Monsieur le Président,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs les Députés,

Vous avez souhaité ce débat. Légitimement.

Depuis le début de cette nouvelle crise au Proche-Orient, le gouvernement a veillé à informer aussi régulièrement et complètement que possible la Représentation nationale.

Un premier débat au Parlement en octobre dernier a permis de présenter les enjeux de cette crise et la position de la France. Chacun a pu s’exprimer et toutes les voix ont pu ainsi rappeler la nécessité de rechercher la paix et d’assurer le respect du droit international.

Ce nouveau débat s’inscrit dans un contexte bien particulier. La crise d’aujourd’hui, c’est peut-être la guerre demain. Cette perspective mobilise les opinions publiques. Pour la première fois peut-être, la communauté internationale des Etats rassemblés dans l’Organisation des Nations unies agit sous les yeux vigilants d’une opinion publique mondiale.

Au-delà de la crise actuelle, ce qui est en jeu, c’est la confiance des peuples dans l’avenir du droit international. En aucun cas et en aucun lieu, le droit de la force ne saurait supplanter la force du droit. Voilà le sens profond de l’engagement de la France et de sa diplomatie dans cette crise. Notre combat, c’est le combat du droit et nous avons conscience de la responsabilité que porte la France.

Le sens de notre débat, aujourd’hui, Mesdames et Messieurs les Députés, est de dire quelle est la position de notre pays, de ses différents responsables politiques dans cette situation internationale tendue.

Notre cadre de réflexion est déterminé par la résolution 1441, adoptée le 8 novembre dernier à l’unanimité des membres du Conseil de sécurité. Vous savez à cet égard le rôle déterminant qu’a joué le chef de l’Etat et je souhaite aussi saluer l’action résolue du ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin.

Les inspections ont repris ; elles se déroulent sans incident depuis le 27 novembre, et commencent à produire des résultats. C’est un progrès considérable, au regard de la situation qui prévalait en octobre dernier.

Mais une question est aujourd’hui posée au Conseil de sécurité de l’ONU : le chemin de la force ne serait-il pas plus court et plus sûr que celui des inspections ?

Dans ce débat, la France est fidèle au choix qu’elle a fait dès le départ, le choix de la légalité internationale et de la responsabilité collective.

C’est un choix qu’elle assume, c’est un choix que nous assumons aussi face à l’ensemble des menaces globales auxquelles nous sommes confrontés. Nous voulons dire que nous ne pensons pas que le chemin de la force serait plus court et serait plus sûr. Qu’il s’agisse du terrorisme, de la prolifération des armes de destruction massive ou du crime organisé, la lutte contre ces nouveaux fléaux nous paraît imposer des démarches collectives et internationales.

Ces menaces ne peuvent se réduire à la seule question de la destruction des armes de destruction massive dont disposerait l’Iraq, même si évidemment, cette destruction est indispensable. Ne nous méprenons pas sur leur réalité : ces menaces se nourrissent des rancœurs et des frustrations suscitées par des crises persistantes, elles appellent une réponse alliant fermeté dans la lutte et volonté de s’attaquer aux racines du mal.

Prenons garde à ne pas nous tromper dans le choix des moyens pour parvenir à un monde plus sûr, à un monde plus équitable et plus prospère que nous recherchons tous. C’est avec ces préoccupations et ces objectifs à l’esprit que, dès l’origine, la France a pris partie pour le droit international et qu’elle a décidé d’assumer ainsi ses responsabilités.

1. Nous avons fait le choix de la légalité et de la responsabilité.

1.1 La résolution 1441 offre la possibilité de désarmer l’Iraq dans la paix. C’est notre conviction, c’est notre détermination.

L’objectif de la communauté internationale est le désarmement de l’Iraq. Nous avons de bonnes raisons de penser que l’Iraq a poursuivi des programmes d’armes de destruction massive prohibés, même si aujourd’hui nous n’en avons pas la preuve.

La résolution 1441 propose une méthode légitime et efficace pour obtenir le désarmement.

Cette méthode est légitime car elle a pour cadre le Conseil de sécurité et se situe dans le prolongement de toutes les résolutions adoptées sur l’Iraq depuis 1990.

Cette méthode est efficace parce qu’elle donne aux inspecteurs des pouvoirs sans précédent.

Mais l’efficacité de cette méthode tient également au fait qu’elle a été adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui constitue un moyen de pression qui nous paraît déterminant sur l’Iraq.

