La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu le général Vincent Lanata, l’amiral Jacques Lanxade, M. François Heisbourg, directeur de la fondation pour la recherche stratégique et M. François Géré, directeur de l’institut diplomatie et défense, sur les opérations militaires en Iraq.

M. François Géré a exposé que le conflit avait été mal engagé sur trois plans.

Le premier est celui du droit international, même si les débats qui ont eu lieu au Conseil de sécurité des Nations Unies ont eu le mérite de mettre en évidence le rôle de celui-ci et des Etats qui le composent. Certains Etats ont été amenés à prendre leurs responsabilités et à se prononcer sur le respect du droit international ; un hiatus grandissant entre gouvernements d’une part et opinions publiques et parlements d’autre part, est aussi apparu dans certains pays.

Les Etats-Unis n’ont pas su non plus convaincre la Turquie. Ce pays, allié toujours très fidèle des Etats-Unis au sein de l’OTAN, a pris des décisions dont l’origine ne peut être imputée au seul changement de majorité et de gouvernement. Les Etats-Unis ont sous-estimé le caractère extrêmement sensible, pour la Turquie, de la question kurde.

Enfin, l’administration américaine a considéré qu’une importante supériorité technologique pouvait permettre de réduire fortement le nombre de militaires déployés sur le terrain. L’opposition très forte des responsables militaires des Etats-Unis à cette doctrine a conduit à envoyer en Iraq 200 000 hommes, cet effectif ne constituant qu’un compromis entre les souhaits de l’entourage du secrétaire à la défense, M. Donald Rumsfeld, et ceux des états-majors.

Pour autant, on ne saurait conclure que la situation militaire est désastreuse. L’écrasante supériorité aérienne et spatiale des Etats-Unis devrait permettre aux forces de la coalition de l’emporter, même si les prévisions sur la faiblesse de la résistance se sont révélées fausses. La question principale porte donc non pas sur le résultat militaire prévisible, mais sur le résultat politique final. On peut déjà prédire, après la guerre, des remaniements au sein de l’administration américaine. La position de la France doit aussi ouvrir des opportunités à la diplomatie.

La formulation d’une stratégie réparatrice française sera sans doute un bon instrument. Il faudra traiter les oppositions apparues au sein de l’Union européenne et entre les Etats-Unis et certains de leurs alliés du fait de la crise, puis de la guerre. Trop de points n’avaient pas été évoqués, notamment les armes de destruction massive, le coût humain de l’intervention, ou les conditions du renversement de Saddam Hussein. Cette stratégie devra être formulée avec tact. Plutôt que d’insister sur les erreurs commises, la France doit plutôt travailler à se réinsérer dans le processus de reconstruction de l’Iraq et se donner des capacités pour la pacification du Proche-Orient. Des relations de partenariat avec l’Iran doivent être développées. Enfin, les atouts dont la France dispose en matière de lutte contre le terrorisme doivent lui permettre la poursuite de sa coopération avec les Etats-Unis.

Couplée avec les réflexions que l’administration américaine ne manquera pas d’avoir a posteriori sur le traitement de la crise et du conflit, une telle stratégie devrait permettre le retour à des relations plus apaisées, de nature à poursuivre le développement de la coopération avec les Etats-Unis, notamment dans le cadre de l’OTAN, tout en approfondissant le développement de l’Europe de la défense.

Le général Vincent Lanata a indiqué que l’administration Bush avait décidé, lors de son arrivée au pouvoir, de faire évoluer la politique étrangère et de défense américaine vers l’action préemptive. Cette évolution passe par une adaptation des forces, notamment de leur format et de leur disponibilité, à ce nouveau mode d’action. Un débat a eu lieu entre les tenants de cette doctrine et les défenseurs d’une doctrine stratégique plus classique. Le secrétaire à la défense, M. Donald Rumsfeld, souhaitait ainsi un engagement préemptif en Iraq, s’appuyant à la fois sur une technologie très poussée, des forces très légères, limitées à 60 000 hommes, et des frappes précises. A contrario, le secrétaire d’Etat, M. Colin Powell, considérait que l’engagement des forces américaines à l’étranger devait être subordonné à des menaces sur des intérêts vitaux américains, avoir l’appui du peuple américain et être conduit avec des forces très puissantes et nombreuses. Une solution militaire intermédiaire a finalement été retenue, avec l’envoi de 200 000 hommes, auxquels s’ajoutent les troupes britanniques.

Les opérations ont été engagées avec l’idée erronée que les villes irakiennes se rendraient les unes après les autres. Comment le commandement des forces n’a-t-il pas été alerté par les services de renseignement de la réalité de la situation ? Les Américains ont-ils œuvré en connaissance de cause ou bien s’agit-il d’une faillite du renseignement ? La réponse tient sans doute de ces deux facteurs à la fois.

L’absence d’ouverture d’un front nord, en raison d’un échec diplomatique avec la Turquie, va certainement peser très lourd dans la poursuite des opérations. Le millier de membres des forces spéciales présent au Nord ne suffira pas à remplacer les 60 000 hommes prévus pour mener les combats et occuper le terrain. Cette situation apporte un démenti aux tenants de forces très légères.

L’évolution en cours de la doctrine américaine nécessite des moyens financiers importants. Le budget américain de la défense représente 400 milliards de dollars par an. Enfin, le concept de « total forces », tel qu’il a apparu après la guerre du Vietnam, destiné à impliquer la nation, au travers de l’emploi des réserves, aux côtés des forces professionnelles, va aussi disparaître en raison de la nécessité de disposer de forces immédiatement disponibles. Un délai de préparation incompressible oscillant entre 30 et 90 jours est en effet nécessaire pour pouvoir projeter des réservistes.

M. François Heisbourg a rappelé que la prolongation des opérations militaires menées en Iraq, par rapport aux prévisions, ne devait pas occulter la très grande réussite des Britanniques dans les premières 24 heures : les puits pétroliers du Sud ont été très rapidement maîtrisés ; les Irakiens n’ont pu tenter de mettre feu qu’à neuf puits et ne l’ont fait avec succès que pour sept. La réussite de cette action a permis d’éviter un impact économique majeur. De même, les forces américaines ont franchi les 500 kilomètres qui séparent le Koweït de Kerbela en l’espace de cinq jours, ce qui constitue une performance, notamment logistique, sans précédent.

En revanche, il est devenu impossible de parler de guerre de libération et les redditions en masse annoncées ne se sont pas produites. Le parallèle avec la libération de la France en 1944 fait par le numéro deux du Pentagone, M. Paul Wolfowitz, ne s’est pas avéré. L’ennemi ne fait pas ce qu’on attendait de lui et s’illustre par une défense astucieuse en ville et par une politique de communication publique moins contournée que celle de la coalition. Il essaie en outre de creuser le fossé séparant les populations en cours d’invasion et les forces coalisées, en rendant les conditions d’engagement plus brutales grâce à l’aide notamment d’attentats-suicides.

La différence entre la situation actuelle et les prévisions ne doit pas être imputée nécessairement à une faillite du renseignement. Lors de la guerre du Kosovo, la facilité des opérations avait sciemment été exagérée en vue de faciliter l’acceptation politique de la guerre et de réduire les éventuelles hésitations. Il s’agissait non pas de lacunes du renseignement, mais d’un choix politique. Pour autant, il ne semble pas qu’un ordre de bataille ait prévu une menace de résistance au port d’Oum Qasr, à quelques kilomètres seulement de la frontière koweitienne.

À écouter les briefings américains, l’armée irakienne semble aussi avoir disparu du tableau, alors qu’elle dispose en principe de 250 000 soldats, en plus des 60 000 hommes de la garde républicaine. Des difficultés sont donc à prévoir. On peut aussi s’interroger sur le fait qu’aucun des ponts sur l’Euphrate n’ait été détruit par les Irakiens. Il ne s’agit pourtant pas d’une incompétence technique. Les ordres n’ont-ils pas été donnés ? N’ont-ils pas été obéis ? De même, il est étrange de voir que les émissions de la télévision irakienne ne fassent l’objet d’aucun brouillage.

