Si les organisations internationales non gouvernementales (OING) disposent d’un statut dans plusieurs institutions internationales, leurs relations avec les Etats n’étaient jusqu’à une époque récente régies par aucun texte. Ce vide juridique a été comblé au sein du Conseil de l’Europe par l’adoption, le 24 avril 1986, de la convention européenne sur la reconnaissance juridique des OING. Entrée en vigueur le 1er janvier 1991, cette convention s’appliquait, en novembre 1998, à l’Autriche, la Belgique, la Grèce, le Portugal, le Royaume-Uni, la Slovénie et la Suisse. La France a signé cette convention le 4 juillet 1996, et la loi autorisant sa ratification a été promulguée le 18 décembre 1998.

Cette convention a été interprétée par certains comme propice au développement des activités des sectes en France : elle donnerait en effet la possibilité aux sectes qui, dans un pays signataire de la convention, bénéficient d’une capacité juridique plus large qu’en droit français, d’utiliser leur statut d’OING pour bénéficier automatiquement en France de la même capacité.

Cette convention a fait l’objet, de la part du Gouvernement français, d’une déclaration interprétative qui vient préciser à la fois son champ d’application et ses effets juridiques. Certains craignent qu’une telle déclaration dont, au demeurant, la portée juridique pose problème, ne suffise pas à décourager l’installation de sectes en France. Elle offre en effet à ces dernières, lorsqu’elles sont constituées en OING, une capacité juridique élargie, et d’autant plus inquiétante que son champ d’application est défini de manière extensive. En outre, les possibilités laissées aux Etats signataires pour refuser l’application de la convention ou pour en restreindre les effets sont particulièrement minces et difficiles à mettre en œuvre dans le cas des sectes.

A) UN ELARGISSEMENT DE LA CAPACITE JURIDIQUE DES OING

Le premier alinéa de l’article 2 de la convention prévoit que France devra reconnaître la personnalité et la capacité juridiques qu’une OING, installée sur le territoire français, aura acquises dans le pays où elle a son siège. Dans le deuxième point de sa déclaration interprétative, le Gouvernement français considère que cette disposition n’a " aucune autre conséquence que celles relatives à la reconnaissance de la personnalité juridique et de la capacité qui en découle en droit français ".

Bien qu’on puisse regretter son manque de clarté, la déclaration interprétative semble interdire qu’une OING puisse revendiquer en France des droits supérieurs à ceux auxquels le simple statut d’association déclarée lui donne accès. En particulier, plusieurs experts comprennent la convention comme ne donnant pas droit à la capacité juridique normalement réservée aux associations reconnues d’utilité publique, aux associations cultuelles et aux associations de bienfaisance, et notamment à la possibilité de bénéficier de libéralités. De même, le Gouvernement français semble interpréter la convention comme n’ayant aucune incidence fiscale.

La Commission tient cependant à souligner l’importance des difficultés juridiques créées par cette convention. Au moment où plusieurs pays du Conseil de l’Europe s’apprêtent à adopter, vis-à-vis du phénomène sectaire, une attitude contraire à la position française, elle voit dans ce texte une initiative pour le moins malheureuse dont on n’a pas préalablement mesuré l’ampleur des conséquences, au risque d’ouvrir la voie à des débordements préjudiciables aux travaux engagés depuis quelques années pour lutter contre l’influence des sectes.

Elle rappelle notamment que le Danemark, membre du Conseil de l’Europe, envisage de reconnaître la Scientologie comme une église officielle, et a constitué à cet effet une commission chargée de déposer un rapport qui servira de base à la décision du ministre des cultes. Une telle reconnaissance aurait des effets juridiques directs au Danemark, puisqu’elle conférerait à la Scientologie des avantages, notamment fiscaux, importants. On voit mal comment, dans l’avenir, la secte n’utiliserait pas la décision danoise pour exiger, notamment en se constituant ONG et en se fondant sur la convention de 1986, le bénéfice des mêmes avantages dans le reste de l’Europe. Si les effets juridiques qu’une reconnaissance par le Danemark pourrait avoir en France prêtent à discussion, tout le monde s’accorde pour reconnaître que son aspect symbolique aurait des incidences au-delà des frontières de cet Etat. Une telle reconnaissance officielle ne pourrait en effet qu’être interprétée comme une forme de légitimation de la secte.

B) UN CHAMP D’APPLICATION DEFINI DE MANIERE EXTENSIVE

L’article 1er de la convention fixe quatre conditions pour qu’une OING puisse demander l’application des dispositions de ce texte, et le premier point de la déclaration interprétative explicite la manière dont la France entend appliquer ces conditions.

Peuvent ainsi bénéficier de la convention les OING qui ont un but non lucratif d’utilité internationale, qui ont été créées par un acte relevant du droit interne d’une partie, qui exercent une activité effective dans au moins deux Etats et qui ont leur siège statutaire sur le territoire d’une partie et leur siège réel sur le même territoire ou celui d’une autre partie.

Le bénéfice de la convention est en fait soumis à l’appréciation du " but non lucratif d’utilité internationale " et à l’existence d’une activité effective dans au moins deux Etats, les autres conditions étant formelles. Or, dans sa déclaration interprétative, le Gouvernement a considéré que toute OING bénéficiant d’un statut consultatif ou d’observateur sera présumée remplir ces deux critères. L’ensemble des ONG sectaires mentionnées plus haut pourront donc bénéficier de la convention.

C) DES POSSIBILITES DE RESTRICTION LIMITEES ET DIFFICILES A METTRE EN ŒUVRE

Le deuxième alinéa de l’article 2 de la convention prévoit la possibilité, par un pays d’accueil, d’opposer des " restrictions, limitations ou procédures spéciales " à l’exercice des droits dont l’OING bénéficie dans le pays où elle a son siège et dont elle demande l’application. Ces dispositions doivent cependant être dictées par un " intérêt public essentiel ". De même, l’article 4 fixe, de manière limitative, les " motifs d’intérêt général " qui peuvent justifier d’écarter une OING de l’application de la convention. Ainsi, un Etat ne pourra invoquer que les faits suivants : atteinte " à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection des droits et libertés d’autrui ", ou mise en cause des " relations avec un autre Etat ou (du) maintien de la paix et de la sécurité internationales ".

Sans se prononcer sur la portée juridique exacte de ces dispositions, la Commission souligne combien leur application sera délicate à mettre en œuvre. Elles se combinent difficilement avec l’article 9 de la convention qui prévoit qu’aucune réserve ne sera admise à l’application du texte et, en tout état de cause, elles donneront lieu à un important contentieux dont l’issue, compte tenu de la position adoptée par les juridictions internationales sur le phénomène sectaire, est pour le moins incertaine.

La Commission considère donc que la convention européenne du 24 avril 1986 ouvre la voie à une reconnaissance officielle, en droit et en fait, des mouvements sectaires internationaux. La déclaration interprétative du Gouvernement français fera en toute hypothèse l’objet d’un abondant contentieux, et permettra aux organisations concernées de faire figure de victimes auprès de l’opinion publique. Dans de telles conditions, il est indispensable que le Gouvernement lance, au sein du Conseil de l’Europe, une campagne de sensibilisation sur les dangers de cette convention.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr