Question : Ma première question concerne la situation en Irak. Comme nous le savons, les événements dans ce pays prennent un caractère toujours plus dramatique, surtout à la lumière de ce qui s’est passé pendant ces jours. C’est pourquoi je voudrais connaître votre avis à propos de ce qui s’y passe tout de même. Est-ce vrai que les USA sont en train de "s’éterniser" en Irak, et que ce pays devient pour eux une sorte de second Vietnam ? Ou est-ce la même chose qui se passait, quant la Russie avait été en Afghanistan ?

Et je voudrais aussi demander, est-ce que la Russie a considéré la possibilité de participer au règlement de la situation en Irak en y envoyant ses troupes qui pourraient aider les forces internationales dans ce pays ?

Vladimir V. Poutine : Avant de parler à ce sujet, je voudrais dire que nous présentons nos condoléances au peuple américain rapport aux victimes en Irak. La mort des gens est toujours une tragédie.

Concernant le sens des événements qui s’y passent, ce scénario, cette évolution des événements, nous les avons prévus. Mais je n’irais pas jusqu’à le comparer avec l’expérience soviétique en Afghanistan pour plusieurs raisons, je ne veux simplement pas donner maintenant dans le détail. Mais pour que la situation n’évolue pas selon ce scénario-là, il faut obtenir l’essentiel - l’union des efforts de la communauté internationale dans la mise de l’ordre en Irak. Et d’un.

Et de deux - il faut créer sur cette base les conditions pour un rapide transfert de tout le pouvoir politique dans le pays au peuple irakien même. La Russie n’est pas intéressée à faire éterniser ce processus et cette situation en Irak. Au contraire, nous sommes intéressés à ce que ce problème soit résolu, et rapidement. C’est pourquoi nous soutenons la dernière résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU pour l’Irak.

Notre position consiste en ce que c’est un pas dans la bonne direction, mais il n’est toujours pas suffisant. Pour obtenir l’unité définitive de la communauté internationale dans le règlement irakien, il faut aussi faire des pas ultérieurs visant à donner à l’Organisation des Nations Unies plus de possibilités de régler directement la situation politique dans ce pays. Et tant qu’on ne l’aura pas obtenu, plusieurs pays se verront quelque peu limités quant à leur participation active au rétablissement de l’Irak.

Nous avons un bon exemple, l’exemple en Afghanistan, où nous avons fait en commun un certain chemin du règlement politique jusqu’à l’état, dans lequel se trouve actuellement la situation en Afghanistan. Nous admettons tout à fait que, dans le cas de l’Irak, on pourrait aussi suivre le même chemin. Nous sommes prêts, ouverts à ce travail. Nous comprenons qu’il faut agir avec prudence, il ne faut pas créer le vide du pouvoir en Irak. Mais il ne faut pas non plus faire traîner la situation, puisqu’à faire traîner la situation, le processus du transfert de tout le pouvoir au peuple irakien fera maintenir l’opposition intérieure. Elle commence à vivre sa propre vie, commence à agir selon ses propres lois intérieures, prend de l’inertie, et ensuite, il sera très difficile de lutter contre cette inertie.

La lutte contre le terrorisme international ne sera efficace que quand la communauté internationale aura vraiment uni ses efforts, pourra unir ses efforts.

Question : Et en ce qui concerne l’envoi là-bas des troupes russes, que pourriez-vous dire là-dessus ?

Vladimir V. Poutine : Nous n’avons même pas encore envisagé cette possibilité. Pour l’instant, il n’y a pas de conditions pour cela.

La Russie participe à diverses opérations pacificatrices de l’ONU, et pour nous, il n ’y a rien de nouveau. Dans le cas de l’Irak, j’ai déjà dit, la dernière résolution est un avancement dans la bonne direction, mais c’est encore insuffisant pour ne faire que soulever le problème de l’envoi des troupes ou déployer d’autres actions similaires.

Nous sommes aujourd’hui prêts à travailler en Irak économiquement. Nous sommes prêts à offrir nos experts, qui travaillent en Irak depuis des années, qui sont très bien vus en Irak, qui sont considérés en Irak comme des amis. Nous connaissons l’économie de l’Irak de l’intérieur, nous connaissons le matériel livré encore du temps soviétique. Ce ne sont, certes, pas les technologies ultramodernes, mais c’est ce qui pourrait aujourd’hui réellement faire renaître l’Irak à la vie. Nous le discutons avec nos partenaires. Tout récemment, a eu lieu la rencontre de nos représentants en Irak avec les partenaires américains, avec les partenaires irakiens nous sommes toujours en contact. Nous espérons que ce processus va avancer.

Et puis, vous savez bien que nous avons été catégoriquement contre le règlement du problème irakien par les moyens militaires, nous avons été contre la frappe. Il aurait été inconséquent et bête de notre part de déclarer maintenant que dans la situation donnée, nous étions prêts à y envoyer nos troupes. Mais nous voulons que le problème soit résolu, résolu au plus vite, efficacement, dans l’intérêt du peuple irakien, et nous allons agir solidairement avec tous les membres de la communauté internationale.

Question : Je voudrais poser la question concernant l’Europe, d’autant plus vu votre future visite en Italie, où se tiendra, en particulier, le sommet Russie-Union Européenne.

Comme nous le savons, il s’agit maintenant de créer l’espace économique européen commun, c’est pourquoi nous serions intéressés de savoir, si la Russie entend se limiter seulement à cette piste de la coopération avec l’Union Européenne, ou serait-elle tout de même intéressée à l’union politique, à la participation à l’intégration politique aussi ?

Et encore une question : que répondriez-vous, si l’on vous demande au cours de ce sommet - est-ce que la Russie est prête à passer aux ventes des sources de l’énergie en euros ? Et aussi, parlant de l’espace, s’attend-on à la décision liée avec la facilitation du problème de visas ?

Vladimir V. Poutine : L’Europe est pour nous le plus important partenaire des échanges commerciaux et notre partenaire naturel, le plus important, y compris dans le domaine politique. La Russie ne se trouve tout de même pas sur le continent américain, mais en Europe. Certes, une grande partie de notre territoire se trouve en Asie, mais tout de même la Russie est, avant tout, un pays de culture européenne. Nous sommes intéressés au développement des relations avec nos partenaires aux Etats-Unis et sur le continent américain en général, et en Asie, mais, bien sûr, avant tout, avec l’Europe.

Nous travaillons vraiment beaucoup actuellement aux principes essentiels de l’espace économique unique. A la proposition de certains de nos partenaires, nous sommes en train de faire des premiers pas pour faciliter les problèmes de visas. Par exemple, à l’initiative de nos collègues allemands, nous sommes en train de nous entendre sur la simplification du régime de visas, à la première étape - pour certaines catégories de citoyens : ce sont les jeunes, les hommes d’affaires, les politiques.

Nous menons les mêmes pourparlers sur la possibilité de pas pareils dans le domaine de visas avec nos collègues italiens. Il est pour nous important de faire participer la Russie au processus de Bologne et à la création de l’espace unique de l’enseignement. Il faut dire que nous comprenons aussi les difficultés que nous et nos partenaires européens affrontons au cours de ce travail. Beaucoup dépend, certes, de nous aussi. La Russie doit correspondre aux normes définies. Il suffit d’avoir la volonté de régler ces problèmes, il faut travailler en commun, se donner des buts communs et aller vers eux.

Concernant les ventes des sources de l’énergie en euros, théoriquement c’est, bien sûr, possible. Mais, vous le savez, le pétrole, il est vendu essentiellement à la bourse, et là, tout se vend et s’achète en dollars US. Donc, cela ne dépend pas que de nous.

Concernant le gaz, c’est le sujet des négociations des agents économiques - Gazprom, leurs partenaires. Je n’y vois rien d’impossible. Compte tenu de la "flottaison" éternelle des devises, c’est toujours le problème du bénéfice économique.

A propos de la politique de l’intégration, sans commencer la discussion avec vous, je me poserais tout de même la question : avec qui s’intégrer politiquement ? Peut-être que j’ai tort, alors, vous me rectifierez, mais je crois que la position russe dans plusieurs problèmes modernes, les positions internationales très importantes, les problèmes avec certains pays de l’Union Européenne, est plus proche que celle de certains pays de l’Union Européenne entre eux. Aujourd’hui, nous sommes prêts au dialogue avec tous les pays de l’Union Européenne séparément et avec l’Union Européenne en général, cela dit, bien sûr, nous allons partir des réalités et de nos intérêts nationaux.