La poursuite du conflit suscite plusieurs interrogations. La première concerne sa durée. Une durée d’un mois est couramment évoquée, moitié pour l’acheminement de la logistique, moitié pour les opérations proprement dites. Cependant, une durée plus longue est aussi envisageable. La durée des opérations et les conditions de leur conduite seront déterminantes pour la gestion de l’après-guerre.

La deuxième incertitude porte sur l’attitude des militaires turcs dans l’éventualité où les Kurdes s’avanceraient dans la région de Kirkouk. Il y a fort à parier qu’une occupation kurde des champs pétroliers du nord de l’Iraq inciterait l’armée turque à intervenir, ce qui ne manquerait pas d’avoir aussi des répercussions sur le processus d’adhésion du pays à l’Union européenne.

Le dernier risque concerne l’éventualité d’un recours irakien à des armes de destruction massive. Si tel devait être le cas, la perception de la guerre aux Etats-Unis changerait profondément. Celle-ci acquerrait une légitimité très forte, voire un caractère de « guerre sainte ». On assisterait à une intensification du niveau de violence des combats et au renforcement de l’emprise des éléments néo-conservateurs de l’administration Bush.

Dans ce contexte, la France affiche une position dont les principes sont parfois difficiles à concilier. Vouloir que la sortie de crise soit encadrée par l’ONU sans pour autant légitimer a posteriori l’action américano-britannique sera compliqué quand se posera le problème de la levée, à la demande des Etats-Unis et du Royaume-Uni, des sanctions votées contre l’Iraq par le Conseil de sécurité. Selon toute vraisemblance, pour la gestion de l’après-guerre, la France comme les Etats-Unis entreront dans une logique transactionnelle. En outre, il ne saurait être exclu que les coalisés décident d’appeler à la création d’une force de stabilisation militaire sans vouloir en faire partie. La question du coût et du financement de cette force, comme celle des réparations des installations irakiennes, devra être abordée.

Après avoir distingué l’aspect international de la crise, qui a révélé des désaccords et des malentendus sur la gestion des tensions mondiales, la construction européenne et le lien transatlantique, de la dimension proprement opérationnelle des événements, l’amiral Jacques Lanxade a formulé trois interrogations sur le déroulement de l’action américano-britannique.

En premier lieu, que vont faire les troupes américaines à leur arrivée aux abords de Bagdad ? Entre le siège, avec ses images lourdes de conséquences, et l’entrée en force, coûteuse en hommes et dangereuse pour les populations civiles, il est probable que le commandement américain devra opter pour la seconde solution.

En second lieu, quelles sont les causes de la résistance à l’avancée de la coalition, qui surprend tant les Etats-Unis ? Il est difficile de faire la part du sentiment nationaliste et patriotique de populations soumises depuis plus de dix ans à des sanctions internationales et des effets de leur embrigadement par le régime. Il faut constater une tendance croissante au sein du monde arabe à lier la crise irakienne et le conflit israélo-palestinien. L’apparition en Iraq d’une forme de résistance fondée sur l’islamisme et recourant aux méthodes terroristes signifierait que la fin du régime de Saddam Hussein ne signera pas la fin du conflit.

Enfin, quelles seront les répercussions de la crise sur le Kurdistan ? Il semble que les Américains ont négocié avec l’allié turc sans considérer à leur juste mesure les intérêts stratégiques de la Turquie. Il est probable que l’armée turque interviendra en Iraq si les Kurdes sortent de leur zone autonome. Les conséquences en seraient imprévisibles.

M. Axel Poniatowski a demandé s’il était envisageable de penser que les forces américaines attendaient, pour s’en prendre aux moyens de diffusion de la télévision irakienne, le début de l’offensive sur Bagdad, afin de donner par là un signal. Il a ensuite souhaité savoir si la position turque n’était pas de nature à renforcer les tenants d’une Union européenne délimitée par ses frontières géographiques, tel le Président de la Convention pour l’avenir de l’Europe, M. Valéry Giscard d’Estaing. Enfin, il s’est interrogé sur l’avenir de l’organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN).

