Vingt et unième rapport de l’Équipe d’appui analytique et de surveillance des sanctions présenté en application de la résolution 2368 (2017) concernant l’État islamique d’Iraq et du Levant (Daech), Al-Qaida et les personnes et entités qui leur sont associées
Résumé
En Iraq et en République arabe syrienne, l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL) [1] a perdu le contrôle de toutes les zones urbaines qu’il conservait encore. Le groupe continue de se transformer en une organisation à hiérarchie horizontale dont les cellules et les entités affiliées agissent de manière de plus en plus autonome. La lutte globale contre l’EIIL devra être axée sur la menace que posent des réseaux internationaux moins visibles. Les « voyageurs frustrés » [2], les sympathisants de l’EIIL, les combattants de retour dans leur pays et les combattants « relocalisés » représentent un risque accru pour les États Membres. Face aux tentatives de l’EIIL d’injecter de l’argent dans l’économie licite et à l’afflux de fonds destinés à la reconstruction des zones libérées, des mesures adaptées devront être prises.
Le réseau mondial d’Al-Qaida demeure résilient et représente, dans plusieurs régions, une plus grande menace que l’EIIL. Bien que sous pression militaire, Al Qaida dans la péninsule arabique (AQPA) (QDe.129) sert de plus en plus de plateforme de communications pour Al-Qaida dans son ensemble. En Afrique du Nord et en Afrique de l’Ouest, des entités associées à Al-Qaida et des groupes fidèles à l’EIIL ont intensifié leurs activités, et, en Afrique de l’Est, les Chabab (SOe.001) maintiennent leur prédominance sur les groupes de l’EIIL. En Asie du Sud, les groupes affiliés à Al-Qaida et à l’EIIL tirent parti d’une situation sécuritaire instable en Afghanistan. La reprise de la ville de Marawi par les autorités philippines a certes été un succès militaire, mais le bastion érigé temporairement par des groupes affiliés à l’EIIL dans la ville était une victoire de la propagande qui pourrait avoir des conséquences à long terme pour la région.
Le flux global de combattants terroristes étrangers a continué de ralentir, et seuls quelques cas particuliers ont été signalés. Toutefois, le recul notable des territoires contrôlés par l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne contraindra de nombreux combattants terroristes étrangers soit à rejoindre d’autres groupes, soit à quitter la région. En adoptant la résolution 2396 (2017), le Conseil de sécurité a fait un pas important pour répondre aux problèmes que posent les combattants de retour dans leur pays et les combattants « relocalisés ».
I. Aperçu de la menace
A. Évolution de la menace que représentent l’État islamique d’Iraq et du Levant et Al-Qaida
1. Pendant la seconde moitié de 2017, l’EIIL a subi des revers militaires stratégiques en République arabe syrienne et dans le sud des Philippines. En réponse, l’organisation continue de mettre l’accent sur les attentats « extérieurs ». Parallèlement, le réseau international d’Al-Qaida est demeuré singulièrement résilient. Les groupes associés à Al-Qaida restent la principale menace terroriste dans certains pays, tels que la Somalie ou le Yémen, par exemple, comme en témoigne une série ininterrompue d’attentats ou d’opérations déjouées. En Afrique de l’Ouest et en Asie du Sud, la menace que représentent les groupes affiliés à Al-Qaida pour les États Membres est au moins aussi sérieuse que celle que constitue l’EIIL, qui ne parvient pas à occuper une position dominante.
2. Du fait de la transformation de l’EIIL, l’accent mis sur la conquête et le contrôle de territoire, qui en avait fait un trait distinctif, est en train de disparaître. Cela réduira probablement la capacité de l’organisation de recruter des personnes venant de diverses catégories sociales. Si l’EIIL pouvait auparavant se targuer d’être une structure proto-étatique et d’attirer ainsi des personnes souhaitant soutenir l’établissement du soi-disant « califat », son vivier possible de recrutement se limitera désormais à des personnes principalement motivées par le combat ou la commission d’attentats terroristes. Cette évolution et le renforcement des mesures de contrôle prises par les États Membres ont eu des effets positifs sur le flot général de nouveaux combattants terroristes étrangers, qui a presque été stoppé à l’échelle mondiale.
3. Les États Membres ont souligné que certains membres des deux organisations étaient disposés à s’entraider et avaient eu les moyens de le faire dans le cadre de la préparation d’attentats (voir S/2016/629, par. 3). La convergence possible des deux réseaux représente donc une nouvelle menace, du moins dans certaines régions. En outre, la propagande menée par Al-Qaida continue de mettre en lumière une nouvelle génération de chefs susceptibles de prendre les rênes de l’organisation, comme Hamza ben Laden (voir S/2017/573, par. 30), tentant sans doute de projeter une image plus jeune auprès de ses sympathisants.
B. Transformation de l’EIIL depuis la perte de territoires en Iraq et en République arabe syrienne
4. La pression militaire exercée de façon significative et ininterrompue sur l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne a conduit à la perte de contrôle des zones urbaines par l’organisation dans les deux pays. Face à ce revers, l’EIIL a été contraint d’évoluer et a continué de se transformer, passant d’un groupe hiérarchiquement organisé, axé sur la conquête et le contrôle de territoires, à un groupe réticulaire mettant l’accent sur les attentats terroristes à l’intérieur et à l’extérieur de la zone de conflits . Les États Membres ont souligné que ce nouveau réseau émergeant au niveau mondial avait une hiérarchie horizontale et que le commandement et le contrôle opérationnels exercés par la structure centrale de l’EIIL sur les activités des groupes affiliés étaient limités.
5. En outre, le système de propagande établi par la structure mère de l’EIIL est davantage décentralisé et la qualité de son contenu continue de se dégrader (voir S/2017/35, par. 17, et S/2017/573, par. 20). À titre d’exemple, les États Membres ont fait observer que l’EIIL avait revendiqué des attentats pour lesquels aucun lien crédible avec le groupe n’avait pu être établi et que certaines publications en ligne, telles que Rumiyah, avaient disparu. Néanmoins, malgré la détérioration du système de propagande de l’EIIL, les combattants terroristes étrangers et les membres et sympathisants de l’EIIL continuent d’exploiter les médias sociaux, les technologies de chiffrement et le dark Web pour communiquer entre eux, encourager et faciliter des attentats. Les États Membres sont vivement préoccupés par cette tendance, ainsi que par le nombre croissant de « voyageurs frustrés », par la menace que continuent de représenter les groupes terroristes qui recrutent des informateurs travaillant dans des infrastructures critiques et par le risque que des combattants de retour dans leur pays ou des combattants « relocalisés » mettent leur autorité et leurs capacités terroristes au service des réseaux de sympathisants radicalisés déjà existants.
6. En raison de cette transformation, une nouvelle phase de la lutte contre l’EIIL est enclenchée. Pendant la première phase, l’ancrage territorial du groupe permettait de localiser facilement ses combattants, y compris les combattants terroristes étrangers dans la zone de conflits. Mais, pendant la phase à venir, il sera plus difficile de localiser les personnes qui constituent une menace. Le partage d’informations concernant l’identité des combattants terroristes étrangers et des membres connus de l’EIIL demeurera essentiel. À cet effet, la Liste relative aux sanctions reste l’un des principaux instruments internationaux.
II. Tendances régionales
A. Levant
7. Pendant la période considérée, la pression militaire exercée sur l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne a entraîné des pertes de territoire importantes pour le groupe. Les villes de Qaëm en Iraq, ainsi que de Deïr el-Zor, de Raqqa et d’Albou Kamal en République arabe syrienne, lui ayant été reprises, le groupe ne contrôle plus de grandes villes dans les deux pays . Cependant, des États Membres ont signalé que des cellules de l’EIIL continuent d’opérer dans la plupart des villes reprises. De plus, des groupuscules sont toujours présents dans les zones rurales situées à l’est de l’Euphrate en République arabe syrienne, et dans les déserts du nord de l’Iraq. Des États Membres ont indiqué que Jaysh Khalid Ibn al-Waleed (QDe.155) commande entre 700 et 1 500 combattants dans le sud du pays. Plusieurs États Membres ont signalé que, après la reprise de Raqqa, de Deïr el-Zor et d’Albou Kamal, des combattants de l’EIIL ont fui en direction du nord dans l’intention probable de quitter le pays en passant par ses frontières septentrionales. Seul un petit nombre d’entre eux s’est dirigé vers le sud du pays . Étant donné l’évolution rapide de la situation, les États Membres ne furent pas en mesure de donner des estimations précises sur le nombre de combattants terroristes étrangers restés en Iraq et en République arabe syrienne.
8. Les États Membres ont souligné que le déminage des zones reprises, telles que Mossoul et Raqqa, sera difficile, l’EIIL ayant laissé derrière lui de nombreux pièges et engins explosifs improvisés, ce qui ralentit les efforts de stabilisation.
9. Outre ses pertes militaires, les revenus de l’EIIL, autrefois abondants, ont chuté de plus de 90 % depuis 2015 . La récente perte de champs pétrolifères et gazéifères en République arabe syrienne, notamment les champs pétrolifères d’Omar et de Tanak et le gisement de gaz de Conoco, est un coup dur pour l’EIIL, qui dépendait des recettes tirées des hydrocarbures . Toutefois, l’EIIL pourrait continuer de tirer profit de la vente d’hydrocarbures en extorquant les réseaux de distribution et de postes de contrôle . L’EIIL a peut-être encore un accès restreint au pétrole, mais il l’utilise sans doute pour ses propres opérations et non plus pour générer des revenus . Comme l’Équipe de surveillance l’a indiqué précédemment, il est probable que l’EIIL reviendra à des tactiques de financement similaires à celles d’Al-Qaida en Iraq (voir S/2017/35, par. 22).
