La décision par le gouvernement du président Jacques Chirac d’interdire le port du foulard islamique, ou hijab, dans les établissements scolaires est à première vue une affaire purement française. Cette loi interdit d’autres symboles religieux « ostentatoires », mais c’est le foulard qui est au cœur du débat. Cette décision n’a rien d’arbitraire, elle fait suite au rapport d’une commission dirigé par Bernard Stasi et qui a tenu des auditions publiques. La loi s’appuie sur la tradition française de laïcité qui trouve ses origines dans la révolution de 1789 et dans la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État.
Pourtant, la bataille du hijab n’est en rien une affaire propre à la France. Certains Länder allemands envisagent d’en adopter une similaire. Le port du voile est interdit en Turquie, tout comme il l’était en Iran à l’époque du Shah et en Indonésie jusqu’au début des années 90. En Oklahoma, une fillette de onze ans a été renvoyée de son école pour ne pas avoir respecté un code vestimentaire prévu pour empêcher le port de signes d’appartenance à un gang en portant le voile. Le débat sur le port du foulard, via internet, est devenu mondial.
Je ne pense pas toutefois qu’il s’agisse d’un conflit de civilisations, mais d’une manifestation de la place de plus en plus importante de la question de l’identité féminine dans le nouvel environnement mondial. Le hijab n’a pas la même signification partout et il peut aussi bien être un symbole de soumission qu’un symbole d’adaptation à la modernité pour les femmes des milieux traditionalistes. L’interdiction chiraquienne pourrait entraîner les jeunes filles forcées de porter le voile par leurs parents à sortir de l’enseignement public et à être mariées jeunes alors que c’est l’éducation dans un milieu culturel ouvert qui leur donnera des chances. Le foulard peut aussi être un moyen de revendiquer une identité culturelle et une affirmation de soi.
Interdire n’est pas la bonne politique car elle résonne en écho au fondamentalisme.

Source
Le Monde (France)

« Voile islamique : la France sur la mauvaise voie », par Anthony Giddens, Le Monde, 14 janvier 2004.