M. François Heisbourg a émis des réserves sur l’avenir de l’OTAN, estimant qu’il s’agissait désormais pour les Américains principalement d’une organisation régionale de stabilisation de l’Europe centrale et orientale, dont l’intérêt était secondaire, sinon caduc sur le plan opérationnel.

La Turquie a fait preuve d’indépendance à l’égard des Etats-Unis. Il ne faut pas forcément s’en plaindre. Il pourrait être judicieux de la part des membres de l’Union européenne de lui tendre la main au moment où elle rompt son alignement systématique sur les Etats-Unis. La crise actuelle montre qu’un désaccord majeur de l’un des Etats membres de l’Union européenne avec les Etats-Unis conduit à l’impossibilité d’une position européenne commune. L’élargissement ne changera en rien cette tendance. Si la politique étrangère de sécurité et de défense (PESD) n’est plus un horizon réaliste même à quinze Etats, l’entrée ou non de la Turquie dans l’Union européenne, sous réserve qu’elle remplisse les critères de Copenhague, n’aura que peu d’incidences. En revanche, si l’Union européenne comporte une dimension de politique étrangère et de défense, celle-ci devra se limiter à un noyau d’Etats membres.

On peut craindre que la persistance des émissions de la télévision irakienne soit la conséquence de la non inscription de celle-ci parmi les cibles prioritaires. Un anéantissement des capacités de diffusion radiotélévisées irakiennes dès le début des hostilités aurait certainement eu un impact important.

M. Gilbert Le Bris, après avoir remarqué que les conditions météorologiques des opérations n’avaient pas été abordées par les intervenants, a souhaité savoir comment la coalition allait gérer le rapport entre les conditions météorologiques, la durée des actions engagées et le nombre de vies en jeu. Les frappes pourront-elles rester chirurgicales ? N’est-il pas inéluctable que le conflit s’intensifie à mesure que sa durée s’allongera ? Enfin, il a demandé quel était l’état opérationnel de l’aviation irakienne.

L’amiral Jacques Lanxade a répondu que la météorologie était en effet un élément important qui s’ajoutait à la question de l’image du conflit dans le monde pour pousser les Américains à tenter d’en finir le plus vite possible et donc à redoubler de force.

Le général Vincent Lanata a fait observer qu’il fallait aussi tenir compte de la stratégie des Irakiens. Les Etats-Unis s’étaient organisés pour une guerre comportant peu de pertes américaines et le moins possible de morts irakiens. Ainsi, ils pouvaient s’assurer d’une image positive de la guerre aux Etats-Unis, mais aussi auprès de l’opinion internationale, notamment arabe. Or, la stratégie de Saddam Hussein les empêche de mettre en œuvre cette stratégie : il les attend dans les villes, et le combat y sera difficile. L’encadrement solide de la population par le régime va en effet aboutir à ce que celle-ci se batte en un combat qui sera long et coûteux en vies humaines.

L’armée de l’air irakienne n’est pas en état d’intervenir, tout appareil qui prendrait l’air serait immédiatement abattu. De plus, le nombre d’appareils encore opérationnels est très faible : on estime par exemple que sur les trente Mirage F1 en possession de l’Iraq, huit seulement sont en état de prendre l’air.

M. Yves Fromion s’est interrogé sur l’idée selon laquelle les Etats-Unis quitteraient l’Iraq une fois les opérations terminées. Il a estimé que la détermination montrée par l’administration américaine pour l’invasion de l’Iraq, qui avait comporté pour convaincre l’opinion internationale la formulation de motivations aussi successives que contradictoires, montrait au contraire la volonté des Etats-Unis de prendre le contrôle de l’Iraq. Ce pays, entre l’Arabie saoudite, dont le régime politique est en pleine décomposition, et l’Iran, apparaît comme un gigantesque porte-avions permettant le contrôle du Moyen-Orient.

M. François Géré a répondu qu’effectivement il paraissait bien exister au sein de l’administration américaine une doctrine stratégique au terme de laquelle les Etats-Unis devaient conserver un statut d’hyper puissance sans rivale et assumer désormais au Moyen-Orient le rôle qui avait été celui de la France et du Royaume-Uni après la première guerre mondiale. Cette doctrine a été formulée après la première guerre du Golfe, notamment par M. Paul Wolfowitz, aujourd’hui membre de l’administration Bush. La réalisation de ce grand dessein géostratégique suppose cependant que soient surmontés plusieurs obstacles militaires, comme la capacité de résistance des armées et des populations du Moyen-Orient, ou diplomatiques, avec les réticences des autres puissances. Les conditions du maintien des Etats-Unis en Iraq seront donc l’un des enjeux de l’après-guerre. Un maintien ouvert paraît difficile et l’installation d’un régime favorable aux Etats-Unis est sans doute la solution souhaitée. La réalisation de cette solution suppose cependant le traitement de trois questions, celle d’un statut des Kurdes accepté par la Turquie, celle des relations avec l’Iran et celle du règlement du conflit israélo-palestinien.

Faisant observer qu’après l’échec sur le terrain d’une conduite de la guerre en réseau les Etats-Unis étaient revenus à l’application d’une doctrine militaire plus traditionnelle, M. Jean-Michel Boucheron a demandé si, dans la mesure où la bataille à venir risquait d’être très coûteuse en hommes, il n’existait pas un risque d’un retour à la première doctrine sous une forme paroxystique, avec l’utilisation de missiles à tête nucléaire de dix kilotonnes capables de pénétrer profondément sous la terre et d’y exploser en ne provoquant que de très faibles retombées aériennes.

Le général Vincent Lanata a répondu qu’en effet les Etats-Unis avaient fait évoluer leur doctrine nucléaire et que celle-ci allait désormais jusqu’à l’utilisation de capacités nucléaires limitées dans des conflits asymétriques tels que la guerre en cours. Il a cependant fait observer que la formulation de cette doctrine n’était sans doute pas suffisamment précise aujourd’hui pour permettre cette utilisation lors de la future bataille de Bagdad.

L’amiral Jacques Lanxade a fait observer qu’en tout état de cause l’usage de ces armes impliquerait une connaissance très précise de la localisation du pouvoir irakien, et que cette localisation n’était pas aujourd’hui connue. Il a estimé que la seule possibilité théorique de l’usage de l’arme nucléaire dans ce conflit concernait le cas où l’Iraq utiliserait des armes chimiques, ce dont il doutait.

Le général Vincent Lanata a affirmé lui aussi sa conviction que Saddam Hussein n’utiliserait pas d’armes chimiques, dans la mesure où un tel usage, qui causerait au moins autant de dommages à la population irakienne qu’aux troupes de la coalition, aboutirait à démontrer aux yeux du monde la légitimité de l’intervention américaine.

M. Christian Ménard a demandé s’il était envisageable que d’autres pays interviennent dans le conflit.

M. François Heisbourg a répondu que même si les Iraniens disposaient d’une brigade de 5 000 à 6 000 hommes assez bien équipés, aux confins de l’Iraq, il était peu probable que l’Iran s’immisce dans ce conflit. Cette analyse pourrait changer si la Turquie devait entrer au Kurdistan, d’autant que sont présents sur le sol irakien des opposants iraniens armés et équipés par le régime de Saddam Hussein. Les autorités jordaniennes, en désaccord avec leur opinion publique, ont pris de grands risques en acceptant sur leur territoire la présence de forces de la coalition. Des complications internes à la Jordanie sont à craindre si le conflit se prolonge.

Par ailleurs, quelle que soit l’évolution de la situation en Iraq, la France souffrira du trop faible intérêt qu’elle a manifesté aux opposants arabes en exil, par contraste avec les relations nouées avec les Kurdes.

Le président Guy Teissier a souligné que les opposants arabes au régime de Bagdad étaient le plus souvent réfugiés dans des pays anglo-saxons et que, ayant beaucoup commercé avec le régime en place, la France pouvait difficilement apporter son soutien, en même temps, à son opposition.

