Parce que nous ne pouvons pas supporter l’horreur devenue quotidienne au Proche-Orient, l’usurpation de la voix juive française par quelques institutions et hommes publics ; parce que une certaine idée de l’humanité et une inquiétude face aux répercussions en France du conflit du Proche-Orient, la résurgence de l’extrême droite et la recrudescence d’actes antisémites nous rassemblent, nous sommes amenés à revendiquer publiquement la part juive de notre identité personnelle et de nous exprimer collectivement.
D’opinions et d’origines diverses, Nous sommes filles et fils de cette République française, qui, dès son origine, a accordé la citoyenneté aux juifs. La position de chacune et chacun d’entre nous face à l’héritage juif est diverse, mais le souvenir de l’extermination, la conviction qu’elle n’appartient à personne, qu’elle ne peut justifier aucun nationalisme, nous font un devoir de parler comme nous le faisons. Certains d’entre nous ont un attachement à Israël que d’autres n’ont pas et certains récusent même le principe du projet sioniste, mais nous reconnaissons au peuple israélien le droit à un État aux frontières sûres et reconnues, dans le cadre des résolutions de l’ONU. Toutefois, nous nous révoltons contre l’oppression coloniale dont souffrent les Palestiniens et nous ne croyons pas que l’on combatte l’antisémitisme en laissant les Israéliens devenir un peuple d’oppresseurs. Nous soutenons tous ceux qui, en Israël, en Palestine et ailleurs, œuvrent courageusement pour la paix, pour la justice, pour l’égalité des droits, contre la politique criminelle d’Ariel Sharon. Nous rejetons les accusations d’antisémitisme contre les démocrates qui critiquent la politique de Sharon et réclament le respect des accords d’Oslo. Nous refusons le jeu de l’actuel gouvernement israélien qui, pour renforcer son potentiel d’expansion, cherche à accroître l’immigration en Israël, et s’accommode des résurgences de l’antisémitisme.
Depuis la parution de notre premier manifeste, en avril 2003, des éléments graves sont apparus, en même temps que des motifs très fragiles d’espoir. Nous voulons appuyer les efforts qui ont conduit au processus de Genève et contribuer à créer un mouvement d’opinion capable d’imposer l’arrêt de la politique de M. Sharon, soutenue par l’actuel président des États-Unis d’Amérique. Par leur politique, Ariel Sharon et George W. Bush alimentent le terrorisme. Il faut combattre le terrorisme, mais les assassinats « ciblés » ne sont ni une réponse conforme au droit, ni de nature à enrayer ces crimes. Pour faire cesser ces actes, il faut isoler les terroristes en entamant des négociations qui rendront espoir aux Palestiniens.
Nous condamnons la présentation de la France comme « un pays antisémite », mais cela ne saurait impliquer de notre part aucune forme d’indulgence vis-à-vis du racisme, quelle qu’en soit la forme. Notre solidarité avec le peuple palestinien ne nous entraînera jamais à la moindre collusion avec ceux dont la sollicitude pour la Palestine n’a comme ressort que la haine des juifs. Nous condamnons les forces palestiniennes opposées à l’existence de l’État d’Israël. Il reste que le peuple palestinien :
 a des droits imprescriptibles sur une terre occupée aujourd’hui par les forces armées du plus surarmé des États du Proche-Orient ;
 a le droit imprescriptible d’y fonder, dans les conditions garanties par la Charte des Nations unies, l’État de son choix ;
 a des droits imprescriptibles sur la ville de Jérusalem, capitale à partager ;
 a le droit de voir ses exilés et ses réfugiés choisir, dans des conditions à négocier, entre un retour viable sur la terre de leurs ancêtres et une juste indemnisation.
Tout ce qui s’oppose à la réalisation de ces droits nourrit la guerre sans fin, les atrocités, la haine.
Le Mur qui vise à parquer la population palestinienne, à annexer de nouveaux territoires, et qui enferme la population israélienne dans un ghetto doit être démantelé.
La France et l’Union européenne doivent s’investir pour aider la paix au Proche-Orient en demandant l’envoi d’une force internationale.

Source
Le Monde (France)

« N’abandonnons pas l’obsession d’une paix juste et durable », par « Une autre voix juive », Le Monde, 28 septembre 2004. Ce texte est le résumé d’un manifeste signé par un millier de personnes.