En France aujourd’hui, il n’y a pas un juif qui ne soit mal à l’aise devant la poussée de l’antisémitisme, de la montée islamiste, à cause d’Israël, de son action ou de sa réputation. Ce mal être est l’un des deux dénominateurs communs des centaines de milliers de juifs ; le second étant, malgré les effets d’annonce anxieux et les décisions d’exil de quelques uns, qu’ils sont naturellement chez eux en France.
La génération de la Shoah et celle qui a connu l’exil d’Afrique du Nord n’ont pas réagi en pliant bagage face à la montée de l’antisémitisme. Les appels à l’émigration de l’Agence juive, de ministres israéliens ou d’Ariel Sharon sont restés sans effets et ont même indisposé les juifs français. Cela reflète un lucide ancrage identitaire. Ce mal-être et leur désir de rester les conduit donc à rejeter ce statut de juif victime. Le combat contre les antisémitismes s’impose donc et il faut ignorer les appels de ceux qui pointent comme producteur d’antisémitisme ceux qui cherchent à s’en protéger, même maladroitement.
Sans la mobilisation des juifs eux-mêmes, la République n’aurait pas réagi et posé des garde-fous comme elle l’a fait. Cette réaction des premiers concernés a d’abord entraîné des débordements et il faut les condamner quand on est préoccupé d’universalité. Il ne faut pas combattre l’antisémitisme sans combattre les autres formes de racisme et le soutien à Israël ne veut pas dire le soutien à tous ses gouvernements. Toutefois, la critique d’Israël se déploie au nom de l’anti-sionisme. Or, c’est une chose de combattre une politique d’annexion territoriale ou de séparation, mais c’en est une autre de dénoncer comme coupable l’essence même du pays qui la mène. Le sionisme étant un mouvement de libération nationale qui a en partie abouti, se déclarer antisioniste aujourd’hui revient en effet à se prononcer contre l’existence de l’État qui en est le fruit.
La critique d’Israël mêlée à l’anti-sionisme est un mélange propre à la rhétorique de l’antisémitisme arabo-musulman. Cette rhétorique se développe en France sous l’impulsion du Conseil français du culte musulman, un groupe qui veut « islamiser la France » et développer le communautarisme, ce que la République ne doit pas laisser faire.

Source
Le Figaro (France)
Diffusion 350 000 exemplaires. Propriété de la Socpresse (anciennement créée par Robert Hersant, aujourd’hui détenue par l’avionneur Serge Dassault). Le quotidien de référence de la droite française.

« Les juifs, la République et l’antisémitisme », par Élisabeth Schemla, Le Figaro, 3 mai 2004.