Question : Monsieur le Président ! Je voudrais vous poser la question concernant les événements intérieurs en Russie, mais qui ont un écho international. Il s’agit de la situation liée, premièrement, avec la compagnie YOUKOS, et aussi avec les remaniements qui ont été faits dans l’Administration du Président de la Fédération de Russie, avant tout, vu la démission de Volochine. L’Occident commence à craindre quelque peu que la politique de la Russie fasse déjà preuve de moments autoritaires qui peuvent aussi influer sur le changement du cap politique général. Comment commenteriez-vous cette situation ?

Vladimir V. Poutine : Je ne vois pas de raisons de penser ainsi. Si vous voyez ce qui s’est passé aux Etats-Unis ces deux dernières années, vous verrez qu’un total de presque 20 dirigeants des compagnies différentes ont fait l’objet de poursuites judiciaires. Rien que pour Enron, 20 affaires pénales ont été engagées. On procédait aux arrestations directement dans les bureaux des compagnies avec les menottes aux poings et la démonstration de tout le spectacle à la télé. Un des figurants de l’affaire, comme on sait, s’est même suicidé. Et on n’a pas de doutes à propos de ce qui s’y passe, non ?

Je vous assure que chez nous, il ne se passe rien d’extraordinaire. Chez nous, la situation est, peut-être, même plus compliquée que dans les autres pays à économie de marché stable. La différence est que les gens d’une telle fortune n’ont jamais encore été poursuivis en justice, comme dans d’autres pays.

Certes, je comprends, on pense, et d’aucuns font spécialement penser, que tout ce qui se passe peut provoquer, admettons, la déprivatisation.

Et vraiment, le processus même de la privatisation peut recevoir une note assez critique, il y a eu beaucoup de violations au cours de la privatisation. Et c’est pourquoi, différentes forces débattent chez nous constamment la question de l’utilité de réviser les résultats de la privatisation.

Je dois vous dire que je suis adversaire catégorique de la révision des résultats de la privatisation, même si l’on part de ce que ces résultats ne constituent pas un idéal, puisque, j’en suis profondément persuadé, cela provoquera des conséquences négatives graves pour l’économie et, partant, pour la sphère sociale.

C’est pourquoi il n’y aura aucune déprivatisation ni révision des résultats de la privatisation, mais tous doivent apprendre à vivre d’après la loi, observer les lois du pays. J’ai comme l’impression qu’au cours de la privatisation, quand on se partageait le patrimoine national, l’économie nationale en tant de parts, ceux qui le faisaient s’étaient entendus entre eux de vivre d’après certaines règles - d’après la mentale.

Il leur faudra à tous apprendre à vivre d’après la loi.

Mais comme la société connaît ces tendances - réviser ces résultats de la privatisation, comme chaque organe administratif, y compris ceux de maintien de l’ordre, voudraient bien, comme on dit chez nous, "tirer de son côté" la couette administrative, il faudra, bien sûr y veiller de près et ne pas laisser ce développement négatif des événements. Nous espérons que nous saurons le faire.

Concernant le personnel, tôt ou tard cela devrait arriver. La situation que nous sommes en train de discuter est devenue une sorte de catalyseur du règlement de ces problèmes. L’ancien chef de l’Administration du Président (il a travaillé encore du temps du premier Président de la Russie, du temps de Boris Nikolayévitch Eltsine) - est un bon gestionnaire et une personne très probe. Mais cela fait déjà quatre ans que je lui ai présenté l’homme qui devrait le remplacer à ce poste. Il le savait et, au fond, le préparait lui-même à prendre la relève. Les personnes nommées me sont bien connues, ce sont les gens d’opinion libérale, démocratiques, orientés au développement de la démocratie et de l’économie de marché en Russie. Nous avons tout un plan de la poursuite des réformes pour l’année prochaine et les suivantes, et nous allons le réaliser de manière consécutive.

Concernant l’affaire YOUKOS, les accusations du Parquet contre les dirigeants de la compagnie devront être prouvées par ce Paquet dans un procès public au tribunal. Et ce n’est qu’après que l’on pourra parler de la culpabilité ou de la non-culpabilité des gens que l’on accuse aujourd’hui.

