Il y a quelques semaines, des généraux américains et des représentants de Washington ont discuté une journée entière avec des journalistes à propos des moyens à mettre en œuvre pour diminuer le nombre de journalistes tués ou blessés dans l’exercice de leur fonction. Les dix dernières années, plus de 300 journalistes ont été tués. Le phénomène n’est donc pas nouveau, mais, face à sa récente ampleur, les gouvernements et les militaires s’en préoccupent désormais. En effet, l’année dernière, 38 journalistes ont été tués et cette année 27 sont déjà morts dont notre regretté collègue de l’agence Reuters.
Taras Protsyuk, cameraman de Reuters, a été assassiné le 8 avril 2003 par un char de l’armée américaine qui a tiré un obus sur un hôtel réservé à la presse à Bagdad. José Couso, cameraman pour la chaîne espagnole Telecinco, a été tué pendant que trois collaborateurs de Reuters furent gravement blessés. En août 2003, Mazen Dana, cameraman de Reuters, a été la cible des troupes américaines alors qu’il filmait les abords de la prison d’Abu Ghraib. Bien qu’il se soit présenté comme étant de la presse aux soldats de la prison, le militaire qui l’a tué a déclaré qu’il ne savait pas qu’il était journaliste et qu’il avait confondu sa caméra avec un lance-roquettes. Le fait que Protsyuk et Dana aient été tous les deux tués par les troupes américaines, dont les actions ont été considérées par les enquêteurs de l’armée comme étant en accord avec les « règles d’engagement » de l’armée (règles non publiées), souligne une évolution inquiétante. Suite aux pressions effectuées par Reuters à ce sujet, l’armée américaine a pris des initiatives avec différents médias pour améliorer la sécurité.
Lors de la réunion de Washington, des propositions ont été faites : un meilleur entraînement des soldats afin de s’assurer qu’ils sachent distinguer une caméra d’un lance-roquettes ; donner l’accès aux journalistes aux consignes essentielles de sécurité détenues par les militaires ; améliorer la communication et la coordination entre les troupes au sol et les journalistes non embarqués dans les zones opérationnelles. Nous voulons maintenant que ces principes soient respectés. Il est inquiétant de constater que certains belligérants semblent penser que s’en prendre à un journaliste peut faire avancer leur cause.
La situation est complexe car la solution risquerait de compromettre l’objectivité et l’indépendance nécessaires. Embarquer des journalistes permettrait aux commandants de faciliter leur protection, mais cela donne l’impression que les journalistes ont choisi leur camp. Partout dans le monde, le droit des journalistes à travailler de manière sécurisée et indépendante est menacé. Récemment, un cameraman de Reuters a été tué à Grozny par une bombe destinée au président du pays et, en Israël, les journalistes palestiniens n’ont plus eu accès à une carte de presse jusqu’à ce que la Haute cour de justice infirme cette décision. Dans des tribunaux américains, des procureurs ont cité à comparaître des journalistes pour témoigner contre des terroristes présumés, décisions contre lesquelles se battent vivement des sociétés comme Reuters. Au Zimbabwe, les journalistes sont confrontés à de sévères restrictions. En Colombie, ils risquent d’être kidnappés. En Haïti, en Iran ou à Cuba, travailler de manière indépendante est un défi permanent.
Les journalistes de tous ces pays sont unis par l’engagement de rendre compte des faits honnêtement, donc être là où est l’action, non derrière un bureau.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« Assurer la sécurité de la presse », par Geert Linnebank, Libération, 13 août 2004.