La France, vous le savez, avait proposé une démarche en deux temps, préservant les prérogatives du Conseil de sécurité. C’était l’approche que nous avons soutenue, défendue par la résolution 1441 : le désarmement par la voie des inspections et, en cas d’échec de cette approche, je cite "sur la base motivée d’un rapport des inspecteurs", l’examen par le Conseil de sécurité d’autres moyens des conséquences à en tirer sans en exclure aucune option y compris l’usage de la force.

1.2 Le temps est toujours aux inspections.

Dans ce contexte, la question qui nous paraît se poser aujourd’hui est simple : doit-on considérer que le désarmement par la Commission de contrôle des Nations unies est désormais dans l’impasse ? Ou bien, estimons-nous que les possibilités en matière d’inspection offertes par la résolution 1441 n’ont pas encore été toutes exploitées ?

Nous considérons, pour notre part, que les inspections ont donné des résultats et qu’elles peuvent encore en donner.

Elles ont repris alors que, jusqu’en novembre dernier, les Iraquiens les refusaient. En outre, MM. Blix et El Baradeï se rendent régulièrement à Bagdad pour faire le point avec les autorités iraquiennes.

Les inspections se sont déroulées sans aucun incident depuis le 27 novembre 2002. Ceci constitue une étape importante.

Les rapports de MM. Blix et El Baradeï, le 14 février, ont fait état d’informations significatives transmises par l’Iraq. Même si ces informations restent encore, nous le savons bien, insuffisantes, elles n’en dénotent pas moins des progrès incontestables.

Dans le secteur balistique, l’Iraq doit maintenant procéder au démantèlement complet de son programme non-autorisé, comme l’a demandé la semaine dernière M. Blix en exigeant qu’il commence cette destruction dès le 1er mars.

Dans les domaines chimique et biologique, les Iraquiens ont remis de nouveaux documents significatifs aux inspecteurs.

Dans le domaine nucléaire, le directeur général de l’Agence internationale pour l’Energie atomique a confirmé que l’AIEA pensait pouvoir être en mesure de certifier dans les prochains mois le démantèlement du programme nucléaire iraquien.

Des progrès, donc, dans la conduite des inspections ont eu lieu : le survol de l’Iraq par des appareils de reconnaissance aérienne a débuté le 17 février et des entretiens privés ont eu lieu avec des scientifiques iraquiens.

Mais nous devons aller beaucoup plus loin. Et dès le 10 février, la France a fait des propositions pour renforcer l’efficacité des inspections et nous pressons les Iraquiens afin qu’ils puissent coopérer pleinement et totalement.

Nous venons de déposer à New York un deuxième texte, un deuxième mémorandum qui avance de nouvelles propositions. Notre objectif avec ce mémorandum est double : premièrement, hiérarchiser les conditions de désarmement qui ne sont pas à ce jour résolues, et deuxièmement, établir des échéances qui nous permettent, domaine par domaine, pour accélérer le désarmement.

Les autorités iraquiennes doivent maintenant comprendre qu’on attend d’elles une coopération totale et sans délai.

1.3 Le recours à la force ne saurait être qu’une dernière extrémité.

Maintenir la pression de la détermination de la communauté internationale est un impératif. L’unité manifestée par le Conseil de sécurité lors de l’adoption de la résolution 1441, soutenue par l’ensemble de la communauté internationale, a, selon nous, fait plier l’Iraq.

Le déploiement militaire américain en cours, évidemment, joue également un rôle déterminant dans la pression. Toutefois, la guerre ne doit pas être aujourd’hui le moyen d’action de la communauté internationale :

Personne ne peut affirmer que le chemin de la guerre serait plus court que celui des inspections.

Personne ne peut affirmer, non plus, qu’il pourrait déboucher sur un monde plus sûr, plus juste et plus stable. Car la guerre est toujours la sanction d’un échec.

Pour autant, la France n’a jamais exclu l’usage de la force pour faire respecter le droit. Comme le président de la République l’a récemment souligné, la France n’est pas un pays pacifiste et notre engagement sur de multiples terrains, aujourd’hui, le prouve.

Mais l’usage de la force ne se justifie pas dans les circonstances actuelles car il y une alternative crédible et efficace à la guerre : désarmer l’Iraq par les inspections.

2. La position française a vocation à préserver l’unité de la communauté internationale.

Notre indépendance de jugement est pleinement compatible avec le souci de rassembler la communauté internationale. La France s’y est constamment employée.

