Le protocole de Carthagène, adopté en janvier 2000 à Montréal, est l’accord international sur les mouvements transfrontaliers d’OMS (Organismes Génétiquement modifiés). Il est entré en vigueur en septembre 2003 et autorise ainsi un Etat à interdire l’importation d’OGM en vertu du principe de précaution.

Prenant acte de cet accord signé par 86 pays et l’Union Européenne mais refusé par les Etats-Unis qui continue leur campagne pour l’acceptation des OGM dans le monde, Le Vénézuéla par la voix de son président Hugo Chávez a annoncé le 22 avril dernier que seront interdites les semences transgéniques sur les terres vénézuéliennes instaurant ainsi la prohibition la plus drastique des cultures d’OGM de l’hémisphère occidental.

Chávez a condamné les semences génétiquement modifiées comme étant contraires aux intérêts et aux besoins des paysans et des travailleurs ruraux du Venezuela, de la souveraineté et de la sécurité alimentaire. Il a dès lors demandé l’annulation immédiate d’un contrat négocié par la firme américaine de biotechnologie Monsanto, qui truste 80% des ventes mondiales de semences d’organismes génétiquement modifiés, et qui prévoyait de semer 500.000 hectares de soya transgénique dans le pays. Il a également indiqué que ces terres seront consacrées`la culture du yucca, un produit local prisé par les vénézuéliens.

La décision du mandataire vénézuélien fait suite à la lettre de Rafael Alegria, secrétaire général de l’organisation internationale Via Campesina, qui regroupe près de 60 millions de paysans, paysannes et travailleur(e)s agricoles du monde entier, qui demandait au président l’annulation de tout accord qu’aurait conclu le gouvernement en ce qui a trait à la production et la commercialisation d’OGM, parce qu’ils font atteintes aux principes, inscrits dans la constitution, de souveraineté alimentaire des peuples.

Le concept de souveraineté alimentaire a été développé par Via Campesina et porté au débat public à l’occasion su Sommet mondial de l’Alimentation en 1996. Depuis, ce concept est devenu un thème majeur du débat agricole international, y compris dans les instances des Nations-Unies. Ce fut le thème conducteur du forum des ONG parallèle au sommet mondial de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a Johannesburg en juin 2002. Selon Via Campesina, les Institutions internationales comme le FMI, la Banque Mondiale et l’OMC ont mis en œuvre des politiques libérales dictées par les intérêts des firmes transnationales et des grandes puissances, qui donnent la priorité au commerce international et non l’alimentation des populations. Ces politiques ont renforcé l’industrialisation de l’agriculture, mettant en danger le patrimoine génétique, culturel et environnemental de la planète, ainsi que la santé de ses habitants. Via Campesina condamne l’OMC qu’elle juge totalement inadéquate pour traiter les questions relatives à l’alimentation et l’agriculture.

Faut-il rappeler que les Etats-Unis et l’Union Européenne ont fait entériner par l’OMC une nouvelle pratique de dumping, qui remplace les aides à l’exportation par une forte baisse de leurs prix agricoles, associés à des paiements directs payés par l’Etat ainsi que la possibilité qu’une poignée d’entreprises majoritairement américaines, comme Monsanto et Cargill puisse détenir des « brevets sur le vivant ».

Rafael Alegria a de bonnes raisons d’avoir des préoccupations et d’être sur ses gardes, car Monsanto a une longue histoire qui a causé de sérieux problèmes sociaux et environnementaux. Monsanto est la firme qui a produit l’Agent Orange, ce défoliant utilisé lors de la guerre du Vietnam, qui a causé des avortements, des troubles nerveux et des pertes de mémoire, au sein des millions de personnes qui y furent exposés. Plus récemment la multinationale a été critiquée pour les effets néfastes que ses semences transgéniques et ses hormones de croissance bovine (rBGH) peuvent avoir sur la santé humaine et sur l’environnement.

Plus près du Venezuela, Monsanto vend à la Colombie voisine, l’herbicide « glyphosate », qui est utilisé par le gouvernement de ce pays dans son offensive, le Plan Colombie, contre la production de cocaïne et les groupes rebelles. La Colombie procède à des pulvérisations aériennes de centaines de milliers d’hectares de forêt tropicale, détruisant des exploitations agricoles légales et des réserves naturelles telles que la forêt du Putumayo, ce qui constitue une atteinte directe à la santé des populations, y compris les communautés indiennes.

De plus, la major de l’OGM a par ailleurs passé, dès 1997, un accord de coopération technique avec la société publique Embrapa ( Entreprise brésilienne de recherches agricoles) portant sur l’élaboration d’une gamme de semences de soja transgéniques adaptées à la diversité des sols brésiliens. Le dispositif de préconquête utilisé dans cette « stratégie de contamination » selon l’expression de Flavia Londres, animatrice de la campagne « Pour un brésil sans transgéniques », a été parachevé avec l’inauguration, en 2001, près de Salvador de Bahia, d’une usine, la plus importante du groupe hors des Etats-Unis, qui fabrique notamment le Roundup, semence de soya transgénique.
La lettre de Alegria faisait justement référence a ce Roundup et au possible accord entre l’entreprise agroalimentaire « La Orleana » avec le Brésil et Moranto pour la semence de cet OGM sur le plateau de Guanipa, Etat Anzoátegui, dans la municipalité Simon Rodriguez de El Tigre.

Lorna Haymes, coordinatrice du Réseau d’Action en Alternative à l’Usage des Agrotoxiques au Vénézuéla a également alerté le gouvernement sur un accord récent avec l’Argentine, le deuxième producteur de soya transgénique au monde, qui proposait d’échanger du pétrole contre des produits agricoles qui incluent le soya transgénique. Lorna Haynes suspecte aussi le projet « coton » lancé par le ministère de l’Agriculture et des Terres qui, selon elle, pourrait utiliser des semences transgéniques de Monsanto, ce dernier ayant déjà réalisé des tests illégaux dans le pays avec du coton génétiquement modifié. Elle rappelle également que depuis deux ans les plaintes déposées au Procureur Général de la République, au sujet de la commercialisation sous forme de « viande » et de « lait » de soya transgéniques et de maïs transgéniques en provenance des Etats-Unis, se sont accumulés sans qu’aucune poursuite ne soit déclenchée.

Regroupés en importants réseaux et mouvements sociaux, la dure bataille contre l’usage des OGM est une lutte qui se retrouve partout dans le monde non seulement parce qu’ils sont nuisible pour la santé, ce qui pourrait en soi suffire à les combattre, mais aussi parce que les firmes qui les produisent visent à contrôler la biodiversité, désarticuler les économies paysannes et indigènes et s’emparer des connaissances humaines.
Jusqu’à aujourd’hui, l’Union Européenne a résisté, avec difficultés, aux pressions américaines et de l’OMC sur la question des OGM. En 1998, un moratoire européen fut voté pour suspendre la mise en culture de semences transgéniques. Le 18 avril dernier la nouvelle législation sur l’étiquetage des OGM est entrée en vigueur. Tous les produits alimentaires contenant plus de 0.9% de produits génétiquement altérés devront disposer sur leur étiquette d’une mention faisant état de la présence d’OMS. Pour la Confédération paysanne, membre de Via Campésina, cette législation offre un cadre réglementaire incomplet car elle ne s’applique toujours pas aux produits destinés aux animaux, comme la viande, le lait et les oeufs par exemple. De nombreuses lacunes persistent encore, notamment sur la protection complète des semences contre toute forme de contamination. De plus, l’organisation paysanne française pense que cette loi est un support pour justifier vis-à-vis des consommateurs la relance des autorisations de mise en culture et la levée du moratoire européen.

De ce fait, la décision du Président Hugo Chávez constitue un grand progrès dans la lutte contre l’imposition des OGM par les corporations transnationales et en particulier Monsanto. Il doit maintenant la ratifier par un décret présidentiel qui interdît la libération dans l’environnement, l’importation, la production et la commercialisation des organismes génétiquement modifiés et de leurs produits.

Et avec ceci, comme l’exige les agriculteurs, paysans et environnementalistes vénézuéliens, le gouvernement doit promouvoir une agriculture tropicale réellement durable pour renforcer la production locale, la biodiversité et la souveraineté alimentaire. Alegria espère que la décision du Venezuela va servir d’exemple à d’autres nations dans leur manière de traiter la question des OGM, « les encourageant à suivre l’exemple du Venezuela, territoire libre de cultures transgéniques ».