Question : Néanmoins, on a l’impression, y compris sur la base de ce qu’on dit dans les milieux d’affaires, que les accusations lancées contre les dirigeants de la compagnie YOUKOS sont les accusations des opérations, des affaires qui, dans les années 90, avaient été monnaie absolument courante pour toutes les compagnies russes, mais alors, des accusations pareilles pourraient être lancées non seulement contre cette compagnie, mais contre toutes les autres aussi.

Vladimir V. Poutine : Et pourquoi ? Est-ce que tous sont accusés d’avoir commis des crimes de droit commun, jusqu’aux meurtres, au cours de l’acquisition d’une propriété ? Je suis persuadé que non. Est-ce que tous sont accusés d’avoir fraudé le fisc ces dernières années ? Je suis persuadé que non.

Et enfin, vous savez, il existe une composante très importante - économique et sociale. Car nous voulons construire notre économie sociale de marché à l’exemple de l’Europe. Ce qui veut dire que nous reconnaissons que la propriété privée, l’économie de marché est bien plus efficace, la seule possible en comparaison avec l’économie administrative, l’économie de plan. Ce qui veut dire qu’un propriétaire privé conduit son économie de manière plus efficace, mais que l’état crée un système fiscal économiquement efficace et socialement fondée et reÑxoit dans l’escarcelle de l’état plus de moyens pour résoudre les tÑrches sociales. Donc, primo, nous devons créer ce système fiscal économiquement fondé, efficace et socialement orienté et, secundo, tous doivent payer, payer les impôts sans frauder le fisc. Bon, voilà qu’un des acteurs de l’affaire vient au Parquet et dit : "Bon, d’accord, je n’ai pas payé avant, je paie maintenant et oublions cela ". Que nenni.

Réplique : Pas payé dans les années 90 ?

Vladimir V. Poutine : Mais non, pas dans les 90, maintenant. Voilà qu’on vient de l’accuser concrètement. Il dit : "Bon, d’accord, je paie tout de suite". C’est ce marché, cette collusion qui sont inadmissibles. Tous doivent comprendre une fois pour toutes - on applique la loi toujours, et pas seulement quand Ñxa commence à te cuire.

Mais je crois que cette partie de notre conversation ne pourra être qualifiée de correcte, puisque dans notre pays, tout comme dans un autre état démocratique, existe la présomption de l’innocence. Et une personne ne saura être reconnue coupable que par décision du tribunal. Et avant, elle est présumée innocente. Ce que je viens de vous énoncer, c’est le point de vue du Parquet général.

Question : Et selon vous, est-ce que le Parquet général ne fait pas trop de zèle dans cette affaire ?

Vladimir V. Poutine : Si vous ne me coupez pas la parole, je dirai mon point de vue jusqu’à la fin.

Donc, c’est le point de vue du Parquet général, les accusés et leurs avocats en ont le leur. Et ils s’estiment innocents. Seul le tribunal est à même de rendre le verdict définitif. Enoncer un point de vue, surtout moi en tant que chef de l’état, serait absolument incorrect, cela peut influer la décision du tribunal dans un sens ou dans un autre. L’un et l’autre est mal.

Concernant l’activité des organes de maintien de l’ordre, ils ont jusqu’à présent agi correctement, sans dépasser les cadres de la loi, mais ils doivent alors, certes, aligner leurs pas sur les conséquences réelles dans le domaine politique, économique. Mais, je le répète, pour l’instant, on ne peut pas leur faire grief tant qu’ils s’en tiennent à la loi. Et ce n’est pas correct de leur faire grief, ils ont leurs obligations, c’est de leur devoir que de réagir à la violation de la législation.

Mais ce que je peux vous dire sûrement - nous allons consolider l’institut de la propriété, mettre au point les systèmes de la défense des intérêts des droits des propriétaires et des investisseurs, nous allons poursuivre les réformes de marché et consolider les institutions démocratiques - les partis, le système électoral et ainsi de suite. Tout cela pris ensemble, avec l’orientation réelle de l’état à la lutte contre la corruption et le crime, j’en suis persuadé, créera finalement une situation d’investissement normale, favorable. Nos partenaires comprendront qu’ils ont affaire aux partenaires fiables.

