« On peut tromper tout le monde quelque temps, on peut tromper quelques personnes tout le temps, mais on ne peut tromper tout le monde tout le temps. »
Abraham Lincoln

Les différents spécialistes commentent de manière tout à fait contradictoire le fait que le traité de réformes continuera à affaiblir la neutralité perpétuelle très populaire en Autriche – et garantissant la paix. Lors d’une table ronde à la télévision autrichienne, le professeur en droit constitutionnel, Heinz Mayer, a déclaré que « la neutralité était de toute façon déjà fichue. »

Par contre, un autre professeur en matière d’histoire de la constitution et ancien ministre de la Justice, Hans R. Klecatsky, a déclaré dans une audience d’experts au palais de justice de Vienne : « La neutralité autrichienne doit être jugée comme un fondement de l’État. » La modification de quelques articles de la constitution depuis l’adhésion à l’Union Européenne, comme par exemple l’art. 23f de la Loi constitutionnelle fédérale (BVG) (autorisant la participation de l’Autriche à des actions militaires européennes dans le monde entier), qui vise la révision de la neutralité, est selon le professeur Klecatsky « un droit inexistant. » Ces modifications constitutionnelles qui incluent le traité d’Amsterdam (Code civil (BGB) 1 I 76/1998) et celui de Nice (BGB 1 I 120/2001 et suivants) sont contraires au droit constitutionnel, car la loi constitutionnelle sur la neutralité est justement perpétuelle et est de cette manière un droit supérieur. Sans celle-ci, il n’y aurait pas d’Autriche libre !

Le nouveau traité sur le fonctionnement de l’Union cache cependant encore beaucoup de changements par rapport au statu quo : ainsi, celui-ci prévoit l’instauration d’une « procédure de modification simplifiée ». [1]

Avec cette procédure, des lois et des traités – ainsi que le traité de réformes – ne pourraient être modifiés qu’au niveau européen. Le professeur Theo Öhlinger se montre calme dans son expertise pour le Président de la République fédérale Fischer : Le Conseil national et le Conseil fédéral devraient donner leur approbation en Autriche. Mais dans la Loi constitutionnelle (BVG), il est écrit que le membre compétent du gouvernement fédéral pourrait également différer de l’avis obligatoire du Conseil national pour des « raisons de politique extérieure et d’intégration contraignantes » (art. 23e BVG). [2]

Selon le professeur Karl Albrecht Schacht­schneider [3], un acte juridique dans une procédure de modification simplifiée peut signifier et signifiera en grande partie « une modification du droit constitutionnel » si bien que selon l’al. 3 de l’art. 23e de la BVG « une dérogation est en tout cas seulement autorisée si le Conseil national n’émet pas de contradiction dans un délai conforme. » Il mentionne qu’il s’agit ici d’un « état de fait confus » et que le gouvernement fédéral suivra finalement les contraintes de politique d’intégration.

Le professeur Adrian Hollaender dé­signe dans la« Kronen Zeitun » du 13 avril cette « procédure de modification simplifiée » comme « clause d’habilitation ». Dans l’ar­ticle intitulé « Le traité sur l’Union Européenne est un grand danger pour les ressources de l’Autriche », il décrit que l’UE peut modifier ultérieurement des parties du traité. On peut tout réécrire du haut en bas. C’est seulement la dernière version qui entrera en vigueur.

Die Presse du 21 mars rapporte également que l’UE discute sur le sujet de l’eau. Un « mainstreaming » à propos de l’eau doit devenir un principe de l’Union Européenne. Toutes les politiques de l’Union Européenne et nationales doivent être contrôlées au niveau de la durabilité de leur eau. Un gaspillage de l’eau devrait être interdit et la consommation de l’eau devrait avoir un prix convenable. Réfléchit-on ici déjà à un impôt sur la consommation de l’eau imposé à toute l’Union Européenne ? Pour le lobby de la privatisation, l’entrée en bourse n’a jamais été aussi lucrative : Le prix de l’eau est actuellement comparé avec celui de l’or et du pétrole dans la presse écrite !

Rejet de la demande de surveillance de la commission constitutionnelle

La pratique parlementaire se déroule ainsi : au sein de la commission constitutionnelle du parlement autrichien, une demande de surveillance de la commission demandée par le FPÖ (parti libéral autrichien) – qui devait préciser que les modifications futures des traités européens doivent être approuvées par le Conseil national même si elles ont été adoptées au niveau européen selon une « procédure de modification simplifiée » – n’a pas obtenu la majorité et a donc été rejetée. On peut lire cela dans la correspondance parlementaire autrichienne /02/25.03.2008/No 257.

