Nos éminents confrères n’ont pas manqué d’analyser la composition du nouveau gouvernement. Ils ont souscrit à la fierté du Premier ministre devant la féminisation et le rajeunissement de cette équipe. Ils ont disserté sur l’équilibre subtil entre les appareils UDF et RPR.

Ils ont glosé sur l’origine régionale des ministres. Autant de remarques sans surprise qui illustrent une vision communautariste de la société où l’on partage les maroquins équitablement entre groupes de pression. A ces commentaires nous voudrions opposer une autre analyse, fondée quant à elle sur des critères républicains : les ministres ont-ils été choisis en fonction de leurs mérites personnels ou de leur appartenance à une caste ? Sont-ils démocrates ou sont-ils liés à l’extrême droite ?

Un gouvernement de caste.

Sous l’Ancien Régime, les hauts fonctionnaires (nobles ou roturiers) étaient propriétaires de leurs charges et pouvaient donc soit les vendre, soit les léguer. En république, "les hommes naissent libres et égaux en droits". Pourtant :
 3 ministres sur 42 (7%) sont enfants de ministre (Jean-Louis Debré, Françoise de Panafieu, Jean-Pierre Raffarin).
 3 ministres (7%) sont enfant ou gendre de parlementaire (Jacques Barrot, Yves Galland, Anne-Marie Idrac).

En outre, trois ministres n’ont jamais exercé de profession autre que celle d’apparatchik au sein d’un parti politique (Jacques Barrot, François Fillon, Eric Raoult)

Par ailleurs, si l’on classe les ministres selon leur carrière professionnelle, on observe :
 17 fonctionnaires (40%)
 12 professions libérales (28%)
 10 cadres du secteur privé (23%)
 3 apparatchiks (7%)

Une origine socioprofessionnelle qui doit leur rendre particulièrement difficiles la perception et la compréhension du chômage.

Un gouvernement virtuellement d’extrême droite.

Dix-sept ministres ont commencé leur carrière politique à l’extrême droite. Erreurs de jeunesse dit-on. Ils sont censés avoir rompu avec leur sombre passé. Mais ils en ont conservé leur formation, leur culture et souvent quelques discrètes connivences. En temps normal, cela n’a que peu d’importance, mais en période de crise aiguë, ils pourraient retrouver de vieux réflexes. De ce point de vue, leur présence incroyablement forte (40% !), imposée par Jacques Chirac à Alain Juppé, sera inévitablement source de tension au sein du gouvernement. Le Premier ministre aura beaucoup de difficultés à empêcher les dérapages. Inventaire et pedigree :

Jacques Toubon (Justice)

Enarque, fidèle de Jacques Chirac, il partage avec lui (ainsi que Tiberi et Romani) les secrets financiers de la Ville de Paris. Sous des allures joviales se cache un homme d’ordre, partisan de la censure de la presse ou du relèvement de l’âge de la majorité sexuelle. Il vient de nommer le secrétaire général de l’APM (syndicat de magistrats d’extrême droite) au sein de son cabinet. Son frère Robert était directeur du Quotidien de Paris.

Alain Madelin (Economie et finances)

Il fut l’un des quatre fondateurs du mouvement d’extrême droite Occident. Dans les années 68, il collabora à l’Institut d’histoire sociale de Georges Albertini. Convaincu des vertus de la violence pour sélectionner les meilleurs, il est partisan du libéralisme économique intégral. Il a fondé Idées-Actions, un club recrutant au sein du PR et du CNI et sponsorisé par des patrons de choc.

François Bayrou (Education nationale)

Agrégé de lettres classiques. Il a tenté d’abroger la loi Falloux avant de se cacher derrière un projet de loi de programmation, s’est fait élire à la présidence du CDS avec le soutien des villiéristes avant de les trahir, a soutenu Edouard Balladur et ne s’est rallié à Jacques Chirac qu’après le premier tour, s’est opposé au référendum sur l’éducation qu’il mettra pourtant en oeuvre, etc.

Bernard Pons (Aménagement du territoire)

Médecin généraliste. Une reconversion à la Croix-Rouge (qui intervient pour sauver les blessés en cas de conflit) semble compromise pour celui qui a ordonné en 1988, en tant que ministre des DOM-TOM, l’assaut de la grotte d’Ouvéa en Nouvelle-Calédonie : vingt et un morts.

Hervé de Charette de La Contrie (Affaires étrangères)

Enarque, a fait carrière dans le sillage de Valéry Giscard d’Estaing, qui est justement l’actuel président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale. Descendant du chef des insurgés vendéens, il cultive la nostalgie de la contre-révolution dans son village de Florent-le-Vieil.

Charles Millon (Défense)

Conseiller juridique. Il milita activement au sein de l’Astrolabe, un club catholique contre-révolutionnaire présidé par son beau-père Michel Delsol. Ce n’est qu’en 1988 qu’il rompit vraiment avec le Front national tout en conservant des liens avec des groupes monarchistes.

Jean-Louis Debré (Intérieur)

Magistrat. Fils de Michel Debré, premier ministre belliciste du général De Gaulle, et frère jumeau de Bernard Debré, ministre balladurien. Jean-Louis fut le chef de cabinet de Maurice Papon, lequel avait été préalablement préfet de Vichy (il est à ce titre actuellement mis en examen pour crimes contre l’humanité) puis préfet de police de Paris et, à ce titre, instigateur du carnage anti-algérien du 17 octobre 1961.

Roger Romani (Relations avec le Parlement)

Ex-journaliste à l’ORTF. Il commença sa carrière au cabinet d’Yves Guéna, ministre de l’Information, d’où il sanctionna ses anciens camarades de l’ORTF trop turbulents. Fidèle de Jacques Chirac, il est l’un des trois délégués financiers du maire de Paris (avec Tiberi et Toubon). A ce titre, il est coresponsable des finances de la capitale, et de ses secrets.

Jacques Barrot (Dialogue social et participation)

Il a accepté de sacrifier sa vocation sacerdotale et de quitter le séminaire pour succéder à son papa comme député-maire d’Yssingeaux. Bien qu’il n’ait jamais exercé d’autre métier dans la vie que celui de permanent du CDS, le voici ministre du Travail, lui qui confesse une pieuse adoration pour Jean-Paul II et qui récite les encycliques sociales.

Philippe Douste-Blazy (Culture)

Médecin et maire de Lourdes. Si cet ancien ministre balladurien de la Santé a survécu à la présidentielle, ce n’est pas par l’effet d’un miracle, mais parce qu’il a su tirer parti de la haine que lui voue son ex-ministre de tutelle, Simone Veil. Du coup, Chirac l’a trouvé sympathique. Pas vous ?

Jean Arthuis (Développement économique et plan)

Expert-comptable. Catholique pratiquant, spécialiste des placements financiers.

Claude Goasguen (Réforme de l’Etat, décentralisation, citoyenneté)

Recteur d’académie. A commencé sa carrière universitaire à la corpo de droit pour scander "Algérie française !" aux côtés de Jean-Marie Le Pen.

Célèbre avant 1981 pour ses positions franchement réactionnaire alors qu’il était directeur au ministère de l’Education. Il n’avait rien d’autre à faire ces derniers jours que de préparer deux propositions de loi : l’une contre les sex-shops et les peep-shows, l’autre contre les "agences de rencontres".

Jean Puech (Fonction publique)

Prof de physique. PR tendance barriste. En 93, il avait consacré un rapport aux assistantes sociales qui, par "mauvaise formation" et "immaturité", accordent inconsidérément le RMI. Ex-ministre balladurien de la pêche, il a survécu à l’insurrection des marins-pêcheurs.

Elisabeth Hubert (Santé publique et assurance maladie)

Médecin. Ancienne syndicaliste. Il lui est arrivé de reconnaître quelques erreurs, une forme d’intelligence rare en politique, ce qui lui a valu d’affronter la jalousie de Simone Veil.

Eric Raoult (Intégration et lutte contre l’exclusion)

Attaché de presse, administrateur d’Evasion FM. Formé par Robert Calmejane, un des gros bras du gaullisme pasquaïen, il entra en politique en cassant du gauchiste avec ses compagnons de l’UNI, d’Ordre nouveau et du comité de soutien au Sud-Vietnam. Fondateur de France d’abord, il mena campagne avec Marie-Caroline Le Pen contre SOS Racisme. Il a choisi comme suppléant Pierre Bernard, maire de Montfermeil, connu pour avoir établi des listes d’enfants étrangers visant à leur refuser l’accès aux services communaux.

