Au lendemain de la rencontre entre Ariel Sharon et Mahmoud Abbas à Charm El Cheikh, la presse occidentale se focalise sur les promesses de l’Autorité palestinienne de combattre la résistance armée à l’occupation et sur l’application par Mahmoud Abbas des desiderata israéliens. La machine de communication états-uno-israélienne étant parvenue à convaincre les médias que l’obstacle à la paix était la violence palestinienne et non le refus de négocier d’Israël, le fait que Mahmoud Abbas déclare un cessez-le-feu et donne ce qui est présenté comme des « instructions strictes » pour faire cesser les violences est présenté comme une « opportunité », pour reprendre l’expression consacrée, pour la paix.
Le journaliste palestinien Abdel Bari Atouan dénonce cette image dans Alqods Alarabi. Pour lui, les négociations de Charm El-Cheikh ne sont qu’une mascarade qui servent Israël et les États-Unis qui voient leurs ordres appliqués par Abbas. Israël va pouvoir mettre fin à l’Intifada comme il le souhaite et les États-Unis vont pouvoir redorer leur blason dans la région. Pour l’auteur, les pays arabes sont également gagnants car ils peuvent profiter de l’occasion pour normaliser leurs relations avec Israël et tourner la page. Les seuls perdants seront les Palestiniens.
Toutefois, malgré toutes ces concessions palestiniennes, ce n’est pas suffisant pour les ultras. Ainsi, Morton A. Klein, président de la Zionist Organization of America, revient dans le Jerusalem Post sur l’affaire des trois États-uniens tués à Gaza en novembre 2003. Il exige que les coupables soient retrouvés et traduit en justice. Le fait que Condoleezza Rice ait prévu de se rendre à Ramallah bien que cette affaire ne soit pas résolue est considéré comme un acte de mollesse de l’administration Bush.
Au contraire pour la commissaire européennes aux Relations étrangères, Benita Ferrero-Waldner, Abbas a rempli ses obligations et c’est au tour d’Israël de faire un geste. Elle explique dans Le Monde que si Tel-Aviv veut que la violence s’arrête durablement, il faut que les Palestiniens en retirent des bénéfices. Elle demande donc que l’Union européenne, les États-Unis et les pays arabes fournissent une aide économique et qu’Israël relâche la pression économique sur les Palestiniens. On se souviendra en effet que, par le passé, Tsahal n’avait pas hésité à détruire des bâtiments que l’Autorité palestinienne avait financé avec des fonds de l’Union européenne.
Pendant le sommet de Charm El Cheikh, le débat entre partisans et opposants de l’évacuation de Gaza s’est poursuivi en Israël. L’ancien responsable des négociations dans le cabinet d’Ehud Barak Shaul Arielli en présente les enjeux dans Ha’aretz. Pour lui, il n’existe que deux choix possibles : la solution des deux États (il englobe dans le même camps ceux qui ne veulent laisser que 40 % de la Cisjordanie et Gaza aux Palestiniens et ceux qui veulent revenir aux frontières de 1967) et les fantasmes messianiques de l’extrême droite qui rêve encore du « Grand Israël ». Selon lui, le rêve des colons entraînerait à terme la mort d’Israël et une nouvelle domination arabe sur la région et voilà pourquoi il faut que les négociations de Charm El Cheikh donnent des résultats. Il s’agit là d’une simplification à l’extrême des options possibles qui valide implicitement la politique d’Ariel Sharon en le posant comme seul alternative à son extrême droite, mais ignore les autres options. Ainsi, l’auteur assimile la création de Bantoustans palestiniens voulus par Ariel Sharon à ceux qui veulent un retour aux frontières de 1967 et ignore totalement les partisans d’un État binational.

Le général Wesley Clark, responsable des bombardements massifs de la Serbie en 1999, se prononce dans Der Tagesspiegel pour l’indépendance du Kosovo en demandant à George W. Bush d’appliquer son discours « visionnaire » sur la démocratie à cette région. Il donne les conditions dans lesquelles le Kosovo devrait obtenir son indépendance (pas de partition, pas de retour sous le giron de la Serbie et pas de rattachement à l’Albanie) et recommande que le Conseil de sécurité se prononce en faveur de la naissance de cet État. Allant plus loin, il recommande que, s’il n’est pas possible de trouver un consensus sur ce point à l’ONU, un référendum soit organisé par l’OTAN et que l’indépendance soit reconnue de facto. Il entend ainsi refuser toute possibilité d’intervention à la Russie ou à la Chine et continuer le travail de sape contre l’ONU amorcé lors de l’attaque contre la Serbie sans mandat onusien.
Ce nouveau texte en faveur de la marginalisation de la Russie n’est qu’un appel supplémentaire dans une campagne anti-russe où le martèlement quotidien des arguments fait office de preuve de la justesse de ce qui est avancé. Le dernier écho de cette campagne de presse nous est livré par l’ambassadeur Anders Aslund, déjà signataire de l’appel des 115 atlantistes contre Vladimir Poutine, dans l’International Herald Tribune. L’auteur compare la politique de M. Poutine et celle de Viktor Yushchenko au bénéfice de ce dernier. Il affirme que, partant d’une situation économique analogue, les deux chefs d’État ont pris des options radicalement différentes pour lutter contre la corruption et les oligarques. Là où Vladimir Poutine a choisi la centralisation et l’autoritarisme et a échoué, M. Yushchenko réussira en libéralisant le pays et en le tournant vers l’Europe. Ce dernier argument ne convaincra que ceux qui ne connaissent pas la biographie de Yuliya Tymoshenko que Viktor Yushchenko a nommé Premier ministre. En effet, Interpol a lancé un mandat d’arrêt à son encontre après qu’elle eut corrompu des généraux russes à des fins mafieuses.
Autre preuve de la réalité du pouvoir à Kiev : l’installation de l’oligarque russe Boris Berezovski, qui avait fuit son pays pour se réfugier à Londres. Toutefois, l’air de Kiev ne semble pas lui avoir inspiré le sens de la mesure. Ainsi dans une tribune publiée par Komsomolskaïa Pravda, l’ancien journal des Jeunesses communistes soviétiques, il affirme que si Vladimir Poutine ne négocie pas avec Aslan Maskhadov il sera bientôt condamné pour crime contre l’humanité, tout le Caucase fera partition, puis la Russie éclatera. Il ajoute par ailleurs que les Tchétchènes multiplieront les actions violentes et utiliseront les mallettes nucléaires qu’ils sont tout prêts de posséder. Bigre ! Face à ce scénario apocalyptique, la rédaction du journal a demandé l’avis des services spéciaux russes qui ont répondu simplement : « Ces déclarations étant totalement délirantes, et cet individu faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international, nous ne jugeons pas utile de commenter ». Cependant, au vu de la responsabilité de M. Berezovski dans des attentats tchétchènes, certains percevront plutôt cette tribune libre comme une menace à peine voilée.