 le siège de ses établissements ;

 

 les noms, professions, domiciles et nationalités des personnes chargées de la direction et de l’administration de l’association.

 

Le décret du 16 août 1901 portant règlement d’administration publique pour l’exécution de la loi du 1er juillet 1901 a précisé les modalités de publicité des associations déclarées en prévoyant l’insertion au Journal officiel, dans un délai d’un mois, d’un extrait contenant la date de la déclaration, le titre et l’objet de l’association ainsi que l’indication de son siège social.

La capacité juridique est donc accordée sur une simple déclaration à l’administration. Il s’agit bien d’un droit que le juge s’est, pour sa part, appliqué à conforter en déniant à l’autorité administrative toute compétence pour apprécier le caractère licite de l’association ou la légalité de ses statuts. En outre, le législateur a réservé à l’autorité judiciaire le droit de prononcer la dissolution de l’association " fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux bonnes mœurs, aux lois ou qui aurait pour but de porter atteinte à la forme républicaine du gouvernement " (article 3 de la loi de 1901).

À cet égard, la Commission s’étonne qu’aucune dissolution judiciaire n’ait, à sa connaissance, été prononcée pour le moment à l’encontre d’associations sectaires. Pourtant, dans le cas de l’Eglise de Scientologie de Lyon, l’attendu de l’arrêt de la Cour d’appel faisant grief du délit d’escroquerie ne vise pas simplement un dysfonctionnement local mais la structure même de l’organisation.

La liberté d’association se traduit, s’agissant des organisations sectaires, par la multiplication des structures et la fréquence des changements de dénomination sociale qui ont été décrites plus haut. Plusieurs des exemples examinés montrent comment les dirigeants des sectes peuvent user, voire abuser, de la liberté d’association. Sur ce point, ils sont indéniablement aidés par l’organisation territoriale du dispositif de déclaration qui semble empêcher une centralisation des informations.

( Les obligations prévues en cours d’exercice de l’activité de l’association déclarée

Une association dûment déclarée n’est tenue, au cours de son existence, qu’à des contraintes extrêmement limitées. La loi de 1901, en son article 5, se contente de prévoir l’obligation de déclarer à la préfecture tout changement intervenu dans l’administration ou la direction de l’association, ainsi que toutes les modifications apportées à ses statuts.

En application de cet article, le décret du 16 août 1901 précité prévoit quatre faits générateurs d’une obligation de dépôt d’une déclaration modificative :

 les changements de personnes chargées de l’administration et de la direction ;

 

 la création de nouveaux établissements ;

 

 le changement d’adresse du siège social ;

 

 les acquisitions ou aliénations du local et des immeubles que l’association peut détenir, ces faits entraînant l’obligation de joindre à la déclaration un état descriptif du bien acquis et l’indication du prix d’acquisition ou d’aliénation.

 

En dehors de ces quatre cas de figure, l’association déclarée n’est tenue, quels que soient les événements qui touchent à son existence et à son activité, à aucune obligation tant vis-à-vis des tiers que vis-à-vis de ses membres. Il n’existe notamment aucune disposition qui garantisse son fonctionnement démocratique, voire la simple information de ses membres, sur sa gestion par ses dirigeants. Une association peut avoir une activité et un budget comparables à ceux d’une société commerciale importante, sans que ses responsables aient jamais réuni une assemblée générale, remis des comptes aux membres ou présenté un bilan économique et financier.

L’extrême libéralisme qui caractérise la réglementation de la vie d’une association déclarée n’a pas échappé à certains mouvements sectaires qui l’utilisent comme un gage d’opacité et de confidentialité de leurs pratiques. La Commission reste sceptique sur le caractère démocratique du fonctionnement de nombreuses associations sectaires. Plusieurs exemples de " coquilles vides ", c’est-à-dire d’associations dont les instances délibératives ne se réunissent pas ou très peu, ont été portés à sa connaissance. Ainsi, des instances telles que l’Union des églises scientologiques de France, l’Association française des scientologues, l’Eglise de scientologie du Rhône ont déclaré à la Commission n’avoir organisé aucune assemblée depuis plusieurs années.

Les méthodes comptables de plusieurs associations sectaires ne semblent pas non plus motivées par un souci de transparence envers leurs membres ou les administrations qui peuvent être amenées à les contrôler. Quelques sectes comme les Témoins de Jéhovah recourent aux services d’un commissaire aux comptes. En revanche, d’autres sont beaucoup moins formalistes. Une des instances les plus actives de la secte Moon, la Fédération des femmes pour la paix mondiale, a déclaré ne disposer d’aucun compte de résultat ni d’aucun bilan, alors que son budget atteint, certaines années, plusieurs centaines de milliers de francs. De même, l’Association cultuelle lectorium rosicrucianum se contente d’établir un état récapitulatif de ses recettes et de ses dépenses, et ne tient aucune comptabilité patrimoniale, bien qu’elle soit propriétaire de plusieurs biens immobiliers. Cette attitude est au demeurant parfaitement légale, aucune disposition législative ou réglementaire ne fixant les règles comptables des associations déclarées.

La Commission tient par ailleurs à souligner l’importance des fonds qui transitent par certaines associations sectaires. La plupart exercent une activité économique directe, et plusieurs dégagent un " chiffre d’affaires " non négligeable. Comme on le verra dans la deuxième partie du rapport, le budget annuel des associations de Témoins de Jéhovah atteint certains exercices, d’après les déclarations de la secte, 200 millions de francs et son actif net comptable dépasse le milliard de francs. L’association Sukyo Mahikari a déclaré disposer, pour certains exercices, de 15 millions de francs de recettes annuelles et d’un actif net comptable de 60 millions de francs.

( L’absence de conséquences juridiques liées à la cessation de l’activité de l’association déclarée

L’absence d’activité n’entraîne aucune conséquence sur la capacité juridique de l’association. Toutes les associations sont autant de structures que leurs dirigeants peuvent mettre en sommeil, puis réveiller si le besoin s’en fait sentir.

Ainsi, la Nouvelle Acropole a pu faire renaître sous son contrôle une association ancienne, l’Ecole d’anthropologie de Paris, créée en 1883 et mise en sommeil depuis la Libération. Il s’agit d’une association qui a eu un certain prestige à la fin du 19ème siècle en recrutant des scientifiques de renom, avant de connaître une dérive extrémiste pendant la seconde guerre mondiale. Récupérée par la Nouvelle Acropole, elle est actuellement une " filiale " de la secte qui propose par ce biais des stages à des étudiants étrangers.

Dans leurs réponses au questionnaire de la Commission, plusieurs associations sectaires, bien qu’elles n’aient pas été dissoutes, ont déclaré n’avoir eu aucune activité au cours des dernières années. C’est notamment le cas de l’association Mieux être alpha, dispensatrice de la méthode Silva, depuis 1996 de l’Institut des sciences védiques Maharishi - Paris, antenne de la Méditation transcendantale pour la capitale, d’Au Cœur de la Communication depuis 1997. Otium, une des associations les plus actives, ces dernières années, dans la propagation de la méthode Avatar, a indiqué avoir cessé toute activité depuis 1996, mais ne semble pas pour autant avoir été dissoute.

La loi de 1901 va prochainement fêter ses cent ans. À cette occasion, le Gouvernement a pris l’initiative de lancer une vaste concertation sur la liberté d’association. Il a organisé, en février 1999, les assises de la vie associative. Il a également confié à M. Alain Lipietz, directeur de recherche au CNRS, une mission de réflexion sur l’avenir de la loi de 1901 et demandé à M. Jean-Michel Belorgey, Conseiller d’Etat, de préparer la commémoration de son centenaire. Il est généralement admis que cette loi, déjà modifiée à plusieurs reprises depuis sa promulgation, mérite un " toilettage ". A l’occasion du débat qui s’est engagé, la Commission souhaite attirer l’attention sur deux points qui, à travers l’exemple de l’utilisation que les sectes peuvent en faire, lui semblent mériter quelque aménagement.

En premier lieu, les règles fixant l’organisation de la démocratie associative ne correspondent plus à la place acquise par cette catégorie de personnes morales. L’importance de certaines associations justifie de les soumettre, au-delà d’un certain budget, à l’obligation de procéder à, au moins, une assemblée générale chaque année, et à établir un rapport moral et financier à l’attention de leurs membres.

Par ailleurs, l’importance des résultats comptables et financiers dégagés par le mouvement associatif nécessite de soumettre les structures les plus conséquentes à des obligations minimales de déclaration. Là encore, au-delà d’un certain budget, il conviendrait de prévoir l’obligation de déposer, chaque année, à la préfecture de déclaration le compte de résultat du dernier exercice clos et le bilan à la date de clôture accompagné de ses annexes. La présentation de ces documents devrait être mise en conformité avec les instructions comptables d’ores et déjà adressées aux associations.

La Commission a conscience du risque de fractionnement que cette mesure pourrait entraîner : les sectes pourraient créer plusieurs associations afin de rester en dessous du seuil. Il serait donc utile de mettre en place un dispositif permettant d’agréger les résultats qui pourraient être ainsi fictivement dissociés.

Ces aménagements doivent bien évidemment respecter le principe constitutionnel de la liberté d’association. Il s’agit simplement de soumettre les associations les plus actives à des obligations déclaratives minimales, tant vis-à-vis de leurs membres que de l’administration. Le seuil doit donc être fixé de manière à ne pas porter atteinte au droit de chacun de constituer une association. Les formalités proposées par la Commission pourraient, par exemple, devenir obligatoires à partir d’un budget supérieur à 500.000 francs par an.

B) UNE LARGE CAPACITE JURIDIQUE

Au regard des obligations, notamment déclaratives, auxquelles la loi les soumet, les associations déclarées disposent d’une capacité juridique qui autorise la plupart des actes nécessaires à leur fonctionnement. Dans le cas des sectes, le statut d’association déclarée permet d’exercer des activités économiques largement comparables à celles d’une entreprise, sans être soumis aux mêmes obligations.

Ainsi, toute association déclarée peut, en application de l’article 6 de la loi de 1901, procéder aux principaux actes de la vie économique :

 elle peut acquérir à titre onéreux tout bien meuble et tous les immeubles nécessaires à l’accomplissement du but qu’elle se propose, et notamment le local destiné à son administration et à la réunion de ses membres ;

 

 elle peut bénéficier d’apports soit par des associés, soit par des tiers, au moment de sa constitution ou en cours d’exercice ;

 

 elle est autorisée à recevoir des dons manuels qu’il s’agisse de quêtes, d’oboles ou d’aides en nature ou en espèces ;

 

 elle a capacité pour passer tous les contrats que connaît le droit civil (contrat d’achat ou de vente, contrat de location, mandat, contrat de travail, participation dans une société civile ou commerciale, contrat de travaux) ;

 

 elle peut enfin ester en justice.

 

Il n’existe en fait que deux restrictions à la capacité des associations déclarées :

 elles ne peuvent pas posséder des immeubles qui ne sont pas nécessaires à l’accomplissement de leur objet, cette condition étant cependant assez largement entendue par l’administration, puisque, par exemple, l’acquisition de locaux destinés à l’habitation du personnel d’une association est admis ;

 

 elles ne sont pas autorisées à recevoir des dons et legs, que ce soit directement ou par personnes interposées, sauf à être reconnues d’utilité publique ou à revendiquer le statut d’association de bienfaisance et à demander, à ce titre, une autorisation spécifique à l’administration.

 

Les associations sectaires utilisent largement la capacité juridique que leur offre leur déclaration en préfecture. Elles sont généralement propriétaires d’un parc immobilier qui, dans certains cas, atteint une valeur très importante. Les différentes associations de Témoins de Jéhovah ont acquis des immeubles et procédé à la construction d’installations industrielles et d’hébergement qui permettent de les comparer à des entreprises commerciales. Elles font également largement usage de la possibilité de contracter, comme le montrent les liens juridiques qu’elles ont établis entre elles. Plusieurs sectes ont communiqué à la Commission les apports dont elles ont bénéficié en application de la loi de 1901. La Soka Gakkaï international France a notamment été constituée par les apports consentis par les deux autres instances nationales de la secte, la Soka Gakkaï France et l’Institut européen de la Soka Gakkaï international. D’une manière générale, la possibilité de percevoir des dons manuels offre aux associations sectaires leur principale source de revenus, et parfois fonde leur puissance financière. Le budget de plusieurs d’entre elles représente, on y reviendra, plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de millions de francs.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr