Slomka : La puissance militaire à elle seule ne suffit pas pour stabiliser le Moyen-Orient et lutter contre le terrorisme, vous l’avez fait remarquer à maintes reprises... Qu’est-ce que cela signifie, en pratique, pour la politique ? Avec votre proposition de zone de libre-échange englobant tout le Proche-Orient, vous ne réglez quand même pas le conflit entre Israéliens et Palestiniens ?

Fischer : Pas le conflit en soi. Le règlement du conflit suppose la volonté politique pour que les deux parties s’accordent sur une solution avec deux États. C’est un compromis douloureux. Mais nous en avons fait l’expérience sur le plan européen : l’Union européenne a commencé tout simplement par une coopération dans le secteur économique. La moitié de la population du monde arabe est âgée de moins de 18 ans... Ces jeunes gens ont besoin de formations, de perspectives, d’emplois, et ils veulent fonder une famille. Tout ceci suppose une économie florissante. Dans cette mesure, il s’agit d’une contribution déterminante à la construction de l’avenir. Cela ne suffit pas, mais c’est extrêmement important.

Vous souhaitez que soit lancé un projet transatlantique commun. Effectivement, l’administration américaine a elle aussi la vision d’un Moyen-Orient stable. Est-ce un hasard ou une différence que George Bush parle de "démocratisation", alors que pour vous, il est question de "modernisation" ?

La démocratie fait partie de l’époque moderne, cela ne fait aucun doute si l’on observe l’économie mondiale, les États, les économies nationales qui ont modernisé leurs systèmes au niveau de l’emploi de la technologie et de l’information, et qui sont en tête... Il existe un excellent rapport des Nations Unies, dans lequel la situation du monde arabe est analysée, ces déficits sont mis en relief et des solutions à ces problèmes sont proposées. Je pense que si l’on se penche sur ce rapport, on a toutes les données en main pour s’attaquer aux problèmes et trouver des solutions. Et si l’on y parvient ensemble, c’est-à-dire si les Occidentaux agissent de concert - les Européens ont développé une stratégie commune, l’UE est capable d’agir -, une stratégie (devrait pouvoir être élaborée) en coopération avec les Américains. Nous aurons l’occasion de le faire au printemps prochain à Istanbul, lors du sommet de l’OTAN, et auparavant lors du sommet du G 8 aux États-Unis. Je pense que nous pouvons développer une telle stratégie commune, et ce, en partenariat avec la région. Cela peut fonctionner si nous unissons nos forces.

Dans ce contexte, on a également parlé de répartition du travail. La répartition du travail ne peut cependant signifier que les Américains fassent la guerre et les Européens le ménage derrière eux.

Non. Nous avions ici des positions divergentes, pas pour l’Afghanistan mais pour l’Iraq. Nous étions très sceptiques et les événements ne nous ont pas détrompés. Mais en même temps, une chose est claire : quelle qu’ait été notre opinion dans la question de la guerre, si nous ne gagnons pas ensemble la paix en Iraq, nous allons tous payer le prix fort. Cela suppose précisément que les Nations Unies puissent à présent s’atteler à leur tâche. Nous le préconisions depuis la fin de la guerre. Mais l’objectif doit être d’intégrer ceci dans une relance de toute la région, car nous ne devons pas uniquement combattre le terrorisme et détruire les structures terroristes, nous devons aussi nous demander d’où viennent ces développements. Les motifs sont culturels, historiques, mais relèvent (bien entendu aussi) très fortement de ce que l’on nomme le refus de la modernité.

Vous évoquez l’exemple de l’Iraq. Il n’illustre pas vraiment le fait que l’on puisse imposer la démocratie de l’extérieur.

On ne peut imposer la démocratie de l’extérieur, on doit la développer patiemment, la renforcer, c’est un processus très long... C’est un processus qui doit venir de l’intérieur, qui entraîne également des conflits sévères sur une longue période. Cependant, je suis fermement convaincu qu’au XXIème siècle, la question de la modernisation et de la démocratisation en tant qu’élément de celle-ci, intégrée dans les cultures respectives, sera d’une importance capitale. Je ne crois pas que les problèmes auxquels nous sommes confrontés seront résolus, que la lutte contre le terrorisme sera véritablement efficace si nous adoptons une approche essentiellement militaire. Nous devons créer ici une perspective de développement. Par ailleurs, nous sommes entre-temps unanimes avec les Américains sur le fait qu’une approche d’envergure est nécessaire, ce que nous défendons depuis toujours.

Traduction officielle du ministère fédéral allemand des Affaires étrangères