Les instructions ouvertes en France à l’encontre de rwandais résidents sur le territoire seront désormais regroupées entre les mains d’un seul juge l’instruction. Une petite victoire pour les parties civiles, même si l’heure n’est pas encore à l’ouverture d’un procès.
(un article de Stéphanie Maupas in Diplomatie Judiciaire 2001)
" Sept ans après le génocide et quelques plaintes plus tard, Paris désigne enfin son "Vandermeersch"... En clair : Un seul juge d’instruction aura
désormais la charge d’instruire les plaintes déposées contre des rwandais résidents en France. Depuis 1994, les plaignants se voyaient obligé de localiser les personnes contre lesquelles ils décidaient de se porter parties civiles, puis déposer leur dossier devant la juridiction concernée. Les juges de Laon, Bordeaux, Strasbourg et Troyes... furent, tour à tour, saisis. Désormais, en donnant droit, le 27 septembre, à une requête visant le regroupement de tous les dossiers entre les mains du seul tribunal de Paris, la Cour de cassation change la donne.
Si la décision constitue une victoire importante pour les parties civiles, elle est, une nouvelle fois, obtenue au terme d’une longue course d’endurance. Car dans les affaires rwandaises, une constante habille l’après génocide : Sans pour autant s’opposer, Paris n’a pris et ne prendra aucune initiative. Il appartient donc aux victimes de se porter parties civiles, et à leurs avocats de dresser requêtes sur requêtes pour obtenir, à petits pas, de bien maigres avancées. Conscientes du fait, les associations Survie et Communauté rwandaise de France déposaient donc une requête, le 6 avril dernier, devant le procureur général de la Cour de cassation demandant " le renvoi des différentes procédures (...) au profit des juridictions de Paris." Leur avocat, Me Bourdon, défendait alors qu’ "il est indiscutable que la quantité et la nature des investigations qui doivent être menées (...) exigent une disponibilité particulière du juge d’instruction désigné ainsi qu’une connaissance intime des différents instruments juridiques internationaux applicables, outre bien entendu une certaine familiarité avec la situation politique existant dans la région des Grands Lacs. " Pour parfaire sa démonstration, William Bourdon abordait alors le crime organisé, le génocide, auquel, les juges saisis aux quatre coins de France, devaient difficilement se confronter. Pour l’avocat, " il est acquis également qu’il existe entre certaines des personnes susceptibles d’être poursuivies et/ou qui sont déjà poursuivies, soit des liens particuliers, soit des liens tenant au fait que les crimes qui leur sont reprochés ont été commis dans le même espace temps et parfois dans une même région donnée. "
L’avocat désigne alors et pour conclure un favori en la personne de Roger Le Loire. William Bourdon estime que le juge " a acquis un savoir-faire spécifique tenant au fait qu’il lui a été confié depuis plusieurs années la totalité des dossiers d’information visant des personnes suspectées d’avoir commis des crimes contre l humanité. " Outre les affaires argentines et chiliennes, le juge est aussi saisi de l’affaire Munyeshyaka l’abbé soupçonné de participation aux massacres de la Sainte Famille - depuis octobre 1999. D’ores et déjà, Roger Le Loire a, en septembre et octobre 2000, demandé deux commissions rogatoires au Rwanda pour l’audition de près de soixante-dix témoins. Plus d’une année est désormais écoulée... A Paris, le juge commence à trouver le temps long et s’interroge. Mais à l’ambassade de France à Kigali qui relançait le ministre rwandais de la Justice en juin dernier - on se refuse à voir dans cette attente un quelconque embarras de Kigali en rapport avec le dossier instruit par le juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière, relatif à l’attentat présidant à la mort de Juvénal Habyarimana. On se contente simplement de rappeler qu "en droit, il faut éviter de faire des amalgames ". Droit et politique font, certes, douloureusement bon ménage.
Quoi qu’il en soit, les différentes plaintes déposées devant différentes juridictions françaises depuis 1994 ont connu des sorts divers. Contre l’ex-préfet Renzaho ou le colonel Serubuga, les juges respectifs décideront d’un non-lieu pur et simple. Plus complexe, l’affaire Munyeshyaka a connu moult rebondissements, jusqu’au 6 janvier 1998, où la Cour de cassation ordonnait la reprise des poursuites engagées contre le prêtre pour génocide et torture. Evoquant la plainte déposée à l’encontre du gynécologue de Bordeaux, Sosthène Munyemana, William Bourdon estime que "différents juges d’instruction se sont succédés sans qu’il n’apparaisse qu’en l’état des investigations aient été significatives ". Si l’instruction se poursuit depuis plusieurs années, l’homme n’est cependant, à ce jour, pas mis en examen. A Laon, une plainte contre un ancien fonctionnaire suit son cours, (début octobre 2001, les mêmes parties civiles ont porté plainte contre le Colonel SERUBUGA et le Lieutenant Colonel Cyprien KAYUMBA n.d.l.r.).