10. Bien que l’ampleur des réserves que l’EIIL a pu conserver et cacher ne soit pas précisément connue, l’Équipe de surveillance a été informée que des fonds continuent de circuler entre la structure centrale de l’EIIL et ses branches, alors même que celles-ci jouent un rôle de plus en plus crucial pour l’image de l’EIIL au niveau mondial, compte tenu de ses défaites en Iraq et en République arabe syrienne . Toutefois, les entités associées à l’EIIL cherchent actuellement des moyens de diversifier leurs sources de revenus afin d’assurer leur subsistance indépendamment de la structure centrale de l’EIIL .
11. L’EIIL s’appuie sur des réseaux établis et des intermédiaires dans tout le Moyen-Orient pour transférer des fonds, recourant aux réseaux hawala et à des passeurs de fonds . Ces facilitateurs sont des professionnels qui fournissent des services financiers légaux et illégaux et sont capables d’employer des méthodes plus complexes, telles que le blanchiment d’argent basé sur le commerce . Lorsque ces réseaux ont été désorganisés, après des arrestations par exemple, l’EIIL a su s’adapter et trouver de nouvelles voies .
12. L’EIIL infiltre des entreprises légitimes de la région en utilisant des personnes n’ayant apparemment aucun lien avec le groupe ou « irréprochables » ayant accès au système financier, tandis que ses membres opèrent en arrière-plan . Les États Membres demeurent préoccupés par le fait que l’EIIL puisse générer des profits par le biais de tels commerces, notamment des bureaux de change, des sociétés agricoles, des agences immobilières et des entreprises de construction, et investir des fonds blanchis aux niveaux local, régional et international .
13. L’Équipe de surveillance recommande au Comité d’écrire aux États Membres pour appeler leur attention sur le fait que des personnes associées à l’EIIL risquent d’infiltrer des entreprises licites relevant de leur juridiction, et pour les inviter, conformément à leurs lois et textes réglementaires nationaux, à sensibiliser les parties concernées du secteur privé, à les encourager à faire preuve d’une vigilance accrue et à prendre les précautions qui s’imposent pour réduire ce risque.
14. Les États Membres ont continué d’exprimer des préoccupations quant au fait que l’EIIL pourrait avoir de nouvelles possibilités de gagner de l’argent lorsque l’aide humanitaire commencera à arriver dans les zones libérées, en particulier dans la mesure où il pourrait être impliqué dans des entreprises locales, telles des sociétés de construction . Les fonds destinés à la reconstruction devront être soigneusement ciblés, de façon à ne pas tomber entre de mauvaises mains . De même, l’EIIL continuant d’éprouver des difficultés à mener ses opérations financières depuis les zones de conflit, il faudra l’empêcher d’établir des plateformes financières dans les pays de la région. Il demeure donc crucial que la Liste relative aux sanctions soit tenue à jour afin d’entraver les tentatives de subterfuge de l’EIIL (voir S/2017/35, par. 66).
15. L’Équipe de surveillance recommande au Comité d’écrire aux États Membres afin d’appeler leur attention sur le risque de détournement de fonds destinés à l’aide humanitaire et à la reconstruction et de les encourager, conformément à leurs lois et textes réglementaires nationaux, à sensibiliser les organisations et les entreprises compétentes engagées dans les efforts de stabilisation et de reconstruction dans les zones de conflit, en préconisant une vigilance accrue et la sélection avertie des partenaires durant la phase de mise en œuvre de leurs projets.
16. Plusieurs États Membres ont signalé à l’Équipe de surveillance que le Front el Nosra pour le peuple du Levant (QDe.137) reste, au niveau mondial, l’une des entités associées à Al-Qaida les plus solides et les plus importantes. L’objectif du Front el-Nosra est d’absorber de plus petits groupes en République arabe syrienne en recourant à la menace, à la violence et à des incitations matérielles . Il a également recouru au recrutement forcé, y compris de mineurs . Au sein de la coalition Hay’at Tahrir el-Cham, le Front el-Nosra demeure une force dominante, qui commande entre 7 000 et 11 000 combattants, dont quelques milliers de combattants terroristes étrangers, et dont la base principale se trouve dans la province d’Edleb .
17. L’autorité d’Abu Mohammed al-Jawlani (QDi.317), chef de Hay’at Tahrir el-Cham, continue d’être ébranlée, le Front el-Nosra arguant que le groupe devrait adopter une perspective plus internationaliste et ne pas se concentrer uniquement sur la situation en République arabe syrienne . Les États Membres estiment que ces différends ont abouti à la formation d’un groupe qui a adopté ensuite le nom d’Ansar el-Fourqan, composé de religieux extrémistes influents, notamment Sami al-Aridi (non inscrit sur la Liste) et Iyad Nazmi Salih Khalil (QDi.400). Tous deux ont insisté sur le fait que le groupe ne pouvait mener ses activités que sous la supervision d’Aiman Muhammed Rabi al-Zawahiri (QDi.006) . En novembre 2017, ce dernier a publiquement critiqué Hay’at Tahrir el-Cham, en particulier les « arrestations » de plusieurs religieux fidèles à Al-Qaida .
18. Le Front el-Nosra semble être, en grande partie, financièrement autonome . Le groupe est intégré dans la société et est capable de gagner de l’argent par le biais de son bastion de la province d’Edleb (en s’intégrant dans des entreprises locales, telles que des boulangeries ou des usines, et en les exploitant) et de ses postes de contrôle, en se livrant à l’enlèvement contre rançon d’entrepreneurs locaux, en prenant le contrôle des ressources et des fonds des autres groupes ou de butins de guerre, ou encore en tirant profit des opérations et des aides caritatives ou des collectes de fonds pour des organisations caritatives . Certains États Membres ont également souligné que le Front el-Nosra continuait de tirer profit du pillage d’antiquités sur les zones du territoire qu’il contrôle . En conséquence, l’accès à des sources de financement a permis au Front el-Nosra d’affermir sa position dominante .
B. Péninsule arabique
19. D’après les États Membres, Al-Qaida demeure une menace sérieuse pour la péninsule arabique. AQPA continue de préparer des attentats à l’extérieur de la péninsule, y compris récemment dans l’ensemble du Moyen-Orient. En juillet 2017, par exemple, un attentat visant la Jordanie a été déjoué. Celui-ci avait été planifié au Yémen par Khalid Omar Batarfi (non inscrit sur la Liste), un dirigeant d’AQPA .
20. Au Yémen, AQPA continue d’opérer à Moukalla, Chaboua et Mareb, alors que certains de ses dirigeants se trouvent dans les régions de Jouba et Raouda, dans la province de Mareb, dans le quartier de Ouadi d’un village connu sous le nom de Moujan, dans le district de Mahfad près de la région dite de Jabal, dans le district de Moudiya près de la région dite de Sadd Ouajd, et dans le district de Lodar dans une région montagneuse dite de Jinh . Les dirigeants et combattants d’AQPA ont resserré leurs liens avec des tribus et familles yéménites, souvent par le biais de mariages. En outre, les États Membres ont souligné qu’AQPA menait et finançait des activités sociales en vue de montrer à la population yéménite sa capacité de diriger et ses capacités humanitaires.
21. AQPA joue toujours un rôle de premier plan dans les activités de propagande de la structure centrale d’Al-Qaida (voir S/2017/573, par. 30). Outre Inspire (magazine en anglais), Al Masra (magazine en arabe) est devenu l’un des principaux organes de presse dans lesquels les dirigeants de la structure centrale d’Al-Qaida, d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) (QDe.014), d’Al-Qaida dans le sous-continent indien (AQSI) et des Chabab (SOe.001) ont été interviewés et ont annoncé des attentats. Les États Membres estiment qu’AQPA au Yémen sert de centre de communications pour l’ensemble de l’organisation Al-Qaida.
22. AQPA continue de subir une pression militaire soutenue. Au cours des six derniers mois, des frappes aériennes ont permis d’éliminer plusieurs de ses commandants présents sur le terrain et un nombre important de ses combattants, et de réduire ses capacités financières . AQPA tente actuellement d’éviter des affrontements avec les tribus locales . Le groupe se restructure afin d’étendre son influence et d’attirer de nouvelles recrues. Selon des informations communiquées par un État Membre, le chef d’AQPA, Qasim Mohamed Mahdi al-Rimi (QDi.282), a nommé, en octobre 2017, un nouveau responsable de la charia, Abdullah Mubarak (non inscrit sur la Liste), ressortissant yéménite diplômé de l’Université Iman de Sanaa, pour remplacer Ibrahim al-Rubaysh, ressortissant saoudien décédé. Le groupe a également nommé un certain nombre de nouveaux « émirs » dans différentes régions, qui relèvent du commandant militaire de l’organisation, Ammar al-San’ani (non inscrit sur la Liste) .
