Je suis arrivé d’Argentine en Israël à l’âge de dix ans, en 1952. Mes parents et moi croyions alors aux principes de la déclaration d’indépendance, un texte qui énonçait un idéal et qui nous a transformés de juifs en Israéliens. Ce texte affirmait vouloir créer une société dont tous les citoyens seraient égaux quels que soient leur foi, leur race ou leur sexe. Il assurait la liberté religieuse, de conscience, de langage, d’éducation ou de culture. Les pères fondateurs affirmaient rechercher la paix et les bonnes relations avec les États et les peuples voisins.
Aujourd’hui je me demande comment nous faisons pour ignorer le vertigineux fossé qui existe entre ces principes et la situation actuelle. Le texte ne parle pas de l’occupation et de la domination d’un peuple, il n’affirme pas plus que notre indépendance doit se faire au détriment des autres. Le peuple juif ne peut pas se permettre de faire subir à d’autres ce qu’il a subi ou de rechercher une fin idéologique à un conflit au lieu de trouver une solution pragmatique, fondée sur l’humanisme et la justice sociale.
La place d’Israël dans le monde dépend de son respect de ses principes fondateurs. Dès lors, il n’est pas possible de résoudre militairement le conflit israélo-arabe. Il faut trouver d’autres moyens et c’est ce que nous avions commencé à faire avec Edward Saïd en constituant un groupe de musiciens israélo-arabes. J’ai également donné l’argent du Prix de la fondation Wolf à des projets d’éducation musicale en Israël et à Ramallah.

Source
Los Angeles Times (États-Unis)

« Israel Ignores Founding Principles », par Daniel Barenboim, Los Angeles Times, 14 mai 2004. Ce texte est adapté d’un discours prononcé devant la Knesset.