L’amiral Jacques Lanxade a exprimé ses craintes que, dans la durée, le conflit ne prenne davantage un tour asymétrique, l’armée coalisée victorieuse ayant à affronter des groupes de fedayins ou de kamikazes aux contours et nationalités difficiles à cerner, et que cette situation soit source d’une internationalisation du conflit.

M. Michel Voisin a demandé quel degré de confiance on pouvait faire aux images transmises par les médias. Il a également demandé quel rôle militaire pouvaient jouer les milices armées du Parti baas. Enfin, il s’est dit impressionné par l’équipement très lourd des fantassins américains.

Le général Vincent Lanata a répondu que la ville avait un effet égalisateur sur les forces. Les combattants se retrouvent à peu près avec les mêmes capacités, quel que soit le degré de leur technologie. Dans un tel cadre, le rôle des milices n’est pas négligeable.

Après avoir fait observer que les miliciens du Parti baas intervenaient en force pour mater dès le début toute tentative de révolte, l’amiral Jacques Lanxade a indiqué que la multiplicité des chaînes de télévision européennes et américaines, mais aussi arabes, absentes en 1991, permettait mieux, en recoupant les informations, d’approcher la réalité.

M. François Géré a convenu que si la couverture médiatique était beaucoup plus diversifiée qu’en 1991, certains journalistes, intégrés dans les unités combattantes ou réduits à attendre les conférences de presse à Doha pouvaient éprouver un sentiment de déception. Il a ensuite indiqué que Bagdad est bâtie autour d’avenues extrêmement larges, destinées à l’origine à mieux contrôler les éventuels mouvements internes, où des unités militaires peuvent circuler assez aisément. Il n’est pas inimaginable que les Américains puissent tirer profit de cette architecture pour contrôler la ville sans entrer dans les médinas.

M. François Heisbourg a observé que le nombre d’images issues du théâtre des opérations, et notamment du front, était plus élevé que lors de la guerre du Golfe, mais que les informations stratégiques d’ensemble étaient moins accessibles. Admettant que le commandement américain ait souhaité dissimuler les mouvements de ses unités dans un premier temps, il a regretté la permanence de cette situation, qui n’a plus lieu d’être alors que le contact avec les troupes irakiennes est désormais établi.

La présence de journalistes au sein des unités engagées dans les combats avait initialement pour justification de permettre la retransmission de la libération d’un peuple en liesse. Les faits ont démenti pour l’instant cette prévision et il y a tout lieu de penser que les journalistes seront invités à se retirer sur des positions moins exposées lorsque les troupes alliées engageront la phase urbaine de l’offensive.

Compte tenu des perspectives de résistance dans Bagdad, il est à craindre que le conflit dure plus d’un mois.

M. François Calvet a souhaité connaître les formes que pourrait prendre le rôle de la France dans une stratégie réparatrice. Forte de la perception de la justesse de sa position par les opinions publiques, notamment européennes, la France ne peut-elle pas travailler à réconcilier les gouvernements des pays qui sont ses partenaires avec leurs populations ?

M. François Heisbourg a estimé que la France a accumulé un crédit politique considérable au sein de la communauté internationale grâce à sa position, assimilée à un refus de la logique du choc des civilisations. Il reste que, trop longtemps, la France a négligé de défendre le changement et les droits de l’homme au Proche-Orient. Pour capitaliser la sympathie acquise, il sera nécessaire de faire preuve d’un certain dynamisme intellectuel, car cette région doit évoluer. Les néo-conservateurs au pouvoir à Washington l’ont compris, même s’ils se sont trompés de méthode.

Constatant le fort hiatus entre les opinions publiques et les gouvernements de nombreux pays, M. François Géré a fait valoir que la position française était d’autant plus forte que c’est dans notre pays que l’opinion est le plus en phase avec la ligne tracée par le pouvoir exécutif. La France a sans doute un rôle à jouer dans une stratégie de réparation du lien entre les opinions et les gouvernements de ses principaux partenaires, sous réserve qu’elle utilise son crédit à bon escient et avec suffisamment de doigté. Cette démarche doit être entreprise non seulement au sein de l’Union européenne, mais aussi en direction des Etats du Proche-Orient.

Source : Assemblée nationale (France)