Le projet impérial de l’administration Bush suppose une capacité d’action militaire tous azimuts. Celle-ci contraint le département de la Défense de penser un déploiement permanent de forces sur l’ensemble du globe.

Dans la période allant de l’effondrement de l’URSS (1992) à la marginalisation du président Clinton (1998), les États-Unis ont démobilisé massivement. De 4,4 millions d’hommes au sommet de la Guerre froide (1987), les effectifs sont descendus à 2 millions aujourd’hui. Toutefois, cette période ne correspond pas seulement à la disparition d’un adversaire capable d’anéantir les États-Unis, mais aussi à des bouleversements des armements et des stratégies qui n’exigent plus de « chair à canon » aussi nombreuse. Cette réduction des effectifs ne signifie donc pas forcément une diminution de puissance.

Disposant de moins de personnels, les armées ont revu à la baisse le nombre de leurs bases. Dès 1990, le secrétaire à la Défense de l’époque, Dick Cheney, proposa de fermer soixante et onze bases, mais il dut reculer devant les pressions d’élus locaux inquiets des conséquences économiques dans leurs circonscriptions. Le débat s’est poursuivi au travers de diverses commissions et a connu un début de réalisation.

L’ambition impériale affichée par le Congrès dès 1998 et affirmée par le président George W. Bush à partir de 2001 a suscité un mouvement inverse. Il s’agit maintenant d’ouvrir de nouvelles bases dans des régions du monde encore non couvertes et de recruter des soldats. Dès son arrivée à la Maison-Blanche le vice-président Dick Cheney a commencé de discrètes négociations bilatérales avec des États d’Asie centrale pour installer de nouvelles bases permettant d’intervenir dans la région de la mer Caspienne, notamment en Afghanistan. Actuellement, d’autres bases sont en négociation, voire en installation, pour intervenir au Proche-Orient, notamment en Syrie. En outre, Donald Rumsfeld négocie le transfert partiel des forces stationnées en Allemagne vers l’Est, en Europe orientale, pour occuper l’ancienne zone d’influence de la Russie.

En plus des 260 000 hommes stationnés en permanence à l’étranger, 130 000 occupent actuellement l’Irak et, malgré les déclarations d’intention, ne devraient pas en partir, ni à court, ni à moyen terme. L’importante rotation de forces auquel on assiste en ce moment, sous prétexte de relever les troupes combattantes par des plus fraîches, devrait concerner 250 000 hommes en six mois. Tout laisse à penser qu’il s’agit en réalité d’un redéploiement des effectifs en vue de prochaines opérations. Le dispositif devrait être achevé à la mi-2004, date à laquelle les 12 porte-avions de la Navy auront été rénovés et seront simultanément opérationnels.

D’ores et déjà ce projet se heurte à une pénurie de personnels, de sorte que le département de la Défense va doit recruter. Deux solutions s’offrent à lui, qui sont mises en œuvre simultanément : d’une part sous-traiter certaines tâches à des sociétés privées et, d’autre part, trouver des candidats à l’étranger. La première solution a été largement utilisée pendant l’attaque de l’Irak, où le Pentagone a eu recours à plus de 20 000 hommes extérieurs. Ils ont été affectés aux missions les plus diverses, à l’exception de celles supposant la possibilité de tuer. Encore faut-il comprendre cette règle de manière large puisque des pilotes de bombardier, dont les munitions sont guidées depuis une salle de commandement militaire, ont pu être fournis par des sous-traitants. Quant au recrutement à l’étranger, il a rencontré un vif écho en Amérique centrale, assorti de la promesse de naturalisation à l’issue du service.

Nos infographies reproduisent les données officielles disponibles qui sont partielles et volontairement sous-évaluées parce que l’on a largement dépassé les effectifs autorisés par le Congrès. Les chiffres ne tiennent pas compte des personnels cachés comme ceux des Forces spéciales de la CIA, ni des sous-traitants. Ils ignorent aussi les forces de certains États étrangers devenus supplétifs de l’Empire (comme les Britanniques et les Polonais en Irak). Enfin, ils masquent les forces U.S. combattant sous un drapeau étranger, comme c’est le cas en Colombie (où le département de la Défense prétend n’avoir aucun homme, pas même des conseillers techniques). De plus, de nombreuses bases ne figurent pas sur les documents officiels remis aux parlementaires (par exemple, aucune n’est déclarée en Éthiopie, malgré une présence conjointe américano-israélienne).
On observe que, hormis l’Irak, les locations principales datent de la Seconde Guerre mondiale : Allemagne, Corée du Sud, Italie, Japon. Ce qui laisse à penser que les forces états-uniennes maintiennent leur « protection » le plus longtemps possible sur les pays qu’ils occupent.

Ce gigantesque déploiement soulève quantité de problèmes, moins en termes d’équipements, que de transport et surtout de formation et de financement. L’administration Bush n’a pas dans l’immédiat les moyens de ses ambitions. L’armée la plus coûteuse du monde est vouée à une faible efficacité parce que ses missions ont été définies de manière trop vague. Or, c’est dans la dispersion de leurs forces que les empires s’écroulent.