23. Des États Membres ont signalé que des membres d’AQPA utilisent des applications de messagerie instantanée cryptée et des équipements sans fil, qui ont été distribués aux « émirs » du groupe et aux propriétaires de résidences protégées. Depuis mi-2017, la situation financière d’AQPA s’est encore détériorée en raison de pressions soutenues exercées contre le groupe qui, par conséquent, a entrepris de se procurer des fonds en vendant des armes et des munitions à des tribus et à des marchands d’armes yéménites . Ses autres sources de revenus sont les cambriolages de banques, les enlèvements contre rançon et l’extorsion .
24. Malgré les difficultés que rencontre actuellement AQPA, les États Membres estiment que l’EIIL demeure plus faible qu’AQPA au Yémen. Des cellules de l’EIIL sont actives à Aden, à Beïda et dans certaines zones de Qeïfa, où ont eu lieu des affrontements avec les forces de sécurité. Le groupe est également responsable de l’assassinat de plusieurs représentants du Gouvernement yéménite à Aden . Le 29 novembre 2017, l’EIIL au Yémen a revendiqué un attentat à la voiture piégée visant le Ministère des finances à Aden, qui aurait tué cinq gardes selon Amaq, l’agence de presse de la structure centrale de l’EIIL.
C. Afrique
1. Afrique du Nord
25. Des États Membres se sont déclarés préoccupés par la résilience, en Égypte, de groupes fidèles à l’EIIL et ont indiqué que deux factions distinctes opéraient dans ce pays. Ansar Beit el-Maqdes, qui a publiquement déclaré son allégeance à Abu Bakr al-Baghdadi en novembre 2014 (voir S/2017/35, par. 41), est toujours actif dans la péninsule du Sinaï. Par ailleurs, au cours de la période considérée, les cellules de l’EIIL sur le territoire égyptien sont devenues plus visibles . Selon des informations fournies par un État Membre, Ansar Beit el-Maqdes reste le groupe le plus important et pourrait compter jusqu’à 1 000 combattants. Il ne contrôle pas les cellules du reste du pays, mais les deux branches coordonnent leurs actions, dans une certaine mesure.
26. En octobre 2017, Ansar Beit el-Maqdes a renfloué sa trésorerie en attaquant une banque à El-Arich, dans le nord du Sinaï, où ses membres sont désormais concentrés. En novembre 2017, il a attaqué une mosquée dans le village voisin d’Al-Rawda, tuant plus de 300 fidèles . Ansar Beit el-Maqdes continue de dépendre du soutien de tribus bédouines locales, grâce auxquelles il peut monter des camps d’entraînement de fortune, fabriquer des engins explosifs improvisés, stocker des armes et des explosifs et préparer ses opérations . D’autres Bédouins, quant à eux, coopèrent avec les autorités en charge de la sécurité . Selon certains États Membres, Ansar Beit el-Maqdes contrôle certains itinéraires de contrebande de la péninsule, le long desquels il fait passer de l’argent et des armes, et il a été rejoint par des combattants terroristes étrangers venus d’Iraq et de République arabe syrienne. Ansar Beit el-Maqdes continue également de recevoir de l’argent de la structure centrale l’EIIL par l’intermédiaire de pays tiers dans la région . Son « émir » actuel, Abou Oussama Al Misri (non inscrit sur la Liste), est égyptien.
27. Hors de la péninsule, dans le reste du pays, de petites cellules de sympathisants de l’EIIL sont toujours actives, en particulier dans les zones urbaines . D’après l’évaluation faite par des États Membres, ces cellules sont responsables d’une série d’attaques perpétrées contre la communauté copte. Selon un État Membre, plusieurs personnes accusées d’être impliquées dans ces attaques ont été arrêtées. Il y a des permutations entre l’EIIL en Égypte et en Libye à travers les frontières du désert, et l’un des cadres libyens de l’organisation siège d’ailleurs à la choura de Ansar Beit el Maqdes .
28. En Libye, bien que l’intensité de la menace ait diminué au cours de la période considérée, l’EIIL reste déterminé à reconstituer ses forces. Des États Membres ont indiqué que les combattants du groupe, bien que dispersés, étaient toujours en embuscade. Certaines cellules de l’EIIL, en particulier celles basées à Derna, à Sabratah, au sud de Syrte et à Bani Walid, ont récemment étoffé leurs effectifs grâce à l’incorporation de combattants venus du sud de la Libye et d’autres individus relocalisés ou de retour d’Iraq ou de la République arabe syrienne . Un État Membre a souligné que des combattants de l’EIIL s’étaient regroupés dans le bassin de Syrte et tentaient de sympathiser avec les tribus locales pour étendre leur présence. Le groupe continue de démontrer son importance en perpétrant régulièrement des attaques terroristes (voir S/2017/573, par. 33).
29. Des États Membres ont signalé que des combattants issus d’organisations régionales affiliées à l’EIIL avaient gagné la Libye, établi des liens et collaboré avec l’EIIL, principalement pour l’entraînement, la fourniture d’armes et le soutien logistique. Des combattants de Boko Haram maintiennent des petits groupes en Libye . Le fait que les éléments de Boko Haram puissent passer par les frontières ouest et sud-est de la Libye pour gagner d’autres pays de la région est inquiétant. Des États Membres ont estimé qu’il existe un risque que des dirigeants de l’EIIL en Libye se rendent vers d’autres zones de conflit en Afrique de l’Ouest et au Sahel, notamment au Mali .
30. Des États Membres ont indiqué que l’EIIL en Libye continuait de « taxer » les réseaux impliqués dans la traite d’êtres humains et la contrebande. L’EIIL entretient des liens étroits avec les trafiquants, notamment les trafiquants d’antiquités, mais ne dirige pas les réseaux . L’EIIL conserve également en Libye des barrages routiers et des postes de contrôles mobiles qui lui rapportent des fonds .
31. En Tunisie, les conditions de sécurité se sont améliorées par rapport à la période considérée dans le rapport précédent. Toutefois, le pays est toujours sous la menace de l’EIIL et d’Al-Qaida. Jund al-Khilafah in Tunisia (Les Soldats du califat en Tunisie), branche autoproclamée de l’EIIL, continuent d’opérer, regroupés en petites cellules dans les régions montagneuses du pays . Le Bataillon Oqba ibn Nafi, branche tunisienne d’Al-Qaida au Maghreb islamique, est lui aussi toujours présent dans le pays . Les deux groupes ont revendiqué plusieurs attentats perpétrés récemment sur le sol tunisien. Une campagne menée par les autorités tunisiennes a permis l’arrestation ou l’élimination d’un nombre considérable de combattants. Un État Membre de la région s’est déclaré préoccupé par la menace que les combattants terroristes étrangers rentrant en Tunisie continuent de faire peser sur la région .
2. Afrique de l’Ouest
32. Des États Membres ont indiqué qu’au cours de l’année 2017, la plupart des groupes terroristes du Sahel avaient officiellement rallié l’EIIL ou Al-Qaida. Toutefois, à ce jour, aucune rivalité entre les différents groupes n’a été observée. Au Mali, la situation reste critique. Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, coalition de membres d’Al-Qaida (voir S/2017/573, par. 1 et 37 à 39), est parvenu à consolider l’allégeance de plusieurs tribus et ethnies. Depuis mars 2017, le Groupe a perpétré une série d’attaques meurtrières contre la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et attaqué le convoi du Premier Ministre malien, le 8 novembre 2017 . Le 5 juillet 2017, il avait affronté, pour la première fois, les forces armées nigériennes .
33. Des États Membres ont souligné que la menace posée par les groupes liés à Al Qaida et à l’EIIL continue de se propager au centre et dans le sud du Mali, ainsi que vers les pays voisins. Au Burkina Faso, une attaque complexe menée le 13 août 2017 contre le Café Istanbul à Ouagadougou, qui rappelle de précédentes attaques perpétrées à Bamako, Grand-Bassam et Ouagadougou, a fait 18 morts. Ansar al-Islam, un groupe affilié à l’EIIL, serait l’auteur de l’attentat à la bombe perpétré quatre jours plus tard contre un véhicule militaire . Ce groupe, qui compte une centaine de combattants, est aussi responsable de l’attaque menée contre une base militaire à Nassoumbou en décembre 2017 . Il demeure actif au Burkina Faso, dans les provinces du Soum et de l’Oudalan. L’allié de l’EIIL le plus puissant dans la région est toujours le groupe dissident d’Al-Mourabitoun (QDe.141) dirigé par Adnan Abou Walid Al-Sahraoui (voir S/2017/35, par. 43 et 44) . Selon un État Membre, cette faction de l’EIIL reste active au Niger et au Mali et développe actuellement des contacts en Libye.
34. Toutefois, nombre des attaques perpétrées dans la région n’ont pas été revendiquées par un groupe en particulier, ce qui complique grandement l’analyse des forces de sécurité des États Membres . Par ailleurs, si au départ les attaques visaient essentiellement les forces de sécurité nationales et internationales, elles ciblent de plus en plus souvent la population locale . Tout comme en 2012 et 2013, les enseignants sont fréquemment pris pour cibles, ce qui a occasionné la fermeture de centaines d’écoles dans la région et posé des problèmes politiques, économiques et sociaux .
35. Des États Membres ont souligné que Boko Haram et le groupe « Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique » continuent généralement d’opérer dans des zones distinctes et de suivre des stratégies et des tactiques distinctes (voir S/2017/35, par. 45). À ce jour, il semble que ces deux groupes ne soient pas en conflit. Boko Haram continue d’utiliser l’attaque-suicide comme principal mode d’action. D’après des rapports publics, le nombre de femmes utilisées par Boko Haram dans des opérations-suicides a atteint un record en 2017 .