Question : Je voudrais poser ma question en tant que représentant de la société ouverte, comme nous tous les journalistes nous croyons les partisans de la société ouverte, c’est pourquoi ma question concerne la situation avec les principes et les libertés démocratiques, mais, avant tout, cela concerne les rumeurs, peut-être que vous en avez eu vent, qu’on entend parfois, en particulier dans la communauté des journalistes, que dans votre pays la presse n’est pas toujours libre et ressent certaines limitations, et n’est pas en tout indépendante des actions des autorités. Comment le commenteriez-vous ?

Vladimir V. Poutine : Une question très intéressante. Vous voulez que je commente les rumeurs ?

Réplique : Si vous les avez entendues, bien sûr.

Vladimir V. Poutine : Dites, s’il vous plaît, où, selon vous, dans quel pays la presse est entièrement indépendante de tous ? Pouvez-vous me citer ce pays sur la planète ?

Nous pouvons facilement transformer notre discussion en la notion philosophique de la liberté. Faute de temps, je vais simplement énoncer mon point de vue sur ce problème.

Je crois que pour que les médias soient libres, et c’est l’élément obligatoire d’une société démocratique, ils doivent être libres économiquement.

Ils ne doivent pas dépendre des grossiums et du business, qui considèrent les médias uniquement comme un moyen pour régler leurs intérêts corporatifs. Dans ce sens, nous n’avons pas encore créé entièrement ces conditions. Dans tous les cas, pas pour tous. D’aucuns ont su se retrouver dans la situation économique moderne et sont autosuffisants, efficaces économiquement et indépendants de tous. Et ce sont de bonnes, de vraies premières pousses de la future presse indépendante de la Russie.

D’autres dépendent encore des autorités locales, régionales, certains, peut-être, des autorités fédérales, certains dépendent des communautés d’affaires, des grosses sociétés et sponsors concrets. Mais ce que je peux vous dire avec précision, c’est que pour eux tous est garanti l’essentiel - la liberté de la parole. C’est un fait indubitable, c’est ce à quoi nous tenons beaucoup aujourd’hui et que nous allons, sûrement, défendre.

Question : Sergueï Ivanov a dit récemment que la Russie allait renforces son potentiel nucléaire, si l’OTAN ne modifie pas sa doctrine offensive.

Comment voyez-vous le développement de la coopération avec les Etats-Unis, avec l’Occident en général dans le domaine de la sécurité ?

Et je voudrais également demander, si la Russie a aussi adopté des changements de sa doctrine militaire qui suppose la possibilité des frappes nucléaires préventives ?

Vladimir V. Poutine : Concernant l’amélioration des indices qualitatifs et quantitatifs de nos forces de dissuasion nucléaires, nous le ferons indépendamment de ce que fait l’OTAN. L’OTAN n’y a rien à voir du tout. Toutes les puissances nucléaires améliorent leur potentiel nucléaire, et la Russie va agir de même. Mais notre politique nucléaire, à la différence de, disons, celle de l’Union Soviétique, ne vise pas quelqu’un, elle ne vise que le renforcement de notre sécurité. La Russie prône le strict respect de tous les régimes de la non-prolifération des armes nucléaires et des technologies de missiles.

Nous nous en tenons nous-mêmes à ces règles et espérons que les autres agiront de même. Comme nous sommes avec les Etats-Unis les plus importantes puissances nucléaires, naturellement, nous assumons une responsabilité spéciale pour cela. Et dans ce sens, les Etats-Unis sont pour nous un partenaire stratégique naturel. Nous avons notre plan de travail conjoint, la compréhension sur ce problème, nous sommes en contact permanent, y compris sur les sujets les plus sensibles d’aujourd’hui, disons, sur les systèmes de la défense antimissile. Nous sentons que nous pouvons travailler ensemble. Nous entendons travailler et sommes prêts à ce travail conjoint.

Concernant l’usage éventuel de la force dans les affaires internationales, nous croyons que c’est le moyen extrême, nous sommes les adversaires de l’usage de la force dans les affaires internationales. Le droit international actuel a établi les stricts critères de la possibilité de l’usage de la force. On ne peut user de la force que par décision du Conseil de Sécurité de l’ONU.

Réplique : Préventive ?

Vladimir V. Poutine : Toute. Et la Russie moderne n’a jamais violé ces principes fondamentaux du droit international.

Nous entendons nous en tenir à ces règles dans l’avenir et appelons tous à agir de même. Mais si dans la pratique internationale, dans la pratique de la vie internationale s’intronise le prince de l’usage préventif de la force, la Russie se laissera le droit d’agir de même pour défendre ses intérêts nationaux.

Question : D’excellents rapports ont été et restent entre nous, l’Italie et la Russie. Ces rapports seront sûrement développés encore plus.

C’est pourquoi je voudrais savoir ce que vous allez dire au cours des futurs entretiens avec le Président de la République Italienne et avec le Président du Conseil des Ministres de l’Italie ? Et je voudrais aussi savoir ce que vous direz au Pape Jean-Paul II, puisque le monde entier attend la réponse à cette question : est-ce que le Pape pourra ou ne pourra pas visiter la Russie ?

Vladimir V. Poutine : Il est vrai que l’Italie est un de nos partenaires privilégiés en Europe et au monde. Nous n’avons aucun problème qui ternisse nos relations bilatérales. Je veux le souligner, aucun. Au contraire, nos rapports se développent très intensément. Au niveau politique, nous sommes constamment en contact avec tous les dirigeants de l’Italie. Nous tenons des consultations sur la problématique internationale, nous concertons souvent nos positions, compte tenu de nos intérêts réciproques.

Avec la participation directe de l’Italie et du Premier ministre Monsieur Berlusconi, a eu lieu l’événement que je crois vraiment historique - c’est la création des "vingt" Russie - OTAN, le fait de donner une qualité nouvelle aux rapports entre la Russie et OTAN. Je pense que c’est la base pour le développement des nouvelles relations en général entre la Russie et toute la communauté occidentale, et le mérite en revient en grande partie à l’Italie. Et les relations entre la Russie et l’OTAN qui, à propos, se développent très bien.

Notre niveau des échanges commerciaux est assez haut : après la République Fédérale d’Allemagne, l’Italie occupe la deuxième place en Europe dans les rapports commerciaux avec la Russie. Presque 10 milliards d’euros. L’an dernier, la croissance du commerce a fait environ 5 %, et pendant le premier semestre courant - déjà 6,9 %, je crois. Nous menons maintenant, à l’initiative du Premier Ministre de l’Italie, un dialogue actif pour créer, étendre la participation du petit et moyen business italien en Russie. Six sujets de la Fédération de Russie mènent activement déjà des pourparlers sur ce problème et sont prêts à offrir de bonnes conditions aux partenaires italiens.

La coopération dans le domaine financier avance pas mal. Les banques russes et italiennes ont l’an dernier signé l’accord de travail d’investissements conjoint pour 1,5 milliards de dollars. Nous développons pas mal nos rapports dans le domaine des créances. L’Italie a été d’accord que les créances russes soient investies dans les projets conjoints.

Nous voyons actuellement que plusieurs compagnies italiennes (ce sont environ sept compagnies italiennes leaders) travaillent déjà et sont prêtes à l’extension de leur activité de fabrications de l’électroménager en Russie.

Le secteur de l’énergie constitue le domaine traditionnel de la coopération efficace. "ENI" travaille avec les partenaires russes depuis longtemps, de manière efficace et fiable.

Nous croyons très importante la coopération dans les domaines des hautes technologies. Ici, la balle est, comme on dit, dans notre camp. Nous devons ratifier l’accord de la coopération dans l’espace cosmique. Nous allons travailler ensemble dans cette direction.

Voilà la liste non exhaustive des problèmes et des questions que nous entendons discuter et avec le Président de l’Italie, et avec le Premier ministre. Je suis persuadé que le résultat sera positif, puisque ces pourparlers sont préparés par tout le cours de la coopération précédente entre les deux états.

Une très bonne situation est créée par la coopération dans le domaine de la culture.

Et, certes, à ce propos, nous aimerions beaucoup contribuer au rapprochement des positions de l’église orthodoxe russe et du Saint-Siège à Rome. La situation confessionnelle dans la communauté occidentale, en Europe, elle est très variée, et les rapports de l’église orthodoxe russe et de l’Eglise catholique ne sont pas chose unique. A ne prendre à titre d’exemple que les relations du Saint-Siège et de l’Eglise anglicane. Je ne vais pas donner dans le détail, mais vous comprendrez ce dont je parle.

