L’office public d’HLM de la Corse-du-Sud comme celui de la Haute-Corse connaissent des situations financières difficiles. Selon les informations fournies à la commission d’enquête, le total des impayés sur les deux départements dépasserait aujourd’hui 65 millions de francs.

La Chambre régionale des comptes a, au cours des dernières années, été saisie des budgets 1994, 1995, 1996 et 1997 ainsi que des comptes administratifs 1995, 1996 et 1997 de l’office public de Haute-Corse et des budgets 1996 et 1997 de celui de la Corse-du-Sud. Dans ses divers avis, la Chambre a préconisé des mesures de gestion tendant notamment à améliorer le taux de recouvrement des loyers et à maîtriser l’évolution des dépenses de fonctionnement. Elle a constaté que l’apurement du déficit ne pourrait intervenir que sur la base d’un plan pluriannuel de redressement impliquant l’ensemble des collectivités locales concernées. Ces plans, qui furent élaborés dans la période récente, prévoient une recapitalisation de l’ordre de 37 à 40 millions pour chacun des offices supportée à hauteur de 50 % par la caisse de garantie du logement social et à 50 % par les collectivités locales.

La gravité de la situation a été soulignée par un magistrat de la Chambre régionale des comptes devant la commission d’enquête en avril 1998 :

" Les deux offices d’HLM de la Corse-du-Sud et de la Haute-Corse (...) font partie de nos " clients " récurrents, puisque nous sommes saisis chaque année par le préfet pour essayer de juguler ce déficit abyssal.

Bien entendu, la Chambre a toutes les difficultés pour y parvenir, dans la mesure où ce déficit est lié notamment à des impayés très importants. Ces impayés étant anciens, non corrigés, les OPHLM n’ont pas les moyens de procéder aux rénovations, voire aux constructions utiles, puisqu’il existe un déficit très important de logements sociaux en Corse. Les bâtiments étant de plus en plus piteux, les gens solvables s’en vont. Dans ces conditions, on ne peut rétablir une situation financière saine. (...)

Lorsqu’on est en présence à la fois de recettes extrêmement réduites et de dépenses extrêmement lourdes, notamment avec des déficits très importants, on finit par arriver, même en essayant de rassembler toutes les recettes possibles, à une " formalité impossible ". On renvoie le dossier tel qu’il est et la situation n’évolue pas du tout. Le " yo-yo " peut durer une éternité, ce qui montre bien la limite des procédures réglementaires. (...)

La situation de l’office de la Corse-du-Sud est un peu moins tendue, mais elle ne va pas tarder à atteindre le même niveau, pour les mêmes raisons. Là aussi, un plan de redressement sera très certainement nécessaire à très court terme. "

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Tout en reconnaissant que les OPHLM, organismes à vocation sociale, ne rencontraient pas seulement en Corse des difficultés, un autre magistrat de la Chambre régionale des comptes déplorait les insuffisances, voire l’absence de gestion : " les déficits correspondent aux arriérés de loyers non payés. Les dossiers ne sont pas remplis de façon correcte (pour les avis à tiers détenteurs, il manque des pièces justificatives qui empêchent des poursuites).

Le comptable a un travail difficile. Celui de l’office de Corse-du-Sud avait un débet de 6 millions de francs. Les comptes n’étaient pas bien tenus : la Chambre ne pouvait plus déterminer qui devait payer à qui ! Le conseil d’administration de l’office a pris une délibération favorable à la remise gracieuse de la somme. "

( L’OFFICE DE LA HAUTE-CORSE : UNE SITUATION DIFFICILE QUI N’EST PAS NOUVELLE

Si la situation préoccupante de cet office localisé à Bastia142 n’est pas nouvelle, la prise de conscience paraît plus récente. En décembre 1996, la mission interministérielle d’inspection du logement social rendait un rapport alarmant sur l’office.

L’autofinancement net est négatif, la trésorerie insuffisante, tandis que les impayés de loyers atteignent des montants désormais inquiétants. La vacance des logements paraît très importante et on note des incohérences entre les taux de loyers pratiqués. Une partie du patrimoine se trouve aujourd’hui dans un mauvais état. Les parties communes de certains bâtiments présentent un aspect de délabrement avancé. La gestion de l’office lui-même pose problème. Les coûts de gestion paraissent très élevés. En 1996, le président avait démissionné pendant que le directeur quittait ses fonctions. Les agents font preuve d’une certaine démotivation et l’absentéisme atteint des proportions anormales. Dans son rapport du 5 décembre 1996, la mission interministérielle d’inspection du logement social notait : " un absentéisme de longue durée, des moyens matériels insuffisants, un manque de cohérence et un encadrement peu motivé sont les principaux handicaps de cette régie ".

Le budget de l’office accusait un déficit cumulé de 38 millions de francs en 1997 (dont 6 millions au titre de l’année 1997).

Un plan de redressement de l’office a été accepté par la caisse de garantie du logement social (CGLS) le 10 juillet 1997. La recapitalisation, qui doit représenter 39,5 millions, s’établit de la façon suivante : l’État doit verser 19,75 millions d’ici à 2002 et la CTC doit contribuer à hauteur de 6,55 millions d’ici à 2002 ; enfin le conseil général et la ville de Bastia doivent compléter cet effort pour un montant de 12,2 millions de francs.

Ce plan, récemment approuvé par le président du Conseil exécutif, doit s’étaler sur une période de cinq années à compter de 1998. Il s’appuie sur trois axes principaux : la restructuration financière de l’office, l’augmentation des PLA neufs143 et l’amélioration de construction neuve144. Il prévoit de réaliser des travaux de gros entretien et de grosses réparations, répartis entre 1997 et 2000, pour un montant de 11,25 millions de francs, de restructurer la Cité Aurore à Bastia (la démolition de 148 logements, la réhabilitation de 160 logements et la reconstruction de 216 logements neufs) pour un montant global de 113,4 millions de francs, de réhabiliter la Cité des Monts à Bastia pour un montant de 22,7 millions de francs.

( L’OFFICE DE LA CORSE-DU-SUD : DES POINTS FAIBLES ET QUELQUES SIGNES ENCOURAGEANTS

L’office emploie environ 40 personnes en équivalent plein temps ; il possède un patrimoine de 1.777 logements et gère un budget de 109 millions de francs. C’est le maire d’Ajaccio, M. Marc Marcangeli, qui en préside le conseil d’administration. L’importance des déficits enregistrés par cet office s’explique à la fois par les problèmes structurels anciens, mais également par l’absence d’augmentation des ressources (liée à la question lancinante des impayés et au refus d’augmenter les loyers au-delà des obligations réglementaires). Les points faibles de la gestion de cet office sont un manque de rigueur dans la gestion des créances des locataires, le très fort endettement de l’organisme lié aux taux d’impayés, la non-récupération des charges locatives, l’importance des frais de personnel qui grèvent les coûts de gestion, le retard pris dans les opérations d’entretien et de gros travaux des bâtiments, enfin, la grave insuffisance de trésorerie.

Depuis de nombreuses années, la situation tend à se détériorer. La cause principale tient au poids des emprunts antérieurs dont la charge est telle que l’équilibre d’exploitation ne pourrait être assuré même en l’absence d’impayés. Malgré les efforts accomplis, le taux d’impayés reste trop élevé et le fond de roulement demeure très faible.

En 1987, un premier plan de redressement préconisait, outre la reconstitution des fonds propres, un ensemble de mesures visant à une amélioration de la gestion de l’office, comme la réduction progressive des effectifs, un effort dans le recouvrement des loyers ou la vente de logements. Le département de la Corse-du-Sud, qui garantit la majeure partie des emprunts de l’office, versa 42 millions de francs de 1987 à 1996. Malgré de nombreux progrès constatés par la suite, le redressement des comptes n’a pu être totalement réalisé. Ainsi les budgets primitifs pour 1996 et 1997 furent-ils transmis à la Chambre régionale des comptes pour défaut de vote en équilibre réel.

Dans son avis en date du 27 novembre 1996 (concernant le déséquilibre du budget primitif voté pour 1996), la Chambre régionale des comptes notait que la totalité des dépenses de personnel n’avait pas été intégrée dans le budget primitif, que les recettes inscrites au budget étaient parfois insincères et surévaluées, voire fictives. La Chambre relevait également qu’avec un effectif de 47 agents, l’office enregistrait des dépenses de personnel d’un montant supérieur à la moyenne des offices gérant un parc de logements comparable. Enfin, elle dénonçait une pratique consistant à attribuer aux agents de l’office des chèques déjeuners dans des conditions contestables.

Dans son avis en date du 25 septembre 1997, la Chambre régionale des comptes constatait que le budget primitif de l’office de la Corse-du-Sud n’avait pas été adopté en équilibre réel. En effet, le budget s’établissait de la façon suivante :

==== Section de fonctionnement :

Dépenses : 71.186.093 F

Recettes : 63.695.700 F

==== Section d’investissement :

Dépenses : 56.187.875 F

Recettes : 48.754.894 F

La Chambre concluait qu’étant donné que le montant total des dépenses inscrites s’élevaient à 127.373.968 francs pour seulement 112.450.594 francs de recettes, il existait un déséquilibre prévisionnel global de 14.923.374 francs se répartissant en un déséquilibre de 7.490.393 francs pour le fonctionnement et de 7.432.981 francs pour l’investissement.

Les impayés, qui atteignaient 39.593.968 francs à la fin 1995 s’élevaient à 40.658.246 francs à la fin 1996. Cette donnée constitue un motif majeur d’aggravation du déséquilibre budgétaire puisqu’une partie importante des recettes inscrites en ce domaine ne sont pas perçues. Les impayés exigent, de surcroît, de prévoir chaque année des dotations aux provisions pour créances douteuses d’un montant élevé et croissant. Dans son avis en date du 25 septembre 1997, la Chambre régionale des comptes remarquait, enfin que la somme de 6.204.092 francs avait été inscrite en dépenses. Ce montant représentait l’admission en non valeur du débet de l’ancien receveur de l’office, recette à laquelle le conseil d’administration avait renoncé par délibération du 20 décembre 1996.

On rappellera les appréciations portées par l’ancien président de la Chambre régionale des comptes, M. Gilbert Canosci, lors de son audition en mars 1997 par la mission d’information sur la Corse, en réponse à une question sur l’office de Corse-du-Sud : " il faut préciser que cet organisme a eu pour comptable une personne très connue à Ajaccio, qui est conseiller général et maire, mais qui n’avait, ni la compétence requise pour tenir la comptabilité d’un organisme de cette importance, ni les moyens en personnel auprès d’elle pour l’y aider.

Si ces problèmes semblent actuellement résolus, la difficulté qui tient à la mentalité de nombreux Corses de refuser de payer leurs dettes, persiste.

Je ne conteste pas que, parmi les personnes qui sont logées par l’office HLM, certaines se trouvent certainement dans une situation financière dramatique ; comme tout le reste de la France, la Corse a aussi son lot de chômeurs et de personnes défavorisées. Mais, ce que nous savons c’est que d’autres, qui peuvent payer, ne le font pas.

Il est incontestable qu’il y a eu un manque de fermeté de l’office et une carence totale, pendant de nombreuses années, tant en ce qui concerne la tenue de la comptabilité que les poursuites à l’encontre des débiteurs. "

Selon la Chambre, le déséquilibre du budget primitif 1997 de l’office de la Corse-du-Sud s’établissait au minimum comme suit :

Insuffisance des recettes budgétaires annuelles par rapport aux dépenses 14.923.374 F

Insuffisance des amortissements techniques par rapport aux amortissements financiers 371.356 F

Insuffisance de la dotation aux grosses réparations 593.298 F

Total du déséquilibre 15.888.028 F

Dans sa conclusion, la Chambre écrivait : " le déséquilibre du budget pour 1997 est ainsi d’une telle ampleur que sa résorption dans le cadre des dispositions précitées constitue, pour la Chambre, une formalité impossible au sens de la jurisprudence administrative ".

La Chambre recommandait, en outre, au président de l’office de veiller à produire désormais " un rapport de présentation du budget primitif qui comporte tous les éléments concernant les diverses dotations et qui soit de nature à assurer la transparence des comptes et des choix budgétaires proposés au conseil d’administration. "

Le budget de l’office a donc été réglé en 1996 et 1997. Notons que le budget de 1998 a été transmis en préfecture le 6 avril 1998. Il présente un important déficit tant en section de fonctionnement qu’en section d’investissement, à hauteur de 11.439.840 francs auquel il convient d’ajouter le déficit de l’exercice 1996 (18.294.243 francs), soit un déficit global de 29.734.083 francs. Le budget 1998 a donc été transmis à la Chambre régionale des comptes en application de l’article L1612-4 du code général des collectivités territoriales.

Un plan de redressement, élaboré en 1996 avec le concours de la caisse de garantie du logement social, et impliquant la participation des partenaires locaux notamment du département et de la Collectivité territoriale de Corse, fixait à l’horizon 2001 les objectifs suivants : que l’organisme retrouve une activité conforme à sa vocation, que son budget de fonctionnement soit équilibré et l’autofinancement positif.

Outre l’amélioration du recouvrement des loyers, avec une baisse du taux des impayés (actuellement il est de 9,2 % alors que la moyenne nationale est de 3,6 %), et la réduction des coûts de gestion, deux axes prioritaires ont été dégagés. Le premier concerne le désendettement de l’office grâce à un remboursement anticipé des prêts dont les taux sont les plus onéreux. Le deuxième consiste dans la recapitalisation de l’office. Un projet a été transmis en ce sens au président du Conseil exécutif de Corse qui, par correspondance en date du 10 décembre 1997, a fait connaître au préfet de Corse que le Conseil exécutif l’avait jugé non conforme au dispositif adopté par délibération du 18 juillet 1997. Par cette délibération, l’Assemblée de Corse avait subordonné son intervention à deux conditions : la prise en compte du montant des PLA-CFF et PAP non utilisés au titre des années précédentes et la mise en oeuvre d’une relance de la construction neuve de logements locatifs sociaux en Corse.

Très récemment, un plan de redressement de 40 millions de francs co-financé pour moitié par l’État et pour moitié par la Collectivité territoriale de Corse et le conseil général de la Corse-du-Sud, a été signé ; un prêt de 53 millions de francs aurait par ailleurs été accordé à l’organisme par la caisse de garantie du logement social (couvert par le conseil général de la Corse-du-Sud). Comme la presse corse s’en est fait l’écho le 26 août 1998, une charte a également été signée entre le président de l’office et les représentants du Trésor public (le trésorier-payeur général, le payeur départemental), dans le but d’optimiser le quittancement des loyers et d’améliorer les recouvrements " spontanés "145. Il s’agit d’améliorer, y compris en termes de liens informatiques, les relations entre la recette perception du département et l’office. Cette charte de partenariat témoigne d’une volonté de coopération réelle.

Il faut espérer que cette nouvelle donne permettra à l’office de développer ses activités en termes de constructions de logement social, aujourd’hui très insuffisantes sur l’ensemble de l’île. M. Marc Marcangeli, président de l’office, annonçait dans le journal " La Corse " du 26 août 1998, " nous pensions commencer les constructions dès la fin de l’année ; nous avons deux projets prioritaires : la reconstruction de l’immeuble plastiqué à Sartène, cours Sœur Amélie, avec 15 logements à la clef et la construction d’un collectif de 35 logements " ; le président de l’office envisage la construction au plan départemental de 80 à 100 logements par an.

Ces mesures, indispensables, ne sont sans doute pas les seules à devoir être mises en place ; la gestion des deux offices publics d’HLM devra être dynamisée pour éviter que le redressement aujourd’hui annoncé ne soit que de courte durée.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr