Monsieur le Président,
Cher Alpha Oumar,
Monsieur le Secrétaire général,
Cher Professeur NKUHLU,
Cher Michel CAMDESSUS,
Mesdames et Messieurs les ministres,
Mesdames, Messieurs,

Alors que commencent vos travaux, je suis heureux de vous saluer afin de vous dire l’espoir que la France place dans le Forum pour le Partenariat avec l’Afrique.

Il n’y aura pas de mondialisation réussie sans le développement de l’Afrique. Et le développement de l’Afrique exige de nous tous, Africains et autres, que nous unissions nos efforts, et que nous le fassions en partenaires. Comme l’a rappelé le Président KONARE, à Gênes, à Monterrey, à Kananaskis, à Evian, l’esprit de partenariat petit à petit a pris corps, et ceci autour d’un double engagement : l’engagement des pays africains à conduire des politiques de développement ambitieuses et déterminées ; l’engagement de la communauté internationale à leur apporter un appui politique et financier qui soit à la hauteur de l’enjeu.

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Notre rencontre se produit à un de ces moments privilégiés où cristallisent des efforts jusque-là dispersés. Les pays d’Afrique, ceux de l’OCDE et les organisations internationales partagent désormais une même ambition et, je dirais, une même boussole.

Notre cap est fixé. C’est la réalisation des Objectifs de Développement du Millénaire. Base de notre contrat, ils concernent d’abord l’Afrique, parce que c’est continent le plus défavorisé pour un certain nombre de raisons, essentiellement de nature historique.

Pour suivre ce cap, nous avons choisi des termes de référence communs, le NEPAD, établi par les Africains eux-mêmes, et une méthode, le partenariat, qui se substitue à l’assistance.

Le partenariat est une discipline exigeante. Il repose sur la confiance, la sincérité des engagements réciproques, le respect de l’autre, de son histoire, de ses traditions, de sa vision des choses. Il appelle la franchise. Le lancement imminent du mécanisme africain d’examen par les pairs est à cet égard un signe très encourageant. Dans le même esprit, un expert africain participera à l’examen de la politique de coopération de la France par l’OCDE.

Ce partenariat prendra tout son sens en s’ouvrant pleinement à la société civile, associations, entreprises, syndicats, communautés, ainsi qu’aux organisations internationales et régionales. Ces liens personnels autant qu’institutionnels seront, en quelque sorte, la sève de notre relation.

Notre partenariat s’organise. Déjà, le plan d’action adopté à Kananaskis et confirmé à Evian a permis de nombreux progrès. Il a abouti à la création de votre Forum, ouvert à tous les grands donateurs. Je salue tout particulièrement le « club des 0.7% », ces pays exemplaires qui consacrent plus de 0.7% de leur PNB à l’aide au développement. La France veut les avoir rejoints au plus tard en 2012. Le Forum ne se substitue pas naturellement au dialogue entre le G8 et le NEPAD. Il le complète, il en universalise les principes, il l’inscrit dans la durée, car le développement de l’Afrique exige la mobilisation de tous sur le long terme.

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Des obstacles immenses se dressent sur notre route. Je les connais, le Président KONARE vient de les évoquer, nous ne les sous-estimons pas.

 

La guerre d’abord, qui fait rage dans de nombreux pays. Les coups d’Etat sont encore trop fréquents. La gangrène de la corruption et de la mauvaise gouvernance, avec les inacceptables atteintes aux droits de l’homme qui l’accompagnent toujours. Le sida, qui poursuit ses ravages. L’extrême pauvreté, qui touche un Africain sur deux et qui progresse dans un monde qui par ailleurs s’enrichit et gaspille de plus en plus. Les pénuries et les famines, qui n’ont pas disparu. Un peu partout, le pillage des ressources naturelles qui mutile le continent et qui menace également des joyaux du patrimoine mondial.

Entendant le murmure des sceptiques, qui se nourrit complaisamment de ces difficultés, je pense à ce proverbe dont je ne sais pas s’il est africain mais qui pourrait l’être : « Contempler l’obstacle, c’est la voie de l’échec ; se concentrer sur le but, c’est la voie du succès ». Telle est la démarche du NEPAD, à laquelle je tiens à rendre hommage. Consciente de ce qui ne va pas, cette démarche veut briser le cercle vicieux de l’impuissance, du manque de respect et d’intérêt à l’égard des autres et de la démobilisation.

Ce que j’ai vu au cours de mes fréquents voyages en Afrique, et hier encore, comme le rappelait Alpha Oumar KONARE, au Niger et au Mali, dément absolument qu’une fatalité s’oppose au développement de ce continent. Il nous appartient maintenant de reconnaître et d’amplifier les mouvements positifs qui s’y dessinent.