36. Au cours de la période considérée, les sources de financement de ces groupes sont restées les mêmes. Des États Membres ont expliqué que le vol et l’extorsion, notamment par le détournement de véhicules et le vol de leur cargaison, demeurent des ressources importantes. L’enlèvement contre rançon reste l’une des principales sources de financement, et les enlèvements de membres de la population civile, y compris des dignitaires religieux, des enseignants, des soldats et des enfants continuent . Des États Membres ont indiqué que les groupes affiliés à l’EIIL et à Al-Qaida présents dans la région « prélèvent des taxes » sur les trafics de drogues, de marchandises et de personnes dans leurs territoires respectifs.
37. Les mouvements transnationaux de combattants terroristes étrangers demeurent un sujet de préoccupation pour les États Membres de la région. Récemment, des États Membres ont signalé, dans la région, un nombre croissant de cas de combattants à « allégeance variable ». Certains agissent comme des mercenaires, passant d’un groupe à l’autre en fonction des incitations financières .
3. Afrique de l’Est
38. En Somalie, les Chabab, groupe affilié à Al-Qaida, demeurent puissants et continuent d’asseoir leur domination sur les affiliés de l’EIIL. Les États Membres estiment que la Somalie et les pays qui fournissent des contingents à la Mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) ont davantage à craindre des Chabab que de l’EIIL. En 2017, les Chabab ont poursuivi leurs efforts pour s’implanter hors de la Somalie et mené des opérations en vue d’installer des bases au Kenya, en Éthiopie et à Djibouti . Ils ont, en outre, renforcé leurs capacités et intensifié la fréquence de leurs attaques en recrutant des initiés. Par exemple, la plupart des attaques perpétrées à Mogadiscio en 2017 ont été facilitées par des agents déjà établis sur place qui ont aidé l’organisation, dirigé les opérations et fourni un appui logistique, et notamment des renseignements .
39. Les mouvements de combattants terroristes étrangers, de transporteurs et d’individus effectuant des missions logistiques entre la Somalie et le Yémen continuent. Ils sont facilités par d’anciens combattants Chabab installés au Yémen et opérant pour le compte d’Al-Qaida dans la péninsule arabique . Bien que les Chabab aient initialement cherché à éliminer les combattants terroristes étrangers arrivés en Somalie et non originaires de la région (S/2017/573, par 48), ils ont récemment commencé à accueillir ceux dont les compétences et les connaissances peuvent servir à former les combattants des Chabab. Ces hommes sont recrutés à titre temporaire en tant que formateurs. Ils quittent les Chabab après avoir transmis leurs connaissances, leur savoir-faire et leurs compétences .
40. L’AMISOM a réussi, dans une certaine mesure, à affaiblir les capacités des Chabab et à réduire leurs sources de financement dans certaines villes stratégiques, où les combattants ont été dispersés. En conséquence, les combattants des Chabab recourent à la criminalité, notamment aux pillages, pour financer leurs opérations . Toutefois, sur les territoires qu’ils contrôlent, en plus des modes de financement connus (voir S/2017/573, par. 47), les Chabab pratiquent l’échange de prisonniers contre de l’argent ; ils dirigent des pseudo-entreprises, et prélèvent des redevances et des « taxes de protection » auprès des agriculteurs, des éleveurs et des commerçants .
41. Malgré sa percée dans le Puntland et dans le sud de la Somalie au début de l’année 2017, l’EIIL n’a pas conquis autant de terrain que prévu, et ce en raison de plusieurs facteurs. Premièrement, la rivalité entre l’EIIL et les Chabab : ces derniers ne comptent pas laisser Abdikadir Mumin (non inscrit sur la Liste), chef de l’EIIL en Somalie, acquérir davantage d’influence et contrôler plus de territoires qu’eux-mêmes. Deuxièmement, les États Membres ont fait observer que Mumin n’avait ordonné aucune attaque depuis longtemps à ses combattants, ce qui s’explique par un conflit entre Mumin et ses subordonnés, paralysant dès lors leurs opérations . D’après un État Membre, Mumin, peu connu des milieux extrémistes, dépourvu de charisme et fréquemment souffrant en 2017, ne serait pas très populaire auprès de ses combattants. En outre, les autorités du Puntland continuent de lutter contre l’EIIL, affaiblissant ainsi son influence.
42. L’EIIL au Yémen continue de fournir un soutien matériel et un appui à la formation à l’EIIL en Somalie, mais ceux-ci sont limités et peu fiables . En conséquence, des États Membres ont souligné que l’EIIL en Somalie ne pouvait plus assumer des salaires élevés, tels qu’initialement versés à ses combattants, et avait commencé, comme les Chabab, à extorquer des fonds à la population locale. Cette évolution risque fort d’exacerber le conflit entre les deux groupes, désormais en concurrence pour le contrôle des ressources.
43. Les trafiquants et les passeurs proposent leurs services vers diverses destinations, dont la Libye, pour 5 000 à 10 000 dollars par personne . Cette option risque de séduire les combattants terroristes étrangers qui, pour rentrer chez eux ou se réinstaller ailleurs, cherchent à éviter la traversée de grandes villes, préférant passer par des zones reculées pour ne pas être repérés. En 2016 et 2017, les combattants terroristes étrangers ont exploité les réseaux de passeurs pour entrer en Libye et à l’intérieur du pays pour faciliter leurs déplacements. Par la suite, des États Membres ont signalé qu’ils avaient capturé certains combattants terroristes étrangers en route vers la Libye pour rejoindre l’EIIL, ou qu’ils avaient dû prendre en charge, parmi les individus de retour, des familles de combattants terroristes étrangers présumés morts au combat en Libye.
D. Europe
44. Au cours de la période considérée, l’EIIL a continué de fomenter et d’inspirer des attaques en Europe, démontrant que le continent reste une région prioritaire pour des attaques extérieures commises par des partisans de l’organisation. Des États Membres ont souligné que les combattants terroristes étrangers présents dans les zones de conflit continuaient d’influencer les sympathisants et de les pousser à commettre des attaques par l’entremise d’Internet et des médias sociaux. En outre, les « voyageurs frustrés », de plus en plus nombreux, posent un second défi sécuritaire. Des États Membres ont expliqué que les enquêtes menées sur les attaques récentes, notamment sur les attentats perpétrés en Espagne en août 2017, ont révélé l’existence de liens étroits et imbriqués entre les sympathisants d’Europe et les combattants terroristes étrangers présents dans les zones de conflit. Dans certains cas, ces réseaux comprenaient aussi des facilitateurs actuels ou anciens d’Al-Qaida à l’étranger.
45. Comme pour d’autres régions, seuls quelques nouveaux cas de combattants terroristes étrangers venus de pays européens pour se battre dans les zones de conflit ont été signalés à l’Équipe de surveillance. Le nombre d’individus retournant en Europe a lui aussi diminué . Cependant, les États Membres continuent de s’inquiéter de ce que les individus qui sont de retour pourraient intégrer les réseaux de sympathisants existants et leur apporter de nouvelles compétences, notamment en matière de fabrication de bombes. Ils constituent, à ce titre, une menace potentielle pour les autorités. Si les attentats et complots terroristes déjoués ont révélé que les auteurs disposaient de moyens techniques limités et continuaient de recourir à des méthodes peu sophistiquées, tels que des couteaux, des marteaux ou des véhicules, plusieurs États Membres ont signalé la saisie de quantités importantes de composants entrant dans la fabrication d’engins explosifs improvisés, et, dans certains cas, des tentatives répétées de fabriquer des matières explosibles . Les États Membres restent également préoccupés par les vidéos et autres supports informatifs détaillant la fabrication de plusieurs types d’engins explosifs qui circulent sur l’Internet et dans les médias sociaux.
46. Des États Membres ont signalé que le retour des mineurs continuait de poser des problèmes juridiques complexes (voir S/2017/573, par. 12) et souligné que certains enfants étaient radicalisés et avaient même participé à des combats dans les zones de conflit, et qu’il était difficile de les prendre en charge ou de les poursuivre, en partie parce qu’aucune législation spécialisée n’est encore établie . Plusieurs États Membres se sont dits préoccupés par les éventuelles conséquences que la libération d’individus actuellement incarcérés pourrait avoir sur la sécurité intérieure. La difficulté d’obtenir des preuves pénales dans les zones de conflit vient souvent compliquer la tâche du ministère public, qui, faute de preuves, ne peut requérir que des peines limitées pour des individus potentiellement très dangereux. La radicalisation au sein des prisons demeure également problématique (voir S/2017/573, par. 10).
E. Asie centrale et Asie du Sud
47. Comme ailleurs, les déplacements de combattants terroristes étrangers de l’Asie centrale et du Sud vers les zones de conflit ont pratiquement cessé, initialement grâce à des mesures prises par les États Membres, mais aussi, plus récemment, parce que la structure centrale de l’EIIL n’a plus ni l’envie ni les moyens de recevoir de nouveaux combattants terroristes étrangers. Le Front el-Nosra et ses divers groupes partisans continuent cependant de séduire certains expatriés d’Asie centrale, radicalisés et recrutés comme combattants . Les États Membres demeurent préoccupés par le fait que les individus de retour sont susceptibles d’aggraver la menace terroriste au niveau régional. Quelques « relocalisés » originaires d’Asie centrale ont participé à des attentats terroristes commis en Turquie, en Fédération de Russie et dans des pays européens ces deux dernières années. Certains ont quitté la Turquie pour l’Asie du Sud-Est, et leur sort actuel comme leur destination finale sont inconnus .
48. Bien qu’encore affaibli par les opérations militaires afghanes et internationales, l’EIIL continue de résister et de perpétrer des attentats, en particulier à Kaboul. L’organisation livre une concurrence féroce aux Taliban dans certaines zones, alors que dans d’autres, les deux groupes semblent avoir trouvé un terrain d’entente . Les éléments affiliés à l’EIIL en Afghanistan sont plus nombreux et plus disséminés qu’avant. Certains États Membres ont exprimé la crainte que la présence de combattants ouzbeks et tadjiks dans le nord de l’Afghanistan pourrait à moyen terme faire de l’EIIL une menace à part entière dans les États d’Asie centrale. L’EIIL compte entre 1 000 et 4 000 combattants sur l’ensemble du territoire afghan, parmi lesquels d’anciens membres du groupe Tehrik-e Taliban Pakistan (TTP) (QDe.132), du Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO) (QDe.010), des combattants étrangers non originaires de la région et des transfuges afghans du mouvement Taliban. Les anciens membres du TTP sont nombreux dans les rangs de l’EIIL . Des États Membres ont souligné que l’EIIL continuait de perdre des hommes dans la province de Nangarhar, conséquence d’une forte pression militaire, mais que l’organisation était néanmoins en mesure de reconstituer ses rangs assez rapidement.
49. L’EIIL en Afghanistan se finance en extorquant la population et en pillant la production agricole de la province de Nangarhar . Le groupe a récolté des fonds grâce au commerce du bois et à des enlèvements contre rançon, mais n’a pas de source de revenus internes assez conséquente pour se financer sans l’appui de la structure centrale de l’EIIL . Il n’y a à ce jour aucune preuve que le groupe se livre au trafic de drogue. Il a d’ailleurs exécuté certains de ses membres soupçonnés d’être impliqués dans ce trafic . L’EIIL en Afghanistan a bénéficié de l’appui financier de la structure centrale de l’EIIL, mais a reçu pour instruction de devenir plus autonome, et a conscience que cet appui pourrait cesser . Il doit donc impérativement trouver de nouvelles façons de lever des fonds dans les meilleurs délais, en particulier s’il veut conserver son avantage concurrentiel en rémunérant ses combattants mieux que les autres groupes présents dans la région.
50. Des États Membres ont souligné que le nombre de combattants présents en Afghanistan avait augmenté. En comptabilisant les combattants fidèles aux Taliban et les membres des différents groupes affiliés à Al-Qaida, ce nombre pourrait atteindre 60 000, soit plus qu’en 2016 . D’après des États Membres, il existerait, à l’heure actuelle, plus de 20 groupes actifs dans le pays. Les Taliban, qui comptent environ 40 000 à 45 000 combattants, demeurent le groupe le plus puissant . Les autres groupes présents sont l’EIIL en Afghanistan et toute une gamme d’entités affiliées à Al-Qaida, parmi lesquelles le TTP, Lashkar-e-Tayyiba (LeT) (QDe.118), Lashkar e Jhangvi (LJ) (QDe.096), Lashkar-e-Islam (LeI), Joundallah, le Mouvement islamique du Turkestan oriental (QDe.088) et le MIO. Le MIO s’est scindé en plusieurs factions de taille variable, qui opèrent dans différentes zones et coopèrent avec Al-Qaida, l’EIIL ou les Taliban .
51. Des États Membres estiment qu’entre un peu moins de 10 000 et 15 000 combattants terroristes étrangers opèrent actuellement en Afghanistan. Beaucoup d’entre eux sont originaires de la région. Des « relocalisés » venus d’Iraq et de République arabe syrienne sont également présents en Afghanistan. Ils seraient actuellement environ 200, d’après un État Membre.
52. Al-Qaida continue de coopérer avec les Taliban, en échange de l’espace et de la protection dont l’organisation a besoin pour manœuvrer (voir S/2017/409, par. 14 à 16). Al-Zawahiri se trouverait toujours dans la région frontalière entre le Pakistan et l’Afghanistan (voir S/2017/409, par. 17). Selon un État Membre, des combattants d’Al-Qaida dans le sous-continent indien (AQSI) officient comme conseillers et formateurs auprès des Taliban, avec 150 à 180 hommes présents dans le sud et l’est de l’Afghanistan. En outre, AQSI recrute des combattants dans les zones reculées de l’Inde et du Bangladesh . Malgré les inquiétudes des États Membres, il n’est pas certain qu’un grand nombre d’éléments d’Al-Qaida ait réellement rallié la République arabe syrienne pour participer aux combats (voir S/2017/573, par. 56).
53. Grâce à l’intervention de l’armée pakistanaise dans les zones tribales sous administration fédérale, 4 000 terroristes ont été arrêtés à la suite de plus de 2 000 opérations de renseignement et environ 100 réseaux locaux d’appui aux terroristes ont été démantelés . Les opérations militaires ont par ailleurs empêché l’EIIL de se doter d’une véritable structure dans la région. Les attentats terroristes revendiqués par l’EIIL sont, pour l’essentiel, menés par des membres des groupes locaux, planifiés et organisés par l’EIIL depuis la zone frontière .
54. Un État Membre s’est déclaré préoccupé par la vulnérabilité des Maldives vis-à-vis du phénomène des retours, le ratio de combattants par rapport à l’ensemble de la population du pays étant l’un des plus élevés au monde.
F. Asie du Sud-Est
55. Des États Membres estiment que les pertes enregistrées par l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne aggravent la menace en Asie du Sud-Est, l’organisation ayant répandu ses fonds et ses hommes à travers le monde. Bien que la majeure partie du millier de combattants terroristes étrangers originaires d’Asie du Sud-Est ne soit pas encore rentrée dans leur pays d’origine, les individus de retour et les combattants terroristes étrangers relocalisés constituent une menace transnationale . Les groupes liés à l’EIIL qui opèrent dans divers États Membres de la région collaborent et mutualisent les combattants, les fonds et les armes . En outre, des combattants venus de l’extérieur de la région ont été actifs, et, dans de nombreux cas, arrêtés ou tués dans la région .
56. La région a vu le nombre des complots terroristes augmenter sensiblement au cours des deux dernières années . Dans la seule Indonésie, au moins 10 attaques inspirées par l’EIIL ont été recensées entre janvier 2016 et juin 2017 . Les Moujahidin d’Indonésie orientale (MIT) (Qde.150) ayant été largement neutralisés, Jamaah Ansharut Daulah (JAD) (voir S/2017/573, par. 62) et Jamaah Ansarul Khilafah (JAK) restent les deux plus importants réseaux terroristes liés à l’EIIL en Indonésie, et sont tous deux présents dans plusieurs provinces . Le chef idéologique du JAD est Oman Rochman (QDi.407), tandis que le JAK est dirigé par l’ancien prisonnier et ex-membre de la Jemaah Islamiya (JI) (QDe.092) Abu Husna (non inscrit sur la Liste) . À ce jour, concernant ces deux groupes, le JAD a commis le plus d’attaques, mais le JAK est perçu comme une menace grandissante .
57. La mort du Malaisien Muhammad Wanndy Mohamed Jedi, figure influente des combattants terroristes étrangers qui fomentait des attaques contre la Malaisie à partir de la Syrie notamment l’attentat meurtrier du Movida (voir S/2017/35, par. 60), a provisoirement amoindri la menace pesant sur le pays. Dans l’ensemble, depuis 2013, 18 projets d’attentat ont été déjoués en Malaisie : certains étaient dirigés depuis la Syrie, d’autres inspirés par des locaux ou planifiés par des terroristes isolés . En 2017, les autorités malaisiennes ont, par ailleurs, démantelé sur le territoire national des cellules chargées de recruter des locaux et des étrangers pour combattre dans le sud des Philippines .
58. La défaite des groupes affiliés à l’EIIL dans la ville de Marawi, au sud des Philippines, après cinq mois d’intense guérilla urbaine, porte un coup sévère aux ambitions de l’EIIL dans la région. L’organisation a, en effet, perdu des dirigeants comme Isnilon Totoni Hapilon (QDi.204), « émir » de l’EIIL en Asie de l’Est , les frères Maute (voir S/2017/573, par. 59 et 60) et Mahmud Ahmad, un facilitateur malaisien bien établi , tous tués pendant cette période. Lors des combats pour reprendre la ville, les forces armées philippines ont été confrontées aux snipers, aux engins explosifs improvisés, aux manœuvres de diversion, aux attaques de drones, à l’usage par les terroristes de tunnels et trous de combats, ainsi qu’à l’utilisation de boucliers humains .
59. En dépit de ces pertes, Marawi est devenue, pour la propagande de l’EIIL, un symbole de victoire, l’organisation et ses affiliés ayant réussi à occuper une ville. D’après les États Membres, la menace de l’EIIL aux Philippines persiste, malgré la fin du siège et la mort des hauts responsables susmentionnés. D’après ceux-ci, le siège de Marawi pourrait avoir des répercussions à long terme dans la région et inspirer d’autres extrémistes. La publicité que lui a apportée le siège de Marawi est manifeste dans la décision de l’EIIL d’accroître sa présence en Asie du Sud-Est et d’inciter, par le biais de la propagande, les combattants terroristes étrangers à migrer vers cette région . Toutefois, à court terme, les militants affiliés à l’EIIL présents dans le sud des Philippines vont avoir besoin de temps pour se reconstituer, d’autant qu’aucun dirigeant ne semble s’imposer pour remplacer Hapilon et unir les différentes factions .
60. Les groupes affiliés à l’EIIL ne représentent pas la seule menace pesant sur l’Asie du Sud-Est : la région est visée par des groupes affiliés à Al-Qaida, qui exercent un attrait depuis longtemps . Les États Membres s’attendent à ce que les groupes affiliés à Al-Qaida en Asie du Sud-Est, et en particulier Jemaa Islamiya, fassent preuve, comme tous les autres fidèles d’Al-Qaida dans le monde, de résilience . Un revirement des allégeances à l’EIIL en faveur d’Al-Qaida est possible, car de nombreux militants de l’EIIL en Asie du Sud-Est étaient à l’origine membres de Jemaa Islamiya . Selon les États Membres, Jemaa Islamiya attend son heure et demeure dangereuse.
61. Les fonds qui servent à financer les groupes terroristes d’Asie du Sud-Est proviennent de dons de sympathisants (généralement par petites sommes), d’activités criminelles (voir S/2017/35, par. 61) et de la structure centrale de l’EIIL, et circulent par l’intermédiaire de pays tiers au sein ou non de la région . De la fin de 2016 à 2017, les groupes affiliés à l’EIIL dans le sud des Philippines ont reçu de la structure centrale de l’organisation des centaines de milliers de dollars, en prévision du siège de Marawi . Le siège pourrait en outre avoir été une aubaine financière, les groupes affiliés à l’EIIL ayant pu collecter des fonds considérables en pillant les banques de la ville. À ce jour, seules certaines d’entre elles ont été reprises par les autorités .
III. Évaluation de l’impact
62. De multiples parties prenantes régionales ont intensifié leurs efforts contre l’EIIL. À cet égard, l’Arabie saoudite a convoqué, en novembre 2017, la première réunion des ministres de la défense de la coalition militaire islamique antiterroriste, coalition de 41 États Membres consacrée à la lutte contre l’EIIL. En outre, la Turquie a pris des mesures pour empêcher l’EIIL d’accéder au système financier, de générer des fonds et perturber le mouvement des combattants terroristes étrangers et des fonds opérés avec le concours d’intermédiaires ou de facilitateurs.
63. Les antiquités volées ou pillées sont difficiles à estimer, celles-ci provenant aussi bien des musées et des entrepôts que des sites de fouilles archéologiques et des cimetières. En outre, des objets jusque-là inconnus ont été découverts lors des pillages. Toutefois, un État Membre estime que le nombre d’objets illégalement enlevés de Syrie pourrait atteindre un million de pièces. Les États Membres voisins de la zone de conflit ont saisi plusieurs dizaines de milliers d’articles au cours des dernières années . Si les stocks de certains musées ont été évacués, les collections d’autres musées, tels que celui d’Edleb, sont considérées comme entièrement « perdues ». Un État Membre a indiqué que les pièces des musées syriens, y compris les objets entreposés, étaient généralement consignés dans le catalogue national syrien tenu par la Direction générale des antiquités et des musées.
64. Les États Membres ont appelé l’attention de l’Équipe de surveillance sur le fait que les pièces des musées syriens et iraquiens sont généralement marquées d’un numéro d’inscription inscrit à l’encre indélébile. Ce numéro correspond à celui qui figure dans le catalogue du Musée lui-même. Il est difficile de l’enlever sans endommager la pièce. Par conséquent, ces numéros de consignation au catalogue peuvent servir à identifier les objets volés aux musées dans la zone de conflit. Cela peut permettre aux autorités des États Membres et aux participants du secteur privé de détecter les articles suspects.
65. L’Équipe de surveillance recommande au Comité d’écrire à l’Iraq et à la République arabe syrienne, ainsi qu’aux autres États Membres exposés au risque de voir leur patrimoine culturel pillé par des organisations terroristes, afin de mettre l’accent sur l’utilité des numéros d’inscription dans le catalogue aux fins d’identifier des biens volés et pillés, et pour les encourager à établir des listes de numéros à partir des catalogues des musées et à échanger avec les États limitrophes des zones de conflit ainsi que les pays de destination possible des antiquités volées ou pillées, ainsi qu’avec les organisations internationales compétentes, les numéros des objets en question, réputés ou supposés avoir été pillés ou volés.
IV. Sanctions
A. Interdiction de voyager
66. Les États Membres craignent qu’à la suite de la défaite militaire de l’EIIL en Iraq et en République arabe syrienne, un nombre important de combattants terroristes étrangers actuellement dans les deux pays, ne décident de partir, soit pour rentrer chez eux soit pour se réinstaller dans d’autres zones de conflit, faute de pouvoir se fondre facilement dans la population locale. L’EIIL a récupéré des passeports et autres pièces d’identité de combattants terroristes étrangers à leur arrivée et les a stockés en vue d’éventuels voyages à l’étranger . En outre, l’EIIL a emporté environ 9 700 passeports syriens vierges lorsqu’il s’est emparé de bureaux administratifs dans différentes villes du pays . Bien que ces passeports aient été signalés à l’Organisation internationale de police criminelle (INTERPOL) pour être ajoutés à la base de données sur les documents de voyage perdus ou volés (SLTD), les États Membres ont souligné le risque que les combattants terroristes étrangers rentrant au pays ou « relocalisés » puissent les utiliser pour tenter de voyager à l’international.
67. Les États Membres, en particulier ceux qui bordent les zones de conflit, continuent de mettre en lumière les difficultés rencontrées pour identifier les combattants terroristes étrangers, les combattants qui rentrent dans leur pays et ceux qui sont « relocalisés », ainsi que les personnes inscrites sur la Liste. Si les notices spéciales INTERPOL-Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies, dans leurs versions publiques comme confidentielles, contiennent des données biométriques des personnes inscrites sur la Liste, la collecte de ces données et l’inclusion des données biométriques des personnes inscrites sur la base de données des combattants terroristes étrangers d’INTERPOL restent une tâche cruciale, car elles permettent aux États Membres d’identifier les individus, et ce indépendamment des documents de voyage qu’ils présentent aux autorités.
68. Le 21 décembre 2017, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2396 (2017), mettant en évidence la question des combattants terroristes étrangers rentrant dans leur pays d’origine ou se relocalisant dans un pays tiers. La résolution est une mise à jour de la résolution 2178 (2014) et aborde un large éventail de sujets. Elle comprend des mesures en rapport avec les évaluations des menaces et les recommandations formulées par l’Équipe de surveillance depuis 2016. Le Conseil de sécurité, au paragraphe 15 de la résolution, met également l’accent sur l’importance des données biométriques dans l’identification des combattants terroristes étrangers et encourage les États Membres à les communiquer à INTERPOL.
69. L’Équipe de surveillance recommande au Comité d’écrire aux États Membres en soulignant l’importance du contrôle des déplacements internationaux des combattants terroristes étrangers rentrant dans leur pays d’origine ou se relocalisant dans un pays tiers et des personnes inscrites sur la Liste ; l’importance des données biométriques aux fins de l’identification des individus, en particulier des personnes susceptibles de voyager avec des documents volés, falsifiés ou altérés ; et l’urgence de la question. Eu égard à la résolution 2396 (2017), elle encourage à nouveau ceux qui ne l’ont pas encore fait, dans le respect de leur législation et de leur réglementation nationales, à communiquer au Comité des données biométriques, notamment des images de haute qualité et des relevés d’empreintes digitales des personnes inscrites sur la Liste relative aux sanctions, et à transmettre à Interpol les mêmes données biométriques relatives aux combattants terroristes étrangers, aux combattants qui rentrent dans leur pays et à ceux qui sont « relocalisés ».
70. Dans la résolution 2396 (2017), le Conseil de sécurité souligne également que les données des dossiers passagers (PNR) en sus des renseignements préalables concernant les voyageurs (RPCV/API) constituent un outil important et encourage les États Membres à communiquer les données PNR aux États Membres concernés, afin de détecter les combattants terroristes étrangers qui rentrent dans leur pays d’origine ou de nationalité, ou qui se rendent dans un pays tiers ou s’y réinstallent. Le paragraphe 12 de la résolution encourage également les États Membres à utiliser les données PNR pour appliquer l’interdiction de voyager imposée aux personnes inscrites sur la Liste relative aux sanctions. L’Équipe de surveillance examine la question des données PNR avec l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et l’Association du transport aérien international (IATA) depuis 2013. Elle poursuivra sa collaboration avec les États Membres, les organisations internationales et les associations, ainsi que les parties prenantes du secteur privé au titre de cette question et informera le Comité de ses conclusions en temps voulu.
