Le commissaire européen Peter Mandelson déploie des trésors d’ingéniosité pour présenter le renforcement de l’atlantisme comme un moyen de faire progresser l’indépendance de l’Europe. Dans l’International Herald Tribune, il explique que pour prévenir tout conflit entre les États-Unis et l’Europe, le meilleur moyen est d’abattre les barrières commerciales qui les séparent. La création d’un grand marché transatlantique sera le gage de la paix. D’autant, poursuit-il, que l’OMC est le meilleur exemple de multilatéralisme au monde, car les États-Unis y participent pleinement, tandis qu’ils contestent l’ONU. Le lecteur est invité à conclure de lui-même le sophisme.

La presse internationale, à l’exception des journaux français, commence à prendre la mesure des manipulations états-uniennes dans l’affaire ukrainienne. Le Guardian s’est fait le principal pourfendeur du « coup d’État postmoderne » organisé par la CIA/NED. Cependant, les commentateurs n’osent pas encore envisager la sortie de crise.
Viktor Yushchenko, le candidat des États-Unis à la présidence ukrainienne, met en garde les lecteurs du Wall Street Journal et du Monde contre une partition de son pays. Tandis que l’historien britannique Tony Judt observe, dans le New York Times, que l’Ukraine est historiquement liée à la Russie et non à l’Union européenne. Cette dernière serait bien embarrassée si elle devait l’intégrer.
Une fois de plus, la CIA/NED pourrait avoir joué à l’apprenti-sorcier. En suscitant une révolution de théâtre, les États-Unis pourraient avoir provoqué, intentionnellement ou pas, la partition du pays. La partie occidentale, sans ressources naturelles, se trouverait à la charge de l’Union européenne, tandis que la partie orientale minière et la partie méridionale, la Crimée, s’arrimeraient à la Russie.
Quoi qu’il en soit, Robert Kagan ne voit pour le moment qu’une opération réussie. Dans le Washington Post, il affirme qu’elle est le fruit d’une coopération entre les États-Unis et l’Union européenne et y voit un modèle pour l’avenir. Cependant, l’Union européenne n’a pas, à ce jour, d’autonomie politique. Et la seule participation de Javier Solana n’en fait pas une affaire européenne, mais manifeste que les postes-clé de l’Union sont tenus par des atlantistes. Personne n’a oublié que M. Solana n’est secrétaire général de l’Union que parce qu’il a été secrétaire général de l’OTAN.

William Cowan, Barbara Newman et Richard Carlson, de la Fondation pour la défense des démocraties, plaident dans le Washington Times pour que les États-Unis en finissent avec la Syrie. Elle doit être la prochaine cible. Suivent une succession de bonnes raisons, comme l’attentat de Beyrouth… il y a vingt-et-un ans, ou l’attentat des Tours Khobars, pourtant attribué depuis le 11 septembre à Ben Laden.
Dan Blumenthal de l’American Enterprise Institute dénonce dans le Washington Post le jeu international de la Chine. En premier lieu sa récente alliance avec l’Iran renverse tous les plans élaborés pour le Proche-Orient. Mais, on peut observer la même indépendance chinoise à propos du Soudan, de la Corée ou de Taïwan. Bref, conclu cet ancien conseiller de Donald Rumsfeld, le moment est venu de réviser la politique chinoise, comme le premier mandat de George W. Bush a permis de réviser la politique au Proche-Orient. Désormais, il faut cesser de négocier avec la Chine. Avec elle aussi, il faut entrer dans un rapport de forces.

Enfin, Michael Scheuer, ex-agent de la CIA contraint à la démission par Porter Goss, témoigne dans le Los Angeles Times qu’il est parti de son plein gré. Il déclare avoir perdu la foi dans son métier d’agent de renseignement, non pas qu’il pense l’agence inefficace en elle-même, mais parce que le pouvoir politique qui la dirige a failli à ses responsabilités. Derrière une attitude désabusée, c’est une critique radicale du contrôle politique qu’il pose. En définitive, son message se résume à clamer que les politiques sont pourris et qu’il faut donner le pouvoir aux services secrets. Or, ce discours est exactement celui de Porter Goss pour justifier le limogeage de hauts fonctionnaires qualifiés de trop politiques. De sorte que l’on peut se demander si tout cela n’est pas, en partie tout au moins, une mise en scène permettant de solder les contradictions du passé.