1) Les États-Unis ont maintenu le plus grand secret sur les négociations qu’ils poursuivaient avec les Talibans, lors d’une série de conférences qui se sont tenues à Berlin en juin et juillet 2001, puis à Londres et Genève, de sorte que l’opinion publique internationale ignore leurs intérêts dans la région et que les Talibans ont cru pouvoir négocier jusqu’au dernier moment et éviter la guerre.

2) Ils ont planifié le changement de régime. L’ancien roi Zaher Shah, en exil à Rome, étant atteint de sénilité ne pouvait être rétabli sur le trône, mais il légitimerait la transition. Un ami des Bush, ayant la double nationalité états-unienne et afghane, Hamid Karzaï dirigerait un gouvernement fantoche dans lequel on introduirait quelques chefs de guerre locaux. Rappelons que ce projet a été rejeté par la France et le secrétariat général de l’ONU, dans un communiqué commun daté du 17 juillet 2001, preuve que toutes les chancelleries savaient ce qui allait se passer.

3) Les états-majors de la Coalition ont utilisé des couvertures plausibles au déploiement de leurs troupes sur zone. Compte-tenu du caractère périodique des manœuvres navales britanniques en mer d’Oman, personne ne s’inquiéta de cette présence en août 2001, ni ne remarqua qu’il s’agissait du plus important déploiement naval britannique depuis la guerre des Malouines. De même, de prétendues manœuvres de l’OTAN masquèrent le transport de 40 000 GI’s en Égypte.

4) Les attentats du 11 septembre fournirent l’alibi. Soulignons qu’à ce jour, aucune enquête judiciaire n’a été conduite aux États-Unis pour établir les modalités de ces attentats et identifier les commanditaires. Il n’y a pas eu non plus d’enquête parlementaire. La seule version que nous avons de ces événements est celle que nous a donnée, sans preuve, l’administration Bush. Cependant, une enquête parlementaire relative au fonctionnement des services secrets a recensé une douzaine d’alertes parvenues aux plus hautes autorités avant les attentats, de sorte qu’on ne peut plus dire que l’administration Bush a été prise par surprise. Au minimum, elle a laissé faire pour tirer parti des événements, comme l’ont établi des parlementaires états-uniens, au pire, comme je pense l’avoir démontré, une faction de cette administration a commandité ces attentats. Quoi qu’il en soit, l’administration Bush a prétexté de ces événements pour accuser l’Émirat des Talibans de complicité, et habiller son expédition coloniale en riposte de légitime défense. Le Conseil de sécurité de l’ONU s’est laissé endormir par Colin Powell, qui lui a promis un rapport détaillé sur l’implication des talibans dans le complot du 11 septembre ; rapport qui n’a jamais été remis, ni même rédigé. Et le Conseil a fait semblant de considérer qu’une riposte différée d’un mois relevait de la légitime défense, alors qu’elle évoquait au mieux la vengeance.

5) La Coalition anglo-états-unienne a limité l’emploi de ses forces et a fait sous-traiter l’essentiel des combats par les Afghans eux-mêmes. Elle a acheté des chefs de guerre à coups de millions de dollars, puis les a équipés en matériel et lancé à l’assaut de l’Émirat taliban.

6) Les communiquants de Washington ont conditionné l’opinion publique internationale, avec la connivence des grands groupes de presse, pour la rendre consciente de l’obscurantisme des Talibans. Dès lors, l’idée de leur renversement apparraissait comme une libération. On a donc relooké les chefs de guerre non-Talibans et leurs hommes avec des uniformes pour que leurs bandes aient l’air d’armées régulières. Pour donner une cohérence au scénario le « Front islamique » a été renommé « Alliance du nord ».

7) Enfin, les États-Unis ont fait avaliser a posteriori toute l’opération par l’ONU à l’occasion de la conférence de Bonn. Dans une belle mise en scène, les leaders afghans se sont partagés les places encore disponibles d’un cadre entièrement fixé à l’avance.

8) Deux ans plus tard, l’Afghanistan est toujours en ruines. Le pays est livré au chaos, à l’exception de la ville de Kaboul. La torture est toujours pratiquée, non plus par les Talibans, mais par le nouveau régime et les troupes US de la base de Bagram. Le ministère des Vices et des vertus, tant décrié à juste titre à l’époque talibane, a été rétabli. Et l’on s’apprête à promulguer une constitution islamiste.

 

 

Comparons maintenant avec ce qui s’est passé en Irak.

1) La Coalition a conduit des négociations secrètes avec Saddam Hussein à Londres par l’entremise d’un homme d’affaire bi-national qui était en contact avec Richard Perle et le Pentagone. De sorte que l’opinion publique internationale n’ait pas conscience des objectifs précis des états-uniens en Irak et que le tyran de Bagdad a cru pouvoir négocier jusqu’au dernier moment et éviter la guerre.

2) Les anglo-états-uniens ont planifié le changement de régime. À la différence de l’Afghanistan, ils n’ont pas fait appel à un prétendant au trône pour légitimer l’installation d’un gouvernement fantoche. Ils ont en effet ici le projet de démanteler l’Irak à moyen terme, en trois ou quatre États distincts. Ils ont donc sélectionné à la fois un gouvernement de transition et des dirigeants pour les États à venir. Ils ont remis en selle le prétendant hachémite au trône, et publicisé une marionnette, Ahmed Chalabi. Ils n’ont pas eu besoin d’éliminer les leaders alternatifs, puisque Saddam Hussein s’en était chargé avant eux.

3) La Coalition a masqué le déploiement de ses troupes en évoquant l’installation de nouveaux accords de défense dans la région. Dès son arrivée à la Maison-Blanche, le vice-président Cheney a négocié en personne l’implantation de bases militaires US au Kirghizstan, au Kazakhstan et en Ouzbékistan dans le cadre du développement des accords Central Asia Battalion (CENTRASBAT) de la Communauté économique d’Asie centrale. Tandis que le Military Traffic Management Command (MTMC) a mis en place un pont aérien et a rénové gratuitement des axes ferroviaires pour acheminer le matériel sur zone.

4) La prétendue détention d’armes de destruction massive et les prétendus liens avec Al Qaïda ont servi d’alibis. Des cellules spéciales d’intoxication ont été installées au Pentagone (le Bureau des plans spéciaux) et au ministère britannique de la Défense (la cellule Rockingham) pour faire tourner les inspecteurs de l’ONU en bourrique et tromper l’opinion publique internationale. Pourtant, selon le Washington Post, l’ordre d’attaquer l’Irak n’a pas été signé par George W. Bush à l’issue de toute cette polémique, mais le 17 septembre 2001, avant la controverse.

5) La Coalition a souhaité limiter l’emploi de ses forces en faisant appel aux factions locales. Elle a fabriqué de toutes pièces une soi-disant armée du Congrès national irakien, qui n’a en définitive existé que devant les caméras et n’a jamais tiré un coup de feu. Elle s’est appuyé avec plus d’efficacité sur les partis kurdes, qu’elle avait pourtant combattu par le passé aux côté des troupes turques. Et elle s’est totalement trompée quant à un éventuel soulèvement des tribus et des chiites. Cependant, elle a réussi à vaincre sans livrer de bataille importante, mais en achetant à coup de millions de dollars la reddition des généraux de Saddam Hussein.

6) On a influencé l’opinion publique internationale pour la rendre conscience des crimes de Saddam Hussein, et l’on pas hésité à en rajouter (lire à ce sujet Huit légendes médiatiques sur l’Irak). On a évidemment réécrit l’histoire puisque la plupart de ces crimes ont eu lieu à l’époque où Saddam Hussein était en excellents termes avec les Occidentaux et où ses forces de répression étaient encadrées par la CIA.

7) La Coalition a fait avaliser a posteriori l’invasion de l’Irak, en faisant adopter par le Conseil de sécurité une résolution reconnaissant l’Autorité provisoire. Et l’on vend aux enchères les maroquins ministériels, qui s’accompagnent de traitements et d’avantages substantiels, mais n’ont aucun pouvoir car ils sont tous « doublés » par des officiers de la Coalition.

8) Enfin, six mois plus tard, l’Irak est en ruines. Le chaos règne partout, y compris à Bagdad. La torture est toujours pratiquée, mais cette fois par les Forces spéciales US installées à l’aéroport de Bagdad. Le Pentagone envisage de rétablir au plus vite un pouvoir fort, composé d’anciens baasistes encadrés par des officiers US. La Constitution ne sera pas promulguées avant six mois, voire plusieurs années, et ce pays laïque deviendra alors un État islamique.

On dit que l’Histoire ne se répète jamais exactement de la même manière. En tous cas, les méthodes de la Coalition anglo-états-unienne ne changent pas.