71. Après l’adoption de la résolution 2178 (2014), l’Équipe de surveillance a continué de collaborer avec les États Membres, l’OACI, l’IATA et des acteurs du secteur privé sur la mise en œuvre de systèmes de renseignements préalables concernant les voyageurs (RPCV/API). L’Équipe de surveillance participe activement aussi aux ateliers sur les RPCV/API organisés par l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme. En octobre 2017, l’OACI a adopté les RPCV/API comme nouvelle norme à l’annexe 9 de la Convention relative à l’aviation civile internationale . L’Équipe de surveillance a pris une part active aux discussions lors de l’adoption par le Conseil de l’OACI. L’adoption des RPCV/API comme norme mondiale est une étape importante pour veiller à ce que le flux des données relatives aux passagers puisse être utilisé efficacement pour appliquer l’interdiction de voyager visant les personnes inscrites sur la Liste et pour contrôler le flux des combattants terroristes étrangers, des combattants qui rentrent dans leur pays et de ceux qui sont « relocalisés ».
72. L’Équipe de surveillance a également poursuivi sa coopération avec les États Membres concernant la mise en œuvre de l’interdiction de voyager aux frontières terrestres. Dans de nombreux cas, les frontières poreuses et les défis liés à la gestion des frontières continuent d’entraver une mise en œuvre efficace. Les mesures inadaptées pour vérifier si des noms figurent sur la Liste des sanctions aux points de passage des frontières terrestres et maritimes, sont précisément susceptibles d’être exploitées par les combattants terroristes étrangers empruntant des itinéraires indirects ou « fractionnés » pour rentrer chez eux ou se réinstaller dans d’autres zones de conflit. En outre, certains États Membres ont exprimé la crainte de voir ces combattants exploiter les dispositions relatives à la libre circulation des personnes prévues dans certains blocs économiques régionaux pour faciliter leurs déplacements. Le partage de l’information reste une mesure essentielle de contrôle à cet égard.
73. L’Équipe de surveillance recommande au Comité d’écrire aux États Membres, pour mettre l’accent sur le risque que la porosité des frontières terrestres et maritimes présente pour les voyages de personnes figurant sur la Liste, les combattants terroristes étrangers, les combattants qui rentrent dans leur pays et ceux qui sont « relocalisés » et d’encourager ceux qui ne l’ont pas encore fait, conformément à leur législation et à leur réglementation nationales, à mettre en place des mesures de contrôle des frontières appropriées, tels que des mécanismes bilatéraux ou régionaux d’échange d’informations pour régler cette question.
74. Comme indiqué dans le rapport précédent (voir S/2017/573, par. 92), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a établi un nouveau système d’information migratoire et d’analyse des données (MIDAS). Ce système est actuellement opérationnel dans 19 pays, principalement en Afrique. Bien qu’il ne soit pas conçu comme un système de contrôle des frontières, les RPCV/API, les notices d’INTERPOL et les bases de données ainsi que d’autres systèmes de gestion des frontières peuvent y être intégrées. Plusieurs États Membres l’exploitent non seulement à leurs frontières, mais aussi dans les camps de réfugiés et de personnes déplacées. Compte tenu de l’importance croissante de cet outil, l’Équipe de surveillance continuera de collaborer avec les États Membres ainsi qu’avec l’OIM pour recueillir des informations supplémentaires sur ses caractéristiques techniques afin d’en donner un aperçu au Comité dans le cadre de l’un de ses exposés prévus au paragraphe 99 de la résolution 2368 (2017).
B. Gel des avoirs
75. L’Équipe de surveillance continue à coopérer avec les États Membres, l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), notamment en ce qui concerne leur Programme mondial conjoint de contrôle des conteneurs pour sensibiliser au rôle stratégique des administrations douanières dans l’application du gel des avoirs en lien avec les mouvements internationaux de marchandises et de devises, ainsi qu’à l’embargo sur les armes. En novembre 2017, l’ONUDC a présenté au Comité un exposé sur ce programme.
76. Lors des visites qu’elle a effectuées auprès des États Membres, l’Équipe de surveillance a continué à souligner l’importance d’une communication et d’un échange d’informations efficaces entre les autorités douanières et les services de police, de renseignement et de sécurité compétents. À cet égard, elle encourage les États Membres à participer au Programme mondial de contrôle des conteneurs. Ce programme leur permet d’assurer le partage transversal d’information dans un cadre structuré. L’élément central du programme est la création d’unités de contrôle portuaire , composées de membres du personnel de différents services de sécurité et de forces de l’ordre, y compris les douanes, la police et les services de renseignement.
77. Les agents d’unités de contrôle portuaire sont équipés et formés pour mieux identifier et inspecter les conteneurs à haut risque grâce à l’analyse des risques et d’autres techniques de profilage en utilisant toutes les informations disponibles. Les unités de contrôle portuaire sont dotées des moyens nécessaires pour échanger des informations avec leurs homologues dans d’autres pays grâce à une application de communication sécurisée mise au point par l’Organisation mondiale des douanes appelée ContainerCOMM.
78. Lors de ses visites auprès des États Membres, l’Équipe de surveillance a noté que la coopération entre les services des douanes et les services de renseignement financier se limitait généralement à une analyse distincte des informations obtenues à partir des déclarations de devises et d’autres instruments financiers fournis par les services douaniers et dans les déclarations d’opérations suspectes communiquées par les services de renseignement financier. Les États Membres qui ont mis en place des flux d’information partagé ont souligné que la combinaison des deux niveaux d’information donnait nettement de meilleurs résultats dans la lutte contre le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent.
79. Un État Membre a créé une équipe mixte permanente composée d’experts de la cellule de renseignement financier et des douanes qui se réunit régulièrement pour traiter et analyser les données des flux financiers liés au commerce international des marchandises, ainsi que des données disponibles dans les formulaires de déclaration de devises et les opérations suspectes. Cette analyse conjointe facilite l’identification des infractions, notamment le financement du terrorisme et les mouvements de biens et de devises, directement ou indirectement, vers les personnes et entités inscrites sur la Liste. Ces autorités pourraient atteindre une plus grande capacité de gestion des risques dans des zones très vulnérables au financement du terrorisme et du commerce illicite d’objets d’art et de produits de luxe dans les zones ou ports francs.
80. L’Équipe de surveillance recommande au Comité d’écrire aux États Membres pour encourager ceux qui ne l’ont pas encore fait à envisager, dans le respect de leur législation et de leur réglementation nationales, des mesures telles que la création d’une équipe mixte permanente composée d’experts de la cellule de renseignement financier et des douanes afin d’améliorer l’échange d’informations et les analyses conjointes, entre les services douaniers et les cellules de renseignement financier, notamment en matière de flux financiers liés au commerce international de biens.
81. Au cours de la période considérée, l’Équipe de surveillance a continué ses échanges avec les acteurs du secteur privé du milieu financier. En octobre 2017, elle a participé pour la première fois à une conférence coorganisée par l’Union des banques arabes, la Banque fédérale de réserve de New York et le Fonds monétaire international, qui s’est tenue au siège de la Banque fédérale de réserve. L’Équipe de surveillance a souligné que le régime des sanctions constituait un outil essentiel dans la lutte mondiale contre le financement du terrorisme et a présenté son évaluation de la menace concernant l’évolution des pratiques de financement de l’EIIL après les revers militaires subis en Iraq et en République arabe syrienne. Les participants ont relevé l’importance que revêtait un tel échange direct pour leurs travaux visant à atténuer le risque de financement de l’EIIL et d’Al-Qaida, en particulier pour ce qui relève des relations de correspondants bancaires, et pour leurs efforts visant à accroître la vigilance des institutions financières afin d’assurer le flux de transactions à partir et vers des zones de conflit, tout en atténuant le risque d’utilisation abusive par l’EIIL et Al-Qaida. L’Équipe de surveillance examine actuellement avec l’Union des banques arabes la possibilité de poursuivre un dialogue structuré et approfondi.
C. Embargo sur les armes
82. Le flux d’armes et de munitions vers des personnes et entités inscrites sur la Liste demeure un sujet de préoccupation pour les États Membres. Empêcher que le flux d’armes licites ne soit détourné et utilisé par des groupes terroristes est un défi tant pour le secteur privé, que pour les autorités. Un État Membre a expliqué que certains fabricants assuraient le contrôle direct de leurs propres livraisons à l’étranger, en faisant voyager leur personnel à bord des navires qui transportaient les armes. Toutefois, les États Membres ont également souligné que les armes dans les zones de conflit étaient vendues au travers des lignes de front et entre les différents groupes. Par conséquent, veiller à ce que le destinataire final officiel ne détourne pas le matériel demeure d’une importance capitale.
83. L’Équipe de surveillance recommande au Comité d’écrire aux États Membres et d’inviter ceux qui ne l’ont pas encore fait, conformément à leur législation et à leur réglementation nationales, à sensibiliser les fabricants d’armes concernés au risque de détournement d’armes et de munitions livrées vers des organisations terroristes, et à la mise en œuvre de procédures détaillées et approfondies concernant l’identité des clients, afin d’atténuer ce risque.
84. L’Équipe de surveillance continue de participer activement à divers forums internationaux d’experts concernant les engins explosifs improvisés. Les États Membres ont appelé l’attention de l’Équipe de surveillance sur le fait que la plupart des composants d’engins explosifs improvisés utilisés dans des attaques terroristes avaient été fournis et assemblés au niveau local ou régional. Par conséquent, l’échange d’informations entre les services de renseignement et les forces de l’ordre, y compris les services des douanes, dans les États Membres et entre les États Membres sur la question des composants d’engins explosifs improvisés est un outil essentiel pour atténuer cette menace.
