Vous qui utilisez internet, vous n’ignorez pas que ce système a été initialement développé par une agence du Pentagone, l’ARPA. Voici plusieurs années que celle-ci a changé de nom pour devenir l’Agence des projets de recherche avancée de la défense (Defense Advanced Research Projects Agency - DARPA). En février 2002, Donald Rumsfeld l’a dotée de 200 millions de dollars de rallonge budgétaire pour développer deux nouveaux bureaux : celui de l’exploitation de l’information (Information Exploitation Office - IEO) et celui de la Connaissance de l’information (Information Awareness Office - IAO).

L’IEO est chargé de déterminer les cibles des forces armées et de programmer des lanceurs et des munitions intelligentes pour les détruire. C’est cet organisme qui programme actuellement toutes sortes d’armes pour frapper 15 000 objectifs en deux semaines en Irak.

L’IAO, quant à lui, est un organisme de recherche. Il doit mettre au point des logiciels permettant d’observer les comportements individuels dans le monde entier, de repérer les attitudes suspectes, de les analyser et de déterminer les terroristes potentiels. Mais l’élaboration de ces logiciels ne peut être distinguée de leur usage expérimental, de sorte que ce bureau est appelé à devenir à terme une agence de renseignements, probablement la plus puissante au monde. Comme l’IAO ne dispose que d’un statut de sous-agence, la nomination de son directeur n’est pas soumise au contrôle du Congrès. Donald Rumsfeld a ainsi pu nommer l’amiral John Poindexter à sa tête.

Sorti major de l’Académie navale, en 1958, John Poindexter est un brillant officier. Il a été élevé par le président Ronald Reagan au grade de vice-amiral, puis choisi comme conseiller de sécurité nationale (1983-86). C’est lui qui introduisit les nouvelles technologies à la Maison-Blanche, notamment les vidéoconférences sécurisées, et qui étendit les pouvoirs du Pentagone en matière de surveillance électronique (National Security Decision Directive 145). Il se montra exceptionnellement déloyal à son pays. Il fut en effet, le principal artisan de l’Irangate, un vaste trafic d’armes international en violation des décisions du Congrès et prétendument sans l’aval du président. Pour obtenir la libération de sept otages détenus par le Hezbollah, l’amiral Poindexter et son adjoint, le lieutenant-colonel Oliver North, vendirent des armes à l’Iran via Israël. Pour financer l’opération, ils organisèrent un autre trafic d’armes, à destination cette fois de l’extrême droite nicaraguayenne, les Contras. Une grande partie était payée en cocaïne. Le 11 juin 1990, après plusieurs années d’enquête, Poindexter fut reconnu coupable de « complot, obstruction à la justice, destruction de preuves » et condamné à dix-huit mois de prison ferme. La sentence fut cassée par une juridiction supérieure pour un vice de forme dans les dépositions de témoins, mais la Cour suprême s’opposa à la révision du procès. Indépendamment de ses procès aux États-Unis, en 1989, il fut accusé par le gouvernement du Costa Rica d’être le principal dirigeant du trafic de cocaïne dans le pays. Il ne fut cependant jamais jugé au Costa Rica. Au cours des dernières années, John Poindexter rejoignit comme vice-président la société Syntek Technologies, située à proximité du Pentagone. Il y dirigea la construction du logiciel Genoa, capable d’explorer clandestinement les plus importantes bases de données informatisées.

L’IAO, dont la devise est « Sciencia est Potentia » (Savoir, c’est pouvoir), s’est doté d’un emblème para-maçonnique emprunté au billet états-unien. Il est organisé en huit unités principales :
 Genysis, chargée de rendre compatibles entre elles les informations collectées dans toutes les bases de données publiques du monde, quelles qu’en soient les logiciels. Directeur : Doug Dyer.
 Genoa II, chargée de continuer le développement du logiciel Genoa I d’exploration clandestine des bases de données informatisées.
 TIDES (« les marées »), chargée de traduire automatiquement en anglais toutes les langues du monde. Directeur : Charles Wayne.
 Extraction de preuves et découverte de liens (Evidence Extractation and Links Discovery - EELD), chargée d’interpréter les informations collectées selon des méthodes améliorées de data-mining. Directeur : Ted Senator.
 EARS (« les oreilles »), chargée de transformer en texte écrit les communications orales interceptées. Directeur : Charles Wayne.
 Bio-surveillance, chargée de collecter les informations susceptibles d’indiquer la dispersion d’agents biologiques. Directeur : Ted Senator.
 Identification humaine à distance (Human Identification at Distance - HID), chargée de développer les procédés biométriques, notamment les identifications nominatives de suspects dans une foule par des caméras intelligentes. Directeur : Jonathan Philips.
 Simulation des environnements asymétriques (War Gaming the Asymetric Environment - WAE). Directeur : Larry Willis.

Ces huit unités concourent à la création du plus gigantesque système de contrôle social jamais imaginé : la Connaissance totale de l’information (Total Information Awareness - TIA) : le Pentagone entend collecter, légalement ou clandestinement, toutes les bases de données informatisées possibles, publiques ou privées, états-uniennes ou étrangères. Il souhaite intégrer toutes les informations recueillies par les systèmes d’interception, principalement ECHELON. Il veut les traiter selon des méthodes dérivées du marketing commercial pour détecter les comportements individuels suspects, identifier les terroristes potentiels, et les frapper préventivement. L’amiral Poindexter estime que le programme sera opérationnel d’ici trois à cinq ans, mais de nombreux experts doutent que l’on puisse résoudre tous les problèmes techniques en un si bref délai. Pour accélérer les recherches, l’IAO a d’ores et déjà récupéré les ingénieurs de Syntek et signé des contrats de sous-traitance avec la SAIC et Raytheon.

Le TIA est déjà en cours de mise en œuvre. Sa légalisation est soumise au Congrès, lors du vote de la proposition de loi sur la Sécurité de la patrie (Homeland Security Act). Pour la première fois les parlementaires devront se prononcer sur un système de renseignement global, c’est-à-dire planétaire, surveillant de manière indifférenciée le territoire US et le reste du monde, les citoyens états-uniens et les étrangers. Mais aussi et surtout, un système face auquel la notion de « vie privée » n’a plus de sens.