La situation régnant en Corse et la volonté d’y faire appliquer la loi ne sauraient en aucun cas reposer sur la seule action des forces de sécurité. De fait, en amont de l’action répressive, il est indispensable de développer une logique préventive qui implique une plus grande mobilisation de l’ensemble des services de l’Etat présents sur place.

Si les deux préfets de l’île ont un rôle d’impulsion et de coordination à jouer dans ce domaine, ils doivent dans le même temps bénéficier du soutien de l’ensemble des administrations centrales concernées. D’autant que certains services, comme ceux dépendant du ministère des finances, échappent à leur pouvoir hiérarchique. Ce soutien a pu faire défaut dans le passé, comme l’ont attesté certains préfets devant la commission.

M. François Goudard, ancien préfet de la Haute-Corse de 1993 à 1995, a ainsi déploré le manque d’unité dans l’action des services de l’Etat : " Je ne prétends pas que le fonctionnement des services de l’Etat soit sans tache. Je ne prétends pas, notamment, que l’unicité de l’action de l’Etat ait été clairement visible pendant les vingt-cinq mois où j’ai été préfet de Haute-Corse. Il est vrai qu’à l’époque, je n’ai pas obtenu - mais les services compétents n’étaient pas placés sous l’autorité du préfet, comme on me l’avait rappelé - la coopération pleine et entière des services fiscaux sur les contrôles fiscaux. Il est vrai que je n’ai pu obtenir, y compris d’un service de police, l’exemplaire d’une lettre largement diffusée par le Crédit agricole sur les prêts de cette banque pour compenser l’endettement des agriculteurs. Il est vrai que je n’ai pas toujours pu obtenir, dans le cadre du contrôle des collectivités locales, toutes les informations que l’on peut habituellement obtenir des comptables publics ".

L’un de ses successeurs à Bastia, M. Bernard Pomel, a également regretté ce manque de coordination : " Nous nous sommes heurtés à une difficulté : les services fiscaux ne pouvaient nous donner les clés, ni entrer dans l’analyse de ces dossiers avec les moyens dont ils disposaient et sans avoir le feu vert de Paris ".

Ces témoignages soulignent la nécessité d’obtenir la coopération de tous les services de l’Etat en vue d’effectuer des contrôles a priori qui ne se traduisent pas nécessairement par des poursuites pénales, mais par de simples mesures administratives. De fait, les carences de certaines administrations de l’Etat ont pu conduire à laisser s’installer le sentiment d’une absence de contrôle de légalité dans l’île qui explique, sans les excuser, bon nombre de dérives constatées.

Ces carences permettent également de mieux comprendre les raisons du recours systématique à l’article 40 du code de procédure pénale par l’autorité préfectorale dans la période récente : elle a pu constituer dans certains cas un moyen de confier à l’autorité judiciaire la conduite d’investigations qui auraient dû être effectuées en amont par les administrations concernées. La mobilisation de l’ensemble des services de l’Etat dans l’île doit donc permettre à l’avenir un recours moins fréquent à cette procédure, dont le bien-fondé ne saurait toutefois être contesté dès lors qu’il s’accompagne d’éléments suffisamment précis et étayés.

Par ailleurs, le recours aux forces de l’ordre en vue de faire exécuter les décisions de justice relatives à l’occupation illégale du domaine public maritime a également révélé les faiblesses de certains services déconcentrés de l’Etat, en l’occurrence les services de l’équipement. Leur passivité a conduit à la multiplication des situations de non-droit qui ont contribué à vider de sens la notion de légalité et ont alimenté l’idée d’une conduite arbitraire de l’action administrative. Le respect du domaine public maritime constitue, à cet égard, un bon exemple de la nécessité de faire respecter le droit dans un but d’intérêt général. Sur ce point, il est pour le moins paradoxal de voir que certains élus nationalistes soucieux de la défense de l’environnement et hostiles au développement touristique anarchique aient pu soutenir les propriétaires de paillotes. Quoi qu’il en soit, il est certain que si les services de l’Etat compétents n’avaient pas laissé s’installer pendant d’aussi longues années une situation illégale, l’engagement des forces de l’ordre n’aurait pas eu de raison d’être.

Actuellement, la coopération entre les forces de police, de gendarmerie et les services des douanes constitue un moyen d’agir pour saisir les nombreux explosifs et armes en circulation dans l’île du fait de l’activité terroriste qui y règne et des nombreux attentats de droit commun qui y sont commis. Cette pratique permet en effet d’obtenir l’ouverture des coffres de véhicules en vue de rechercher les infractions douanières.

M. Bernard Pomel, ancien préfet de la Haute-Corse, a sur ce point fait part de difficultés " dans les relations entre les services de gendarmerie et de police et la douane, s’agissant des contrôles de véhicules. Je ne suis pas arrivé à obtenir des contrôles conjoints. Nous avons donc organisé des contrôles coordonnés en essayant, le même jour, sur les mêmes itinéraires, de les faire participer à la même action dans le cadre de leurs attributions. Mais il eût été plus simple d’organiser des contrôles communs, permettant plus facilement de mettre en évidence des pratiques irrégulières ".

La pratique de contrôles communs se heurte, en effet, à d’importantes difficultés juridiques dans la mesure où les services des douanes ont vocation exclusive à rechercher les infractions douanières, ainsi que l’a rappelé M. Jean-Pierre Dintilhac devant la commission : " Il est possible que des interventions conjointes soient menées mais sans qu’elles soient fusionnées ou apparaissant comme telles. (...) Compte tenu du danger, les policiers sont là pour protéger les douaniers avec leur savoir-faire et leurs armes. Mais utiliser une telle couverture n’est pas de même nature qu’utiliser un moyen à des fins détournées pour permettre à un officier de police judiciaire d’outrepasser ce que la loi autorise. Le principe a été posé par la cour de cassation, notamment à propos des pouvoirs des agents du fisc qui peuvent, avec l’autorisation du président du TGI, procéder à des visites domiciliaires, mais qui ne peuvent pas, à cette occasion, appeler des policiers ou des gendarmes pour procéder à des constatations qui n’eussent pas été possibles sans cette autorisation particulière ".

Dans ce cadre juridique contraignant, la conduite d’actions coordonnées constitue donc un moyen de concilier l’efficacité des services de sécurité et le respect des libertés individuelles. On peut toutefois regretter l’absence de dispositions législatives permettant aux services de police et de gendarmerie l’ouverture directe des coffres des véhicules.

Ces quelques exemples montrent la nécessité de développer une approche globale et transversale du respect de la légalité en Corse. L’amélioration de l’efficacité des services de sécurité n’est qu’une partie de la réponse que doivent formuler les pouvoirs publics dans l’île. L’appareil administratif ne doit par ailleurs pas se décharger sur le juge pénal de sa mission de contrôle et de défense de l’intérêt général. Il convient dès lors de trouver un équilibre dans l’action des autorités administratives et judiciaires en vue de garantir l’application effective de la loi.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr