Un scientifique irakien, Hussain al-Shahristani, a confirmé les déclarations alarmistes de Colin Powell sur « les armes de destruction massives » que possèderait l’Irak et que les enquêteurs de l’ONU n’ont pas trouvées. Le « nouveau témoin », que la presse présente comme un ancien « haut responsable du programme nucléaire irakien », a en réalité quitté ses fonctions en 1979. Lors d’une précédente conférence de presse, il était accompagné à la tribune par des responsables anonymes des services secrets britanniques. Le 15 avril 2001, il s’était déjà illustré en affirmant que, en 1991, Saddam Hussein disposait, « à six mois près », de la bombe atomique. Une déclaration que le président Bush avait reprise en l’attribuant « par erreur » à un rapport de l’ONU.
Les médias du groupe Murdoch (Fox TV, New York Post, etc.), du groupe Moon (United Press International, Washington Times, etc.) et CBS ont largement repris et commenté aux États-Unis les révélations d’Hussain al-Shahristani, rendues publiques cette semaine à Manille (Philippines). Pour eux, elles confirment avec certitude la dangerosité de la menace irakienne. L’ancien conseiller de la Commission irakienne pour l’énergie atomique s’est exprimé devant la presse étrangère en marge d’une conférence à laquelle il participait à l’invitation de l’Asian Institute of Managment, une grande école financée par la Fondation Ford.
« Avec ou sans armes de destruction massive, Saddam est un grave danger pour son peuple », a assené al-Shahristani, jouant habilement des polémiques actuelles. Plus d’un million de personnes sont mortes depuis le début des années 80, a-t-il rappelé, dans les guerres menées contre l’Iran et le Koweït et la répression des minorités kurdes, au nord, et chiites, au sud. Reprenant le refrain des partisans d’une offensive militaire, dont la validité reste toutefois à établir, al-Shahristani a expliqué que « Saddam n’a pas hésité à faire usage de ses armes chimiques contre sa propre population, en 1988 et en 1991 ». « Il pourrait s’en servir à nouveau contre le peuple irakien dans l’hypothèse d’une confrontation militaire car il sait que ses concitoyens sont ses véritables opposants ». Si le peuple irakien était libre de s’exprimer, al-Shahristani est convaincu qu’il aurait tôt fait de se débarrasser de ses dirigeants actuels.
Le spectacle continue
Mais les révélations les plus spectaculaires du scientifique ont porté sur la continuation du programme d’armement bactériologique et chimique, « même pendant que les inspecteurs étaient en Irak, dans les années 90 ». Si Hussain al-Shahristani concède que l’arsenal nucléaire de Saddam Hussein a été démantelé, il dit que les armes biologiques sont « faciles à produire », du moment que vous en possédez les souches, et affirme que Saddam Hussein détient encore des stocks chimiques, cachés dans les kilomètres de tunnels qui seraient creusés sous Bagdad. Rendus ainsi invisibles « même aux satellites espions », il n’y aurait donc « aucune chance que les inspecteurs les trouvent, sauf par pur accident ».
Confortant la thèse de Colin Powell, al-Shahristani prétend que le régime irakien produit ses virus dans des laboratoires mobiles, mais admet qu’il n’a plus la capacité militaire de les répandre sur d’autres pays. Qu’à cela ne tienne, puisque le maître de Bagdad pourrait se servir de « cellules terroristes spécialement entraînées » qui se tiennent prêtes à commettre des attentats bactériologiques. Reconnaissant qu’il n’est pas un expert en matière de défense, le professeur dit tirer ses renseignements « d’anciens collègues et dissidents qui ont récemment fui le pays ».
La solution ? Plutôt qu’une attaque massive suivie d’une occupation prolongée du territoire irakien, mieux vaudrait procéder à une opération « ciblée » qui n’aurait pour objectif que de renverser Saddam Hussein. « Saddam a réussi à convaincre ses partisans - et certains généraux le croient - que la guerre en préparation est une guerre d’occupation, d’agression. S’il est question d’une armée d’occupation américaine, ses généraux pourraient se battre. Mais une force des Nations Unies composée de troupes arabes et non-arabes enverrait un message différent aux soldats et citoyens irakiens, et ils ne se battraient pas », a dit al-Shahristani dans une interview à la radio. Il a garanti lors de sa conférence de presse que l’armée irakienne, Garde républicaine mise a part, ne résisterait pas, quoi qu’il arrive.
Évoquant le souvenir des soulèvements populaires de 1991, réprimés par la Garde républicaine avec l’accord tacite des États-Unis, Hussain al-Shahristani laisse entendre que les GI’s ne seront pas forcément accueillis en libérateurs. C’est dans tous les cas une sortie de crise à l’afghane que privilégie le scientifique, avec la mise en place d’un gouvernement « démocratique » et non « imposé de l’extérieur ». Sans s’attarder sur le rôle que lui-même et ses proches comptent y jouer.
Un nouveau témoin... de 1979
Le show d’Hussain al-Shahristani visait à infirmer le rapport des inspecteurs en désarmement de l’ONU présenté quatre jours plus tôt au Conseil de sécurité par Hans Blix et Mohammed El Baradei. Il mérite quelques remarques : ce témoin a quitté ses fonctions de conseiller de la Commission irakienne pour l’énergie atomique dès 1979 (date à laquelle Saddam Hussein accéda à la présidence de l’Irak) et déclare avoir été emprisonné alors pendant onze ans, avant de fuir l’Irak en 1991. Il n’a donc aucun accès particulier à des informations sur l’état du programme nucléaire irakien actuel. Ses compétences sont celles d’un savant atomiste, il n’est donc pas en mesure de livrer d’expertise particulière sur des programmes biologiques ou chimiques. Par ailleurs, al-Shahristani est aujourd’hui le directeur de l’IRAC (Iraqi Refugee Aid Council, IRAC), une ONG basée à Londres dont le but officiel est de soutenir les exilés politiques irakiens et dont le financement est assuré par l’administration Bush.
Au demeurant, Hussain al-Shahristani n’est pas un inconnu dans la guerre de l’information que livrent les partisans de l’attaque de l’Irak. C’est lui qui, le 15 avril 2001, avait affirmé au quotidien londonien Al-Sharq Al-Awsat que, en 1991, Saddam Hussein disposait, « à six mois près », de la bombe atomique. Ses propos avaient été repris par le président George W. Bush qui les avait attribués « par erreur » à un rapport de l’ONU. C’est encore lui qui animait, le 2 décembre 2002, en compagnie de responsables anonymes des services secrets britanniques, la conférence de presse du Foreign Office à Londres. Il y distribua un document intitulé Saddam Hussein, crimes et violations des droits de l’homme et il y projeta un films de quatre minutes. Ces documents avaient été préparés par la cellule de propagande conjointe britanno-états-unienne. La conférence tourna au fiasco lorsque des journalistes mirent en doute l’attribution à Saddam Hussein du gazage des Kurdes d’Halabja et la sincérité du témoignage d’al-Shahristani. Celui-ci avait affirmé avoir été personnellement torturé pendant vingt-deux jours à la gégène, mais ne pas en avoir de séquelles. La BBC avait qualifié la conférence d’Hussain al-Shahristani au Foreign Office de « propagande ». Il n’est donc pas étonnant qu’il ait choisi de se déplacer aux Philippines pour livrer à la presse internationale ses nouvelles « révélations ».
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