Avant la ratification parlementaire du traité de réformes européen le 9 avril par le Conseil national autrichien, un débat sur l’approbation de ce traité, retransmis en direct par la chaîne de télévision autrichienne ORF, a eu lieu. Là aussi, on a pu entendre que des impôts européens ne pourraient être instaurés et qu’il n’y aurait pas de peine de mort. Cela rend les auditeurs confus car plusieurs juristes ont confirmé que si le traité entre en vigueur, des impôts européens pourraient être instaurés – sans le consentement du peuple. Effectivement, il en va tout autrement.

Habilitation générale pour la procuration des moyens (art. 269 du traité de Lisbonne)

L’union peut s’équiper des moyens nécessaires pour parvenir à ses fins et pour pouvoir mettre en pratique sa politique. Le Conseil promulgue selon une procédure législative unanime et après l’audition du parlement européen une résolution qui fixe les dispositions concernant le système des propres moyens de l’Union. Là, de nouvelles catégories de propres moyens peuvent être intro­duites et des catégories existantes supprimées. Cette résolution entre seulement en vigueur après le consentement des États membres en accord avec leurs prescriptions respectives relatives au droit constitutionnel en vigueur. Cela paraît pour beaucoup apaisant, mais comme la résolution est un acte organique de l’Union, une ratification des États-membres n’est pas nécessaire tout comme auparavant pour la « procédure de modification simplifiée ». Cela signifie que prochainement des impôts européens pourraient être instaurés avec l’autorisation du gouvernement fédéral autrichien, mais sans le consentement du Conseil national. La résolution du Conseil est selon l’art. 249, al. 3 du nouveau traité sur le fonctionnement (VAU : Vertrag über die Arbeitsweise der Union) un « acte législatif » bien qu’il n’ait aucun caractère législatif, sauf son caractère d’obligation générale. La peine de mort peut être de nouveau réinstaurée sous certaines conditions. [4]

La question est également de savoir où finit l’extension européenne. Même dans le nouveau traité sur l’UE, une finalité de l’intégration européenne n’est pas fixée [5]. L’Autriche n’a pas le droit de participer à la décision quant aux pays qui veulent adhérer à l’UE.

Le gouvernement ainsi que les médias dissimulent jusqu’à présent le traité de réformes européen. La période avant la ratification a été marquée par un manque latent d’informations (on ne pouvait pas par exemple avoir accès au texte intégral de la Constitution). Le citoyen même n’apprend pas vraiment dans quelle mesure il sera concerné juridiquement par ce contrat. Schüssel, président du groupe parlementaire de l’ÖVP (parti populaire autrichien) a déclaré que lui aussi avait ratifié à l’époque le traité sur la Constitution européenne sans consultation populaire, et que c’est pourquoi il n’en va pas autrement aujourd’hui, et qu’il est tout à fait légitime de procéder sans référendum.

Résistance ! Les citoyens prennent leur contrôle démocratique au sérieux

Du côté du gouvernement, on est d’accord avant tout depuis ces derniers jours sur le fait que l’Autriche est une démocratie représentative et que, par conséquent, toutes les décisions politiques doivent être prises au parlement. C’est pourquoi les élus parlementaires décident sur les questions essentielles des citoyens. Quand on dit qu’il y a trop peu de démocratie, on remet le système en question [6]. C’est ce que font justement maintenant beaucoup d’Autrichiennes et d’Autrichiens ! Comme diverses initiatives populaires et des citoyens engagés ont réussi à l’aide d’expertises juridiques indépendantes à clarifier de manière critique le traité de réformes européen, la réaction des gens de ce pays a été géniale : Ils se sont rassemblés pour manifester, ont fait part de leur colère dans des lettres de lecteurs, ont passé les politiciens au crible pour qu’ils donnent des renseignements sur le traité de réformes, ont tenu des stands d’informations, ont encerclé le parlement, distribué des tracts, ont fait des pétitions, se sont plaints du gouvernement …

Maintenant, nous avons réappris qu’une démocratie moderne n’est pas un règne du peuple au sens d’une identité de dominateurs et de dominés, elle est beaucoup plus caractérisée par le fait que les dirigeants sont actifs au nom et sous le contrôle du peuple. C’est pourquoi le rôle politique du peuple ne se limite pas seulement au choix à la suite duquel il autorise l’action gouvernementale, mais il se poursuit avec le contrôle des représentants élus.
La démocratie est seulement garantie si ses droits sont mis à profit. Elle demande des êtres humains pensant de manière réaliste et ayant la puce à l’oreille, et qui ont le courage de la vérité et de la liberté, des êtres humains à l’engagement critique [7]. Nous vivons dans un monde dans lequel les individus sont dominés par les médias de masse monopolisés. Cette concentration du pouvoir menace la liberté. On dit que celui qui domine les moyens de communication de masse, domine les électeurs et celui qui domine les électeurs, domine le processus politique [8]. Une transmission indépendante de l’information, en évitant une domination monopolistique de la formation d’opinion, est de ce fait une question vitale pour la démocratie. Ces dernières semaines, les initiatives populaires, les petits partis et également quelques politiciens qui se sont distancés de la ligne du parti ont rempli leurs obligations quant à cette transmission de l’information.

Dix mille personnes ont manifesté pour un référendum

Cet engagement de la part de nombreux individus a conduit à des manifestations et des marches qui ont rappelé une époque oubliée depuis longtemps du point de vue de leur nombre (par exemple le combat autour de la plaine alluviale de Hainburg en 1984). Des milliers de personnes – c’était le titre de la Kronen-Zeitung – se sont rassemblées le 29 mars dans le centre de Vienne après l’appel de la plate-forme « Sauver la neutralité : Non au traité européen ».

« Nous avons droit au référendum », « Une Autriche libre et neutre – au lieu de la dictature de l’UE », « Stop au traité européen – sauvez l’Autriche », « Traîtres de la patrie – nous avons droit au référendum », « L’Union soviétique bruxelloise – non merci » « Les serviteurs de l’UE sans droits », « Le traité européen menace les droits démocratiques fondamentaux ! Nous voulons un référendum » pour ne nommer ici que quelques banderoles. Les manifestants sont venus de tous les Länder et même de l’étranger dans des trains spéciaux et des cars pour exprimer leur colère contre le « traité constitutionnel nouvellement remanié ». Les manifestants ont exigé leur droit de participation à la politique en scandant en chœur : « Référendum – référendum – référendum ». Ceux pour qui il était clair que ce traité ne devait pas être adopté sans consultation du peuple se sont pressés sur la place de la cathédrale Saint-Stéphane.

Rudolf Pomaroli, président de l’initiative « Pour une Autriche libre et neutre » était l’organisateur de la manifestation et le modérateur de la plate-forme « Sauver la neutralité : Non au traité européen ». Il a protesté dès le début contre les commentaires de quelques politiciens selon lesquels le citoyen ordinaire ne pouvait pas lire le traité et qu’il avait besoin pour cette raison de spécialistes qui décident sans prendre en compte ses intérêts. Impressionné par la foule se tenant au centre de Vienne, il a exprimé l’espoir que les représentants respecteront finalement l’opinion du peuple et devraient approuver un référendum.

Nombreux orateurs se sont prononcés lors de la manifestation. Nous ne pouvons malheureusement pas imprimer les discours par manque de place. C’est pourquoi, nous vous invitons à les lire sur Internet sous Wien Konkret ou le blog d’Helmut Schramm.

Comment la politique et les médias manipulent main dans la main

En jetant un coup d’œil sur la manifestation du 29 mars, on pouvait voir des gens sur la place Saint-Stéphane et jusque dans les ruelles latérales avec leurs banderoles qui chantaient ensemble l’hymne national. Le matériel d’information était quasi arraché des mains et à la fin de la manifestation, il n’y avait plus de tracts sur le sol – pourquoi ? Les gens ont voulu s’informer, discuter, échanger leur opinion, transmettre ce qu’ils ont appris, des gens qui avaient conscience de leur devoir démocratique et qui ont participé à la manifestation.

Qu’en est-il du retentissement politique et médiatique ? Les penseurs critiques doivent être classés en gauche et droite pour les polariser et leur faire perdre leur crédibilité. Cette méthode est connue depuis longtemps. Quelques commentaires de politiciens montrent leur peu de respect à l’égard des citoyens. Ainsi, selon Schüssel, on devrait rattraper tous les mensonges avec un lasso et c’est pénible. La présidente du Conseil national par exemple a déclaré que c’est une fausse information que de dire que le traité européen est une modification de la Constitution. Un autre exemple : des chansonniers autrichiens se sont placés dans de grandes rues commerciales et ont feint de faire une pétition contre le traité européen dans le but de se moquer des signataires et d’afficher leur idiotie, au motif que les citoyens ne savaient pas de quoi il était question. Ou encore : le jour de la ratification par le parlement, les places sur la tribune publique accessibles aux visiteurs étaient occupées – bien sûr par hasard – par les soldats de l’armée autrichienne accomplissant leur service militaire élémentaire. Naturellement, cela n’a aucun rapport avec le fait de vouloir refuser l’accès au parlement à d’éventuels adversaires du traité européen. Ou encore : La ministre des Affaires étrangères, Plassnik, a reproché aux médias qui ont réclamé un référendum, de donner de fausses informations et s’est montrée particulièrement peinée de devoir maintenant investir dans de nombreuses annonces pour « rectifier » les informations. Gusenbauer a déclaré à des élèves : « J’ai observé les gens qui sont allés manifester. Pour eux, il ne s’agissait pas de l’UE mais de chercher un exhutoire à d’autres mécontentements. »

Ce n’est pas étonnant si les gens ont maintenant le sentiment que la politique est une affaire sale.

Pourtant, les individus ne se laissent pas si facilement décourager et sont prêts à s’engager pour leur liberté, leur droit et leur fondement de vie, c’est-à-dire l’État autrichien. La manifestation du 29 mars le prouve clairement. Cela encourage, les gens continuent à s’allier, la discorde semée par l’arrogance de certains fonctionnaires se démasque d’elle-même.

Le traité européen a été béni par le Conseil fédéral en Autriche le 24 avril 2008 et signé par le président. Qu’est-ce que cela signifie pour l’Autriche ?

L’Autriche sera intégrée dans une UE qui en raison de ses larges habilitations s’est transformée en un État fédéral avec une personnalité juridique sans un peuple unifié. Un État sans légitimation qui s’est prescrit un commerce libre illimité. On doit voir l’UE comme partie intégrante de l’économie internationale. Cette mondialisation de l’économie ne menace pas seulement la prospérité mais aussi le maintien des États nationaux et l’existence de nos réalités démocratiques et d’État social car les élus n’ont rien à dire face aux ­groupes internationaux. Si les conditions ne sont pas remplies, les fabriques s’établissent alors dans les pays dont les gouvernements obéïssent sans contester à l’économie.

Les meneurs et les profiteurs de ce développement ne « reviendront » à une politique plus juste que sous la menace d’un retrait de l’Union. Le professeur Schachtschneider déclare que celui qui veut préserver l’État de droit, doit se retirer de l’Union. Si l’Alle­magne déclarait qu’elle se retire, les traités internationaux seraient réécrits. L’Autriche pourrait donner le signal. La « pauvreté due à la mondialisation » peut être remplacée par une « prospérité liée à de petites unités ». Retournons à des mesures raisonnables ! La démocratie ne peut fonctionner qu’en petites unités, ce que sont justement les États nationaux bien développés. Les individus aspirent à la paix mais l’UE n’est plus un projet pour la paix ; au contraire, elle est une menace pour la paix et les libertés politiques, pour les droits de participation au sein de l’État et de la société, et la justice sociale comme la sécurité. La majorité de la population veut une Autriche libre et neutre et ne pas être abaissée comme province de l’UE. Quand on a atteint le bord d’un abîme, il est urgent d’y tourner le dos !

[1On peut lire quelles politiques sont contenues dans cette « procédure de modification simplifiée » in : K.A. Schachtschneider : Expertise zur Gesamtänderung der Bundesverfassung Österreichs, p. 3–6. Le site internet du professeur Karl Albrecht Schachtschneider comprend toutes les politiques importantes de l’Union, p. ex. la libre circulation des marchandises, l’agriculture, la question des impôts, la politique sociale, le système éducatif, la culture, le système de santé …

[2Klecatsky, Morscher, Ohms : BVG, p. 105ss.

[3Cit. d’après K.A. Schachtschneider : Expertise zur Gesamtänderung der Bundesverfassung Österreichs. p. 3-6.

[4Numéro spécial du IHU : Wegwarte. No 18 du 1er 2008 p. 32 (K. A. Schachtschneider).

[5Klecatsky in : Bürgerbrief.

[6Kurier du 10/4/08, Schüssel dans une interview avec le Kurier, p. 5.

[7Leitner, Leo ; Tomandl, Theodor ; Welan, Manfried : Der Mensch in Gesellschaft und Staat. Österreichischer Bundesverlag für Unterricht, Wissenschaft und Kunst. Vienne 1970, p. 108s.

[8Leithner ; Tomandl ; Welan ; p. 109.