LA CORSE SUR LA ROUTE DIFFICILE DE L’ETAT DE DROIT ?

État de droit : " Un État dans lequel les différents organes agissent en vertu du droit et ne peuvent agir qu’ainsi "364.

Les carences de l’État de droit en Corse se traduisent par l’absence de ses garanties ou par les limites qu’elles rencontrent.

La veuve n’a pas la garantie que l’assassin sera châtié, la victime d’un plasticage la garantie que l’auteur en sera recherché activement, le juge n’a pas la garantie que sa sécurité est assurée, le contribuable n’a pas la certitude que la dépense publique est engagée selon les règles en vigueur, ni que le prélèvement public est recouvré équitablement.

Et au-delà, s’agissant des fonds publics et de leur emploi, les critères habituels d’efficacité et de contrôle, trop souvent, ne sont pas remplis.

La stratégie de réponse que le gouvernement confie aux représentants de l’État en Corse et aux administrations centrales les plus engagées réclame une faveur rare dans la conduite des affaires publiques : le temps.

Or, déjà, des critiques ont germé au cours des derniers mois, venant de quatre horizons :

 Des élus insulaires, certes peu nombreux, parfois se sont plaints de la vigueur de la méthode, craignant les effets d’amalgame. A ceux-là, il faut concéder que la démarche engagée est inévitablement douloureuse. Mais elle doit s’attaquer prioritairement aux faits emblématiques et demeurer sous le contrôle de la justice.

D’autres, qui depuis longtemps savent que l’imposture profite du désordre, et oublieux de leurs mises en causes personnelles, tentent quelques diversions.

 Dans les administrations de l’État ont pu naître ici ou là quelques doutes, chez des fonctionnaires craignant de payer les zigzags des politiques menées par les gouvernements successifs.

 Les reproches émanent également d’éléments nationalistes.

" Bastia n’est pas Palerme ", écrivait il y a peu, avec une ironie involontaire, le FLNC Canal historique. C’est vrai. En Sicile, depuis 1992 et grâce à l’offensive engagée après l’assassinat du juge Falcone, la situation s’est améliorée. En Corse, elle s’est dégradée.

 Quant à la population, si elle paraît majoritairement acquise à la ligne directrice affirmée aujourd’hui, elle n’est pas exempte de trois craintes. Que la politique d’établissement de l’État de droit ne dure que peu de temps. Qu’elle détériore un peu plus l’image de l’île. Qu’elle épargne les principaux responsables ou les coupables, pour ne s’attaquer qu’aux infractions les plus mineures.

Si le travail de la commission d’enquête n’avait qu’une vertu, ce devrait être de répondre à ces trois dernières craintes.

La durée, on l’a dit, est indispensable à la réussite de cette politique qui doit être menée au grand jour et demeurer sous le regard du Parlement et la vigilance de l’opinion publique.

C’est le soutien de tous qui en garantira la pérennité. La Corse ne peut que sortir apaisée et grandie d’une meilleure application des lois de la République.

UNE DOUBLE RESPONSABILITE POUR L’AVENIR

L’esprit du statut particulier de 1991 ne doit pas être perverti. C’est une expérience poussée de décentralisation dont l’ensemble des forces politiques, en Corse comme à Paris, acceptent aujourd’hui le principe. Cela n’empêche en rien d’en améliorer la pratique ou d’en ajuster quelques détails, après sept années d’application. Cela conduit néanmoins à éviter toute régression centralisatrice, mais aussi à bloquer toute tentation de relance artificielle du débat statutaire.

Cette construction politique confère donc une responsabilité forte aux élus corses en matière de développement économique, social et culturel, et donc d’emploi des fonds publics : celle d’exprimer les attentes de la communauté insulaire en faisant des choix, en rendant des arbitrages de leur seul ressort, et en s’engageant dans une pratique moderne de développement local et régional.

A l’État, revient bien sûr la responsabilité d’assurer le respect des lois et de l’ordre public. Mais aussi de passer contrat avec la Corse. Le contrat de plan à venir doit illustrer cette responsabilité partagée.

La commission d’enquête et son rapporteur ne veulent pas croire que le défi relancé aujourd’hui à la Corse et à l’État reste sans réponses.

La politique à conduire ne doit pas être l’affaire de quelques hommes, mais l’engagement du gouvernement et celui de l’État tout entier.

QUATRE APPELS SOLENNELS

Il appartient à l’Assemblée nationale de rester à l’écoute de la Corse et de mesurer les progrès accomplis. C’est son rôle et sa responsabilité.

C’est pourquoi la commission d’enquête, au terme de ce rapport, a souhaité lancer solennellement quatre appels :

1°) Un appel aux gouvernements de la France, pour le présent et pour l’avenir, afin que la ligne directrice aujourd’hui suivie soit maintenue.

Pour que soit définitivement abandonnée l’idée que la paix civile s’achète ou se vend, à coup de nouvelles dérogations fiscales, de dettes effacées ou d’amnisties excessives.

Pour que les alternances ne soient pas synonymes en Corse de changement de cap ou de retour en arrière.

2°) Un appel aux responsables élus de la Corse, pour aujourd’hui et pour demain, afin que l’intérêt général de l’île ne cesse de guider leur attitude, afin que le respect de l’État et du droit demeure leur constante préoccupation.

L’État républicain ne peut être réduit au rôle d’un guichet sans limite. Dans ce rôle ambigü, il serait bon quant il est généreux, mauvais quand il est ferme, odieux quand il est juste.

L’État doit être, en cohérence, ferme et généreux. L’État ne peut agir en Corse sans les élus que l’île se donne, pour rompre ensemble l’enchaînement inexorable que vingt années de drame ont produit.

3°) Un appel aux citoyens de Corse, nourris d’un réel sentiment républicain, pour que le sentiment civique plusieurs fois manifesté, et encore en février 1998 après l’assassinat du préfet Claude Erignac, devienne une volonté politique incontestable.

Ce réveil citoyen doit s’inscrire dans la durée, déterminer leur attitude et leurs choix à venir. Les Corses et la République ne doivent plus s’attendre mais, ensemble, faire mouvement.

4°) Un appel, enfin, à tous nos concitoyens, qui regardent cette île, au mieux, avec un regard amusé par les " légendes sans fin " que produit la terre corse, ou pire et plus souvent, avec l’exaspération et l’incompréhension de ceux qui aimeraient se débarrasser à bon compte de ce problème.

A tous, il faut dire combien cette île, riche de ses paysages, de son patrimoine et de sa culture, et dont tant d’enfants ont versé leur sang pour la patrie, participe au rayonnement de la France et, donc, mérite toute sa place dans la République.


Source : Assemblée nationale. http://www.assemblee-nationale.fr