Ma position personnelle consiste en ce que nous tous devons contribuer à l’union du monde chrétien indépendamment des nuances qui divisent le monde chrétien en différentes églises et confessions. Aujourd’hui, le monde compte un milliard huit cent millions de chrétiens environ. C’est ce qui réside à la base de la culture européenne et de l’identité européenne. Je suis persuadé que vous le savez aussi, ces tendances sont démographiques, elles ne peuvent pas trop réjouir le monde chrétien

Je répète, je crois que nous tous devons contribuer à l’union du monde chrétien. C’est pourquoi je ne vois pas ma tÑrche de garantir la venue du pape en Russie, mais de contribuer à ces pas vers l’union. Naturellement, cela ne sera possible qu’au cas de l’accord entre les églises.

Pour la Russie, c’est aussi important puisque, de mon point de vue, c’est tout de même un pas supplémentaire de l’intégration de la Russie à la communauté internationale, occidentale. Mais nous voulons nous intégrer à la communauté occidentale sans perdre notre propre visage, notre culture, notre foi et notre identité, ce dont j’ai déjà parlé à propos de l’Europe en général. Et c’est pourquoi il faudra y agir avec beaucoup de précautions, selon le principe médical connu - ne nuis pas.

Le Pape est un homme très sage, intelligent, je le connais et nous aurons de quoi parler.

Réplique : Monsieur le Président, une dernière question.

Vladimir V. Poutine : Je vous prie.

Question : Je ne pouvais pas terminer cette interview sans poser la question à propos de la Tchétchénie.

Vous, après être devenu Président, avez déjà parlé à ce sujet, vous avez lancé le processus du règlement politique, nous le savons, vous l’avez promis, vous l’avez fait. Néanmoins, reste le problème de l’activité des formations de bandits là-bas, dans la république. Maintenant, je voudrais demander ce que vous promettriez au début de votre prochaine présidence ?

Vladimir V. Poutine : Je pense qu’il est prématuré d’en parler, de la prochaine présidence, parlons plutôt de la Tchétchénie.

C’est le Président qui sera élu en mars prochain qui va poser des tÑrches pour la prochaine présidence, et qui sera élu Président de la Fédération de Russie - les citoyens de la Russie devront le dire au printemps prochain.

Concernant la Tchétchénie, je voudrais dire ceci.

Rappelons-nous, par quoi nous avons commencé - par l’attaque, en été 99, de grosses bandes des terroristes internationaux contre la République voisine de Daguestan pour créer un nouvel état de la mer Noire à la mer Caspienne. On peut dire, constater, que le terrorisme international avait débordé les frontières de la Tchétchénie pour mettre en pratique l’idée des forces radicales de la création du soi-disant khalifat.

Comme nous le comprenons, cela n’avait aucun rapport direct avec la Tchétchénie, cela ne faisait simplement que confirmer le fait qu’en Tchétchénie étaient installés les terroristes internationaux, y ont fait leur nid, fait du territoire de la Tchétchénie leur place forte.

Maintenant, nous savons que pendant tout ce temps-là, Al-Qaida y avait activement travaillé aussi, qui se servait de la situation désastreuse de la population pour recruter des guerriers, pour perpétrer des attentats non seulement sur le territoire de la Fédération de Russie, mais qu’elle les utilisait dans d’autres régions du monde. Sur le marché de Grozny, on vendait ouvertement les gens. Au total, plus de 2,5 mille gens ont été vendus.

Il faut dire que le peuple tchétchène a très bien compris qu’on s’en servait pour atteindre les objectifs qui n’avaient rien à voir avec ses intérêts. Certes, la situation se développait de faÑxon dramatique. Il n’aurait pas pu en être autrement, si l’on se souvient de plusieurs années de la domination des terroristes sur le territoire de cette république.

Vous le savez, nous avons cette année tenu les élections, tenu avant tout le référendum sur la Constitution de la République Tchétchène, qui stipule noir sur blanc que la Tchétchénie fait partie intégrante de la Fédération de Russie.