Progrès de la paix. C’est vrai, vous l’avez rappelé Monsieur le Président, en République Démocratique du Congo, au Soudan, au Burundi, en Angola, au Liberia et en Sierra Leone peut-être, pour ne citer que quelques exemples. Ces processus encore fragiles ont besoin d’être consolidés. La construction de la paix

doit demeurer la priorité de notre dialogue, autour de trois orientations. Tout d’abord poursuivre, avec les Nations Unies, l’Union africaine et le G8, la mise au point d’un dispositif régional de maintien de la paix. Ensuite, concentrer nos efforts sur le cas particulier d’un pays en sortie de crise ou de conflit. Enfin, tirer les premières leçons des interventions en Ituri, au Liberia ou en Sierra Leone.

Progrès de la lutte contre la mauvaise gouvernance et la corruption. Un nombre croissant de pays font de ce combat une priorité. Ils ont raison et ils doivent persévérer. Les pays de la zone Franc y travaillent ensemble. L’examen par les pairs sera un stimulant puissant et votre Forum devra débattre sereinement et franchement des politiques engagées comme de leurs résultats. Le soutien de l’OCDE est, à cet égard, bienvenu. Et j’attache également le plus grand prix à l’initiative sur la transparence des paiements soutenue par le G8. Elle mérite votre attention et votre appui.

Progrès dans la lutte contre le sida et les grandes pandémies. Les pratiques et les discours, vous le voyez, évoluent. Le sida n’est plus perçu comme une maladie honteuse ou comme une malédiction, mais il est bien reconnu comme un fléau qui menace le développement du continent tout entier. Le Fonds mondial a bénéficié de nouveaux financements. La France, qui lui consacre chaque année 150 millions d’euros, estime qu’il doit recevoir 3 milliards de dollars par an, provenant à part égale des Etats-Unis, de l’Union européenne et du reste du monde. C’est d’ailleurs l’orientation évoquée il y a quelques mois avant le sommet d’Evian par le Président BUSH. Le Forum pourrait suivre l’action du Fonds en Afrique et aider les pays africains à élaborer des stratégies efficaces contre les pandémies.

Progrès dans le développement humain. Depuis le Forum de Dakar, les pays africains se mobilisent pour l’éducation pour tous et ils sont nombreux à s’engager dans la procédure accélérée proposée par la Banque Mondiale. La réaction de la communauté internationale cette année face aux risques de famine en Afrique australe et dans le cœur de l’Afrique est, elle aussi, porteuse d’espoir. Elle a bien sûr décidé l’envoi de secours d’urgence. Elle a aussi reconnu les retards pris en matière de développement agricole et la nécessité d’y remédier. Pour l’eau, secteur essentiel mais qui a jusqu’ici été relativement délaissé, le G8, notamment sous l’impulsion de M. CAMDESSUS, a adopté à Evian un ambitieux plan d’action et la Banque mondiale va se mobiliser. La déclaration récente de Niamey adoptée il y a deux mois ouvre, dans le même esprit, de nouvelles et utiles perspectives pour le fleuve Niger et le développement durable de son bassin.

Progrès économiques enfin. Si l’Afrique veut atteindre les Objectifs du Millénaire, la croissance doit s’y établir aux alentours de 7% par an. Cela suppose des politiques déterminées pour attirer l’investissement privé et l’épargne, locale ou étrangère, pour stimuler cet esprit d’entreprise qui, nous le savons, anime les Africains. Cet objectif de croissance est élevé c’est vrai mais, comme le rappelle le dernier Rapport sur le Développement Humain, certains pays connaissent déjà des succès impressionnants : « au Cap Vert, à Maurice, au Mozambique, en Ouganda, le revenu par habitant a progressé de plus de 3% par an, et le Ghana et le Mozambique ont obtenu certains des meilleurs résultats, à l’échelle mondiale, dans la lutte contre la faim ». D’autres pays, du Sénégal à l’Egypte et au Botswana, ne sont pas loin de tels résultats. Votre Forum pourrait être un lieu privilégié pour aider les pays africains à concevoir et à mettre en œuvre des politiques d’incitation à l’initiative privée et de soutien aux entreprises et bénéficier des expériences réussies dans d’autres pays.