Colette Codaccioni (Solidarité entre les générations)

Sage-femme. Chargée de mission par Edouard Balladur, elle rendit un rapport sur la famille débutant par cette citation : "Je vous salue Marie, le fruit de vos entrailles est béni (...)"... Elle proposa de supprimer la politique sociale et de lui substituer une politique familiale avec salaire maternel. Hostile à l’avortement, elle a choisi Clara Lejeune comme directeur de cabinet (voir p.36). Son ministère absorbe le secrétariat d’Etat aux droits des femmes (à rester à la maison).

Philippe Vasseur (Agriculture et alimentation + pêche)

Journaliste, ancien rédacteur en chef des pages saumon du Figaro. Partisan de l’utra-libéralisme économique, il a suivi Alain Madelin dans son aventure en marge du PR.

Yves Galland (Industrie)

Directeur de communication. Gendre du sénateur Adolphe Chauvin, il a adhéré au Parti radical valoisien, tendance affairiste. Il est adjoint de Jacques Chirac à la mairie de Paris, chargé de la construction (de bureaux) et du logement (des copains).

Pierre-André Périssol (Logement)

Polytechnicien. Président de la chambre syndicale du Crédit immobilier de France, fondateur du groupe Arcade. Ancien conseiller de Jacques Barrot (voir plus haut), ce grand promoteur immobilier milite pour diverses mesures fiscales et bancaires favorables à sa corporation.

Jean-Pierre Raffarin (PME, commerce, artisanat)

Ex-directeur général de Bernard Krief Communication. Fils de Jean Raffarin, ancien ministre. Il commença sa carrière auprès de Michel Poniatowski, fonda Génération sociale et libérale puis l’institut Euro-92 avec Alain Madelin.

François Fillon (Technologies de l’information et Poste)

Apparatchik, formé par Joël Le Theule. Il s’est montré particulièrement inefficace comme ministre de la Recherche et de l’enseignement supérieur du gouvernement Balladur.

Jean-Jacques de Peretti (Outre-mer)

Diplômé de Sciences-Po, ex-conseiller du président d’IBM Europe, il fut conseiller en communication de Jacques Chirac pendant la première cohabitation. Très proche d’Alain Juppé, il était président de l’Association nationale pour le débat, une structure chargée de torpiller la candidature Balladur.

Corinne Lepage (Environnement)

Avocate internationale, spécialisée dans le droit de l’environnement. Membre de l’institut Euro-92 d’Alain Madelin.

Guy Drut (Jeunesse et sports)

Médaille d’or au 110 mètres haies aux JO de 1976. Membre du comité d’éthique du Loto sportif. Proche de Jacques Chirac, qui est le parrain de sa fille Elodie.

Françoise de Panafieu (Tourisme)

Sociologue. Fille de François Missoffe, ancien ministre et d’Hélène Missoffe comtesse de Mitry, ancienne ministre ; nièce de Jean-François Poncet, également ancien ministre ; épouse de Guy de Panafieu, numéro deux de la Lyonnaise des eaux, l’une des deux entreprises françaises les plus accusées de corruption. Françoise de Panafieu s’est rendue célèbre en expurgeant des bibliothèques de la Ville de Paris des ouvrages "contraires aux bonnes moeurs" alors qu’elle était adjointe au maire de Paris, en charge de la culture.

Pierre Pasquini (Anciens combattants et victimes de guerre)

Avocat. Gaulliste historique, ancien des Forces françaises libres, il fut deux fois vice-président de l’Assemblée nationale. Proche des milieux nationalistes corses bien que RPR.

Jacques Godfrain (Coopération)

Formé à l’action secrète par Jacques Foccart, le faiseur de dictatures africaines, il fut trésorier du SAC, la police politique du gaullisme aujourd’hui dissoute. Il est par ailleurs membre du Club de l’Horloge, le laboratoire de manipulation intellectuelle des technocrates du Front national, et de la droite dure en général.

Michel Barnier (Affaires européennes)

Diplômé de l’ESC, catholique pratiquant, il avait choisi l’opusien Hervé Gaymard comme suppléant dans sa circonscription de Savoie. Pour lui, "il n’y a plus ni gauche, ni droite" mais "une seule politique possible (...)"..., celle de la technocratie.

Xavier Emmanuelli (Urgence humanitaire)

Médecin créateur du SAMU social de Paris. Proposant la charité catholique pour tout programme politique, il emporta en 1979 la présidence de Médecins sans frontières et contraignit l’un des fondateurs, Bernard Kouchner, à démissionner.

Anne-Marie Couderc (Emploi)

Avocate, adjointe au maire de Paris, ancienne collaboratrice de Jacques Toubon. Elle est directeur général adjoint du groupe de communication Matra-Hachette, administratrice de la Fédération nationale de la presse française (FNPF) et membre de la commission de la carte des journalistes.

François Baroin (porte-parole du gouvernement)

Ancien journaliste à Europe 1, fils d’un ancien Grand Maître du Grand Orient de France (par ailleurs ancien P-DG de la GMF), il n’est pas maçon lui-même mais a bénéficié des relations de sa famille. En 1989, il fonda AD89, une association qui ambitionnait de "corriger" la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

François d’Aubert (Budget)

Enarque proche du vicomte Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon, il mène croisade pour bouter hors de France la corruption et le socialisme. Dans son élan, il place sur le même plan les scandales financiers et les histoires de cul. Il hésite à sanctionner d’abord les administrateurs du Crédit lyonnais ou à écraser en priorité les Minitels roses contre lesquels il entretien depuis sept ans une vindicte obsessionnelle.

Hervé Gaymard (Finances)

Enarque, il est le gendre du professeur Jérôme Lejeune (voir p.36), fondateur de Laissez-les vivre et premier président de l’académie pontificale Pro Vita. Hervé Gaymard a adhéré au RPR à l’âge de quinze ans et a rejoint l’Opus Dei il y a cinq ans.

Jean de Guéhéneuc de Boishue (Enseignement supérieur)

Agrégé de lettres. Fils d’un prince russe et d’une aristocrate bretonne. Intelligence égarée au RPR. Séguiniste.

Elisabeth Dufourcq (Recherche)

Ingénieur de recherches à l’INSERM. Assistante du professeur Marc Gentilini, membre de l’Opus Dei. Auteur d’une thèse d’histoire sur les congrégations religieuses féminines. Epouse de l’ancien ambassadeur de France auprès du Saint-Siège.

Françoise Hostalier (Enseignement scolaire)

Professeur de maths. Sur huit députés femmes UDF, il fallait en choisir trois : elle est devenue secrétaire d’Etat par élimination. On ne lui connaît guère d’interventions à l’Assemblée sinon pour dénoncer la pornographie à la télévision.

Raymond-Max Aubert (Développement rural)

Enarque. Ancien secrétaire général de la fondation Claude Pompidou. Il fut en 1993 l’un des artisans de la réforme constitutionnelle supprimant le droit d’asile.

Anne-Marie Idrac (Transports)

Enarque, fille du sénateur André Colin, l’un des fondateurs du MRP (démocratie chrétienne) à la Libération. Elle fut la collaboratrice du comte Michel d’Ornano, fidèle de Giscard.

Margie Sudre (Francophonie)

Médecin. Elle a été élue présidente du conseil régional de la Réunion en remplacement de son époux, Camille Sudre, élu populiste du même département, déclaré inéligible. Barriste, elle avait fait financer Télé Free-Dom par le comte Jacques d’Armand de Châteauvieux, principal mécène de l’Opus Dei en France.

Françoise Hébrard de Veyrinas (Quartiers en difficulté)

Présidente d’une association familiale catholique et du Forum français pour la sécurité. Elle siège au Conseil national des villes et prône la valorisation des animations paroissiales pour les jeunes des quartiers difficiles.

Nicole Ameline (Décentralisation)

Chargée de communication politique. Suppléante du comte Michel d’Ornano, elle lui a succédé après sa mort "accidentelle" à la sortie du bureau de Robert Hersant, dont il était le bras droit.

Christine Chauvet (Commerce extérieur)

Directrice d’une entreprise d’import-export. Présidente de l’Association des femmes chef d’entreprise. Elle a été imposée au gouvernement par Alain Madelin qui en avait fait la déléguée de son club ultra-libéral Idées-Actions.