Est-ce que la communauté chiite est sur le point d’entrer en rébellion contre les États-Unis ? Est-ce que Moqtada al-Sadr va unifier les Arabes sunnites et chiites contre les envahisseurs étrangers ? Les actions des États-Unis contre Sadr vont-elles saper l’alliance de Washington et des chiites ? La réponse à toutes ces questions est « non », mais il est possible que les erreurs des politiques anti-Sadr minent les plans de la Coalition et il faut donc bien comprendre ce que veut Sadr.
En réalité, les attaques menées par les partisans de Sadr contre les soldats de la Coalition sont avant tout un assaut frontal contre le clergé traditionnel et en premier lieu l’ayatollah Sistani, dirigeant de facto des chiites. L’establishment clérical chiite souhaite une démocratie qui affranchira les chiites de la domination sunnite et leur donnera le pouvoir, mais il est embarrassé par l’occupation américaine et ne pardonne pas la trahison de 1991. Sadr joue beaucoup sur ce souvenir et se présente également comme l’héritier de la révolte de 1920 contre les Britanniques alors qu’il n’est que l’héritier de 1979 et de la révolution iranienne. Il sait qu’il a besoin du chaos pour s’élever dans la hiérarchie chiite.
À la fin de l’année 2003, il était évident pour le clergé chiite et le Pentagone que Sadr était à l’origine de la mort de plusieurs soldats états-uniens, mais l’Autorité provisoire de la Coalition n’a rien fait contre lui, rendant plus difficile pour le clergé chiite la présentation de Sadr comme le fils indigne d’une lignée prestigieuse. Aujourd’hui Sadr s’est réfugié à Nadjaf où les Américains peuvent difficilement aller le chercher sans provoquer une réaction hostile des chiites et du Conseil de Gouvernement irakien, y compris d’Amhed Chalabi. Sadr joue également sur le sentiment croissant chez les Irakiens que le texte constitutionnel transitoire est prévu pour donner le pouvoir aux Kurdes. Si les chiites ont l’impression d’être floués, Sadr gagnera en pouvoir. Les chiites sont encore majoritairement de notre côté, mais les attaques des hommes de Sadr doivent nous faire prendre conscience des problèmes et nous devons reprendre les discussions sur la transition afin d’aider Sistani politiquement.

Source
Wall Street Journal (États-Unis)

« A Shiite War ? », par Reuel Marc Gerecht, wall Street Journal, 10 avril 2004.