Plus d’argent privé bien sûr, mais aussi plus d’argent public, notamment pour financer les indispensables infrastructures de toutes natures et sans lesquelles il n’y a pas de progrès possible pour le développement. Conformément aux engagements de Monterrey, l’aide publique au développement a recommencé à croître, insuffisamment mais le rythme a été repris et la France en prend toute sa part. Il nous faut aussi trouver de nouvelles sources de financement. La France soutient l’idée d’une Facilité Financière Internationale qui a été présentée par le Royaume Uni. Je souhaite également que nous réfléchissions à un prélèvement qui est inévitable, qui est indispensable et qu’il faut mettre en œuvre le plus rapidement possible de façon concrète, un prélèvement sur les richesses engendrées par la mondialisation. J’ai constitué un groupe de travail international pour travailler sur cette question. Ce groupe me fera rapport avant le prochain sommet du G8 et j’espère alors pouvoir faire des propositions.

La croissance passe enfin par le rétablissement de l’Afrique dans le commerce international. Après Cancun, je suggère que votre Forum réexamine les propositions que la France et l’Europe avaient élaborées : moratoire sur les subventions agricoles, pour éviter de déstabiliser les producteurs locaux ; harmonisation des préférences, pour favoriser l’accès aux marchés du Nord ; réouverture du dossier des matières premières, pour plus de prévisibilité. Cette initiative reste sur la table, elle est soutenue par l’Union européenne, elle répond aux besoins de l’Afrique. Je veux aussi confirmer, comme je l’ai fait au Mali et au Niger, que la France apporte un soutien total aux pays producteurs de coton et souhaite qu’une solution soit rapidement trouvée à leurs problèmes. Plus de 15 millions de paysans dépendent des solutions que nous saurons trouver dans ce domaine.

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Mesdames, Messieurs,

Vous incarnez un nouveau regard sur l’Afrique, un nouvel espoir pour l’Afrique. Représentant un chef d’Etat, de gouvernement ou d’institution internationale, chacune et chacun d’entre vous tient sa légitimité de ce lien personnel avec votre chef d’Etat, votre chef de gouvernement ou votre institution internationale. Votre force réside dans votre capacité d’impulsion politique. Vous serez écoutés non pas en créant des institutions nouvelles, mais en proposant, par vos échanges et vos réflexions, des solutions qui puissent changer la donne.

Injustement marginalisée, l’Afrique est le continent indispensable de la mondialisation. Bien sûr, sans les savoirs de l’Afrique, sans ses cultures, sans ses rythmes, sans son énergie, sans son sens de la solidarité et de la fraternité, notre monde serait mutilé. Pas plus que vous, je ne suis prêt à l’envisager. Comme vous, j’ai foi en l’Afrique et son développement. Ce continent magnifique a payé un très lourd tribut à l’Histoire. Il doit de ce fait surmonter des difficultés immenses. Mais il est riche, riche de ses hommes, de ses cultures, de ses ressources naturelles. Et peuples et dirigeants sont décidés à aller de l’avant.

Le Président KONARE évoquait tout à l’heure le fait que je revenais d’un voyage au Mali et au Niger. Conformément aux traditions, aux belles traditions d’accueil et de générosité de l’Afrique, un grand nombre de Nigériens ou de Maliens étaient venus m’accueillir. Sur la route qui nous conduisait de l’aéroport jusqu’au centre-ville, je regardais attentivement ces gens venus gentiment, chaleureusement me saluer. Et j’observais qu’il y avait un très grand nombre de jeunes. Des enfants de 5 à 15 ans représentaient plus de la moitié des présents là. Tout à l’heure, le Président KONARE disait : « Avant 2025, il y aura un milliard trois cent millions d’Africains dont huit cent millions auront moins de vingt ans ». Je les voyais, chaleureux avec de beaux sourires, de beaux regards, gentils, pleins de vie et je me disais que l’Afrique a enfin la base de son développement de demain dans cette jeunesse. Mais cette jeunesse, dans notre monde médiatisé, peut aussi représenter pour l’Afrique, et pour le monde entier, un risque considérable si on ne fait pas en sorte qu’elle soit intégrée, si on ne lui donne pas les moyens de la vie, comme ailleurs, dans le domaine de la santé, de l’éducation, du travail, de la formation. Alors, cette jeunesse peut être une bombe à retardement. Si elle est déçue, le monde entier sera ébranlé et les risques seront immenses.

 

Il est temps que la réflexion exclusivement fondée, dans certains pays notamment occidentaux, sur l’efficacité à court terme, fasse la place à une vision, à plus de prévision. Ces jeunes n’accepteront pas et ne tolèreront pas d’être marginalisés et ils seront suffisamment nombreux pour imposer au monde des drames ou des difficultés insurmontables. Il est temps d’en prendre conscience, ils ont actuellement entre 5 et 15 ans. Donc les peuples et les dirigeants, je le sens et vous l’exprimez, sont décidés aujourd’hui à aller de l’avant et c’est tous ensemble, la main dans la main, que nous devons faire ce chemin.

Je vous remercie.