A Troyes, l’ancien préfet de Gikongoro, Laurent Bucyibaruta était mis en examen pour génocide et crimes contre l’humanité puis arrêté, le 6 juin 2000, avant d’être finalement libéré six mois plus tard par le juge Créton, qui avouait alors les difficultés inhérentes à l’instruction d’un dossier aux contours politiques et historiques complexes. Il appartiendra désormais au juge de Paris de décider, ou non, si ces différents dossiers devront être joints dans une même procédure.
La décision du 27 septembre 2001 n’est qu’une suite donnée aux différentes affaires ouvertes depuis 1994. Le 17 septembre, lors d’une conférence organisée par la Coalition française pour la Cour pénale internationale, maître William Bourdon, batailleur impénitent et pour le moins endurant, regrettait que "jamais le parquet n’ai engagé d’office la moindre procédure", il en a pourtant l’obligation précisait t-il. Sur plainte conjointe de la Ligue des droits de l’Homme et de la Fédération des droits de l’Homme déposée en décembre 2000, l’avocat demandait que le procureur de la République de Paris accepte " d’ouvrir une enquête préliminaire aux fins que soient localisées, identifiées, celles des personnes responsables d’avoir participé au génocide au Rwanda et dont la présence était dénoncée en France. " Une nouvelle fois, il tentait de faire en sorte que ne soit plus " renversée la charge de la preuve ". Car malgré l’avis rendu par la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, le 19 décembre 1995,
Paris restait sur la défensive. Les plaignants devaient non seulement "traquer " toute présence à leurs yeux " suspectes " sur le territoire français, mais encore, localiser précisément ceux qu’ils soupçonnaient d’avoir trempé dans le génocide. Les consultants consultés demandaient alors que la loi d’adaptation française aux tribunaux internationaux " soit accompagnée d’instructions du ministre de la Justice aux Procureurs généraux afin d’engager sans délais des recherches de sorte que soient identifiés et poursuivis les auteurs du génocide (...) présents sur le territoire français et ce, sans que les actes d enquêtes et de poursuites soient subordonnés à l’action des victimes. " Les juges... consultatifs conseillaient encore "que toutes les mesures d’organisation judiciaire et policière soient prises sans délai pour que puissent être effectués les actes d enquêtes et de poursuites. "
Si Paris ne prend toujours pas l’initiative d’engager des poursuites, en revanche, les parties civiles n’auraient plus, lors du dépôt d’une plainte, à joindre à celle-ci un dossier constitué, se substituant en partie au travail du juge d’instruction.
Si sensibles qu’ils soient, les dossiers rwandais en France provoquent encore, et tour à tour, malaise, amertume ou rancœur... Voir anxiété. Lors de sa visite à Kigali, en août 2001 dans le cadre du soutien qu’apporte la France à la mise en oeuvre des accords de Lusaka, précisait avec insistance le Quai d Orsay - le ministre des Affaires Etrangères français affirmait haut et fort que " toutes les personnes qui sont poursuivies peuvent être traduites en justice, ajoutant qu’aucune exception [ne prévaudrait] à ce principe. " Il ne manquait cependant pas d’ajouter que "le sentiment répandu en France est que la politique française a été injustement présentée. " A Kigali ou à Paris, même longueur d’onde : difficile de tourner la page des anciennes amitiés de la françafrique. Face à son voisin belge, Paris agit toujours un peu moins fort, un peu plus tard. Quand Bruxelles lance une commission d’enquête sénatoriale, Paris s’engage deux ans plus tard dans une mission d’information. L’ancien tuteur a su s’honorer d’un premier procès, en juin dernier, à l’encontre de quatre rwandais arrêtés en Belgique. Si politique et médiatisé qu’il fut, il démontrait aussi d’une volonté de cicatriser un passé à vif. Cette volonté s’affichait dès mars 1995, lorsque le juge Damien Vandermeersch se voyait saisi, sur ordre du ministre de la Justice, de toutes les affaires relatives au génocide rwandais. La décision fut là-bas politique. Six ans après, le Juge français arrive au même résultat, par la voix juridique. A l’ambassade du Rwanda en France, un laconique " mieux vaut tard que jamais ", salue la décision. "
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