Sur une question aussi lourde de conséquences, l’action de la France a constamment recherché le maintien de l’unité du Conseil de sécurité et, plus largement, le maintien de l’unité de la communauté internationale.

2.1 La France s’appuie sur les Nations unies et refuse l’unilatéralisme

Notre démarche s’appuie, vous le savez, sur les principes mêmes qui fondent l’ordre international et autour desquels la communauté internationale est rassemblée :

 Le multilatéralisme qui est synonyme de responsabilité collective, de nécessité morale pour les démocraties, mais aussi nécessité politique pour la cohérence et l’organisation de l’action internationale.

 Le respect de la légalité internationale qu’incarnent la Charte des Nations unies et les résolutions du Conseil de sécurité, sont pour nous des postulats.

Nos objectifs sont ceux de la communauté internationale. Ainsi, le désarmement de l’Iraq et la garantie de son non-réarmement doivent être certifiés.

Face à la montée de l’intolérance, face à l’aggravation des tensions, le rapprochement des peuples passe par la patiente affirmation d’une communauté de valeurs et de règles partagées. C’est un message qui nous vient des peuples du monde entier. Partageons nos valeurs et partageons ses règles, cette nouvelle gouvernance internationale.

2.2 La position de la France a le soutien de la majorité des Etats et des opinions publiques

Le récent débat public au Conseil de sécurité l’a à nouveau confirmé : la très grande majorité des Etats ont des positions convergentes avec les nôtres. Plusieurs organisations régionales se sont prononcées, depuis lors, dans le même sens : je pense à l’Union africaine, je pense aussi à la Ligue des Etats arabes.

Notre position est le point d’équilibre de la communauté internationale ; elle concilie fermeté et respect de la légalité internationale, et propose d’explorer jusqu’au bout la possibilité d’une solution pacifique.

Les opinions publiques, en Europe et dans la plupart des pays du monde, soutiennent également l’approche française, qu’il s’agisse de la priorité qui doit être accordée à la voie pacifique ou du respect de la légalité internationale.

2.3 Nous avons adopté la même démarche avec l’ensemble de nos partenaires.

La force de notre position et l’écho qu’elle recueille résultent ainsi de sa cohérence : nous tenons à tous le même langage.

Avec les Etats-Unis, nos divergences sur l’Iraq ne sauraient remettre en cause la force de notre relation. Comme l’a rappelé récemment Colin Powell, nous sommes de vieux alliés, nous coopérons sur de nombreux dossiers essentiels, à commencer par la lutte contre le terrorisme.

Je veux dire ici devant la représentation nationale, que le vaste mouvement de sympathie et de solidarité du peuple français avec le peuple américain qui s’est manifesté depuis le 11 septembre 2001 et qui ne s’est jamais, depuis, démenti, en est un éloquent témoignage.

Nous partageons sur l’Iraq les mêmes objectifs que tous ceux qui ont voté en conscience, la résolution 1441. Nous divergeons sur les moyens de les atteindre, ces objectifs. Nous avons un devoir de vérité entre Alliés qui se respectent.

Quelles que soient les évolutions, disons-le clairement à tous, la communauté internationale devra rester engagée en Iraq : la question des sanctions, celle du désarmement, celle aussi, bien sûr, du programme humanitaire resteront posées en un lieu et ce lieu c’est le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations unies.

Avec l’Union européenne, le Conseil européen extraordinaire du 17 février a permis, là aussi, de constater que nous pouvions nous retrouver sur l’essentiel : objectif commun du désarmement, reconnaissance du rôle du Conseil de sécurité à l’ONU, volonté de privilégier la voie pacifique et mention de l’usage de la force comme dernier recours. Les clivages qui se sont exprimés lors du Conseil Affaires générales du 24 février n’ont porté, encore une fois, que sur des questions de méthode. Assumons ces divergences.

La construction de l’Europe politique ne doit pas être l’otage de cette crise ; l’Union a su faire face à d’autres difficultés.

Au sein de l’OTAN, tout en refusant la logique de guerre, la France reste solidaire de ses alliés et notamment de la Turquie au cas où cette dernière viendrait à être affectée par un conflit en Iraq. Le président de la République a multiplié les contacts avec son homologue turc pour s’en expliquer avec lui. Les autorités d’Ankara partagent notre position.

 

Monsieur le Président,

Mesdames et messieurs les Députés,

Aujourd’hui, une intervention militaire, alors que toutes les chances d’une solution pacifique n’ont pas été explorées, diviserait la communauté internationale.

Ne nous trompons pas, elle serait perçue comme précipitée et illégitime. Démentant ainsi les critiques et les injures grossières adressées par certains à la France et à son président, les débats des derniers jours aux Nations unies et les récentes manifestations à travers le monde ont montré que la décision de recourir à la force dans la situation actuelle susciterait une vague d’incompréhension et de suspicion.

Elle accentuerait les fractures et les tensions dans un pays et une région dont nous connaissons la complexité. Plusieurs fois centre du monde arabe dans le passé, l’Iraq est à la fois riche de ressources naturelles fondamentales, un carrefour des religions et une entité nationale profondément partagée entre ses populations d’origines et de confessions fort diverses.

Le régime iraquien est évidemment un sujet de préoccupation. Il ne doit pas masquer d’autres problèmes, tout aussi fondamentaux : le Proche-Orient ne connaîtra jamais la paix tant que le conflit israélo-palestinien n’aura pas trouvé une juste et harmonieuse solution.

Regardons, avec une vision large, l’ensemble de la région. Comme le président de la République a déjà eu l’occasion de le dire, cette région n’a pas besoin d’une nouvelle guerre mais d’un règlement politique, fondé sur le droit, seul à même de réduire les tensions et les frustrations, d’isoler les terroristes et ainsi d’ouvrir le chemin de la paix.

Au moment où la communauté internationale entend régler la question du désarmement iraquien, elle doit manifester la même détermination pour régler la crise du Proche-Orient qui est, nous le savons bien, centrale.

La guerre, évidemment, affaiblirait la coalition contre le terrorisme. C’est un élément majeur de notre réflexion. Une communauté internationale s’est créée au lendemain du 11 septembre contre le terrorisme. La guerre affaiblirait cette coalition. Elle provoquerait - que chacun y réfléchisse - la recrudescence de ce phénomène, alors qu’il s’agit justement de combattre ce fléau qui nous menace tous, là-bas comme ici.

Au-delà, la guerre ébranlerait l’ordre international, par la remise en cause de la sécurité collective, par la primauté accordée à la doctrine préemptive sur le principe auquel nous sommes attachés, principe de légitime défense. Nous ne voulons pas que la doctrine préemptive s’impose au principe de légitime défense.

2.4 Dans les circonstances actuelles, une deuxième résolution au Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas de justification.

Ces raisons, qui vont au-delà des enjeux immédiats de la crise iraquienne - nous allons au-delà de la crise iraquienne, car quand nous défendons le Conseil de sécurité ; nous défendons un lieu de droit, mais quand nous défendons la méthode des inspecteurs, nous défendons aussi une méthode pour régler des conflits qui pourraient s’appliquer à d’autres pays. Et donc, cette cause-là est celle qui nous paraît, aujourd’hui, devoir s’imposer.

Une deuxième résolution par laquelle le Conseil de sécurité autoriserait le recours à la force ne saurait être justifiée alors que tous les moyens de parvenir au désarmement de l’Iraq dans la paix n’ont pas encore été explorés. Le projet déposé lundi 24 février par les Anglais, par les Américains et les Espagnols, formulé en des termes généraux, est bien une autorisation de recourir à la force. De la même manière que nous avons rejeté le recours automatique à l’usage de la force, la France, comme l’a dit le président de la République, rejette le recours automatique à cette deuxième résolution. C’est bien la raison pour laquelle nous ne soutiendrons pas cette initiative.

Cette position est partagée par une majorité des membres du Conseil de sécurité. Elle nous semble pouvoir être soutenue par l’essentiel de la communauté internationale. La déclaration tripartite franco-germano-russe, à laquelle s’est jointe la Chine, a permis à chacun de constater notre détermination. Nous avons préparé le moyen de renforcer les inspections comme méthode d’obtenir le désarmement de l’Iraq, sans être obligé de passer par la guerre. C’est ce qui nous anime et c’est pour cela que nous avons déposé ce mémorandum devant le Conseil. L’accueil qui a été fait à notre position le 14 février dernier par les autres membres du Conseil montre que celle-ci trouve un écho favorable.

Voilà la ligne qui est la nôtre. Voici, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, quelle est la position du gouvernement français dans la crise iraquienne.

Plus que jamais, nous souhaitons progresser dans cette voie, celle du désarmement dans la paix, celle de la sagesse de la France./.

Source : Assemblée nationale (France)