85. Le Programme « Global Shield » vise à réduire la capacité des terroristes d’obtenir des matériaux pour la conception d’engins explosifs improvisés. Le Programme s’emploie à donner aux services de douanes et de contrôle aux frontières compétents davantage de moyens à la fois pour surveiller les mouvements licites de produits chimiques et de composants pouvant être utilisés par des terroristes pour fabriquer des engins explosifs improvisés, et pour lutter contre les détournements illicites et le trafic. Actuellement, 94 pays y participent et sont reliés par un système de communication sécurisée permettant d’échanger des informations sur les envois suspects et de signaler des saisies. Initialement axé sur la région de l’Asie centrale, l’Afghanistan, l’Inde et le Pakistan, le programme s’étend à présent à l’Afrique, au Moyen-Orient et à l’Asie du Sud-Est.
86. L’Équipe de surveillance recommande au Comité d’écrire aux États Membres pour encourager ceux qui ne l’ont pas encore fait, et, dans le respect de leur législation et de leur réglementation nationales, à échanger des informations sur les matériaux utilisés par des terroristes dans le cadre du Programme « Global Shield », afin de veiller à ce que les mesures de surveillance internationale de ces matériaux puissent être actualisées en conséquence. En outre, l’Équipe de surveillance recommande au Comité d’écrire aux États Membres pour encourager ceux qui ne l’ont pas encore fait à participer au Programme.
87. Les États Membres continuent de s’inquiéter du mésusage par les groupes terroristes des drones disponibles dans le commerce, notamment à la suite de l’utilisation fréquente de drones par l’EIIL (S/2017/573, par. 18 et 96). Certains États Membres exercent un contrôle sur l’importation et la commercialisation de ces équipements. Toutefois, la non-réglementation de la vente globale de drones sur Internet a été soulignée comme un risque potentiel pour la sécurité .
D. Liste relative aux sanctions
88. Au cours de la période considérée, les États Membres de plusieurs régions ont activement participé au processus d’inscription des individus et des entités associés à l’EIIL et à Al-Qaida. Sur la base de ces propositions, huit personnes et cinq entités ont été ajoutées à la Liste relative aux sanctions, dont plusieurs combattants terroristes étrangers notoires de l’EIIL, des facilitateurs et des bailleurs de fonds de l’EIIL et d’Al-Qaida. Dans le même temps, grâce à une collaboration active avec les États Membres, la qualité des entrées de la Liste a également été nettement améliorée. Bien que la Liste reste le principal instrument opérationnel de mise en œuvre des mesures de sanctions imposées par le régime, elle devient également de plus en plus un document stratégique qui reflète l’évolution de la menace posée par l’EIIL et Al-Qaida. Le Secrétariat continue de tenir l’Équipe de surveillance informée du développement d’un modèle de données amélioré, conformément au paragraphe 48 de la résolution 2253 (2015).
89. Actuellement, les données biométriques des personnes inscrites sur la Liste sont transmises uniquement via les notices spéciales INTERPOL-Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies. Par conséquent, la distribution de ces données est limitée aux autorités des États Membres qui ont accès aux données fournies par INTERPOL. La transmission des données biométriques -en particulier les photographies- par le biais de la Liste, permettrait à un plus nombre d’autorités, ainsi que d’acteurs du secteur privé d’avoir accès à ces informations.
90. L’Équipe de surveillance recommande au Comité de demander au Secrétariat d’étudier, en coopération avec elle, les possibilités techniques quant à la manière dont les données biométriques, en particulier les photographies des personnes inscrites sur la Liste, pourrait être diffusées par l’intermédiaire de la Liste relative aux sanctions, en particulier des agents d’exécution qui se servent d’une version imprimée de la Liste pour effectuer le contrôle.
V. Activités de l’Équipe de surveillance et observations
91. Entre juin et décembre 2017, l’Équipe de surveillance a effectué 20 visites de pays et visites techniques. Elle a continué de promouvoir le régime de sanctions en participant à 42 conférences, réunions et ateliers internationaux, organisés notamment par l’ONUDC, l’Union européenne, le Forum mondial de lutte contre le terrorisme, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), l’Organisation de Shanghai pour la coopération, l’Organisation du Traité de sécurité collective, l’Autorité intergouvernementale pour le développement, la Commission de l’Union africaine et l’International Peace Support Training Centre. Elle participe également au Groupe de lutte contre le financement de l’EIIL, ainsi qu’au groupe de travail sur les combattants terroristes étrangers de la Coalition mondiale contre Daech.
92. Elle a tenu avec les services de renseignements et de sécurité deux réunions régionales consacrées à la menace que représentent l’EIIL, Al-Qaida et les personnes et entités qui leur sont associées en Asie du Sud-Est et en Afrique de l’Ouest. Elle a sensibilisé les services participants à la possibilité d’utiliser le régime des sanctions comme partie intégrante d’une stratégie nationale de lutte contre le terrorisme et les a encouragés à échanger davantage d’informations au niveau régional pour lutter contre cette menace. Pendant la période considérée, aucun État Membre n’a fourni d’informations précises démontrant que l’EIIL participait directement à la traite d’êtres humains et à des violences sexuelles pour générer des revenus pour le groupe.
93. L’Équipe de surveillance a continué de communiquer avec des entités et associations des secteurs de la finance, de l’énergie, du commerce d’antiquités et des technologies de l’information et des communications. Au cours de la période considérée, elle a poursuivi sa coopération avec des acteurs privés du secteur des technologies de l’information et des communications et participé à plusieurs ateliers, ainsi qu’à une réunion spéciale organisée par l’ICT for Peace Foundation, la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme et l’ONUDC. Lors de ces réunions, l’Équipe de surveillance a sensibilisé les participants aux dispositions du régime de sanctions et à la Liste relative aux sanctions. Elle coopère étroitement avec la Direction exécutive pour établir les rapports demandés par le Secrétaire général (voir la résolution 2368(2017), par. 101). Elle reste un membre actif de l’Équipe spéciale de lutte contre le terrorisme et participe à ses groupes de travail.
94. En collaboration avec l’Équipe de surveillance, la Direction exécutive du Comité contre le terrorisme et INTERPOL, le Programme mondial contre le blanchiment d’argent, le crime et le financement du terrorisme de l’ONUDC a mis au point une formation de trois jours consacrée à l’EIIL (Daech), Al-Qaida et aux régimes de sanctions établis par la résolution 1988. Dans le cadre de la phase pilote du projet, deux sessions de formations de formateurs ont été organisées par l’OSCE et le Programme mondial, avec la participation dynamique de l’Équipe de surveillance. La première session de formation intégrale s’est tenue à Bichkek du 12 au 15 décembre 2017. Quinze agents de divers organismes gouvernementaux kirghizes y ont assisté. Les États-Unis d’Amérique et la Fédération de Russie ont versé des contributions volontaires pour l’élaboration et la mise en œuvre du projet. En outre, l´Équipe de surveillance continue de participer activement aux ateliers du Service de la prévention du terrorisme de l’ONUDC axés sur la prévention et la lutte contre l’usage illicite des produits chimiques à double usage en Iraq, et a pris part à la première réunion du groupe d’experts sur les engins explosifs improvisés, présidée par le Service de la prévention du terrorisme et le Programme mondial, qui s’est tenue du 28 au 30 novembre 2017 à Vienne.
95. L’Équipe de surveillance accueillera volontiers des observations sur le présent rapport, à lui communiquer à l’adresse suivante : 1267mt@un.org.
Annexe
Procédures engagées par des personnes inscrites sur la Liste relative aux sanctions, ou les concernant
1. Les procédures judiciaires pendantes ou récemment achevées concernant des personnes ou des entités inscrites sur la Liste relative aux sanctions contre l’EIIL (Daech) et Al-Qaida ou dont les noms ont été radiés de la Liste par le Comité, et dont l’Équipe de surveillance a connaissance, sont présentées ci-dessous.
Pakistan
2. Le recours formé par Al Rashid Trust (QDe.005) contre l’application de sanctions à son égard reste pendant devant la Cour suprême du Pakistan, qui est saisie d’un appel interjeté par le Gouvernement contre une décision défavorable rendue en 2003. Le recours similaire formé par Al-Akhtar Trust International (QDe.121) reste en instance devant une juridiction inférieure .
3. Dans une affaire distincte, un administrateur de la Pakistan Relief Foundation [inscrite sur la Liste comme alias d’Al-Akhtar Trust International (QDe.121)] a contesté le gel de son compte bancaire .
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord
Abdulbasit Abdulrahim, Abdulbaqi Mohammed Khaled et Maftah Mohamed Elmabruk (tous radiés de la Liste) contestent la légalité de la procédure par laquelle le Royaume-Uni les a désignés pour inscription sur la Liste relative aux sanctions. Des audiences concernant l’utilisation d’éléments confidentiels sont en cours dans le cadre de ces affaires .
Référence : Onu S/2018/14/Rev.1
[1] Inscrit sur la Liste sous le nom d’Al-Qaida en Iraq (QDe.115)
[2] L’expression « voyageurs frustrés » désigne des personnes qui avaient l’intention de voyager dans des zones de conflit, mais qui en ont été empêchées en raison du renforcement des mesures de contrôle prises par les États Membres et qui sont restées radicalisées.
Restez en contact
Suivez-nous sur les réseaux sociaux
Subscribe to weekly newsletter