Je rappelle qu’à ces élections sont venus environ 80 % de tous les électeurs enregistrés en Tchétchénie. Comme nous le comprenons avec vous, on n’amène pas un homme voter de force. Et à peu près autant, même un peu plus, je crois, je ne me rappelle pas des chiffres exacts, ont voté au référendum sur la Constitution. Cela ne fait que confirmer ma thèse que la population de la République se sentait dupe de la part, avant tout, de la soi-disant quasi-administration. Nous nous sommes donnés pour objectif d’aider la Tchétchénie à élire son Président. Et, certes, les forces destructrices, les terroristes, ont cherché par tous les moyens à faire échec à ce processus. Il n’existe pour les bandits et les terroristes qu’une voie naturelle pour faire échec à ce processus - perpétrer de nouveaux crimes et attentats pour inciter nos Forces armées, inciter les organes de maintien de l’ordre à agir en réponse, ce dont aurait pu souffrir la population civile, qui se serait détourné de ce processus et ne serait pas venue aux élections du Président de la République. C’est ce but que servait le crime sanglant connu à Moscou, lié à la prise d’otages au Centre théÑrtral de Doubrovka.

Comme vous le savez, nous n’avons pas cédé à ces provocations, nous ne portons aucun coup préventif, ne lanÑxons pas nos missiles contre les places publiques, ne déployons aucune action de masse et, au contraire, utilisons toujours plus au travail contre les bandits et les terroristes les organes locaux de maintien de l’ordre, qui y ont été créés et qui fonctionnent toujours mieux. Aujourd’hui en Tchétchénie fonctionne le Ministère de l’Intérieur, le Parquet, le Barreau, le notariat, tous les organes du pouvoir et de la gestion. Tous les organes du pouvoir et de la gestion. Nous travaillons pratiquement avec toutes les forces politiques.

Au cours de la préparation aux élections présidentielles, nous avons activement travaillé avec les députés du parlement que nous ne reconnaissions pas de jure, mais qui, comme on sait, avait été élu en Tchétchénie il y a quelques années. Et voilà que ce parlement, qui, comme je l’ai dit, n’a pas été reconnu de juré, en conformité avec ses procédures, a pris la décision de l’impeachment du citoyen Maskhadov.

Comme vous le savez, on a tenu les élections du Président de la République Tchétchène. Maintenant, il y existe le pouvoir exécutif légitime, qui fonctionne sur la base de la Constitution adoptée au référendum.

Nous allons contribuer à ce que toutes les forces politiques participent à l’étape suivante de notre travail de règlement en Tchétchénie - aux élections au parlement et à la préparation et à l’adoption du traité du partage des pouvoirs entre le centre fédéral et la République Tchétchène sur la base d’une large autonomie pour la Tchétchénie. Pour toutes les forces politiques, y compris les députés de l’ancien parlement, on va créer les conditions pour leur participation au processus politique, et ils pourront aussi être élus au parlement, il n’y existe aucune limitation.

Nous espérons ainsi étendre la base politique du soutien du processus qui se passe dans la république. Certes, nous évaluons objectivement la situation et comprenons que nous aurons encore beaucoup de problèmes que nous devrons résoudre. Il y aura, certes, des gens qui chercheront à déstabiliser la situation. Ils existent sur le territoire de la Tchétchénie, ils sont installés à l’étranger, ils en reÑxoivent un financement substantiel et travailleront pour cet argent, nous le comprenons très bien. Et nous sommes prêts à résoudre ces problèmes aussi.

C’est pourquoi, je pense, qu’au cours de ces années, un très grand travail a été fait. Je crois que nous avons aussi fait preuve de la volonté dans la lutte contre le terrorisme, et de la bonne volonté dans notre aspiration à travailler avec toutes les forces politiques en Tchétchénie, à part les terroristes, bien sûr. Et, malgré toutes les difficultés, je crois tout de même que nos perspectives sont bonnes. Il nous faut maintenant nous occuper de la poursuite du processus politique, rétablir l’économie et la sphère sociale. Nous sentons le soutien du peuple tchétchène, nous allons travailler ensemble. Mais nous allons lutter contre les bandits et les criminels.

Grazie. Arrivederci.

Source : palais du Kremlin