Bien plus que l’Espagne ou la Pologne ou la droite catholique et pro-américaine, c’est le principe d’intergouvernementalité qui a eu la peau de la Constitution européenne et a vaincu le rêve d’une nouvelle communauté de citoyens. Pourtant, la Convention européenne était parvenue à un consensus qui avait été approuvé par le Parlement européen, même si ce dernier avait regretté que le texte n’aille pas plus loin.
Ce texte reconnaissait des objectifs sociaux, féministes et écologistes, faisait sauter le verrou du traité de Nice et démocratisait les institutions en renforçant le rôle du Parlement et en instaurant la règle de la double majorité au sein du Conseil. De plus, les citoyens, via une pétition signée par un million de voix pouvaient proposer une loi. La seconde partie du texte incorporait la Charte des Droits fondamentaux. La troisième partie, plus problématique, ne revenait malheureusement pas, faute de temps, sur les traités qui gravaient dans le marbre le principe néo-libéral, se privant ainsi d’une base populaire explicite.
Cela n’a pas désarmé le droite européenne, majoritaire dans les gouvernements dont les ministres des Finances se sont opposés aux nouveaux pouvoirs budgétaires du Parlement. Dans le même temps, les États-Unis s’opposaient à ce texte qui prévoit la possibilité de la création d’une capacité d’intervention européenne hors de l’OTAN. Il n’est pas étonnant cependant que l’affrontement se soit cristallisé sur la méthode de prise de décision, c’est-à-dire la possibilité d’action du politique sur le marché.
Le Traité de Nice, en bloquant la prise de décision consacrait le néolibéralisme. C’est la victoire de la droite aidée par une partie de la gauche qui n’a pas compris qu’en se focalisant sur le troisième volet du texte, elle ouvrait la voie à la droite qui, avec le Traité de Nice, a le projet de constitution dont elle rêve depuis Adam Smith. Il faut se mobiliser pour obtenir une conservation des acquis du texte de la Convention tout en les dépassant.

Source
Libération (France)
Libération a suivi un long chemin de sa création autour du philosophe Jean-Paul Sartre à son rachat par le financier Edouard de Rothschild. Diffusion : 150 000 exemplaires.

« Qui a tué la Constitution ? », par Alain Lipietz, Libération, 17 décembre 2003.