La réforme de l’ONU n’a jamais fait l’objet des débats du public américain bien versé dans la politique, ni constitué un problème des rapports bilatéraux entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Mais c’est pourtant aux Etats-Unis que le premier ministre britannique a décidé d’exposer sa position sur la réforme de l’Organisation des Nations Unies et sur la configuration future de la politique mondiale.

Prenant la parole à l’Université de Georgetown à Washington, Tony Blair a formulé comme suit le problème métaphysique principal des relations internationales : "Nous devons créer une communauté internationale". A en juger par ces paroles, celle-ci n’existerait pas, ou bien la communauté internationale existante ne serait pas réelle.

Ensuite, Tony Blair a exposé toute une série de propositions visant à réglementer la vie internationale qui ont été tout de suite baptisées "doctrine Blair". La plupart de ces mesures sont parfaitement raisonnables et opportunes et, d’ailleurs, elles ont déjà été proposées maintes fois : le premier ministre a proposé d’étendre le Conseil de sécurité, d’accorder au Secrétaire général de plus larges compétences en matière de relève et de déploiement des contingents de paix, et de définir les modalités des interventions humanitaires.

Cependant, le sens de ces propositions réside non pas en elles-mêmes, mais en ce qu’elles dissimulent : le premier ministre estime que, si tout le monde tolérait jadis les atteintes aux valeurs globales - la liberté, la démocratie, la tolérance, la justice, - à présent, il est temps d’agir et, s’il le faut, lancer des interventions armées à l’étranger. Pour commencer à le faire, il faut probablement réformer l’ONU.

Selon Tony Blair, pour "inventer la communauté internationale", il faut régler trois problèmes clés. Mettre de l’ordre dans la "cuisine intérieure" de l’ONU : améliorer la gestion, optimiser les frais, perfectionner la justice ; investir l’ONU de pouvoirs réels en vue de maintenir la paix et de stimuler le développement ; enfin, inculquer aux institutions internationales une "culture de la démocratie".

En réalité, ces appels ont été adressés non pas aux Etats-Unis, mais aux Etats qui s’opposent à la réforme du secrétariat et du budget de l’ONU. Par conséquent, le premier ministre britannique n’a fait qu’exposer la position commune de la communauté occidentale qui est différente de celle du reste du monde.

Il ne s’agit pas seulement d’un avis. Il traduit une réalité : à partir du 1er juillet, l’ONU peut rester sans budget pour le second semestre. On sait que le versement des cotisations des principaux donateurs de l’ONU, avant tout des Etats-Unis et du Japon, dépend implicitement de la dynamique des réformes structurelles susmentionnées sur lesquelles insistent les Etats les plus riches.

Leur désir de réformer l’ONU conformément à leurs notions et à leurs intérêts est compréhensible. Mais il est contraire aux notions et aux intérêts des autres pays qui veulent conserver le principe de l’égalité formelle, qui implique que les droits et les possibilités ne dépendent pas du montant des cotisations. Sinon, il s’agira d’une toute autre ONU.

Peut-être que certains trouvent illogique la situation où les uns versent de l’argent et d’autres en disposent. Mais cette formule a été rappelée aux "riches" par le "Groupe 77" qui comporte déjà 132 Etats en développement, dont la Chine. Ils ont mis en relief l’inadmissibilité de régler les problèmes budgétaires et ceux relatifs aux cadres de l’ONU sans approbation de l’Assemblée générale, c’est-à-dire de la majeure partie de la communauté internationale.

Les objections principales des pays en développement concernent principalement les questions relatives aux pouvoirs de l’Assemblée générale, en particulier son droit de décider de la politique administrative et budgétaire et de déterminer le mandat du Secrétaire général. En fait, la majorité onusienne a qualifié de trop "expansionnistes" les propositions de Kofi Annan d’investir le Secrétaire général du droit de répartir et de classifier environ 10% des postes lors de l’exercice budgétaire, de consacrer les sommes économisées aux objectifs prioritaires, de synchroniser les cycles budgétaires qui, comme on le sait, sont établis non pas conformément à l’année civile, mais en fonction des durées des programmes. Mais, et c’est là l’essentiel, Kofi Annan n’a pas proposé de mécanismes assurant l’obligation de rendre des comptes à l’Assemblée générale.

Le comité budgétaire a également décliné la proposition de Kofi Annan d’établir des délais précis d’examen du budget et de l’objet des débats "budgétaires" aux réunions plénières et dans les groupes de travail.

Traduit du langage bureaucratique, cela veut dire que le Secrétaire général serait investi du droit de retirer des sommes des programmes exagérément financés et de les consacrer à des programmes sous-financés, d’envoyer le personnel là où il est le plus nécessaire et d’élaborer le budget en se fondant sur l’évaluation de l’efficacité des programmes, et non pas sous une pression des Etats membres, etc.

Les divergences actuelles à l’ONU découlent logiquement des positions différentes de divers pays : l’aspiration de la majorité à conserver le statu quo se heurte à une prise de position économique, selon laquelle l’ONU en tant que structure doit cumuler la grandeur des objectifs et l’efficacité.

Les principaux donateurs de l’ONU veulent jouir d’une plus grande influence et que l’utilisation de leur argent soit plus transparente. Cependant, en l’absence d’objectifs purement économiques, il sera très difficile d’élaborer les critères précis de l’efficacité de l’ONU. Au fond, estiment-ils, l’ONU s’est transformée depuis longtemps en fonds de bienfaisance très opaque qui n’est responsable de rien, qui ne promet rien, mais qui engloutit l’argent des sponsors. Evidemment, l’idée de faire de l’ONU une entreprise répugne aux pays en voie de développement, car elle les transformerait en actionnaires minoritaires ayant des possibilités moindres et bénéficiant des miettes du gâteau des revenus. Le droit de vote à "l’assemblée générale des actionnaires" ne les consolerait pas du tout, car, répétons-le, il ne s’agira plus que d’une toute autre ONU.

Il est inutile, semble-t-il, de discuter avec la majorité. Mais les propos tenus par Tony Blair ont confirmé que le désir des "bienfaiteurs" de mettre de l’ordre dans "l’organisation de bienfaisance" était plus que sérieux. Par conséquent, la discussion pourrait bien dégénérer en crise profonde.

Source
RIA Novosti (Fédération de Russie)