Procès-verbal de la séance du mardi 15 avril 2003

Présidence de M. Patrick Ollier, président

Les témoins sont introduits.

M. le Président leur rappelle que les dispositions législatives relatives aux commissions d’enquête leur ont été communiquées. A l’invitation du Président, les témoins prêtent serment.

M. le Président : Chers collègues, nous accueillons donc aujourd’hui M. Didier Bréchemier, qui est senior manager... En français, cela se dit comment ?

M. Didier BRECHEMIER. Directeur.

M. le Président : M. Laurent Derivery, qui est aussi directeur.

M. Laurent DERIVERY : Directeur associé.

M. le Président : Et M. Frédéric Fouchet, qui est, lui, " senior consultant ". C’est-à-dire ?

M. Frédéric FOUCHET. Consultant expérimenté.

M. le Président : Cela apparaîtra au procès verbal. Nous appliquons ici une loi, valable d’ailleurs pour tous les Français, qui exclut l’utilisation de termes franglais.

Votre cabinet a rédigé, en juillet 2002, un audit consacré aux conditions d’exploitation des différents réseaux de la compagnie Air Lib à la demande de la Direction générale de l’aviation civile (DGAC).

Je propose donc que vous nous exposiez le cadre général de votre mission, ainsi que les conclusions auxquelles vous êtes parvenu sur les chances de redressement de la compagnie Air Lib.

M. Laurent DERIVERY : Je rappellerai d’abord quelques éléments importants relatifs au contexte de notre étude.

Notre métier peut, de temps en temps, prêter à confusion. Notre nom est KPMG consulting France et non KPMG audit. Ce que je veux dire par là, c’est que la DGAC nous a mandatés pour une étude liée aux métiers d’Air Lib et non pas aux aspects financiers de l’entreprise, sachant qu’une mission était menée parallèlement par le cabinet Mazars sur les aspects liés à la trésorerie d’Air Lib.

Nous étions donc mandatés par la DGAC pour livrer une photo, un instantané - notre mission était d’ailleurs relativement courte, puisqu’elle se déroulait sur deux semaines - de la situation d’Air Lib. Extrapolant sur cette situation, nous devions avoir une vision de l’adéquation des moyens de production de la compagnie à ses marchés. Autrement dit, nous devions savoir si le parc-machines, c’est-à-dire les avions, et le personnel navigant, technique ou commercial étaient adaptés tant au business plan qu’à la réalité de l’exploitation, et éventuellement à des standards de coûts commerciaux, en fonction des marchés considérés.

La deuxième question était moins générique : quelle était la viabilité d’Air Lib Express, encore naissante, à l’époque ? En gros, était-elle bien partie ? Les fondamentaux étaient-ils bons ? La courbe laissait-elle présager un succès ou un échec ?

En troisième lieu, il fallait dire ce que l’on pouvait espérer de l’activité, encore relativement récente à ce moment-là, que représentait la desserte de l’Algérie, examiner les conséquences du partenariat existant avec Khalifa Airways et voir quels conseils on pouvait donner, pour recommander aux bonnes pratiques.

Enfin, on nous demandait un zoom sur la desserte des DOM, avec ses caractéristiques, structurelles ou conjoncturelles, et la façon dont on pouvait la faire évoluer pour la rendre éventuellement plus équilibrée.

On nous avait donc confié une mission assez générale sur la performance, à cet instant donné d’Air Lib. Je tiens toutefois à souligner certaines difficultés que nous avons rencontrées.

Cette compagnie a connu beaucoup de restructurations et, au cours de la dernière d’entre elles (la fusion AOM-Air Liberté), de nombreuses données ont été rendues indisponibles, notamment en termes de systèmes d’information, de visibilité sur le passé et d’exploitation - ce qui ne rendait pas toujours très facile l’analyse détaillée de certains éléments.

Une deuxième difficulté, conjoncturelle, était liée au fait, qu’étant donné la situation d’Air Lib à cet instant-là, beaucoup de personnes clés de l’organisation étaient parties. Le management connaissait donc une pression assez forte pour assurer l’opérationnel, ce qui, dans une compagnie aérienne, est toujours extrêmement prenant, et devait en parallèle gérer une restructuration qui promettait d’être lourde.

Notre mission était focalisée sur la compagnie aérienne et non pas sur les filiales (Holco et autres). Elle concernait l’exploitation aérienne. Notre vision portait donc sur les métiers, économies de lignes et moyens à mettre en œuvre pour ces lignes.

Nous nous sommes appuyés sur les données qui nous ont été fournies, par exemple, sur le business plan d’Air Lib, mis à notre disposition par la DGAC. Notre approche excluait donc la remise en question du business plan. Ce n’était pas ce que la DGAC demandait. Le fait de savoir si les hypothèses du business plan ou les hypothèses d’analyse de marché étaient fondées n’entrait pas dans l’objet de notre étude.

Encore une fois, notre mission était très concentrée dans le temps : quinze jours. Il n’y avait donc pas de volonté de la part de la DGAC d’aller extrêmement loin dans l’analyse, mais d’avoir une vision globale, suffisamment détaillée cependant pour pouvoir prendre un certain nombre de décisions. C’est pourquoi la DGAC a fait appel à nous. Elle souhaitait pouvoir s’appuyer sur des gens qui avaient une expertise forte du métier du transport aérien. En effet, je le disais, nous ne sommes pas des auditeurs ; par contre, nous avons une expérience du transport aérien significative, puisque nous faisons intervenir des gens opérationnels, qui ont travaillé pour des compagnies aériennes de type Air France.

Je tenais encore à souligner que nous avons eu une coopération forte d’Air Lib sur le sujet, dans la mesure où l’autorité de tutelle avait très clairement déterminé ce qu’elle voulait obtenir et les moyens qui étaient associés, notamment nos services. Nous avons donc coopéré de manière satisfaisante avec les gens que nous avons rencontrés.

Venons-en aux différents sujets de notre étude.

Air Lib souffrait globalement d’une inadéquation entre ses moyens et son business plan. En fait, il fallait considérer deux choses : le business plan et l’exécution de ce business plan à un instant donné, c’est-à-dire le programme des vols. Il y avait déjà une différence entre les deux. Mais surtout, quelle que soit la base de départ retenue, il y avait une surcapacité et une inadéquation éventuelle.

Cette surcapacité tenait au fait qu’il y avait trop d’avions par rapport à l’exécution du programme et, éventuellement, une inadéquation du type d’avion au programme des vols exécutés. On le verra quand on entrera dans le détail, notamment sur Air Lib Express et sur les DOM. Globalement, la flotte était trop importante et, pour certains de ces faisceaux ou domaines, inadéquate.

Par ailleurs, il y avait trop de personnel pour exécuter le programme stricto sensu, ce qui voulait dire que la base de coût était inadéquate, compte tenu de ce qu’était la compagnie.

M. le Président : Ce qui voulait dire qu’il fallait un plan de restructuration ?

M. Laurent DERIVERY : Nous avons évoqué un très grand nombre d’actions à mener pour que la compagnie soit saine et viable. Cela étant dit, nous pouvons entrer dans le détail de ces différents éléments.

Sur Air Lib Express, on pouvait relever des points positifs et d’autres un peu plus inquiétants.

Le premier point positif, c’est que, très clairement, Air Lib Express avait connu des succès commerciaux significatifs. Cela dit, trois grosses incertitudes pesaient sur Air Lib Express.

La première était structurelle, au sens où il n’y avait que quatre mois d’exploitation, ce qui veut dire que les données historiques étaient faibles et qu’il était difficile d’extrapoler. On pouvait donc dire qu’il y avait un succès commercial ; mais était-il viable ou non ? Il pouvait entrer dans ce succès des effets de " curiosité " ou d’appel.

La seconde incertitude, c’est que ce succès commercial n’assurait pas la rentabilité. C’est-à-dire que dans le business plan, associée au succès commercial, il y avait une augmentation de ce que les compagnies appellent le " prix moyen coupon ", c’est-à-dire en gros le prix de vente moyen, qui n’était pas encore à un niveau permettant la rentabilité.

La troisième incertitude qui, elle, était plus importante, plus structurelle, était l’inadéquation de la flotte d’avions à ce type d’exploitation : malgré la volonté de se positionner sur un marché à bas coûts, on était plus dans une logique de bas tarifs que de bas coûts. La structure des coûts d’exploitation n’était pas celle d’une compagnie à bas coûts.

Parallèlement à cette situation, on pouvait s’inquiéter, indépendamment de l’état de la compagnie elle-même, de risques liés à l’implantation éventuelle de nouveaux acteurs sur le sujet. La France était relativement préservée, mais cela n’est pas resté longtemps le cas. La France étant le premier marché mondial du tourisme, il est évident que c’est une cible prioritaire pour beaucoup de compagnies à bas coûts. Ce sont là des éléments sur lesquels on pourra revenir.

La desserte de l’Algérie, en revanche, semblait assez prometteuse pour Air Lib. Il y avait un type de machines adéquat pour exécuter cette prestation et une assez bonne rentabilité. Cependant, il faut relativiser les choses, car ce secteur restait assez marginal dans l’économie de la compagnie : 5% du chiffre d’affaires, ce n’est pas cela qui allait la faire vivre. Ce marché intéressant, en développement, avec une rentabilité intrinsèque qui n’était pas mauvaise, était donc plus une piste de complément qu’une piste en soi.

Par ailleurs, en ce qui concernait le partage de code avec Khalifa, nous exprimions un certain nombre de recommandations, liées notamment au souci de mettre en place ce qu’il fallait comme supervision de ce partenariat pour éviter de se retrouver dans une situation où l’on ne sait pas où est la marge.

Enfin, s’agissant de la desserte des DOM, Air Lib avait conclu un accord très important de partage de code avec Air France. Cet accord a aidé la compagnie à survivre, puisqu’il était fortement générateur de trésorerie. Mais la trésorerie ne doit pas être confondue avec le bénéfice. Cet accord était très défavorable par certains aspects et pas forcément seulement en montant pur. Il impliquait en effet pour Air Lib une exploitation sur deux sites. Or, une telle exploitation en transports aériens est très sophistiquée et très coûteuse. De plus, leur flotte n’était pas forcément très fiable, parce que les avions étaient vieux. Les coûts de maintenance étaient très élevés. Souvent, des avions tombaient en panne sur la base de Roissy et devaient être dépannés, ce qui coûtait des sommes très importantes. Donc, notre position était de dire : certes, il y a là quelque chose d’intéressant parce que ça génère du chiffre et de la trésorerie ; maintenant, peut-être que cela détruit de la valeur pour l’entreprise.

Au delà de ces aspects, l’exploitation de la desserte des DOM avait un problème, conjoncturel ou structurel, je ne sais pas : des investissements étaient nécessaires pour rendre cette exploitation équilibrée, notamment en terme de densification des avions. C’est un marché difficile, avec des saisonnalités fortes, qui implique un certain type de machines pour être rentable. Or même le type d’avions n’était pas forcément inadéquat, la configuration des avions rendait le point d’équilibre très difficile à atteindre. D’où notre recommandation de se demander quels moyens complémentaires devaient être mis en œuvre.

La combinaison de tous ces éléments aboutissait à la conclusion que cette compagnie - vous en parliez tout à l’heure - avait besoin d’un plan de restructuration, puisqu’il y avait une forte inadéquation entre ses buts ou sa stratégie et les moyens dont elle disposait. Ce type d’évolution nécessitait beaucoup d’argent.

Une meilleure adéquation des ressources en personnel navigant supposait l’application d’un plan social de l’ordre de 26 millions d’euros. La compagnie avait déjà un déficit qui se creusait. Il fallait changer la configuration des avions sur Air Lib Express et investir aussi sur les DOM, le tout ayant un impact sur les coûts de maintenance, qui étaient très élevés, du fait de l’obsolescence du parc machines.

Il était donc très important pour la compagnie de disposer d’une capacité d’investissement très significative, pour se configurer par rapport à ses cibles. Car on trouvait des éléments prometteurs, à côté de certains risques.

Parmi les éléments prometteurs, il y avait le fait que le produit Air Lib Express correspondait très probablement à une tendance du marché certaine, à condition de ne pas se retrouver avec de bas prix de vente et des hauts coûts. Les compagnies à bas coût ont un avenir. C’est une tendance lourde du marché. Sur un marché national très intéressant, Air Lib bénéficiait encore d’une bonne image même si ses difficultés rendaient son avenir délicat. Par exemple, sur le marché des DOM, les gens réservent leurs billets très longtemps à l’avance ; or, c’est un peu délicat, s’agissant d’une compagnie dont on sait qu’elle est en difficulté. Beaucoup d’agences de voyage ont arrêté pour cette raison de vendre des billets Air Lib.

Il y avait enfin quelques éléments complémentaires de risques. La concurrence pouvait éventuellement réagir par rapport à la stratégie d’Air Lib. Autrement dit, Air France pouvait - et l’a d’ailleurs fait en partie - montrer éventuellement plus d’agressivité vis-à-vis d’Air Lib et la puissance d’Air France aurait mis en danger les ressources d’Air Lib telles qu’elles étaient. De plus, on notait une volonté forte d’implantation d’autres compagnies à bas coûts sur le territoire national, ce qui, là encore, pouvait changer toutes les hypothèses de prise de marché d’Air Lib.

On relevait donc à la fois des risques et des opportunités. Mais les risques étaient probablement plus nombreux. En tout cas, le moteur paraissait difficile à mettre en route.

M. le Rapporteur : De combien de temps avez-vous disposé entre le moment où la DGAC vous a confié cette mission et le moment où vous avez remis le rapport ?

M. Laurent DERIVERY : Quinze jours.

M. le Rapporteur : Pensez-vous qu’en quinze jours, vous pouviez faire un travail fin et susceptible d’éclairer les pouvoirs publics ? Et avez-vous attiré l’attention de la DGAC sur l’extrême brièveté des délais qui vous étaient imposés ?

M. Laurent DERIVERY : La DGAC était tout à fait consciente de la difficulté de l’exercice ; mais elle n’avait, elle-même, pas le choix. Ses autorités de tutelle lui avaient imposé la date du quinze juillet.

M. le Rapporteur : Et vous-même, avez-vous attiré son attention sur l’extrême difficulté de cet exercice ?

M. Laurent DERIVERY : C’était une gestion de risque, pour nous. Nous sentions-nous capables de pouvoir délivrer un travail qui avait du sens et de la valeur pour notre client, la DGAC ? Nous avons estimé que oui. Mais, pour vous donner un ordre d’idées, on avait mobilisé quinze à vingt personnes en permanence. Les quinze jours de délai calendaire ont été quinze jours de travail.

M. le Rapporteur : C’est-à-dire qu’ils ont travaillé le samedi et le dimanche, le jour et la nuit ?

M. Laurent DERIVERY : Et nous nous sommes appuyés sur des gens qui avaient une expertise extrêmement forte du domaine du transport aérien.

M. le Rapporteur : C’est-à-dire ? Vous pourriez préciser ?

M. Laurent DERIVERY : Pour prendre quelques exemples, Frédéric Fouchet, qui est à ma droite, a été directeur d’exploitation d’une petite compagnie aérienne ; Didier Bréchemier a travaillé à la fois pour AOM et Air Liberté...

M. Didier BRECHEMIER : J’ai travaillé pour Air Lib, pour British Airways, pour la plupart des compagnies françaises, pour Royal Air Maroc, pour Luxair.

M. le Rapporteur : Comme consultant ou comme salarié ?

M. Didier BRECHEMIER : Comme consultant ou comme salarié, mais énormément comme consultant.

M. Laurent DERIVERY : Ce qui nous permettait d’éviter - ce qui est un problème dans notre métier - la phase d’acquisition, durant laquelle on se demande quel est le modèle, quelles sont les bonnes pratiques, etc.

M. le Rapporteur : Mais les représentants de la DGAC, que nous avons auditionnés, ont voulu, à travers ce qu’ils vous ont demandé, répondre à une question unique et simple : Quelle est la viabilité de la compagnie ?

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Alors, vous, qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que la compagnie était viable ? Vous avez travaillé quinze jours, à quinze ou vingt personnes... Je vais poser la question à chacun d’entre vous.

M. Laurent DERIVERY : Pour moi, le problème ne se posait pas forcément en ces termes-là. Le problème était de savoir à un instant T, et je reviendrai sur le définition de cet instant T, si la compagnie était capable de générer de la valeur ? La réponse était probablement oui. C’est-à-dire qu’après avoir mis beaucoup, beaucoup d’argent, la compagnie pouvait être rentable intrinsèquement. Oui, si on mettait sur Air Lib Express les bonnes machines. Oui, si on reconfigurait le nombre d’employés. Oui, si on redessinait la desserte des DOM. 

M. le Rapporteur : Monsieur le directeur, depuis un an, M. Corbet gère le groupe.

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Qu’a-t-il fait de tout ce que vous évoquez entre juillet 2001 et le moment où vous auditez, en juillet 2002 ?

Comment financez-vous le remplacement ? Vous dites dans votre rapport que la flotte est sur-calibrée et inadaptée dans sa structure au business plan. Vous dites qu’il faut racheter de nouveaux appareils. Mais comment finance-t-on ces acquisitions ? Il n’y a pas de banquier. Le seul argent disponible est celui que va verser - mais pas intégralement - Swissair.

M. Laurent DERIVERY : J’ai répondu à une partie de la question : est-ce que la compagnie est capable - ou a été capable à un instant T - d’être bénéficiaire en exploitation ? Oui, avec un investissement colossal. Sur ce sujet, on ne nous a pas demandé de faire un business plan d’investissement. On nous a demandé de juger une économie de lignes à un instant T.

M. Laurent DERIVERY : On pouvait aussi se demander si ces 150 à 300 millions d’euros, selon les estimations, devaient être investis dans cette compagnie ou servir à créer une nouvelle compagnie. Sur ce sujet, on pouvait avoir son opinion. Mais selon moi, il y avait deux gros problèmes pour la viabilité à venir de cette compagnie...

M. le Président : Pardon de vous interrompre. Puis-je vous poser une question subsidiaire ? Le Rapporteur vous a interrogé sur cette photographie qu’on vous avait demandé de faire. Cette photographie, vous ne l’avez faite que par rapport au business plan qui vous a été proposé ? Et ce business plan, qui fait état de perspectives de développement de lignes, etc., n’avez-vous pas constaté qu’il était non seulement surdimensionné, mais hors d’atteinte, vu l’état de l’entreprise ? Cela ne ressort pas tout à fait de votre rapport. Vous êtes-vous dit parfois qu’on vous faisait faire une étude par rapport à un business plan qui ne pouvait pas être mis en œuvre par la société telle qu’elle fonctionnait ?

M. Laurent DERIVERY : Je répondrai plusieurs choses à ce sujet. La DGAC nous a demandé de faire un résumé du rapport détaillé qui soit, disons, un peu plus " politiquement correct " que le rapport développé, qui, lui, a été tiré à quatre exemplaires seulement.

Nous y mettions en avant un certain doute quant aux hypothèses avancées. Nous le disions sous une forme...

M. le Rapporteur : Oui ! Sous une forme..., comme vous dites !

M. Laurent DERIVERY : Attendez ! C’était détaillé. On se demandait par exemple si le prix moyen coupon allait être capable d’augmenter de 30 % en tant de temps.

M. le Président : C’est-à-dire que vous répondez : " Oui, si... "

M. Laurent DERIVERY : Pour savoir si la compagnie pouvait arriver à être intéressante, il y avait deux choses importantes à nos yeux.

La première était de savoir si elle pouvait et devait avoir le financement nécessaire. Etait-ce un bon arbitrage d’investissement ? Il fallait en effet mettre vraiment beaucoup, beaucoup d’argent.

La seconde question était de savoir si elle avait la capacité de gérer ce type de transformation. Il était clair que, vu le management de la compagnie, en termes de surcharge, de nombre de gens et de capacité à gérer des transformations aussi lourdes, il y avait de fortes interrogations.

Ce point a été nettement abordé lors de notre comité de pilotage de restitution, avec d’ailleurs toutes les autorités de tutelle, qu’il s’agisse du ministère des Finances ou...

M. le Rapporteur : Mais l’avez-vous écrit ?

M. Laurent DERIVERY : Cela ne figurait pas dans les quatre questions posées par la DGAC.

M. le Rapporteur : D’accord, mais vous êtes trop prudents et trop fins connaisseurs des pratiques de votre métier pour ne pas commencer par un long préambule, comme en font tous les auditeurs, en disant, d’abord que vous n’avez eu que quinze jours, que vous avez travaillé jour et nuit, que vous étiez dépendants des informations qui vous avaient été fournies....

Ont-elles été fournies d’ailleurs ? C’est une des questions que je voulais vous poser. Est-ce qu’Air Lib a été capable de vous transmettre dans un délai court, voire très court, l’ensemble des informations que vous avez demandées ?

M. Laurent DERIVERY : Un de mes préalables a été de dire que certaines informations n’existaient pas, notamment parce qu’il y a eu de la perte sur l’historique.

M. le Président : Lesquelles, par exemple ?

M. Didier BRECHEMIER : Au niveau des ressources humaines, tout ce qui concerne les connaissances fines des âges pour le calcul exact des coûts liés à une réadaptation du personnel, ou ce qui concerne, en termes d’exploitation, les heures machines qu’il a fallu reconstituer sur la base de la consolidation des différents historiques pour connaître l’utilisation des machines et l’adéquation des heures de vols théoriques et réalisées par rapport aux standards du marché. Les informations de ce type nous auraient été nécessaires. D’un autre côté, l’entreprise a toujours été très ouverte. La difficulté était d’avoir des informations dont elle ne disposait pas nécessairement.

Ensuite, on a travaillé sur le business plan V 4 ter qui était en perpétuelle évolution sur l’avenir, ce qui était dû notamment à la course nécessaire d’Air Lib, par rapport à l’adéquation de ses marchés à un moment donné.

M. le Rapporteur : Avez-vous travaillé dans ces compagnies ou avez-vous été consultants de ces compagnies ?

M. Laurent DERIVERY : Les deux.

M. le Rapporteur : Donc, vous savez de l’intérieur ce que c’est qu’une compagnie.

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Quand vous demandez des informations aussi élémentaires que celles que vous évoquez et qu’on n’est pas capable de vous les donner - parce qu’elles n’existent pas dans la compagnie - , vous ne vous inquiétez pas et vous ne vous posez pas la question dans le préalable de l’audit que vous allez remettre, en écrivant que, manifestement, la compagnie n’a pas les outils de gestion de base ? C’est tout de même important pour les pouvoirs publics qui sont en train de se demander si on prolonge un prêt de 30,5 millions d’euros !

M. Laurent DERIVERY : Enfin... Oui. Et d’ailleurs, c’est un des points de notre conclusion.

M. le Président : Voyons cela.

M. Laurent DERIVERY : Cela apparaît à la page 11 de la synthèse, de manière elliptique. Nous disons que l’organisation de la structure doit être améliorée en termes de pilotage stratégique et opérationnel et de contrôle de gestion. En effet, il est clair que...

M. le Rapporteur : Vous le dites avec une prudence quasiment ecclésiastique ! Je lis le deuxième paragraphe de votre synthèse, p. 11 : " Les incertitudes actuelles obèrent l’appréciation de la stratégie moyen terme. Cependant, les savoir-faire des professionnels de cette entreprise, le potentiel certain du nombre de créneaux sur Orly et les opportunités du marché, notamment Air Lib Express et l’Algérie, devraient constituer les fondements d’une exploitation rentable. "

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Quand vous écrivez cela, ça veut dire que vous pensez que l’entreprise est viable et peut s’en tirer ?

M. Laurent DERIVERY : Attendez... J’aimerais bien qu’on lie ces phrases aux deux paragraphes qui suivent, qui disent " pour cela, de nombreux gains de rentabilité restent à réaliser. " Quand on regarde l’exercice qu’a mené Swissair, ils sont maintenant rentables, mais ils ont mis...

M. le Rapporteur : Quand nous avons interrogé les responsables de la DGAC, que nous ont-ils dit ? Qu’ils ont demandé à un organisme indépendant de leur faire un audit et que cet audit a démontré que l’entreprise pouvait être sauvée. C’est en effet votre conclusion.

Et quand nous interrogeons les pouvoirs publics en leur demandant pourquoi et sur la base de quels éléments ils ont renouvelé un prêt, leur réponse est la suivante : KPMG Consulting France, à travers le rapport qu’ils nous ont remis, concluait que l’entreprise pouvait être sauvée. C’est d’ailleurs ce que vous avez écrit dans votre conclusion.

M. Didier BRECHEMIER : La DGAC ou une personne qui consolidait l’information, puisque les audits ont été parcellaires sur les différents périmètres, pouvait tirer des conclusions qui ne nous ont pas été demandées : l’entreprise pouvait être sauvée à condition d’une restructuration lourde.

Mais avait-on les moyens de cette restructuration ? On ne nous l’a pas demandé.

M. le Rapporteur : Mais vous n’avez pas chiffré quel était le coût, en termes de machines, de l’adaptation du parc machines au marché ? Vous n’avez pas, à ma connaissance, à travers ce que j’ai lu de votre rapport, quantifié quel était le coût des licenciements.

M. Didier BRECHEMIER : Si, tout cela a été chiffré.

M. le Rapporteur : Et l’entreprise avait-elle les moyens de prendre ces mesures ?

M. Laurent DERIVERY : Tout cela a été chiffré dans les rapports que vous avez.

M. le Rapporteur : Mais quand on lit la synthèse, c’est-à-dire le document...

M. Laurent DERIVERY : Il y a deux synthèses.

M. le Rapporteur : Vous ne posez pas la question de savoir si l’entreprise a les moyens humains, en termes de gestion.... Vous faites une petite réserve, vous mentionnez quelques incertitudes, mais vous ne remarquez même pas que les outils de base de la gestion font défaut. Et vous êtes des professionnels de l’audit ? Et deux d’entre vous ont même travaillé dans des compagnies ?

M. Didier BRECHEMIER :Tous ces éléments ont été chiffrés et si vous regardez la synthèse qui est...

M. le Rapporteur : Ce n’était pas l’entreprise qui vous commandait cette étude, c’était l’Etat !

M. le Président : Nous vous comprenons bien, nous avons lu attentivement vos conclusions et notamment ce " peuvent faire entrer la compagnie dans un cercle vertueux ", c’est-à-dire que vous répondez " Oui, si... ". Nous sommes d’accord ?

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Président : Mais ce que nous voulons dire, les uns et les autres, c’est que nulle part il n’apparaît dans ce rapport - ce qui paraît important, même si ce n’est pas la question qui vous avait été posée de manière précise - que les informations de base n’étaient pas à votre disposition, parce qu’elles n’existaient pas. C’est tout de même assez important. Saviez-vous, par exemple, qu’il y avait quatre-vingts, ou plus exactement soixante-seize pilotes qui ne travaillaient pas ?

M. Didier BRECHEMIER : Tous ces calculs ont été analysés et figurent dans le rapport.

M. le Président : J’entends bien, mais...

M. Didier BRECHEMIER. Oui, nous le savions.

M. Laurent DERIVERY : C’est à la page 58.

M. le Président : J’ai vu aussi que vous avez évalué à 25,6 millions d’euros les problèmes concernant le personnel. Mais nous ne voyons apparaître nulle part les difficultés que vous avez eues pour conclure votre étude en quinze jours. La lecture du rapport donne l’impression qu’on se base sur le business plan qui a été établi - mais est-il bon ? Si demain il ne pleut pas et si je pars pendant trois semaines et s’il fait un soleil magnifique, je peux en effet revenir tout bronzé de mes vacances... C’est un " si " qui tient à des conditions tellement aléatoires qu’il est extrêmement difficile d’en apprécier la possibilité !

Or nulle part, on ne voit réellement ressortir les difficultés que vous avez rencontrées pour réaliser cette étude en quinze jours. Pour ma part, je suis impressionné que vous ayez réussi, même à vingt, à pouvoir rendre en quinze jours une conclusion sur la viabilité de la société. Il y a des moments, parfois, où l’on peut répondre que le temps manque et qu’il faut huit jours de plus.

M. Laurent DERIVERY : La question n’était pas : la société est-elle viable ou non ? La DGAC ne nous a pas posé cette question-là.

M. le Président : Est-il possible d’avoir la lettre de mission qui vous avait été adressée par la DGAC ? Pouvez-vous nous la transmettre ?

M. Didier BRECHEMIER : Le résumé de cette lettre figure à la page 2 de la synthèse intitulée " Contexte de l’étude ". Il y avait quatre sujets :

 évaluer précisément et vérifier l’adaptation des moyens de production de la compagnie à ses marchés,

 apprécier la viabilité à terme de l’activité Air Lib Express dans sa configuration présente,

 évaluer la capacité de développement de la desserte de l’Algérie et les conséquences du partenariat avec Khalifa Airways,

 apprécier la viabilité à terme de la desserte des DOM dans sa configuration présente et les éventuelles modifications à apporter pour la rendre équilibrée.

Il y avait quatre questions posées par la DGAC ; nous avons apporté quatre réponses.

M. le Rapporteur : Oui, mais en réponse à la question sur l’adéquation des moyens de production aux marchés, vous dites, si on prend la synthèse, que la flotte est surdimensionnée - vous le quantifiez ainsi : trois en long-courrier et deux sur le court et moyen courrier - et qu’il n’y a qu’à dénoncer les contrats ; il s’agissait pour la plupart d’entre eux de contrats de leasing.

Vous mentionnez ensuite un sureffectif de personnel. Vous estimez, pour simplifier, à vingt-six millions le coût des licenciements. Par parenthèse, quand vous dites à propos du personnel navigant technique que, d’après vos calculs, on est à cinquante-huit personnes en sureffectif, je vous signale que les syndicats sont venus nous dire, à nous, qu’il y avait près de quatre-vingts pilotes qui étaient payés depuis un an à ne rien faire.

Quand vous avez posé ces questions, avez-vous demandé quel était le nombre d’heures pour l’ensemble du personnel navigant technique ? Il n’y avait pas besoin de se fatiguer : il y en avait quatre-vingts qui ne volaient pas et étaient payés à rester chez eux. Je vous ai cité mes sources.

M. Didier BRECHEMIER :Oui.

M. le Rapporteur : Avez-vous eu ces éléments pendant vos quinze jours de travail ? Avez-vous demandé, ce qui est tout bête, les heures de vol pilote par pilote ?

M. Didier BRECHEMIER : Absolument.

M. le Rapporteur : Donc, vous avez eu ce chiffre ?

M. Didier BRECHEMIER : Si vous allez à la page 21 du document général, vous aurez toutes les informations analysées par secteur d’activité.

M. le Rapporteur : Oui, mais avez-vous eu le listing analytique ? Parce que ce que vous mentionnez, ce sont des synthèses. Connaissiez-vous, pour les derniers mois, le nombre d’heures de vol par pilote ? Je ne parle pas de taux moyens, mais bien de taux analytiques. Aviez-vous cette information et saviez-vous que, d’après ce que nous ont dit les syndicats, quatre-vingts pilotes ne volaient pas ? Est-ce que vous le saviez ?

M. Frédéric FOUCHET : On n’a pas eu l’information directe qu’il y avait quatre-vingts pilotes qui ne volaient pas. Mais on a eu différentes informations, notamment des états de vol mensuels moyens pour l’ensemble des personnels en fonction de leur classification (commandant de bord, copilote, chef de cabine, hôtesse et steward). Notre démarche, face à ces chiffres, a été de déterminer en moyenne quel était le nombre d’heures de vol réalisées par tête, pour vérifier s’il correspondait à des standards usuels du marché. Notre conclusion a été qu’ils étaient très faibles. Pour prendre un exemple précis, sur A340, le nombre d’heures de vol par mois pour un commandant de bord était de quarante-cinq, ce que nous avons signalé, alors que la cible était de soixante à soixante-cinq heures de vol par mois, sans qu’on puisse dire qu’il s’agissait d’un objectif inatteignable.

Ensuite, nous avons pris en compte des phénomènes qualitatifs qui correspondaient à différentes populations. Pour prendre l’exemple précis du personnel Fokker 100, que les syndicats ont probablement évoqué devant vous, il s’agissait de vingt-quatre personnels navigants techniques, qui, du fait de la disparition du secteur, ne pouvaient, de fait, voler puisqu’ils n’étaient plus qualifiés sur aucune machine exploitée par Air Lib. La réponse qui nous a été apportée, quand nous nous sommes interrogés sur l’avenir de ces pilotes, était qu’ils étaient intégrés au secteur MD80, mais ne volaient pas encore sur ce secteur, puisqu’ils étaient en cours de requalification. Une qualification machines dure trois à quatre mois et représente un coût assez lourd pour la société.

M. le Rapporteur : En effet.

M. Frédéric FOUCHET : En ce qui concerne le non-emploi d’un certain nombre de pilotes, une étude portait sur le secteur A340 et nous l’avons citée dans le rapport. Ce secteur A340 était dimensionné pour trois appareils, à raison de neuf équipages par appareil. Sachant que ce secteur A340 desservait essentiellement la Réunion, et qu’en raison des contraintes réglementaires, ce vol doit se faire en équipage renforcé, on compte un commandant de bord et un copilote de renfort sur ces vols. Or il n’y avait que deux appareils sur les trois, donc mathématiquement, on aboutissait à un surplus de neuf équipages sur le secteur A340, qui ne volaient pas ou volaient peu et contribuaient à la chute de la moyenne des heures de vol mensuelles.

On a également porté cette réflexion sur les personnels navigants commerciaux et on a clairement identifié un sur-encadrement d’une dizaine de personnes de ce secteur. Nous avons ainsi constaté dans la gestion de l’entreprise qu’un certain nombre de personnels navigants ne volaient pas, pour la raison que j’ai citée tout à l’heure et étaient occupés à d’autres tâches, notamment des fonctions d’encadrement au sol. Mais le chiffre de quatre-vingts ne nous a pas été communiqué.

En cas de sureffectif, il y a deux manières de procéder : quand on doit faire soixante heures de vol par mois et qu’on a deux personnes, soit une personne fait soixante heures et l’autre zéro, soit chacun fait trente heures.

M. le Rapporteur : Ce que je trouve étonnant, car j’ai moi aussi fait de l’audit, dans ma vie, et cela pendant dix ans, c’est que des questions aussi basiques, comme de savoir quel est le temps de vol sur les trois derniers mois de chacun des pilotes n’aient pas été posées. Si vous l’aviez fait, vous auriez eu cette information. Ce sont des pilotes d’Air Lib qui sont venus nous raconter cela. Et vous auriez trouvé le même type d’information auprès du personnel navigant commercial.

Pour revenir sur les surcapacités et les coûts, il y avait un autre problème : la compagnie était-elle capable de dégager les moyens suffisants pour financer la dénonciation des contrats sur au moins cinq appareils et procéder à des licenciements pour vingt-cinq ou vingt-six millions d’euros ? Car il y aurait naturellement eu négociation et plan social.

Ce que je trouve étonnant, c’est que vous n’ayez pas dit : peuvent-ils aujourd’hui faire cela, alors qu’après un an de gestion, ils ont maintenu cette situation ?

M. Christian PHILIP : J’aimerais prolonger la question du Rapporteur. A la question " Air Lib peut-il évoluer ? " vous répondez : " Oui, si... ". Pourquoi n’avez-vous pas dit à la DGAC : " Non, car il y a trop de conditions pour que ce " si " devienne crédible ". Il y a en effet trop de facteurs à réunir, si l’on tient compte du fait que, depuis un an, la situation n’a pas évolué. Ne peut-on pas attendre parfois ce type de réponse d’un audit : qu’il réponde " Attention, danger ! " ?

M. Laurent DERIVERY : La question a été abordée lors du comité de pilotage au cours duquel nous avons remis nos premières conclusions, c’est-à-dire les éléments bruts. La question posée a été " Pensez-vous qu’Air Lib peut y arriver ? " Notre sentiment était double : Air Lib ne pouvait y arriver qu’avec beaucoup d’argent, et que se posait véritablement la question de savoir si l’investissement de la même somme dans une autre compagnie, une compagnie nouvelle, avec des fondamentaux différents, ne serait pas plus rentable. Mais cette décision n’était pas de notre ressort. C’était un arbitrage d’investissement sur lequel le bailleur de fonds, quel qu’il soit, devait s’interroger, dans la mesure où nous pensions que cet investissement serait de toute façon très risqué.

Le second point était de savoir si le management d’Air Lib, selon nos estimations, avait les moyens de gérer à la fois sa survie et sa transformation pour arriver à cette situation. Notre réponse était non.

M. le Président : Nous comprenons bien ce que vous dites, mais ce qui nous interpelle - nous recherchons les raisons de toutes ces décisions ou non-décisions qui ont été prises, aussi surprenantes les unes que les autres - c’est que votre conclusion de la page 11, en réalité, ne correspond pas aux différents éléments que l’on rencontre, page par page, concernant la nécessité de plans de redressement, de licenciements ou d’entrées de capitaux. Or le drame est que ce sont souvent les conclusions dont se servent, pour travailler, les journalistes ou les personnes qui communiquent. Votre rapport n’a été édité qu’à quatre exemplaires.

M. Didier BRECHEMIER : Permettez-moi de vous interrompre. Les journalistes ont toujours mentionné dans les différents articles des besoins de restructuration lourds, forts, en adéquation avec le rapport de KPMG. Ils ont donc eu d’autres interprétations que celles qui concluaient à la viabilité d’Air Lib.

M. Gilbert GANTIER : Vous avez dit qu’au fond, la question posée par la DGAC, donc par le gouvernement était : est-ce qu’Air Lib peut s’en sortir ? C’est bien cela ?

M. Laurent DERIVERY : Non, ce n’est pas la question qui nous était posée.

M. Gilbert GANTIER : Quelle était exactement cette question ?

M. Laurent DERIVERY : Il y avait quatre questions.

Il faut bien voir que pendant cette même période, il y avait plusieurs missions mandatées par la DGAC. Il y avait notamment une mission liée à la trésorerie et aux moyens financiers d’Air Lib, mission confiée à un cabinet d’audit. Nous, la question qui nous était posée était celle-ci : donnez-nous les informations de base par ligne, par marché, et sur quatre points. C’était tout.

A la limite, la mission, telle que je l’avais comprise, était que la DGAC assurait la consolidation avec une vue financière côté Mazars, pour arriver à en tirer une conclusion.

M. Gilbert GANTIER : On vous a donné quinze jours pour mener à bien ce contrat. Vous avez mobilisé un personnel très important de KPMG.

M. Didier BRECHEMIER : Une quinzaine de personnes.

M. Gilbert GANTIER : Pendant quinze jours et à temps presque complet. C’est donc une affaire importante. Mais je voudrais savoir s’il y avait une mission définie en une, deux, trois, dix lignes et si cette mission apparaissait quelque part.

M. le Président : Nous allons avoir la lettre de mission.

M. Didier BRECHEMIER : La DGAC a dû vous la transmettre.

M. le Président : Non, pas encore.

M. Frédéric FOUCHET : Puisqu’il s’agissait d’un marché public, il y a eu un cahier des clauses techniques particulières pour cette intervention.

M. le Président : Nous vous demandons de nous transmettre la lettre de mission avec le cahier des charges correspondant.

La surprise des différents commissaires tient à ce qu’à partir d’une lettre de mission encadrée par quatre questions précises, qui n’appelaient peut-être pas une réponse ex abrupto par oui ou par non, on attendait de l’étude une certaine objectivité, certaines conditions liées au passé, certaines autres qui tiennent au présent et une extrapolation qui touche à l’avenir. Et cela, c’est une ambiance, dans le cadre de l’audit que vous réalisez, qui ne peut pas vous échapper. Ce que nous trouvons étonnant, c’est que cela ne ressorte pas de manière suffisamment précise, dans votre rapport, alors que dans vos propos, cela ressort très clairement.

M. Didier BRECHEMIER :Sur quels éléments est-ce que cela ne ressort pas ?

M. le Rapporteur : Je vais reprendre chacun de ces quatre points dont vous parlez.

Premier point : il s’agissait d’" évaluer précisément et [de] vérifier l’adaptation des moyens de production de la compagnie à ses marchés ". Votre conclusion est très simple : il y a une surcapacité avions et une inadéquation de la flotte, et en outre un sureffectif que vous évaluez, pour les pilotes, à cinquante-huit, je crois.

M. Laurent DERIVERY : C’est lié au business plan.

M. le Rapporteur : Les syndicats sont venus nous dire que le sureffectif allait bien au-delà. Pour que des syndicats de pilotes viennent nous le dire, il fallait que vous fussiez bien en dessous de la réalité ! Voilà pour la réponse à la première question.

La deuxième était : " apprécier la viabilité à terme de l’activité Air Lib Express dans sa configuration présente ". Là, vous répondez que l’opération a été lancée trois ou quatre mois plus tôt et que les résultats commerciaux sont globalement bons, mais qu’ils varient selon les lignes. Toutefois, on n’atteint pas l’objectif " bas prix, bas coûts ", car les prix sont plus bas que prévu, mais les coût sont toujours hauts. Le problème est donc de savoir comment on fait pour réduire les coûts et pour augmenter la recette moyenne. Sur la recette moyenne, je trouve votre diagnostic un peu imprudent puisque vous dites qu’il faut augmenter la recette moyenne d’au moins 20% pour équilibrer, parce que ce nouveau produit est encore en train d’enterrer un peu plus la compagnie, et baisser les coûts.

Vous écrivez, page 5 de votre synthèse : " L’augmentation des ressources est soumise à de nombreuses hypothèses. Il est à noter que le positionnement d’Air Lib, bien que risqué, est novateur par rapport aux expériences passées des structures Air Liberté et AOM, principalement cristallisées sur les destinations DOM, charter sur le bassin méditerranéen et vols domestiques. "

Mais, entre nous, quand on lit votre rapport, c’est clair : la compagnie a une structure de coût totalement inadaptée à un tel produit !

Et comment obtiendrez-vous ces bas coûts et ces bas prix dans une compagnie qui vient, en plus, de renégocier à la hausse ses conventions collectives, puisqu’il a fallu les fusionner ? La compagnie perd déjà douze millions d’euros par mois, on augmente encore le coût unitaire et vous ne le dites pas ? Je trouve cela étonnant.

M. le Président : Voilà ce que, nous tous, nous trouvons étonnant.

M. le Rapporteur : Vous dites qu’il faut augmenter les revenus et vous laissez croire que c’est possible, bien que ce soit bien difficile. C’est du moins ce que vous mettez dans le paragraphe " Augmenter les revenus ".

M. Didier BRECHEMIER : Si on rentre dans l’analyse et qu’on travaille poste par poste, ce n’est plus un élément, mais une somme d’éléments à réunir pour réussir à se rapprocher d’un modèle de bas-coûts désagrégé, comme celui d’EasyJet à l’heure actuelle...

M. le Rapporteur : Mais ce qui est contradictoire dans votre audit, c’est que vous dites : " pour réussir sur ce nouveau produit, bas coûts bas prix, il faut des bas coûts "...

M. Didier BRECHEMIER : Oui.

M. le Rapporteur : Or ils ne sont ni dans l’organisation, ni dans les coûts unitaires. De plus, pour avoir un succès commercial en termes de fréquentation, on a lâché encore plus que prévu dans le business plan sur les prix. Parce qu’on peut toujours remplir des avions : à un euro la place, ce ne serait pas difficile ! Mais vous n’avez pas été, sur la deuxième question qui vous était posée, au bout de votre analyse. Et la DGAC a retenu qu’on pouvait s’en tirer !

Sur la troisième question, le problème algérien et les relations avec Khalifa Airways, vous dites que l’Algérie représente un peu plus de 4% du chiffre d’affaires et que la compagnie gagne sa vie. Tout le monde fait le même diagnostic sur ce point, y compris maître Lafont, que nous venons d’auditionner. Simplement on vous avait demandé de préciser les relations avec Khalifa...

M. Didier BRECHEMIER : Il y avait deux contrats : un contrat de vendeur et un contrat d’assistance en escale.

M. le Rapporteur : Voilà. A cet égard, je n’ai pas très bien compris vos conclusions. Ces relations avec Khalifa Airways étaient-elles à vos yeux des relations normales ? Quel était votre diagnostic ?

M. Didier BRECHEMIER : Je cite le rapport final : " L’exploitation des liaisons entre la France et l’Algérie, et en particulier entre Paris et Alger, représente une opportunité unique pour Air Lib. Des résultats d’exploitation encourageants préconisent une rentabilité des dessertes algériennes à court terme. Le développement du trafic Sud-Nord constitue le prochain défi sur ce marché très rentable. Le partenariat établi avec Khalifa Airways se focalise aujourd’hui sur la distribution commerciale des vols Air Lib en Algérie. Une relation plus forte est envisagée pour desservir, au départ de Paris, des localités de la province algérienne.

" Présent sur des liaisons " province-Algérie ", Khalifa Airways pourrait voir évoluer son rôle de représentant commercial à compétiteur direct en cas de vol entre Paris et Alger. Afin de mieux connaître ce marché stratégique et d’anticiper tous scenarii futurs, la direction d’Air Lib a ouvert une représentation commerciale propre à Alger, première étape d’une implantation plus forte en Algérie.

Conclusion : maintenir les lignes sur l’Algérie et mettre en place une supervision renforcée de la commercialisation par Khalifa. "

M. le Rapporteur : Oui, mais vous ne répondez pas à la question posée sur les relations Air Lib-Khalifa Airways. Quel est votre diagnostic sur ce point ? Quand on lit votre rapport, on ne sait pas bien quelles sont vos conclusions.

M. Didier BRECHEMIER : Dans le rapport global, l’ensemble des éléments sur l’Algérie figure aux pages 113-124. Pour expliciter l’ensemble du contrat commercial, nous écrivons :

" Air Lib a signé deux contrats avec la compagnie [Khalifa Airways]. Le contrat commercial est un contrat de GSA. D’après les informations fournies par les dirigeants d’Air Lib, ce contrat a une durée illimitée, avec une période de préavis pour son interruption de trois mois. Il porte sur l’ensemble des ventes effectuées par les cinquante agences du réseau Khalifa et des autres agences IATA présentes sur le territoire. Sont exclues toutes les ventes réalisées directement par Air Lib. Le GSA perçoit pour son activité une rémunération variable en fonction des ventes. Air Lib reconnaît une commission de 2,5 % sur la valeur nette du coupon (les taxes ne sont pas prises en compte). Le coût total supporté par Air Lib sur cette typologie de vente est de 11,5 (9 % de commission aux agences, qui est le taux IATA, et 2,5 % de commission GSA). Khalifa Airways ne perçoit aucune indemnité fixe. "

M. le Rapporteur : Oui, c’est ce que vous indiquez en conclusion, pour répondre à l’une des questions qui vous était posée. Mais en lisant cela, je n’ai pas compris ce que vous préconisiez.

M. Didier BRECHEMIER : Le maintien des lignes.

M. le Rapporteur : Il n’y a pas de critique ni, à l’inverse, de jugement positif, indiquant par exemple qu’il s’agit d’un bon accord ? (Silence)

Vous écrivez dans votre synthèse que " La stratégie d’Air Lib, par la mise en œuvre d’une structure locale afin de limiter l’opportunisme de Khalifa et de mieux comprendre le marché, est adaptée. Il sera important de maintenir un contrôle sans faille sur les modes de gestion en Algérie. " Qu’entendiez-vous par là ?

M. Didier BRECHEMIER : Il y avait, avec Khalifa, un contrat de distribution qui était adapté à la structure et qui avait le mérite d’exister. Khalifa était en effet un concurrent potentiel sur la destination Paris. Il fallait donc, dans ce cadre, rechercher une diversification avec un autre partenaire en termes de distribution et surtout avoir une structure de supervision et de contrôle en local, de manière à éviter des asymétries d’information entre le partenaire Khalifa et la compagnie aérienne. Cet accord sous-jacent avec Khalifa correspondait aux règles et aux lois du marché, compte tenu des taux connus par les professionnels du marché, nous citons les taux IATA et la commission de 2,5 % supplémentaires. Ce rapport s’adresse d’ailleurs à la DGAC et ces taux lui sont parfaitement connus. D’un autre côté, dans le mode de fonctionnement prévu avec Khalifa, il y avait des risques liés à l’asymétrie d’information et à un opportunisme possible de Khalifa...

M. le Rapporteur : Vous ne vous mouillez pas dans votre diagnostic. Vous ne dites pas : " nous, nous pensons qu’il faut rompre progressivement les liens avec Khalifa. "

M. Didier BRECHEMIER : Ce n’est pas notre conclusion.

M. le Rapporteur : Elle n’est pas très claire, votre conclusion.

M. Laurent DERIVERY : Le contrat devait être maintenu, mais il fallait gérer les risques. La compagnie Khalifa ne risquait-elle pas de dire un jour : " je bascule, et tout est pour moi" ?

M. le Rapporteur : Bon.

Et puis, il y avait la quatrième et dernière question qui vous était posée, sur la viabilité à terme de la desserte des DOM . Là, il ne s’agissait plus des 4 % de la ligne algérienne !

M. Didier BRECHEMIER : Non.

M. le Rapporteur : Les DOM devaient représenter presque un tiers du chiffre d’affaires. C’était donc considérable. Or vous dites que ce secteur est structurellement déficitaire. Et vous observez que certaines mesures doivent être approfondies, mais que " la mise en œuvre de ces mesures implique un besoin de fonds de roulement important. "

M. Laurent DERIVERY : Là, la conclusion est assez claire : il faut fermer. Le gros problème que cela pose à Air Lib, c’est qu’on renforce une problématique clé, touchant la base des coûts dont on dispose.

En effet, ce domaine est structurellement déficitaire : s’il n’est pas subventionné par les collectivités territoriales, ou par un autre mode, il est déficitaire. Il faut donc fermer. Mais si on ferme, il reste de nombreuses ressources partagées par l’ensemble des lignes qui vont obérer la rentabilité des autres lignes.

M. le Rapporteur : Mais lorsqu’on lit les éléments qui figurent dans votre rapport, on ne les trouve pas cohérents avec votre conclusion. In fine, on lit : " si on doit fermer la totalité des DOM, il y aura un tiers du chiffre d’affaires en moins ". Sur le deuxième point, le grand espoir d’Air Lib Express n’est pas rattrapable, parce qu’il faudrait prendre des mesures tellement drastiques pour abaisser les coûts et qu’on n’arrivera pas à ré augmenter sensiblement le mixte tarifaire. Vous dites ensuite que les nouveaux produits sont des gouffres, qu’un tiers est un gouffre irrécupérable (les DOM). Je ne comprend pas que vous n’ayez pas répondu au ministre : " Vous nous avez demandé de livrer en quinze jours, avec des difficultés d’accès aux informations, le système d’information dans la compagnie étant de toute façon inadapté à une réponse fiable dans des délais aussi rapides.

" Les nouveaux produits n’ont pas les caractéristiques permettant d’être rentables. Il faut abandonner l’ensemble des DOM. Le coût des licenciements, dans ce cas, excède les vingt-neuf millions qui ne portent que sur les surcapacités actuelles. Il faut tenir compte du fait qu’il faudra licencier un tiers du personnel, qui est affecté à la desserte des DOM. Il faut revendre les avions. "

Pourquoi n’avez-vous pas dit que l’entreprise n’était pas viable en l’état ? Les représentants de la DGAC nous ont dit ici-même - et c’est pour cela que nous avons tenu à vous auditionner - que le rapport fourni par KPMG concluait que l’entreprise pouvait être sauvée. Or, après un examen détaillé, il apparaît que l’entreprise ne peut pas l’être.

C’est pourquoi je voudrais que maintenant que vos deux collègues, monsieur le directeur, répondent à la question très simple que je vais leur poser. Vous avez travaillé quinze jours avec de nombreux collaborateurs, quelle était votre appréciation personnelle - dans un groupe, tous n’ont pas nécessairement la même appréciation - sur la viabilité de cette compagnie ?

M. Didier BRECHEMIER : En dehors du rapport d’audit qui a été fait, vous me demandez une appréciation personnelle ? Nous sommes bien d’accord ?

M. le Rapporteur : Oui. A travers tout ce que vous avez vu...

M. Didier BRECHEMIER : En dehors, donc, des quatre questions qui nous étaient posées ?

M. le Rapporteur : Ces quatre questions sont tout de même des sous-éléments qui permettent de répondre à la question que je vous pose.

M. Didier BRECHEMIER : Ce sont des éléments d’une conclusion à tirer, parmi d’autres, compte tenu du fait que nous n’avons pas les éléments financiers pour savoir si la compagnie avait les moyens ou pas de mettre en œuvre les plans de restructuration proposés à l’intérieur du document.

M. le Rapporteur : Vous saviez tout de même qu’il n’y avait pas de banquier : vous lisez la presse !

M. Didier BRECHEMIER : Non.

M. le Rapporteur : Ce n’était pas dans votre mission, c’est vrai. Mais vous lisez la presse, quand même ?

M. Didier BRECHEMIER : Enfin...

M. le Rapporteur : Ces éléments sont dans la presse.

M. le Président : M. Bréchemier peut-il répondre à la question qui lui est posée ?

M. Didier BRECHEMIER : Mon sentiment, c’est que l’entreprise était viable, avec une restructuration très importante. Le management au niveau opérationnel avait fait des efforts excessivement importants pour réadapter notamment le produit Air Lib Express, qui avait les caractéristiques, au niveau du produit soft, c’est-à-dire en termes de volonté de distribution de ce produit et de caractéristiques de service à bord. Il y manquait un certain nombre d’attributs primordiaux, notamment les coûts liés à la maintenance, à la typologie d’avions et aux structures de rémunération des navigants et de leur utilisation ; je ne parle pas seulement de salaires, mais du nombre d’heures moyen. Si l’on prend l’ensemble de ces items, avec une restructuration ordonnée suivant deux pôles et deux grands centres de lignes (l’Express et l’autre exploitation), en y injectant l’ensemble des capitaux, avec une banque derrière, je pense intimement qu’il était possible de sauver cette entreprise, oui.

M. le Président : C’est-à-dire que c’était très bien si on changeait tout ?

M. Didier BRECHEMIER : C’était très bien si on changeait énormément de choses. On était dans un contexte où Air Lib avait la chance formidable d’avoir des créneaux sur Orly. C’était là un pas-de-porte extraordinaire.

M. le Président : Nous avons bien compris. C’était très bien si on changeait tout. C’est votre conclusion.

M. Didier BRECHEMIER : C’était très bien si on changeait beaucoup de choses, sachant qu’on avait des professionnels qui, dans l’entreprise, savaient faire fonctionner...

M. le Président : Nous avons bien compris.

M. le Rapporteur : Mais voilà un an qu’ils gèrent et ils n’ont rien appliqué de ce que vous dites...

M. Didier BRECHEMIER : Dans le cadre de cet audit, nous n’avons pas pu suffisamment croiser les directives et évaluer les plans d’entreprise, pour pouvoir juger ce qui a été fait par le management au plus haut niveau, dans cette structure.

M. le Rapporteur : Vous êtes un ancien d’une compagnie aérienne, vous voyez que depuis des mois, il y a des sureffectifs considérables, mais qu’on ne fait rien, qu’on ne réduit pas les effectifs et vous ne vous dites pas qu’on va dans le mur ?

M. Didier BRECHEMIER : Je dis qu’il faut réduire.

M. le Rapporteur : Mais cela fait un an qu’on ne le fait pas !

M. le Président : Monsieur Derivery, quelle est votre appréciation personnelle sur la viabilité de l’entreprise ?

M. Laurent DERIVERY : J’ai surtout une vision de la manière dont on gère un projet de transformation majeur et de l’arbitrage financier qu’il faut faire. Le problème n’est pas seulement de savoir si l’entreprise est rentable, mais de savoir si, en injectant la même somme dans une autre entreprise, on n’obtiendrait pas de meilleurs résultats.

En ce qui concerne la première question, je suis, je l’ai dit à la DGAC, très sceptique sur la capacité de la compagnie à gérer un projet de transformation majeur.

M. le Président : Vous l’avez dit à la DGAC ?

M. le Rapporteur : Lors de la restitution ?

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Président : Pourquoi est-ce que cela ne figure pas dans vos conclusions ?

M. Laurent DERIVERY : Ce n’était pas la question qu’on nous avait posée. Nous étions dans le contexte très encadré d’un marché public. En outre, sur quinze jours, nous avons eu tout juste le temps de répondre à ces questions, et pas forcément à toutes les questions possibles et imaginables. Nous avions donc la volonté de répondre aux questions qui nous étaient posées. Nous n’avions guère de temps complémentaire pour répondre éventuellement à d’autres questions. Nous sommes restés à la disposition de la DGAC et de l’Etat pour répondre à des questions complémentaires, qui touchaient plus à l’interprétation de notre rapport. Mais nous nous devions de rester dans le cadre qui nous était imposé et la mission qui nous était confiée.

Je pense que la compagnie avait un gros problème pour gérer un programme de transformation majeur. Pour ma part, je ne suis pas un expert international de l’évaluation de l’actif que peuvent constituer les créneaux d’Orly, qui représentent un actif fabuleux versus l’argent qu’il faut mettre. Autrement dit, je ne sais pas peser le fait de savoir s’il vaut mieux recréer une compagnie avec 300 millions d’euros ou s’il faut garder cet actif et y injecter ces 300 millions d’euros. Mais j’ai fait, comme vous, le constat qu’il s’agissait de sommes colossales, en termes de redimensionnement de la compagnie. A mon sens, il restait enfin un élément délicat : le choix du moment où l’on arrêterait, sachant que les implications sur les personnels étaient très douloureuses.

M. le Président : Monsieur Fouchet, je vous pose la même question qu’à vos deux collègues : quel est votre avis personnel sur les capacités de redressement de la société ?

M. Frédéric : Je vais répondre en deux temps.

Toutes choses égales par ailleurs et indépendamment du besoin de financement, le projet de repositionnement d’Air Lib, sur les trois marchés (l’Algérie, le produit Express et le produit long courrier) me paraissait, indépendamment de l’historique et des besoins de financement, quelque chose de viable, à une condition expresse, qui était de séparer l’activité court et moyen courrier (Air Lib Express et l’Algérie) du long courrier. Cela, pour une raison simple : on ne sait pas rebalancer les coûts fixes entre chacun de ces secteurs. De plus, l’activité long courrier absorbe une grosse partie des coûts fixes au détriment du court courrier, parce qu’on fait une répartition en pondérant la distance parcourue par les avions.

Sur le moyen courrier, les causes de surcoût étaient identifiées : il s’agissait de la maintenance et de la productivité du personnel navigant et pas nécessairement du coût du personnel navigant, et de la réponse du marché, qui semblait bonne, à l’époque, même si les recettes étaient encore faibles.

Sur le long courrier, je vous renvoie à la page 33, le premier point, c’est qu’il fallait fermer les Antilles ou trouver des financements pour augmenter la recette globale sur ces destinations (Fort-de-France et Pointe-à-Pitre), qu’il fallait abandonner l’exploitation bi-base, ce qui a été fait à la fin de la saison, et qu’il fallait densifier, c’est-à-dire passer d’une configuration cabine des appareils hérités de Swissair - en tri-classe, avec une classe affaires importante et un espacement des sièges assez important - qui ne permettait pas de faire baisser le coût unitaire, pour se rapprocher d’un modèle de desserte des Antilles comme on peut en trouver chez Corsair où les avions sont davantage des " bétaillères ", passez-moi le terme, qu’un produit select.

En ce qui concerne les moyens d’arriver à ce but, il est évident qu’en juillet, le chemin à parcourir était énorme et cela transparaît dans les conclusions de nos rapports. Nous signalons en effet un besoin de financement phénoménal. Après, il faut prendre en compte des notions de continuité d’exploitation, pour savoir si l’on continue, avec un historique du passif, voire des pertes pendant encore un certain temps, ou si on arrête. Mais dans ce cas, qu’est-ce qu’on met à la place ?

On voit aujourd’hui l’exemple d’Air Austral, sur une toute petite partie du marché d’Air Lib, la desserte de la Réunion : il faut tout de même un certain temps pour arriver à monter une compagnie aérienne qui desserve les DOM de manière professionnelle et efficace. Donc il faut faire un arbitrage entre la poursuite de l’exploitation, à partir de quelque chose qui fonctionne mal, mais qui existe et qu’on peut espérer améliorer, et le fait de recommencer quelque chose en partant du début. Pour cela, il faut se demander ce qui se passe dans l’intervalle : vaut-il mieux assurer une continuité de la desserte, quitte à perdre un peu d’argent - voire beaucoup, en l’espèce - ou risquer une rupture, sans savoir ce qui se passe en attendant d’avoir des solutions de substitution.

M. le Président : M. Gantier voulait vous poser une question.

M. Gilbert GANTIER : Je n’ai pas lu le rapport que vous avez produit. Il m’est par conséquent très difficile d’avoir une opinion. Mais dans une vie antérieure, j’ai été secrétaire général d’un organisme important. Quand je disais à mon président " là, je ne sais pas ; il faudrait qu’on consulte un professeur de droit ou quelqu’un de ce genre ", il me disait qu’il voulait bien, mais que cela coûterait assez cher, et par conséquent qu’il fallait savoir exactement quelle question on allait poser et à quelle conclusion on allait aboutir : faut-il poursuivre ou non, quelles sont nos chances, etc.

Cela commençait donc toujours par une lettre de mission. On disait : " L’organisme en question demande à M. Untel, professeur à telle faculté, etc., d’examiner tel cas et de lui dire premièrement, si ceci, deuxièmement, si cela. " En général, il y avait un délai. Si on avait demandé un délai très court, cela arrivait quelquefois, c’est qu’il y avait une instance judiciaire ou quelque chose de ce genre. Là, on vous donnait un délai de quinze jours. Pourquoi ? On attendait une décision du gouvernement : le gouvernement allait se décider au vu de vos conclusions.

C’est sans doute pour cela qu’on a fait appel à vous, car sinon, vos conclusions n’avaient aucun intérêt : c’était de la littérature, c’était un article de journal. Alors, avez-vous eu l’impression, en travaillant avec cette hâte, durant quinze jours, avec un personnel nombreux et averti, que la décision du gouvernement sur Air Lib dépendrait, si peu que ce soit, de vos conclusions ? Et les conclusions que vous avez données sont-elles, à cet égard, assez nettes pour que vous disiez : " Le Gouvernement a suivi ou n’a pas suivi nos conclusions " ?

M. le Président : Qui veut répondre ?

M. Laurent DERIVERY : Je vais essayer. Notre étude, répondant à des questions précises - et les questions étaient très précises - s’inscrivait-elle dans un ensemble plus global ?

Il était assez clair que cette étude allait s’inscrire dans le cadre d’une décision globale. D’ailleurs, il y avait plusieurs opérations concomitantes, puisqu’une mission touchant les aspects de la trésorerie et l’utilisation du prêt était menée par un autre cabinet. Oui, notre étude semblait s’inscrire dans un ensemble destiné à donner à la DGAC une vision sur des éléments du métier, mais aussi sur des éléments que la DGAC n’était pas capable de reconstituer, notamment les coûts de licenciement. C’est pour cela aussi qu’indépendamment du chiffre auquel on arrivait, nous avons donné les éléments de calcul, par profil, du prix moyen. De sorte que si on fait varier l’effectif de cinquante à soixante-dix personnes, on sait ce que cela va entraîner comme surcoût.

Donc, ces éléments de compréhension étaient destinés à s’inscrire dans un cadre un peu plus général. Maintenant, nous avons essayé, dans notre approche, de répondre aux questions qui nous étaient posées et de donner les éléments permettant de s’inscrire dans cette décision plus globale.

M. Gilbert GANTIER : Les questions étaient précises. On en revient par conséquent à la lettre de mission.

M. Laurent DERIVERY : Il y avait un cahier des clauses techniques particulières qui nous avait été remis et qui expliquait bien les attentes.

M. le Président : Je voudrais vous poser, avant de terminer, deux questions très précises aussi. Vous dites avoir réalisé cet audit en quinze jours. Avez-vous eu connaissance immédiatement du montage juridique des différentes sociétés et filiales, y compris à l’étranger ? Oui ou non ?

M. Didier BRECHEMIER. Non.

M. Laurent DERIVERY : C’était hors sujet, pour nous.

M. le Président : Avez-vous eu connaissance de ce montage juridique ? Votre réponse est non. C’est très clair. Vous n’avez donc pas eu connaissance de l’existence de la société Mermoz UA en Hollande ?

M. Laurent DERIVERY : Non.

M. le Président : Comment avez-vous apprécié, à ce moment-là, le coût de la maintenance et, pour vous, comment est apparu le coût de la maintenance des avions par rapport aux modalités de sa mise en œuvre ? Comment l’avez vous considéré ? Comme un chiffre précis sur la ligne d’un chapitre budgétaire, sans savoir qui exerçait le métier de maintenance ?

M. Didier BRECHEMIER : Tel que nous l’avons vu, le métier de maintenance était fait par Air Lib Technics. Les problématiques liées aux réserves de maintenance qui pouvaient être positionnées à tel ou tel endroit n’étaient pas prises en compte. Donc, nous avons estimé les charges attribuées à la maintenance, qui étaient à comparer avec celles d’autres structures d’exploitation faisant de la maintenance.

M. le Président : J’entends bien, monsieur Bréchemier. La question que je vous pose est claire : quand vous avez étudié la maintenance, car vous en avez parlé à plusieurs reprises...

M. Didier BRECHEMIER : Dans le cadre du business plan.

M. le Président : Pour vous, dans le cadre du business plan, c’est Air Lib Technics qui fait la maintenance, point final ?

M. Didier BRECHEMIER : Oui.

M. le Président : Car vous savez que nous avons découvert depuis qu’il y avait douze millions d’euros transférés en Hollande à Mermoz UA, pour cause de mise en œuvre de toutes les pratiques de maintenance lourde. Cela ne vous est pas apparu ?

M. Didier BRECHEMIER : Non.

M. le Président : Vous ne vous êtes pas posé de questions, vous n’avez pas essayé de savoir ?

M. Didier BRECHEMIER : Ce que l’on sait sur ces éléments ou ce qu’on a cherché à savoir, c’était si les réserves de maintenance étaient provisionnées ou pas vis-à-vis d’un bailleur ou d’un loueur, quel qu’il soit. Sur la maintenance, on a simplement regardé les charges liées à la maintenance, qui provenaient d’Air Liberté Technics.

M. le Président : Mais personne ne vous a informé à ce moment-là de la manière dont fonctionnait le dispositif ?

M. Didier BRECHEMIER : Nous, nous l’avons considéré comme n’importe quel loueur d’avions, puisque c’est classique dans ces structures de compagnies aériennes : les actifs sont soit chez les grands loueurs d’avions comme GLFG, Gecas soit sur les structures de financement externes.

M. le Président : C’est classique ?

M. Didier BRECHEMIER : Oui.

M. le Président : M. Rochet, lorsque nous l’avons auditionné, nous a indiqué que justement ce n’était pas classique et que lui-même avait gardé les avions sur le territoire national.

M. Didier BRECHEMIER : Où ils se situent, c’est une autre problématique. Mais le fait qu’il y ait des gens qui achètent les avions et qui les louent à des compagnies d’exploitation est courant. Air France maintenance a fait la même chose. Si vous regardez le nombre d’entreprises positionnées au Luxembourg et qui y positionnent leurs avions, c’est assez classique. Voilà ma réponse.

M. le Président : D’accord.

Pour ma dernière question, je vais en revenir à ce qu’en disait le Rapporteur, car c’est un point qui me préoccupe beaucoup. Tout ce que vous avez dit depuis que vous parlez, avec beaucoup de compétence, d’ailleurs, ce dont je vous remercie, nous laisse penser que dans les conclusions de votre rapport, tout naturellement, vous deviez répondre : " Non, non, non ". Du moins, je le pense.

Je suis tout de même étonné de lire : " Cependant le savoir-faire, etc., devrait constituer les fondements d’une exploitation rentable. " Quand on écrit cela dans des conclusions, cela veut dire qu’on le pense sincèrement. Or quand on lit votre rapport, on ne peut pas imaginer une seconde que vous puissiez écrire cela.

Deuxièmement, vous dites dans le dernier paragraphe qu’Air Lib est en équilibre instable. C’est le moins qu’on puisse dire ! " Des premiers succès commerciaux à transformer en termes de rentabilité sur Express. " Lesquels ? Passons. " Une capacité d’actions commerciales peut faire rentrer la compagnie dans un cercle vertueux. " Il est évident que, quand on dit que la compagnie peut entrer dans un cercle vertueux, cela ouvre des perspectives extrêmement favorables et que, quand on a des employés, des salariés, un gouvernement, de gauche ou de droite, et des tas de gens qui essaient de sauver cette compagnie, et qu’on lit cette conclusion, on se dit qu’effectivement, il y a incontestablement une porte de sortie positive.

Voilà le problème.

C’est ce que nous disons tous : quand on lit votre rapport dans le détail et quand on vous entend, surtout, car ce que vous dites, du moins en grande partie, ne figure pas dans votre rapport, qui est concis et précis, on est surpris. Ce que vous nous dites devrait tout naturellement conduire à une autre conclusion que celle que vous avez faite.

M. le Rapporteur : Je vais vous poser une question un peu brutale. Est-ce que vous avez été libres ? N’avez-vous subi aucune influence dans la rédaction de vos conclusions ?

M. Didier BRECHEMIER : Vous parlez du document de synthèse ?

M. le Rapporteur : Oui, et notamment de la phrase finale qui vient d’être relue par notre président.

M. Didier BRECHEMIER : Nous avons été libres. Simplement, quel était l’objet de cette conclusion ? La DGAC nous a demandé d’avoir une conclusion générale assez globale, de façon à pouvoir fournir cette conclusion à l’entreprise.

M. le Président : Le Rapporteur est précis. N’oubliez pas que vous déposez sous serment. Vous n’avez, à aucun moment, été influencés ? Avez-vous eu des conseils concernant les conclusions générales que vous deviez fournir ? Oui ou non ?

M. Laurent DERIVERY : Non. On nous a demandé, mais ce n’est pas de l’influence négative, d’avoir une conclusion générale qui restitue bien les différents éléments, mais qui ne soit pas - entre guillemets - " brutale ".

M. le Rapporteur : Vous n’étiez pas obligé de suivre ce conseil. Vous êtes un cabinet indépendant.

M. Laurent DERIVERY : Tout à fait. Et si on a choisi de le suivre, si on a rédigé ainsi, c’est que, pour nous, il s’agissait d’un arbitrage. Clairement, on ne nous demandait pas d’indiquer de quel côté penchait l’arbitrage.

Vous nous dites qu’en additionnant tout, on aurait dû conclure le contraire. Mais d’une part, nous n’étions pas en charge d’additionner tout, c’est-à-dire de mettre en regard d’autres aspects, comme les investissements nécessaires. Nous avons chiffré certains éléments, mais nous n’avions pas à réfléchir sur les moyens d’Air Lib ; cela ne faisait pas partie de notre mission. D’autre part, même si on nous demandait une synthèse, cela ne faisait pas partie du périmètre de la mission, que de répondre à la question : et vous, qu’est-ce que vous feriez ?

M. le Rapporteur : Oui, mais vous avez évalué la réduction du surcoût en surcapacité d’avions et de personnel, sans estimer les conséquences de votre préconisation. Vous préconisiez, par exemple, de fermer les Antilles, sans dire : " Si vous fermez les Antilles, il faut licencier tant de personnel ".

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Donc, vous l’avez fait sur un point, mais vous ne l’avez pas fait sur l’autre ; dans le cadre de votre mission bien sûr. C’est pour cela que c’est un peu curieux.

M. Laurent DERIVERY : Mais pour moi, c’est un problème presque mécanique. Evaluer l’impact de la fermeture des Antilles à un instant T, c’est un travail qu’il était tout à fait impossible de faire dans le périmètre de cette étude, dans un délai de quinze jours. Redimensionner la base de coûts variables (avions et personnel) n’était pas difficile. Mais comment redimensionner la base fixe ?

M. le Rapporteur : Pourtant, sur la quatrième question, touchant la desserte des DOM, vous ne préconisez rien dans vos conclusions ; alors que vous l’aviez fait sur le premier point qui concerne l’adéquation des moyens aériens ou des moyens en personnel au regard du réseau tel qu’il était. Dans le premier point, vous répondez précisément à la question, par des évaluations ; mais dans le quatrième point, qui représente presque le tiers du chiffre d’affaires de la compagnie, vous ne le faites pas. C’est étonnant.

M. Laurent DERIVERY : A tort ou à raison. La question ne nous était pas posée de la même manière. La DGAC nous a demandé de dire comment se reconfigurer en termes de machines et de personnel par rapport à la configuration actuelle du business plan. C’était la première question. Mais la quatrième était : qu’est-ce qu’il faut faire, par rapport aux DOM actuellement ? On ne nous demandait pas de mesurer l’impact de cet élément sur le global.

M. le Rapporteur : Dans votre rapport, vous préconisez " la fermeture des lignes desservant les Antilles et la recherche de montages commerciaux avec les régions des DOM et vous écrivez que l’abandon de cette activité engendrerait un besoin de trésorerie important et une répartition des charges fixes sur les activités restantes ". Vous évoquez bien le problème, mais vous ne le quantifiez pas. A ce moment-là, il fallait recalibrer aussi les charges fixes. La compagnie perdrait, avec les Antilles, un très gros morceau de son chiffre d’affaires : les Antilles représentaient 15 à 20 % du chiffre d’affaires, grosso modo 20 % du personnel navigant technique et commercial et donc 20 % au minimum des charges fixes.

Je voulais vous poser enfin une dernière question. Vous avez un peu parlé de la manière dont s’est passée la restitution. Au bout de quinze jours, vous rendez votre copie. Y a-t-il eu alors une ou plusieurs réunions avec la DGAC ?

M. Didier BRECHEMIER : Il y a eu une réunion intermédiaire au bout d’une semaine et ensuite une réunion avec la DGAC, pour la présentation orale du rapport de synthèse général.

M. le Rapporteur : Comment s’est passée cette restitution ?

M. Laurent DERIVERY : En terme d’assistance, il y avait des représentants de la DGAC, du ministère des Finances, du CIRI...

M. le Rapporteur : M. Leroy ?

M. Laurent DERIVERY : Oui.

M. le Rapporteur : Et vous êtes allés un peu au-delà de votre rapport ?

M. Laurent DERIVERY : Nous avons présenté l’ensemble des éléments, en discutant, comme nous le faisons en ce moment, sur certaines hypothèses. Tout chiffrage est lié à une hypothèse. Nous en avons balayé plusieurs. Le tout était de bien comprendre ce qui se passe derrière chaque donnée et quelle interprétation on peut en donner.

Ensuite, il y a eu une séance de questions-réponses. Par exemple, puisque la situation impliquait une restructuration très lourde, on nous a demandé si d’autres compagnies avaient réussi une restructuration de ce type dans des délais cohérents, si Air Lib était capable de la mener à bien en terme de management, etc.

M. le Rapporteur : Est-ce qu’on vous a posé la question de fond, la seule question qui importe : la compagnie est-elle viable et à quelles conditions ?

M. Laurent DERIVERY : Pas comme ça.

M. le Président : J’ai lu avec attention la partie du rapport où vous faites état des possibilités du développement des activités à l’extérieur, notamment à l’étranger. Vous parlez à un certain moment, dans votre conclusion - pardon d’y revenir toujours - du " savoir-faire des professionnels ". Avez-vous pu l’apprécier sérieusement pendant ces quinze jours ?

Vous faites notamment état de la mise en place d’une possibilité de développement à l’étranger en ce qui concerne le soutien du réseau commercial pour rentabiliser les lignes. Quand on imagine un business plan, quand on le voit, qu’on le lit ou le décrit, ce ne sont que des déclarations d’intention. S’il s’agit de dire : " Si l’on change tout, tout peut aller mieux, à condition qu’on respecte scrupuleusement les données du business plan ", ce n’est pas la peine d’aller vous chercher, vous, qui êtes très compétents, et de dépenser de l’argent, pour tirer de telles conclusions.

Avez-vous été en mesure, à un certain moment, d’apprécier le savoir-faire et le professionnalisme de ce personnel dont vous faites état en conclusion, notamment en ce qui concerne le réseau commercial et son fonctionnement, pour soutenir l’activité des lignes prévues dans le cadre de l’Europe, de Tripoli, de Louxor et l’Algérie ? Avez-vous pu analyser la capacité de ce personnel ? Avez-vous eu des données concernant le réseau commercial, la manière dont il fonctionnait, sa pertinence, son résultat en termes de vente de billets sur place, etc. ? Vous êtes-vous interrogés sur la capacité de ce réseau commercial à faire fonctionner les lignes qui apparaissaient comme nécessaires, dans le business plan, pour équilibrer les comptes de la société ?

M. Didier BRECHEMIER : J’en reviens toujours aux quatre questions. Sur les DOM, oui ; sur l’Algérie, oui (c’était le contrat de GSA) ; sur le reste, non. Les éléments qualitatifs sur le savoir-faire de la compagnie reposaient surtout sur la partie exploitation.

M. le Président : Mais les équilibres d’une société par rapport aux recettes, liées forcément aux dépenses dépendent surtout de la capacité commerciale. Ma question est claire : avez-vous, dans cette perspective, eu les moyens d’une analyse pertinente de l’efficacité du réseau commercial ?

M. Didier BRECHEMIER : En dehors des DOM, non.

M. le Président : La réponse est non. Vous parlez du savoir-faire, sans préciser lequel, d’ailleurs : vous parlez du savoir-faire des professionnels de l’entreprise. Je suis fondé à penser qu’il y a une direction des ressources humaines, donc un professionnel, peut-être compétent, une direction technique, une direction du personnel, etc. Donc il y a une multitude de savoir-faire et de compétences diverses. Vous en parlez globalement. Vous n’avez pas eu les moyens d’analyser ce système commercial, qui doit pourtant bien fonctionner, pour soutenir une activité d’entreprise ?

M. Didier BRECHEMIER : De manière fine - tout dépend ce qu’on entend par ce terme, bien entendu -, il y a eu analyse des taux de remplissage et donc de la capacité de vendre. Pour ce qui est de se repositionner et d’aller un peu plus loin sur la distribution directe, on a des débuts d’analyse sur les capacités de l’entreprise et donc sur ses savoir-faire. L’entreprise a réussi à mettre en place un système de distribution directe. Les taux de remplissage étaient forts sur certaines lignes.

Le problème véritable était le prix du moyen coupon, qui était désastreux. Mais là, on quitte le domaine de la structure commerciale pour entrer dans celui du " yield management ", du " revenue management ", et de la capacité de l’entreprise dans sa stratégie, à se demander, face aux réponses qu’on lui apportait : pourquoi ces prix moyen coupon et ces taux de remplissage ? Mais il s’agit là d’une stratégie de prise de part de marché.

M. le Président : Vous n’avez donc pas eu connaissance du fonctionnement du système commercial, sauf pour les DOM. C’est bien cela ?

M. Didier BRECHEMIER : Pour ce qui est du système commercial, comme, dans les compagnies, tout est centralisé, en termes d’information, sur le passé, c’est-à-dire les prix moyen coupon et le taux de remplissage, la structure....

M. le Président : Ce n’est pas ce que je veux dire, je comprends bien que, quand on décrypte une comptabilité ou qu’on interroge des personnes, on a les réponses aux questions que l’on pose. Ma question est plus précise. Lorsque l’on fait fonctionner une compagnie aérienne, l’activité commerciale est forcément essentielle pour le bon fonctionnement de la société. Il n’y a pas seulement le prix du coupon qui importe ; il y a la manière dont on fait rentrer les recettes. Avez-vous analysé avec pertinence le bon ou le mauvais fonctionnement du système commercial destiné à valoriser l’activité d’Air Lib ? Ma question est simple. La réponse est... ?

M. Didier BRECHEMIER. : Non.

M. le Rapporteur : L’une des quatre questions qu’on vous a posées concernait Air Lib Express. Est-ce que vous avez su comment était rémunéré le personnel navigant commercial qui se partageait la recette des ventes à bord ?

M. Didier BRECHEMIER : Oui, nous l’avons su.

M. le Rapporteur : Pourquoi ne l’avoir pas mis dans votre rapport ?

M. Didier BRECHEMIER : C’est un mode de fonctionnement qui me semble tout à fait...

M. le Rapporteur : Sympathique ?

M. Didier BRECHEMIER : Intéressant, oui.

M. le Président : La vente au noir ?

M. Didier BRECHEMIER. Attendez ! je ne sais pas ce qu’il y a derrière ! Mais d’avoir un incentive pour des commerciaux, je trouve cela plutôt sympathique.

M. le Rapporteur : Trois ou quatre mille francs par mois, d’après ce que nous ont dit les syndicalistes !

M. Didier BRECHEMIER : Ça, on ne le savait pas.

M. le Président : Qu’est-ce que vous saviez alors ?

M. le Rapporteur : Vous venez de me dire que vous le saviez.

M. Didier BRECHEMIER : Nous savions que globalement, il y avait un incentive à la vente pour les ventes à bord.

M. le Président : En français, c’est quoi ?

M. le Rapporteur : Une incitation.

M. Didier BRECHEMIER : Une part variable.

M. le Rapporteur : Ils se partageaient la recette ! C’est fou, ça !

M. Frédéric FOUCHET : Dans notre interprétation et en tout cas en juillet, en l’état de mes connaissances, il nous avait été dit qu’il y avait un intéressement sur les ventes à bord.

M. le Président : Avez-vous demandé à ce moment-là comment était structuré cet intéressement ? Je pense que vous avez demandé des éléments ?

M. Frédéric FOUCHET : Non, dans mon esprit, c’était en fonction des résultats.

M. le Rapporteur : Non ! C’était bien plus simple : la compagnie achetait les boissons et les sandwiches, ils les vendaient et ils se partageaient la cagnotte.

M. le Président : Sans déclaration fiscale.

M. le Rapporteur : Pas mal, hein ? Pas de cotisation, pas de problème.

M. Didier BRECHEMIER : Ce que nous avons analysé, ce sont les différents attributs du produit, pour savoir s’il y avait un rapprochement à faire avec Ryanair, Easy Jet, dans les différents services à bord.

M. le Rapporteur : Mais vous ne vous êtes pas étonnés de ne pas voir de recettes à bord pour Air Lib Express ? Elles avaient disparu. Cela ne vous a pas frappé qu’il y ait zéro ? (Silence) Enfin...

M. le Président : Il n’y a plus de question. Je vous remercie de nous avoir répondu avec la plus grande sincérité. Si, éventuellement, nous jugions opportun de vous inviter à nouveau, nous vous le ferions savoir.


Source : Assemblée nationale (France)