La presse française analyse le refroidissement des relations diplomatiques entre Paris et Washington comme une simple crise, comparable à celle qui vit le retrait par Charles De Gaulle du commandement intégré de l’OTAN. Au contraire, pour les « faucons » états-uniens, il ne s’agit plus d’une crise, mais d’une rupture. Celle-ci est mise en scène par Benador Associates, un cabinet de relations publiques israélo-états-unien.
C’était une bien étrange réunion, ce 4 février à New York. L’agence de relations publiques Benador Associates avait convié un aréopage d’experts et de journalistes à assister à un séminaire sur l’Irak. Le cabinet Benador représente trente-sept personnalités dont il assure les « plans médias » : participation systématiques aux plateaux télévisés, tribunes libres dans les grands quotidiens, signatures de livres, etc. (Voir Tribunes libres internationales numéro 82.) Une dizaine d’entre elles devaient intervenir à cette table ronde à l’heure du déjeuner.
Depuis le début de la crise, les personnalités représentées par Benador Associates sont les sources d’information quasi-exclusives des médias et des institutions publiques du monde entier sur l’arsenal dont disposerait l’Irak, sur le génocide qui aurait été commis par le régime de Saddam Hussein et sur ses liens avec Al Qaïda. Avant même que le secrétaire d’État, Colin Powell, ne prenne la parole devant le Conseil de sécurité des Nations Unies, le séminaire de Benador Associates entendait révéler à la presse le « dessous des cartes ».
Elena Benador est une jeune « attachée de presse » d’origine péruvienne. Les « clients » de son cabinet forment un groupe homogène de personnalités promouvant l’attaque de l’Irak, le renversement du prince régent d’Arabie saoudite, le remodelage des frontières au Proche-Orient et la déportation des Palestiniens. La plupart de ces « clients » sont États-uniens ou Israéliens. Certains sont aussi Irakiens, voire Libanais ou Pakistanais. Deux Français en sont « clients » : Amir Taheri, rédacteur en chef de la revue Politique internationale, et Michel Gurfinkiel, éditeur de l’hebdomadaire Valeurs actuelles (propriété du Groupe Dassault), membre de la Commission politique du Crif et de la direction exécutive de l’Alliance France-Israël.
Le séminaire du 4 février avait pour but de dénoncer à l’avance le « lobby des Ne-touchez-pas-à-Saddam » dont on pouvait craindre qu’il reste sourd aux révélations de Colin Powell et fasse semblant de ne pas être convaincu par ses « preuves irréfutables ». Le clou du spectacle devait être les interventions de Frank Gaffney Jr, le président du Centre pour la politique de sécurité [1] et coordinateur des « faucons » à Washington, et surtout de Richard Perle [2], qui cumule les fonctions de directeur du Jerusalem Post et de membre du Comité consultatif de politique de défense au Pentagone.
Devant cet auditoire choisi, Richard Perle a vivement critiqué le chancelier Schroeder qui s’est, selon lui, « discrédité » par son pacifisme. Mais, il a réservé ses flèches les plus acérées à la France. « Je pense depuis longtemps qu’il existe en France des forces qui tentent de réduire le rôle des Américains dans le monde. C’est beaucoup plus troublant que les déclarations d’un chancelier allemand qui a été largement rejeté par son propre peuple », a-t-il déclaré en faisant allusion au recul du SPD aux dernière élections. « L’Allemagne et la France constituent un Axe des Sournois [Axis of Weasel] […] il a porté un préjudice considérable à l’Alliance atlantique ». Aussi, a-t-il conclu : « La France n’est plus l’alliée de l’Amérique qu’elle fut par le passé ».
Certes Richard Perle a tenu ces propos à titre personnel et non pas en sa qualité de président du Conseil consultatif de défense du Pentagone, ils ne sont donc pas nécessairement représentatifs de la position des États-Unis. Mais M. Perle joue depuis longtemps le rôle de l’homme qui dit tout haut ce que les conventions diplomatiques ne permettent pas d’expliciter. En juillet dernier, c’est lui qui avait préconisé le renversement de la dynastie des Saoud en Arabie saoudite. Cet objectif avait été démenti par la Maison-Blanche, bien qu’il constitue désormais à l’évidence une priorité de la politique états-unienne au Proche-Orient.
[1] Voir l’investigation du Réseau Voltaire « Le Centre pour la politique de sécurité
Les marionnettistes de Washington ».
[2] Richard Perle, dit « le Prince des ténèbres » . Chercheur à l’American Enterprise Institute (AEI), analyste à l’Institute for Advanced Strategic & Political Studies (IASPS) ; administrateur du Center for Security Policy, de la Foundation for the Defense of Democracies, du Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA) du Hudson Institute, du Washington Institute for Near East Policy (WINEP) ; directeur du Jérusalem Post ; président du Conseil consultatif de la politique de défense (Pentagone).
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